Kitabı oku: «Histoire des salons de Paris. Tome 4», sayfa 3
– Il est charmant, s'écria madame de Montesson toute ravie du baisement de main. N'est-ce pas, Steibelt, qu'il est charmant?
– Charmant? dit le Prussien furieux!.. charmant? dites plutôt que c'est un Vandale!.. demandez à Garat.
Mais Garat avait été écouté; on lui avait même redemandé sa romance, et il dit non-seulement comme les autres: – Il est charmant…; mais il ajouta, avec cette expression importante que nous lui avons tous connue, et qui rendait si drôle sa figure de singe:
C'est un grand homme!
Mais où madame de Montesson eut une maison peut-être encore plus agréable qu'à Paris, ce fut à Romainville. Elle s'ennuya bientôt de Paris; elle y eut quelques désagréments. On ne peut servir tout le monde, quelque crédit qu'on ait; et ceux qui ne réussissent pas par votre moyen sont mécontents et vous accusent: ce fut ce qui arriva à madame de Montesson. Elle eut de plus des cabales de théâtre qui vinrent lui donner de l'ennui.
Mademoiselle Duchesnois voulut débuter aux Français33. Chaptal, qui prétendait se connaître en figures, prononça qu'un aussi laid visage ne pourrait jamais réussir, et refusa ou du moins éluda l'ordre de début. On en parla à madame de Montesson; elle avait joué la comédie trop souvent et trop bien pour ne pas porter intérêt à une jeune personne qui annonçait du talent, car elle promettait alors ce qu'elle n'a pas donné, tandis que mademoiselle Georges a été depuis, comme alors, bien au-dessus d'elle.
Quoi qu'il en soit, madame de Montesson se passionna pour le talent de mademoiselle Duchesnois, qui était laide à renverser. Le moyen, quelque esprit qu'elle eût, de se douter que c'était M. de Valence qui lui imposait mademoiselle Duchesnois!.. Comme elle était loin de cette pensée, elle voulut, à son tour, employer son crédit pour imposer mademoiselle Duchesnois aux Parisiens. Elle fit donc promettre à madame Bonaparte de venir entendre mademoiselle Duchesnois en petit comité. On invita cent cinquante personnes, plus de deux cents s'y trouvèrent. Chaptal était du nombre. Il pensait comme beaucoup de gens qu'un beau ou un joli physique est une condition, sinon première, au moins très-importante pour réussir sur le théâtre. C'était un homme d'esprit sur lequel on faisait des mots qu'on croyait bons et qui n'étaient que de pauvres sottises. Il avait de la science et de la bonté, et, en surplus de sa science, il avait de l'esprit. Mademoiselle Duchesnois, avec sa grande bouche, sa maigreur osseuse, car alors elle était maigre et sans forme, avec sa laideur enfin, lui parut avoir raison lorsqu'elle disait:
Soleil, je viens te voir pour la dernière fois.
et il jugea inutile de la faire mentir en la faisant revenir pour le répéter. En conséquence, il lui refusa un ordre de début. Voilà pourquoi madame de Montesson sollicita madame Bonaparte d'entendre la jeune débutante chez elle, et fit prier par elle M. Chaptal d'y venir. Le moyen de refuser la reine de France, car Joséphine l'était déjà!.. Chaptal vint donc chez madame de Montesson, où nous entendîmes mademoiselle Duchesnois dans Phèdre, et, je crois, dans Clytemnestre et dans Didon…
– Que ferez-vous? dis-je à Chaptal, lorsque après avoir écouté la débutante on se mêla pour causer.
Il me regarda en souriant.
– Je parie que vous m'avez deviné, me dit-il.
– Mais non… J'ai fort bonne opinion de votre fermeté…
– Vraiment!.. mais le moyen!.. mettez-vous à ma place… tenez, voyez plutôt.
En effet, nous vîmes s'avancer vers nous madame Bonaparte, donnant le bras à madame de Montesson, qui, pour cette grande attaque, avait quitté son canapé et son tabouret34, et, tenant mademoiselle Duchesnois par la main, venait solliciter le fameux ordre de début…
– Et la protégée de madame Louis Bonaparte? dis-je à Chaptal…
– Oh! qu'elle est belle! s'écria-t-il comme transporté à ce seul souvenir!
