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Kitabı oku: «Histoire des salons de Paris. Tome 6», sayfa 2

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Les attaques personnelles qui se firent les jours suivants dans les deux Conseils mêmes furent une preuve de plus de ce qui se préparait. Tallien, attaqué par les royalistes, se défendit vigoureusement. Les royalistes crièrent que Garat-Septembre allait être dans le ministère (ministre de la Police). «Que faire si de telles gens sont aux affaires?» s'écrie Dumolard à la tribune.

– Je ne suis pas de l'Œil-de-Bœuf du Luxembourg! s'écriait de son côté Tallien… Occupez-vous plutôt de Bailleul, et de choses plus sérieuses.

On passa à l'ordre du jour. Royer-Collard dit alors à Emmery:

– Vous devez être content, le Conseil a été assez plat aujourd'hui. Mais laissez faire, cela ne durera pas toujours.

– C'est de l'armée grise qui est dans Paris et qui nous menace, s'écria Mathieu Dumas, qu'il faut se garder!

Il voulait parler de plusieurs chouans que les Clichiens tenaient en réserve. Les chauffeurs qui désolaient les campagnes les plus rapprochées de Paris n'étaient autre chose que des brigands échappés des rangs les plus abjects de la Vendée, ou plutôt de ce qui en prenait encore le nom.

Tandis que les députés faisaient des phrases, le Directoire agissait enfin. J'ai toujours pensé que M. de Talleyrand avait dirigé le mouvement du 18 fructidor d'après les instructions de l'armée d'Italie. La combinaison ne pouvait en être venue ni à Augereau ni à aucun des directeurs: Barras aimait trop son plaisir, Laréveillère-Lépaux était trop honnête homme, et le reste était lui-même proscrit. Quant à M. de Talleyrand, il avait dit avec son sang-froid accoutumé et cette physionomie impassible qu'on lui connaît:

– L'attaque est résolue; le succès est infaillible. Le Corps-Législatif n'a plus d'autre ressource que de se rendre à discrétion au Directoire.

Voilà les paroles de M. de Talleyrand le 14 fructidor!

L'armée était pour le Directoire. Barras était la partie représentant le sabre dans le Directoire, et il avait une sorte de fermeté qui imposait, comme on l'a pu voir dans ce que j'ai écrit sur lui.

Les lettres anonymes étaient nombreuses. Nous connaissions beaucoup de députés; et un jour, je crois que c'était le 16 fructidor, deux d'entre eux arrivèrent pour dîner chez ma mère avec une lettre anonyme chacun dans la poche de leur gilet. L'un était Clichien, l'autre un homme de la Révolution tout entier, un pur. La lettre du Clichien était ainsi conçue:

«Tu es un scélérat de royaliste; tu dois mourir et tu mourras. Prends garde à toi!»

Celui du révolutionnaire:

«Misérable soldat de Robespierre! scélérat de terroriste! tu périras comme un chien enragé, et je serai le premier à tirer sur toi.»

Le dernier était Salicetti; quant au Clichien, je ne veux pas le nommer.

Un autre, qui vint dans la soirée, nous apporta un des placards affichés dans les escaliers intérieurs de plusieurs maisons. Ces placards disaient:

«Prenez garde à vous, représentants d'un peuple libre! Le moment de la crise approche. Ne vous laissez pas surprendre. L'orage sera terrible, mais court. Éloignez-vous!»

Madame Th… avait trouvé un de ces placards dans sa maison, et l'avait caché à son mari pour qu'il ne fût pas encore plus monté contre le Directoire: car, il l'était beaucoup, mais dans un autre sens que ceux de Clichy et du Manége.

M. de Talleyrand n'avait pas de salon, à proprement parler. À cette époque, un salon était impossible; la société était trop mélangée pour un homme comme lui, qui devait recevoir chaque parti. C'était bien encore pour une personne comme ma mère, qui, par sa position, pouvait, en s'isolant, ne recevoir que ses amis; ou madame de Staël, qui, par son talent, dominait tout et imposait ce qu'elle voulait. Cependant madame de Staël allait habituellement chez M. de Talleyrand, quand de vieilles querelles ne venaient pas soulever des tempêtes. Madame de Staël les provoquait souvent, et M. de Talleyrand dit un jour: —Mon Dieu! ne peut-elle donc ENFIN me détester!..

Le 16 fructidor, nous étions plusieurs personnes chez ma mère, très-disposées à nous amuser, lorsque l'un de nos habitués, Hippolyte de Rastignac, arriva fort troublé, et dans un désordre de toilette qui prouvait qu'il avait été attaqué et s'était défendu; sa cravate était arrachée, son habit gris à collet noir déchiré également au collet, et toute sa personne enfin était fort mal en ordre.

Il nous raconta que, sur le boulevard des Capucines, comme il descendait de cabriolet pour parler à un de ses amis, plus de trente hommes étaient tombés sur lui, et avaient exigé qu'il criât vive la République et haine à la royauté!

– C'est un Clichien! s'écriait-on de tous côtés, c'est un Clichien!

– Je ne suis pas un Clichien! leur cria-t-il; mais je ne veux pas qu'on m'impose mes paroles.

– Criez! criez! Vive la République! et haine à la royauté!

– J'étais dans une fort mauvaise position, comme vous pouvez le penser, nous dit-il, lorsque des jeunes gens de mes amis, à la tête desquels était un de mes frères, accoururent vers moi et me tirèrent de leurs mains, mais ce fut aux dépens de mon habit et de ma cravate… Vous voyez, ajouta-t-il en riant, que si je suis revenu sur la plage, c'est avec avarie de mes gréements.

Et il se mit à rire.

Ma mère, qui l'aimait beaucoup, et dont il était même le favori parmi ses frères, le gronda d'aller ainsi à pied avec ce malheureux habit gris et ce collet noir.

– Comment! dit-il fort étonné; eh! j'avais dîné chez un ministre.

– Vous avez dîné chez un ministre du Directoire! s'écrièrent plusieurs femmes, dont ma mère était le chef, et parmi lesquelles on distinguait madame de Lostanges, madame de Charnassé et madame de Caseaux…; vous avez dîné chez un ministre!.. – Pourquoi pas chez Barras? ajouta madame de Lostanges.

– Mais ce ministre-là est des nôtres, répondit Hippolyte de Rastignac en arrangeant sa cravate, chose des plus importantes pour lui… C'est chez Talleyrand que j'ai dîné.

– Ah! cela est différent, dit ma mère, très-différent!

– Je ne le trouve pas, dit madame de Lostanges.

– Ah! je vous demande pardon! il y a toute une distance entre M. Talleyrand de Périgord, neveu de l'archevêque de Reims et du comte de Périgord, à ces hommes de la Révolution, tels que Schérer, des espèces comme cela… M. de Talleyrand est un homme comme il faut.

– Mais Barras est aussi un homme comme il faut; pourquoi ne voulez-vous pas que votre fille aille au bal chez lui?

– Ah! pourquoi? pourquoi? dit ma mère assez embarrassée; car, en effet, elle était portée vers M. de Talleyrand par prévention d'affection pour toute sa famille qu'elle aimait, et avec laquelle elle était liée intimement.

– Étiez-vous nombreux à votre dîner? demanda ma mère à Hippolyte de Rastignac, pour changer la conversation.

– Trente à peu près; et, dans ce grand hôtel de Gallifet, il semble qu'on ne soit que huit ou dix personnes. Au reste, il y avait GRANDE compagnie; et, en vérité, je crois que si je n'y avais pas été, M. de Talleyrand n'aurait eu que lui-même pour avoir à nommer quelqu'un.

– Vraiment! qui donc était-ce…?

– Eh! le sais-je? mon Dieu!.. Je voudrais retenir ces noms-là, et ne le puis; excepté cependant ceux de deux hommes qui feront parler d'eux dans l'avenir, quoique leurs pères soient inconnus. Ce sont les généraux Kléber et Bernadotte: l'un est républicain en carmagnole; l'autre est un républicain à l'eau rose, et se lave les mains avec de la pâte d'amandes parfumée… Je vous jure qu'il n'est pas déplacé dans le salon ambré de M. de Talleyrand.

– Qu'a-t-il donc, le salon de M. de Talleyrand? demanda madame de Lostanges, qui se retourna précipitamment au mot de pâte d'amandes parfumée15.