– Et comme elle est bonne dans les moments de force de son rôle! vous ne pouvez pas la refuser si celle-ci débute.
– Vous avez raison… Eh bien! toutes deux débuteront.
Ces dames arrivèrent alors auprès de nous… Madame de Montesson demanda, madame Bonaparte appuya et Chaptal accorda ce qu'il ne pouvait au fait pas refuser à madame Bonaparte, qui, par instinct, n'aimait pas mademoiselle Georges, rivale de mademoiselle Duchesnois, que mademoiselle Raucourt avait amenée chez madame Louis, où je l'admirai le lendemain de la soirée de madame de Montesson.
– N'est-ce pas, me dit mademoiselle Raucourt avec son accent de Léontine dans Héraclius, ou de Cléopâtre dans Rodogune, n'est-ce pas que voilà un bel outil de tragédie?..
Le fait est qu'elle était superbe, et que son talent, très-beau dans cette première époque de sa vie, est devenu un des plus remarquables de notre temps: c'est le dernier soupir de la bonne tragédie. Mademoiselle Raucourt lui avait donné les bonnes traditions, et elle les a conservées…
Madame de Montesson voulut quitter Paris, et comme sa fortune lui permettait d'avoir une maison à elle, elle en acheta une charmante à Romainville; mais elle était trop petite, il fallut l'agrandir. Elle fit bâtir, et ce qu'elle ordonna fut d'un goût si parfait, que tout le monde voulut connaître cette charmante chaumière ou moulin, comme elle l'appelait, et bientôt elle eut plus de monde qu'à Paris.
J'ai déjà dit qu'elle peignait admirablement les fleurs; elle voulut en élever d'aussi belles que celles du Jardin des Plantes, pour lui servir de modèles. Elle fit donc construire une serre à Romainville: cette serre servit ensuite de modèle pour celle de la Malmaison35; elle communiquait à la chambre à coucher de madame de Montesson par une glace sans tain. Au milieu, était une rotonde dans laquelle on déjeunait tous les matins. Il y avait souvent des personnes qui ne pouvaient pas venir plus tard et venaient déjeuner à Romainville, et puis l'entourage de madame de Montesson était fort nombreux. Elle avait ses deux nièces, dont l'une, madame de Valence, était encore charmante, et jolie, et gracieuse, autant que femme peut l'être…; l'autre, madame Ducrest, chantait à merveille. On faisait d'excellente musique à Romainville; madame Robadet, dame de compagnie de madame de Montesson, était très-forte sur le piano et l'une des premières élèves de Steibelt. Dès qu'il fut arrivé à Paris, il fut attiré dans cette maison et contribua à l'agrément du salon de madame de Montesson. C'était une aimable femme que madame Robadet36; elle formait, avec la famille nombreuse de madame de Montesson, le fond et le noyau de la société qu'on était toujours sûr de trouver à Romainville. Tout cela se groupait autour de la maîtresse de la maison, sans chercher à faire un effet exclusif, et pour l'aider seulement à rendre sa maison plus agréable37, quoique parmi elles il y en eût qui pouvaient le faire avec certitude de succès; mais la pensée n'en venait pas… Il y avait donc à Romainville madame de Valence, encore jolie à faire tourner une tête, et madame Ducrest, nièces toutes deux de madame de Montesson; les deux filles de madame de Valence38, parfaitement élevées, polies, et faisant déjà présumer ce qu'elles sont devenues, des femmes parfaites; mademoiselle Ducrest (Georgette), jolie comme un ange et fraîche comme un bouton de rose… Voilà ce qui formait le fond de la société habituelle de madame de Montesson; il faut y ajouter les dames de La Tour39, amies malheureuses pour qui elle fut une providence… Les plus habituées ensuite étaient madame Récamier, madame Regnault de Saint-Jean-d'Angély… Madame Bonaparte y allait aussi souvent qu'elle le pouvait, ainsi que la princesse Borghèse. J'y allais aussi, mais je fus à Arras alors, ce qui me rendit moins assidue. On y voyait aussi presque toujours madame de Fontanges40, fille de M. de Pont; et puis encore madame de Custine, mademoiselle de Sabran, cette belle et ravissante personne, dont le dévouement, aussi grand que son courage et sa beauté, fit impression sur un peuple en délire, et ne put toucher des juges qui, pour la satisfaire, n'avaient qu'à écouter la justice!..