– Ne savez-vous pas, madame, que M. de Talleyrand aime à la passion les essences et les odeurs? et pourvu qu'il y ait de l'ambre, c'est une chose agréable pour lui. Je vous assure que Robespierre se serait fort bien arrangé de son régime, lui qui ne marchait qu'au milieu d'un nuage embaumé.

– Laissez donc votre Robespierre, s'écria madame de Lostanges, et parlez-nous de votre dîner. Qui aviez-vous en femmes? – Madame de Staël… peut-être bien?

M. DE RASTIGNAC

Oui, madame.

MADAME DE LOSTANGES

Et puis après?

M. DE RASTIGNAC

Madame Tallien et madame Grandt.

MADAME DE CASEAUX

Est-elle donc aussi belle qu'on le dit?

M. DE RASTIGNAC

Mais je la trouve bien belle… moins pourtant que madame Tallien.

MA MÈRE, souriant

Et son esprit?

M. DE RASTIGNAC, s'inclinant

Je n'ai jamais la hardiesse de juger celui des femmes.

MA MÈRE

Oh! la pauvre personne! la voilà jugée… Cependant, quelque capable que vous soyez de la juger, mon cher Hippolyte, je vous demande la permission de prendre mes renseignements chez votre oncle. Je crains de votre part un peu de prévention.

M. DE RASTIGNAC

Quoi! parce qu'elle est l'amie de l'évêque? Qu'est-ce que cela me fait à moi?.. Ce serait une preuve d'esprit, une preuve que les préjugés sont secoués; or, un esprit dans ses langes ne sait jamais les briser.

MADAME DE CASEAUX

Enfin, dites-nous donc vos convives.

M. DE RASTIGNAC

Je vais recommencer: d'abord le maître du logis, sa grandeur monseigneur Charles-Maurice Talleyrand de Périgord, évêque d'Autun, ayant prêté le serment civique et religieux… ayant…

MA MÈRE

Hippolyte… Hippolyte!..

M. DE RASTIGNAC

Comment! je l'appelle monseigneur, et vous me grondez! mais c'est de l'injustice cela. C'est ce que ferait Pierre ou Armand. – Allons, pardonnez-moi, d'autant que je suis raisonnable, et que je prononce les R, moi; je ne donne ma parole d'honneur qu'intelligiblement. Et si je suis incroyable, ce n'est pas comme les autres confrères dans la mode.

MADAME DE CASEAUX

Mon Dieu, Hippolyte, que vous êtes bavard! au fait.

M. DE RASTIGNAC

M'y voici. Je suis sérieux. – Ainsi donc, M. de Talleyrand, le général Bernadotte, le général Kléber, le général Lemoine, M. Poulain-Grandpré, un M. Debry, Benjamin Constant… presque tout ce qui compose le corps diplomatique, que j'étais loin de croire aussi nombreux, deux ou trois inconnus, et votre très-humble, très-obéissant et très-dévoué serviteur. Ah! j'oubliais, et mon oncle16. Je crois que j'oublie encore M. de Castellane et son adorable femme. La perruque du mari et les yeux de celle-ci étaient encore plus de travers qu'à l'ordinaire.

MADAME DE FONTANGES

Eh bien! que dites-vous de tout ce beau monde-là?

M. DE RASTIGNAC

Je dis que c'était la plus étrange bigarrure du monde. Il y avait à cette table de M. de Talleyrand de toutes les opinions: il y avait des royalistes (saluant), à tous seigneurs tout honneur; il y avait des modérés; il y avait des sabreurs! il y avait des révolutionnaires; il y avait des directoriaux: c'est ainsi, vous le saurez, qu'on appelle les partisans de monseigneur Barras aujourd'hui. Au reste, on m'avait dit: Observez, et vous verrez de grandes choses. J'ai observé et n'ai rien vu. On a professé le plus grand dévouement au Directoire… et voilà tout. Mais le plus curieux, c'est le récit de ce qui s'est passé à l'armée d'Italie pour l'anniversaire du 14 juillet17; ce fut Bernadotte qui nous en fit le récit. Il parle bien, et M. de Talleyrand l'écoutait, sinon avec plaisir, du moins avec confiance dans l'impression qu'il devait produire. Il commença par nous débiter avec une grande emphase ce que le général Bonaparte avait dit à ses soldats: c'est un peu blasphémant; mais enfin, puisque l'évêque l'a entendu, et même avec plaisir… À propos, n'a-t-il pas été excommunié?