On voyait encore chez madame de Montesson toutes les étrangères ayant une spécialité de fortune, de rang ou de beauté: la marquise de Luchesini41, la marquise de Gallo42, madame Visconti, la duchesse de Courlande, madame Divoff, madame Demidoff, la princesse Dolgorouki et la belle madame Zamoïska43, et une foule de Françaises et d'étrangères dont les noms m'échappent.
J'ai dit que madame de Montesson ne sortait pas. Sa santé, presque détruite, en était encore plus la cause que l'étiquette, contre laquelle plusieurs personnes se révoltaient. À l'époque dont je parle surtout (en 1804), elle souffrait cruellement de douleurs aiguës qui lui ôtaient presque ses facultés. Un jour cependant, quelles que fussent ses souffrances, elle prouva combien madame de Genlis avait tort en l'accusant de manquer de cœur44. Elle était plus accablée que de coutume, et retirée dans l'intérieur de son appartement; elle était entourée de ses femmes, qui empêchaient le moindre bruit de parvenir à elle… Tout à coup, elle entend la voix de madame de La Tour, de son amie, qui, au milieu de sanglots étouffés, suppliait la femme de chambre de garde auprès de la malade de la laisser entrer… Madame de Montesson, émue de ce qu'elle entend, sonne, et donne l'ordre de laisser entrer madame de La Tour.
– Ah! mon amie, ma seule amie, venez à notre secours! s'écrie madame de La Tour, en tombant à genoux près de son lit… Mes neveux vont périr si vous ne les secourez pas!.. Vous seule le pouvez; car vous avez tout pouvoir sur madame Bonaparte, et madame Bonaparte peut tout à son tour sur le général Bonaparte45.
Et madame de La Tour apprend à son amie ce qu'elle ignorait, n'ayant lu aucun journal depuis le matin, la conspiration de Georges et le danger de MM. de Polignac.
Madame de Montesson, dont l'esprit rapide comprit sur-le-champ le danger des accusés, ne perd pas un moment à délibérer; elle sonne, donne l'ordre de mettre ses chevaux et demande une robe.
– Mais vous êtes malade, mon amie!.. vous souffrez cruellement… vous ne pouvez aller à Paris… Je ne vous demandais qu'un billet pour madame Bonaparte!
– Un billet n'est point assez éloquent lorsqu'il s'agit de la vie d'un homme, lui répondit madame de Montesson… Il faut que je voie non-seulement Joséphine, mais l'Empereur!..
– Mais vous avez la fièvre! s'écrie madame de La Tour, qui venait de serrer sa main.
– Eh bien! je n'en parlerai que mieux et plus vivement, dit-elle en souriant et en montrant des dents encore superbes…
Et une demi-heure n'était pas encore écoulée depuis l'entrée de madame de La Tour dans sa chambre, qu'elle était sur le chemin de Saint-Cloud.
En arrivant, elle fut aussitôt introduite auprès de Joséphine; elle lui demanda avec instance, avec larmes, la grâce de MM. de Polignac et de M. de Rivière46.
– Hélas! répondit Joséphine, que puis-je pour eux?
– Tout! dit avec force madame de Montesson; car vous avez un motif puissant pour exiger de l'Empereur qu'il vous accorde les trois têtes qu'il veut faire tomber. C'est sa propre gloire que vous voulez sauver avec elles!.. Que veut-il?.. être roi!.. Eh bien! veut-il aussi que nos vœux, qui seront toujours pour lui, soient refoulés dans nos cœurs par cet acte de cruauté?.. Veut-il que les marches du trône où il monte soient teintes du sang innocent?..
– Mais ils sont coupables! dit doucement Joséphine.