MADAME DE LOSTANGES

Qui cela?

M. DE RASTIGNAC

Mais M. de Talleyrand, l'évêque d'Autun…

MADAME DE CASEAUX

Hippolyte, je déclare que vous êtes insupportable… Madame de Permon, faites-le donc taire.

MA MÈRE

Mais pour raconter il faut bien qu'il parle. Je lui dirai seulement qu'il me fait de la peine en parlant ainsi.

M. DE RASTIGNAC, baisant la main qu'elle lui donne

Oh! je serai et ferai tout ce que vous voudrez. Je continue donc, et vous serez contente.

MADAME DE LOSTANGES

Eh bien! ce petit Bonaparte, qu'est-ce donc qu'il disait? Je déteste cet homme-là depuis que je sais qu'il a fait emprisonner ce pauvre Marchésy!

M. DE RASTIGNAC

Il a fait, à ce qu'il paraît, une proclamation ou plutôt un discours à ses troupes: «Soldats, leur a-t-il dit avec cette voix puissante qui va, dit-on, au fond des âmes, soldats, je sais que vous êtes affectés des malheurs de la patrie; mais la patrie ne peut courir des dangers réels: ces mêmes hommes qui la font victorieuse de toute l'Europe coalisée contre elle SONT LÀ. Des montagnes nous séparent de la France: vous les franchiriez avec la rapidité de l'aigle, s'il le fallait, pour maintenir la constitution, défendre la liberté, protéger le Gouvernement et les républicains… Dès que les royalistes se montreront à nous, ils seront vaincus.»

Le soir il y eut un dîner où toutes les autorités du pays assistèrent, mais où cependant, comme partout et toujours, dominaient les hommes de l'armée. Bonaparte, à ce qu'il paraît, connaît bien le cœur humain. Il y a eu des toasts de portés. Augereau a rappelé à Bernadotte qu'il les oubliait. C'est important, lui dit-il.

– Vous avez raison, reprit le général Bernadotte en souriant avec une grande grâce. En tout cet homme-là plairait beaucoup, s'il parlait un peu moins république.

– Imbécile! et de quoi veux-tu donc qu'il parle? dit une voix moqueuse derrière M. de Rastignac: c'était celle du marquis d'Hautefort, qui, avec M. de Lauraguais, était entré sans être annoncé, les portes étant toutes ouvertes en raison de la chaleur.

M. DE RASTIGNAC

Ah! ah! mon oncle, c'est vous! Eh bien! est-ce que M. de Talleyrand n'a pas en moi un bon faiseur de bulletins?..

LE MARQUIS D'HAUTEFORT

Si ce n'est que tu es trop indulgent. Avez-vous une idée arrêtée sur un homme, madame, qui met ensemble Kléber, Augereau, Thibaudeau, et plusieurs autres hommes fort remarquables sans doute. Mais quelle nécessité de nous faire dîner ensemble? Nous ne déteindrons pas les uns sur les autres, je le lui jure. Quoi qu'il en soit, il a fait une impertinence à son parti ou au nôtre.

MADAME DE LOSTANGES

Avec tout cela nous n'avons pas eu les toasts; j'y tiens.

LE MARQUIS D'HAUTEFORT

Qu'il continue: car, pour moi, j'ai bu le vin de Champagne, mais je n'ai pas écouté les paroles de l'air.

M. DE RASTIGNAC

Je les ai, moi, fort bien retenues. Le général Lannes a dit:

«À la destruction du club de Clichy18!» Les infâmes! ils veulent encore des révolutions! Que le sang des patriotes qu'ils font assassiner retombe sur leurs têtes.

Le colonel Junot, colonel de Berchini: «À la République! puisse-t-elle être toujours florissante et ses armées toujours victorieuses!.. Gloire à la République!» Le général Alexandre Berthier, chef d'état-major: «À la Constitution de l'an III! au Directoire exécutif de la République! Qu'il anéantisse les contre-révolutionnaires qui ne se cachent plus!»

– Mais une chose remarquable, a dit le général Bernadotte, c'est cette universalité du même cri. Au même instant qu'au quartier-général on portait ce toast, le même vœu était exprimé par les soldats, et ce cri fut poussé comme par une seule voix… «Guerre à mort aux royalistes! fidélité inviolable au gouvernement républicain et à la Constitution de l'an III!»

– Ah! messieurs, guerre à mort. Eh bien! nous verrons!.. (en serrant ses poings et se promenant).

MADAME DE CASEAUX, avec douceur

Allons, la paix! la paix!.. C'est si doux, si bon, la paix. Allons, Hippolyte, n'avez-vous plus rien à dire sur votre beau dîner de M. de Talleyrand?

M. DE RASTIGNAC

Je vous demande bien pardon, j'ai mille choses encore à raconter; mais vous me permettrez une émotion passagère, n'est-ce pas?..

MADAME DE CASEAUX

Oui, oui.

M. DE RASTIGNAC

Eh bien donc, je vous dirai que M. de Talleyrand, qui avait évidemment mission de faire une sorte de charge en éclaireur dans nos rangs pour nous sonder d'abord, et puis ensuite pour nous montrer la grande force du Directoire… Et, en effet, il en a une immense… Tant mieux, continua-t-il comme se parlant à lui-même, il y aura plus de mérite…

MADAME DE LOSTANGES, lui prenant la main

Imprudent!..

M. DE RASTIGNAC relevant la tête, et comme sortant d'une rêverie

Pardon!.. pardon!..

MADAME DE LOSTANGES

Eh bien! que devint ce dîner. J'attends toujours, moi.

M. DE RASTIGNAC

Ce dîner ne dura que comme tous les dîners du monde; mais après, lorsque nous fûmes dans la galerie, M. de Talleyrand nous fit voir une pièce curieuse venant à la suite de tout ce que ces messieurs nous avaient dit: c'était un dessin renfermé dans une lettre écrite par Alexandre Berthier, et adressée à lui, M. de Talleyrand. J'en ai pris une copie informe, mais assez visible pourtant pour me guider et me faire faire une curieuse chose; car je suis Français avant tout, dit le bon jeune homme, et tout Français doit être ému en voyant cette vignette…

LE MARQUIS D'HAUTEFORT

Te voilà bien, toi! toujours le même! romanesque!.. et ridiculement infatué d'une gravure à présent.

M. DE RASTIGNAC

Eh! si je vous disais que M. de Talleyrand était lui-même si touché en montrant cette vignette, que ses yeux étaient humides de larmes… Il ne parlait pas, mais il pleurait, je le répète.

M. D'HAUTEFORT, riant aux éclats

M. de Talleyrand ému!.. Ah çà! tu es beaucoup plus fou que je ne le croyais, mon pauvre Hippolyte. M. de Talleyrand pleurant d'attendrissement sur les victoires des Français!.. Je croirais plutôt que c'est de colère… Enfin… voyons!.. as-tu là ce beau dessin?

M. DE RASTIGNAC

Sans doute, le voici, ou plutôt il me le faut refaire: c'est un croquis pris à la hâte.

Il se mit devant la table ronde sur laquelle il y avait toujours des crayons, et bientôt il eut fait son dessin: c'était une très-grande vignette. À droite était un obélisque, sur lequel étaient inscrites TRENTE-NEUF affaires ou batailles victorieuses pour nous, et qui ont eu lieu dans l'espace d'une année. Au pied de cet obélisque était écrit: Constitution de l'an III; et au bas: Aux mânes des braves morts pour la patrie! À côté, un génie avait un pied posé sur la ville de Vienne; il tenait des tablettes sur lesquelles il inscrivait les préliminaires de la paix. À gauche, on voyait une belle femme coiffée du bonnet phrygien, une main posée sur un faisceau, dans l'autre tenant une pique sur laquelle était un bonnet de la liberté; derrière elle un vieillard à moitié couché, appuyé sur une urne, représentait l'Italie et le Piémont; au milieu et au-dessus, la Renommée, avec une trompette dans une main, et dans l'autre un médaillon sur lequel était écrit: «Armée d'Italie… Bonaparte, général en chef…» La femme et le génie (l'Italie et la France) avaient surtout une expression ravissante d'intérêt en regardant le médaillon et le nom de Bonaparte. Il y avait de l'espérance!.. Le plan figurait une carte géographique, où l'on voyait Rome, Venise, Gênes, Milan, Turin, Vienne, Mantoue…

MADAME DE LOSTANGES

Hippolyte a raison, cette gravure est belle. S'il n'y avait que des choses pareilles dans toutes leurs sottes gravures révolutionnaires, il y aurait moyen de les voir; mais autrement!.. comment les regarder seulement?..