– Non, ils ne sont pas coupables! dit madame de Montesson, avec une force que lui donnait la fièvre qu'elle avait et l'émotion de son âme. Non, ils ne sont pas coupables!.. Quels serments ont-ils prêtés?.. quelle est la foi jurée qu'ils ont violée?.. Toujours fidèles à leur souverain, ils sont rentrés en France pour ses intérêts; c'est vrai… Eh bien! qu'on les surveille… qu'on les enferme… Mais pas de mort!.. pas de sang versé!.. Mon Dieu! la France n'en a-t-elle pas assez vu couler?..
Et, tout épuisée de l'effort qu'elle venait de faire, elle retomba sur le canapé d'où elle s'était levée, entraînée par son agitation.
– Calmez-vous, lui dit Joséphine en l'embrassant, vous me faites rougir de mes craintes. Je parlerai… Bonaparte m'entendra… et je vous jure qu'il faudra qu'il me donne la grâce de MM. de Polignac, ou je n'aurai plus d'affection pour lui. Vous m'ouvrez les yeux!.. Sans doute, ils ne sont pas aussi coupables que ce Moreau!..
– Oh! lui, je vous l'abandonne!.. quoiqu'à vrai dire, il faudrait que la première action de votre héros, dans la route nouvelle que sa gloire lui a frayée, fût tout entière grande et généreuse. Ah! Joséphine! la clémence est si belle dans un souverain!..
– Je vous promets de faire tout ce que je ferais pour sauver mon frère… Reposez-vous sur moi.
– Ne pourrais-je le voir? demanda madame de Montesson.
– Je vais le savoir, dit Joséphine avec empressement, et peut-être charmée d'avoir un auxiliaire aussi puissant avec elle.
Elle revint au bout de quelques minutes l'air tout abattu. – Je ne puis le voir moi-même, dit-elle… Partez; mais comptez sur moi.
Madame de Montesson revint à Romainville dans un état digne de pitié. Sa fièvre avait redoublé par la crainte de ne pas réussir, et de rapporter une parole de mort dans cette famille désolée47, au lieu de la joie qu'elle lui avait promise… En arrivant, elle vit accourir madame de La Tour et sa fille. – Espérez!..«leur cria-t-elle du plus loin qu'elle put se faire entendre. Il lui semblait que cette espérance ne serait pas vaine…
On a dit une foule de versions sur cette affaire de MM. de Polignac; le fait réel est celui que je raconte. On a mis sur le compte de Murat, de Savary, de l'impératrice, le salut des accusés. Ce fut madame de Montesson, ce fut elle qui sauva M. de Polignac, M. de Rivière et M. d'Hozier48. Murat, qui alors était gouverneur de Paris, dit seulement à l'Empereur: Soyez clément, et vous sèmerez pour recueillir.
Mais ces paroles furent dites pour tous les accusés, et même pour Moreau, Coster de Saint-Victor, M. d'Hozier et les autres. Quant à Savary, ce qu'il fit fut pour plaire à sa femme et satisfaire son amour-propre, parce qu'il était allié de très-près, par madame Savary, aux Polignac; mais quand il vit se froncer le sourcil impérial, il se retira au fond de sa coquille pour s'y tenir tranquille. Ce fut, je le répète, madame de Montesson qui sauva MM. de Polignac et de Rivière.
L'espérance que madame de Montesson avait rapportée à ses amies ne fut pas d'abord réalisée… La condamnation fut prononcée… En l'apprenant, madame de Montesson oublia de nouveau toutes ses souffrances; elle ne sentit plus qu'une seule douleur, celle de ces femmes qui pleuraient et sanglotaient dans ses bras, l'appelant à leur aide et lui criant qu'elles n'espéraient qu'en elle.
– Mon Dieu! mon Dieu! disait madame de Montesson tandis que sa voiture roulait rapidement vers Saint-Cloud, prêtez-moi un accent qui le persuade; car ce n'est que de lui seul que j'attends quelque pitié.
Elle avait raison; elle savait qu'autour des rois, et Napoléon l'était déjà par le fait49, il n'y a que trop de gens perfides dont la volonté d'exécution outre-passe toujours l'intention de punir du maître.