M. de Rastignac avait raison; M. de Talleyrand réunissait chez lui une foule de personnages très-différents de couleurs et d'opinions; mais l'armée était TOUT en France, comme toujours, au reste. Jamais les armées différentes, aussi, n'avaient eu à leur tête des hommes tels que ceux qui étaient les chefs de soldats dont la ferveur avait quelque chose de témérairement brave, qui faisait frémir l'ennemi au nom de l'armée française.

À l'armée de Sambre-et-Meuse (à cette même époque où nous sommes maintenant, en l'an V19), il y avait Jourdan, Kléber, Championnet, Hoche, Marceau, Lefebvre, Ney, Grenier, Bernadotte.

À l'armée du Rhin: Moreau, Desaix, Beaupuis, Sainte-Suzanne, Lecourbe, Saint-Cyr.

À l'armée d'Italie: Bonaparte, Augereau, Masséna, Lannes, Laharpe, Murat, et tant d'autres distingués par leurs noms comme par leur bravoure personnelle avant et depuis ce moment.

Quant à Bonaparte, ce n'était pas un esprit comme celui de M. de Talleyrand qui pouvait le méconnaître un moment; au ton de ses lettres seulement, on avait la hauteur de cet homme; on voyait que sa supériorité était sentie par lui… Il n'aimait pas le verbiage; ses idées étaient concises, claires et positives…; il écrivait un jour au Directoire en date de Vérone (15 prairial an IV):

«J'arrive dans cette ville, citoyens directeurs, pour en repartir demain; elle est grande et belle: j'y laisse une bonne garnison pour être maître des trois ponts qui sont sur l'Adige…

«Je viens de voir l'amphithéâtre: ce reste du peuple romain est digne de lui… Je n'ai pu m'empêcher de me trouver humilié de la mesquinerie de notre Champ-de-Mars; ici, cent mille spectateurs sont assis et entendraient facilement l'orateur qui leur parlerait.»

Il y a dans ce laconisme toute une nature différente de la nature vulgaire.

M. de Talleyrand, homme du monde, d'esprit et de talent, savait bien jusqu'à quel point il devait compter sur les hommes qui l'entouraient… – Le voile était tombé, si jamais il l'avait eu sur les yeux! Et maintenant il marchait à la lueur d'un jour orageux qui devait l'effrayer…

Le cercle constitutionnel de Paris avait produit d'autres sociétés populaires, qui n'étaient pas des clubs révolutionnaires; on y professait le plus entier dévouement au Directoire. Il y avait dans la société-mère des hommes fort adroits et même habiles, qui ne voulaient que du pouvoir et de l'argent: le pouvoir pour eux n'était même pas un but, c'était un moyen. Il y avait à leur tête deux ou trois hommes influents par une même façon de voir et de penser. Parmi eux, le plus influent était M. de Talleyrand; madame de Staël, qui était la principale cause de sa rentrée en France, avait de fréquentes relations avec lui, comme je l'ai déjà dit, et à mesure que les événements devenaient plus importants et plus intenses, ces mêmes relations devenaient plus intimes entre madame de Staël, M. de Talleyrand et Benjamin Constant… Celui-ci était l'orateur du cercle constitutionnel; M. de Talleyrand était l'âme des conseils directoriaux. Madame de Staël lui dit un jour: – Voici le moment de vous mettre au ministère; vous êtes habile, vous faites de ce Barras et des autres tout ce que vous voulez; nous serions bien empêchés alors si, à nous trois, nous n'arrivions pas à un ministère. Celui qui vous va le mieux est celui des Affaires étrangères. La République peut avoir grand crédit et faire peur quand elle parle au nom du sabre, mais je crois que les cabinets étrangers aiment mieux avoir à conférer avec un homme bien né et d'esprit qu'avec un sot ou un pédant.

Ce fut alors que le parti constitutionnel ayant demandé et obtenu le départ de quelques ministres, le ministère des Relations extérieures fut vacant, et M. de Talleyrand l'obtint. Sa nomination fut arrêtée dans un dîner chez Barras, non pas à Paris ni à Grosbois, mais à Surênes, dans une sorte de petite maison que le directeur avait dans ce village, où depuis on a couronné des rosières. Ce n'est, certes, pas en mémoire de la nomination de l'évêque d'Autun au ministère… Barras ne repoussait personne; il accueillait le parti constitutionnel pur; mais, était-il parti, Barras s'en moquait, et s'en moquait surtout dans ses orgies. Il est pénible d'avoir à le dire; mais, dans le moment que je décris, l'influence de madame de Staël, pour faire nommer M. de Talleyrand, a peut-être été funeste à beaucoup de gens… Madame de Staël est une femme trop supérieure pour être intrigante; ce mot serait une injure qu'elle est loin de mériter. Mais je dois dire en même temps que son attachement pour M. de Talleyrand, et peut-être aussi le faible de la célébrité, qui voulait qu'elle fît beaucoup parler d'elle, ont été nuisibles à beaucoup de personnes, et même aux affaires du Gouvernement…

Ce changement de ministère eut lieu le 26 messidor: ce fut Rewbell qui le proposa… Il y eut, à propos de ce ministère, un mot assez singulier de Rewbell. Carnot, tout effarouché de ce changement, vrai et franc républicain, homme d'honneur et de cœur, fut assez mal édifié de l'arrivée de l'évêque d'Autun au milieu de toute notre république, à laquelle il croyait toujours, le pauvre rêveur, et qui n'était déjà plus qu'un être de raison…; il dit donc qu'il fallait VOIR, et attendre pour délibérer enfin…

– Qu'est-ce à dire? répondit Rewbell; un directeur doit toujours être prêt à délibérer

Et le ministère fut nommé, et ce fut ainsi20:

Talleyrand, aux Relations extérieures.

Le général Hoche, à la Guerre.

Lenoir-Laroche, à la Police.

Préville-Pelet, à la Marine.

François de Neufchâteau, à l'Intérieur.

Ce ministère n'était pas mal en lui-même; mais dans les circonstances où l'on se trouvait, il était évident que le Directoire le donnait avec des intentions hostiles.

M. de Staël, qu'on ne connaîtrait pas s'il n'eût été le mari de madame de Staël, était alors ambassadeur de Suède à Paris… Madame sa femme, qui connaissait sa nullité en affaires, conviction douloureuse, au reste, pour une femme supérieure comme elle, l'employait quelquefois au moment d'un changement de ministère, et lorsque M. de Talleyrand fut nommé, il fallut ramener à soi des gens qui en étaient fort éloignés. De ce nombre était Thibaudeau; Thibaudeau était un homme antique, un homme à la Plutarque, qui vécut pauvre sous la pourpre sénatoriale comme il y était entré et comme il en sortit. Il n'aimait pas les phrases louangeuses. Comment prendre cet homme-là? M. de Talleyrand ne le comprenait pas, et je crois que madame de Staël ne le comprit pas plus. Il était, au reste, fort influent, et madame de Staël le savait.

Un jour donc qu'il revenait d'une petite maison à Meudon qu'il avait acquise de la dot de sa femme, il trouva chez lui M. de Staël, qui lui annonça le changement de ministère, et principalement la nomination de M. de Talleyrand.

M. l'ambassadeur de Suède l'était un peu en ce moment de madame sa femme; il était chargé d'observer, de parler, etc. Il parla, mais n'observa pas; et ce fut avec toute la liberté de se livrer au chagrin que lui causait la nomination de M. de Talleyrand que Thibaudeau l'apprit de M. de Staël.

– Mais pourquoi ce changement subit? disait Thibaudeau.

M. DE STAËL

Les ministres renvoyés étaient tous des royalistes.

THIBAUDEAU

Êtes-vous bien certain de l'opinion de ceux qui entrent à leur place?