– J'ai parlé, lui dit Joséphine aussitôt qu'elle l'aperçut, mais j'ai peu d'espoir… Il est plus irrité cette fois que je ne l'ai vu encore pour des conspirations, même celle de la machine infernale, où, sans ce pauvre Rapp, Hortense et moi nous sautions en l'air, sans compter madame Murat50. Elles ne furent sauvées toutes trois que parce que Rapp, qui pourtant ne s'entendait guère à la toilette des femmes, s'avisa, en descendant l'escalier, de trouver que le châle de madame Bonaparte n'allait pas avec la robe, ou je ne sais quelle autre partie de l'habillement. Madame Bonaparte, qui allait immédiatement après le Consul, se serait trouvée dans l'explosion, tandis qu'elle ne se trouva qu'à une grande distance. M. d'Abrantès échappa à la mort également ce jour-là par un hasard miraculeux.
51; en faveur de cette prédiction… soyez toujours mon héros!.. soyez plus, soyez l'ange protecteur de la France!.. qu'on dise de vous seul ce qu'on n'a dit encore d'aucun souverain: —Il fut vaillant comme Alexandre et César, et bon comme Louis XII.
NAPOLÉON, d'une voix plus douce
Mais je ne suis pas roi!.. je ne suis, comme empereur, que le premier magistrat de la république.
MADAME DE MONTESSON, souriant
Vous êtes tout ce que vous voulez et vous serez aussi tout ce que vous voudrez… Enfin, comme premier magistrat de votre république, comme vous l'appelez, vous pouvez faire grâce, et il faut la faire.
NAPOLÉON
Et qui me garantira non-seulement ma vie, mais celle de tout ce qui m'entoure, si je fais grâce?
MADAME DE MONTESSON
La parole d'honneur des condamnés qu'ils ne violeront jamais, j'en suis garant.
NAPOLÉON
Vous connaissez mal ceux dont vous répondez, madame, à ce qu'il me paraît; MM. de Polignac sont des hommes d'honneur, sans doute, mais ils regarderont la parole donnée comme un serment prêté sous les verrous, et ils s'en feront relever par le pape.
JOSÉPHINE
Eh bien! si tu crains qu'ils ne soient pas assez forts contre leur volonté dominante, garde-les sous des verrous; mais pas de mort, mon ami… pas de mort!
MADAME DE MONTESSON se levant et allant à lui en lui prenant la main
Sire!.. que faut-il faire? Faut-il vous conjurer à genoux?.. Sauvez M. de Polignac… sauvez les accusés; sauvez-les tous!.. oh! je vous supplie!..
Et elle plia le genou au point de toucher la terre; Napoléon la releva précipitamment et la contraignit presque de se rasseoir.
NAPOLÉON
Vous m'affligez… car, en vérité, je ne puis vous accorder la vie de tous ces hommes, pour qui le repos de la France n'est rien, et qui se jouent du sang de ses fils comme de celui d'une peuplade sauvage.
JOSÉPHINE
Bonaparte52, je t'ai déjà bien prié… je te prierai tant qu'il y aura de l'espoir… mais, si tu me refuses, je ne t'aimerai plus…
NAPOLÉON l'embrassant
Mais puisque tu m'aimes, comment peux-tu me demander la grâce de ces hommes qui non-seulement, je le répète, veulent ma mort, mais le bouleversement de la France?
MADAME DE MONTESSON avec douceur
Ce n'est pas ce qu'ils veulent.
NAPOLÉON
Eh! madame, peuvent-ils espérer autre chose? L'agitation révolutionnaire que j'ai tant de peine moi-même à contenir se soumettrait-elle à une main inhabile? On n'improvise pas un gouvernement, madame, et les passions populaires ne répondraient plus aujourd'hui à leur colère royaliste contre la Révolution et la République… Cependant, tout en accusant MM. de Polignac et de Rivière de ramener des troubles peut-être plus sanglants que ceux de 93, je les trouve moins coupables que des généraux républicains… des hommes comme Moreau (sa voix devint tremblante), Pichegru!.. qui vont serrer la main, comme frères, au chouan Georges!..
Il se laissa aller sur un canapé… Il était pâle et semblait avoir le frisson; ses lèvres étaient blêmes et toute sa physionomie bouleversée. Madame de Montesson fut alarmée et fit un mouvement; mais Joséphine lui fit signe de demeurer tranquille, et, s'approchant de Napoléon, elle lui prit les mains, les serra dans les siennes, puis elle l'embrassa, lui parla bas longtemps, et peu à peu le calme revint sur la belle physionomie de l'Empereur. Mais madame de Montesson dit ensuite qu'elle avait eu peur lorsque ses yeux s'étaient fermés et qu'il était tombé sur le canapé. Oui, reprit-il en se levant et marchant très-vite, en partie dans la chambre et en partie dans le jardin53… ces hommes de la France sont plus coupables que des serviteurs de la famille de Louis XVI, de ce malheureux Louis XVI!.. Mais Moreau… le vainqueur d'Hohenlinden!.. lui, devenir un conspirateur!.. Il me croit jaloux54 de lui! et pourquoi, grand Dieu!.. Ma portion de renommée est assez belle; je n'ai besoin de nulle autre pour la rendre plus brillante… Et si Dieu me prend en faveur, j'espère bien en mériter une aussi élevée qu'il y en a sous le ciel!..
– Eh bien! donc, dirent les deux femmes en même temps en se mettant presque à genoux, soyez clément pour MM. de Polignac… commuez la peine… mais pas de mort!.. Oh! pas de mort!..
– Demain tu viendras me parler pour Moreau, dit Napoléon à Joséphine!.. Croiriez-vous, dit-il ensuite à madame de Montesson, qu'après avoir été le but des impertinences de la femme pendant quatre ans, elle a été plus qu'importune pour obtenir la grâce entière du mari?.. Elle est vraiment bonne, ma Joséphine. Et l'attirant à lui, il l'embrassa avec une profonde émotion.
– Et moi, dit madame de Montesson, il me faut aussi vous embrasser pour vous remercier.
NAPOLÉON étonné, mais souriant
Me remercier! et de quoi?
MADAME DE MONTESSON
Mais de la grâce de mes amis! Ne venez-vous pas de le dire?.. N'avez-vous pas reconnu que Moreau était plus coupable qu'eux?..
NAPOLÉON
Sans doute.
MADAME DE MONTESSON
Eh bien! s'il en est ainsi, vous ne pouvez pas condamner les uns quand vous faites grâce au plus criminel…
NAPOLÉON la regardant
Eh! qui vous dit, madame, que je ferai grâce à quelqu'un?
MADAME DE MONTESSON
Mon cœur qui vous connaît et qui m'assure que vous ne voulez pas faire condamner Moreau… Il ne le sera pas.
JOSÉPHINE
Mon ami… grâce!.. grâce!..
MADAME DE MONTESSON
Allons, dites ce mot-là!.. il vous fera du bien.
NAPOLÉON
Mais je ne puis la faire entière cette grâce… il me faut une garantie, et je ne puis l'avoir que dans la liberté de ces messieurs…
MADAME DE MONTESSON l'embrassant avec affection 55
Ah! merci! merci!.. vous êtes bon! vous êtes aussi bon que vous êtes grand!..
JOSÉPHINE l'embrassant aussi très-émue
Merci, mon ami!.. merci!.. Voilà une belle journée!.. elle doit aussi être belle pour toi!..
NAPOLÉON
Mais que dans leur prison ils soient circonspects; pas d'intrigues… pas de complots.
MADAME DE MONTESSON avec assurance
Je réponds d'eux… (Elle va vers l'Empereur, mais sans crainte.) En parlant des accusés… j'ai entendu tous les accusés pour la cause royale.
NAPOLÉON très-vivement
Non, madame… En vous accordant, ainsi qu'à Joséphine, la vie de M. de Polignac et de M. de Rivière, je n'ai entendu et compris que ces deux noms; les autres doivent subir leur sort.
MADAME DE MONTESSON
Même M. d'Hozier?..
NAPOLÉON
M. d'Hozier comme les autres.
JOSÉPHINE
Mon ami!..
NAPOLÉON frappant du pied avec colère
On a bien raison de dire qu'un homme d'état ne devrait jamais laisser approcher une femme de son cabinet!.. Que me voulez-vous toutes deux?.. Vous me tourmentez depuis une heure pour obtenir une chose qui peut-être me sera fatale!.. Dieu veuille qu'un jour vous ne vous rappeliez pas cette conversation avec effroi!
MADAME DE MONTESSON
Dieu protége les rois cléments, et nous ne nous la rappellerons que pour vous en aimer davantage… Mais, je vous en conjure, donnez-moi la vie de M. d'Hozier.
NAPOLÉON
Vous l'aimez donc beaucoup?
MADAME DE MONTESSON
Moi! du tout, je ne le connais pas56.
NAPOLÉON
Eh bien! pourquoi donc alors vouloir arrêter le cours de la loi?..
MADAME DE MONTESSON
Que vous importe?.. Allons, accordez-moi sa grâce!.. je vous en conjure!.. Hélas! pour vous-même, je voudrais vous voir signer une amnistie pleine et entière. Ainsi, par exemple, M. de Saint-Victor…
NAPOLÉON l'interrompant avec une sorte de hauteur
Ah! pour celui-là, je vous demande de ne pas aller plus loin! M. de Saint-Victor est sans doute un brave homme; mais il est du nombre de ces conspirateurs qui ruinent une cause, quand ils y entrent comme associés actifs… C'est un homme bien dangereux57… et il a fait bien du mal à tous les siens!.. Il doit mourir!.. (ajouta-t-il après un long silence et comme répondant à une voix intérieure.) Nous ne sommes plus au temps des Brutus.
MADAME DE MONTESSON
Je ne connais M. de Saint-Victor que de nom, ainsi que M. d'Hozier; mais des rapports intimes existent entre ce dernier et moi par des amis communs: voilà pourquoi je tiens tant à le sauver.
NAPOLÉON
Eh bien! soit: je vous le donne encore… (se reprenant) c'est-à-dire j'en parlerai avec Cambacérès et le grand-juge; car je n'ai pas pouvoir à moi seul…
Madame de Montesson quitta Saint-Cloud tellement heureuse d'avoir obtenu ce qu'elle voulait, qu'elle ne souffrait plus…
– Victoire! cria-t-elle du plus loin qu'elle aperçut ses amies désolées qui accouraient à elle… Victoire! – Et elle leur annonça ce que l'Empereur venait de faire.
– C'est un homme qui veut mériter ce qu'il cherche à obtenir, dit M. de Valence… et ce n'est pas moi qui lui serai un empêchement.
Telle fut la véritable histoire de MM. de Polignac58. Je ne sais s'ils en sont instruits; mais la voici telle qu'elle me fut racontée par la principale actrice de ce drame intéressant et confirmée par la seconde.
Nous remarquâmes, en parlant de cette conspiration et du jugement des accusés, qu'ils montrèrent dans cette circonstance le même courage insouciant que toute la noblesse a constamment prouvé pendant le temps de la Révolution. – M. de Rivière, à qui je reproche trop de ferveur pour son parti peut-être, fut pendant ce procès l'homme de cour d'autrefois… C'était M. de Narbonne se battant avec un bouton de rose dans la bouche, et qui, le laissant59 tomber, se penche, le ramasse, mais sans cesser de croiser le fer, se relève, reprend aussitôt son avantage et désarme son adversaire. – M. de Rivière faisait des vers. Un jour, se trouvant au tribunal et apercevant madame de La Force parmi ses nombreux amis, ayant à côté d'elle mademoiselle de La Ferté60, il fit ce couplet, et l'ayant écrit au crayon, il le lui fit passer:
En prison est-on bien ou mal?
On est mal, j'en ai maint exemple.
On est mal au bureau central;
On est encor plus mal au Temple.
À l'Abbaye on n'est pas mieux,
Car d'en sortir chacun s'efforce.
Le prisonnier le plus heureux,
C'est le prisonnier de la Force.
Chanter sous le couteau; comme c'est français!..
La conduite de madame de Montesson dans cette circonstance fut connue, mais moins peut-être qu'elle n'aurait dû l'être en raison de sa modestie. On parla beaucoup dans le monde de la vie de MM. de Polignac sauvée par Joséphine, mais voici la vraie version. Sans doute que les MM. de Polignac l'ont su, ainsi que M. de Rivière, et que leur reconnaissance aura payé celle qui ne faisait en cela que servir ses amis et sauver la vie d'un homme.
La santé de madame de Montesson, qui, à cette époque, était déjà perdue, parut reprendre un peu de mieux par la joie qu'elle vit autour d'elle. Madame de La Tour remerciait Dieu chaque soir et le priait pour cette âme parfaite qui lui avait conservé tout ce qui lui restait d'une sœur bien-aimée… Madame de Montesson, heureuse du bonheur de ses amis, jouissait de son ouvrage, et pendant toute l'année 1804 elle fut encore assez bien pour donner de l'espoir. Sa maison de Romainville, toujours ouverte, était plus que jamais le rendez-vous de tout ce qui arrivait à Paris en gens distingués, et de cette belle fleur de bonne compagnie française dont il y avait encore alors un bon nombre en France… Remplie de reconnaissance, attachée d'amitié à l'Empereur, elle prit une part positive à tout ce qui lui arriva dans les années qui s'écoulèrent entre la grâce de MM. de Polignac et le jour où elle mourut. L'arrivée du Pape, les événements immenses qui se groupaient autour de Napoléon pour prouver qu'il ne pouvait être servi par la fortune qu'en raison de sa gigantesque destinée, trouvaient en elle une amie pour les faire valoir. Elle l'aimait de cœur, enfin, ainsi que Joséphine et plusieurs des généraux attachés à l'Empereur. M. d'Abrantès y allait beaucoup lorsqu'il était à Paris. J'y voyais aussi le maréchal Pérignon, mais pas très-souvent. Duroc y allait aussi; – Savary jamais. Madame de Montesson le détestait…
Madame de Fontanges et son père, M. de Pont, étaient aussi des amis intimes de ma mère. M. de Pont était avec M. de Valence et César Ducrest, lorsque ce malheureux jeune homme fut tué par une bombe, au feu d'artifice tiré pour la paix avec l'Angleterre: M. de Pont eut le bras cassé à plus de soixante-six ans. Il était l'ami le plus intime, après M. de Valence, de madame de Montesson.
Ou sa voiture suivait celle de sa belle-sœur, je n'ai pas la chose bien présente; je crois cependant qu'elle était avec madame Bonaparte. Comme, depuis que madame Murat est à Paris, je ne la vois pas et n'ai aucun rapport avec elle, je n'ai pu le savoir d'elle. Si cette conduite de ma part paraît étonnante, qu'on se rappelle celle de madame Murat!.. Elle n'est quelque chose aujourd'hui en France que pour des amis personnels: tout ce qui porte le souvenir de l'Empereur au cœur doit se rappeler le traité de la cour de Naples en 1814!.. Qui le provoqua?.. lorsqu'on songe à ce que pouvait la force de l'armée napolitaine dans les affaires de cette époque, pour ou contre l'Autriche, on s'étonne et l'on s'irrite à la fois en voyant une personne qui avait la prétention de savoir régner presque avant celle de plaire, ne savoir être ni reine, ni sœur. Comment put-elle croire UN MOMENT que les couronnes posées sur des fronts fraternels par la main de Napoléon y demeureraient un jour après la chute de la sienne?.. Les insensés!.. ils ne furent rois que par le vertige qui entoure les trônes au moment du danger!..
Quant à l'amitié particulière qui existait entre nous dans notre jeunesse assez intimement pour nous tutoyer, il y a longtemps que les liens en ont été brisés par madame Murat elle-même. Ma fidélité et mon dévouement au nom de l'Empereur, à sa mémoire… rendent témoignage pour moi de ce que j'aurais été pour sa sœur si elle-même eût toujours été ce qu'elle devait être. Cet attachement et ce dévouement ont survécu à l'éclat du soleil impérial… La duchesse de Saint-Leu, le prince de Canino, le comte de Survilliers, tout ce qui reste de cette illustre et malheureuse famille est dans mon cœur et pour toujours!..