M. DE STAËL

Oh! comment en douter?

THIBAUDEAU

Pourquoi?

M. DE STAËL

Parce qu'ils ont fait tant de sacrifices!

THIBAUDEAU

Lesquels, s'il vous plaît?

M. DE STAËL

Mais… je crois… que… c'est…

THIBAUDEAU

Allons, ne cherchez pas, car vous ne pourriez trouver… et ce que vous diriez serait pour moi, représentant du peuple, une crainte de plus.

M. DE STAËL

Madame de Staël m'a chargé de vous dire, mon cher représentant, qu'il faut absolument que vous veniez dîner avec elle dans quelques jours. Prenez celui qui vous convient, et dites-le-moi. Désignez vos convives. Allons, dites-le-moi tout de suite, voulez-vous?

THIBAUDEAU

Non, je ne puis vous dire une chose que je ne ferai pas. C'est bien peu poli, ce que je vous dis là, n'est-il pas vrai? Mais que voulez-vous? notre écorce républicaine est âpre et rude; mais dessous, mon cher baron, il y a un cœur pur et droit dont l'honneur est le seul maître. Ce même honneur me porte à vous dire que d'accuser Carnot de royalisme est une chose qui ne peut se faire. C'est d'abord assez ridicule, et puis c'est fort mal. Comment voulez-vous qu'une pareille nouvelle ne soit pas accueillie par des rires et des moqueries?..

M. DE STAËL

Mais cependant… et l'Apparent?

THIBAUDEAU

Pas davantage. C'est Talleyrand qui a fait courir ce bruit, et pas une autre personne. Il n'y a en France que Talleyrand qui puisse inventer le royalisme de Carnot! Je crois qu'en fait d'accusation on en aurait de plus fortes à faire contre un homme qui est aussi au pouvoir. Ne le croyez-vous pas comme moi21, mon cher baron?

M. DE STAËL

Mais, que voulez-vous que je vous dise? – Je n'y suis pour rien, après tout, dans ceci, et vous comprenez que…

THIBAUDEAU, se levant

C'est bien, mon cher baron, je suis en effet certain que vous n'êtes pour rien dans tout ceci, et j'en serais caution… Mais laissons cela, et au revoir.

Ils se séparèrent; mais ce ne fut pas terminé. M. de Talleyrand connaissait trop bien la valeur d'un homme comme Thibaudeau pour le laisser ainsi sans être à son parti. Il fallait, avec un tel personnage, être pour ou bien ouvertement contre lui.

Le feu était dans les affaires du Directoire. Cette époque, vantée par madame de Staël, par la raison, je crois, qu'elle avait alors ses amis au pouvoir, est peut-être celle de la Révolution où il y a eu le plus de turpitudes dans l'exercice des différentes autorités. Thibaudeau, homme intègre, ne voyait qu'avec douleur cette dégénération de la République. Carnot et Barthélemy, tous deux républicains, vertueux également, étaient attaqués par le Directoire et ses ministres, à la tête desquels était M. de Talleyrand, et accusés de royalisme. Barras était le plus véhément dans son attaque, et soutenu surtout par Benjamin Constant, qui avait alors pour auxiliaire et pour patronne madame de Staël.

Le 18 fructidor est une journée importante dans les fastes de la Révolution. De quelle tête la première pensée en est-elle sortie? voilà ce qui est important à savoir et ce qu'on ne saura jamais. M. de Talleyrand est aujourd'hui le seul qui pourrait éclairer à cet égard. Mais c'est comme si nous n'avions personne. Le fait est qu'on était d'accord ici à Paris avec le général Bonaparte en Italie, et qu'on lui demanda un général de son armée pour conduire l'affaire. Maintenant, est-ce l'influence de Bonaparte qui a agi sur M. de Talleyrand et le Directoire, en leur persuadant par des hommes à lui, ici, de s'adresser à lui? ou bien M. de Talleyrand fut-il le moyen qui fut employé pour amener Bonaparte à se mettre de moitié dans un complot militairement exécuté contre la liberté nationale, et par là lui ôter cette popularité qui commençait à devenir redoutable? Tout cela est obscur et ne sera jamais éclairci, parce que, je le répète, on ne peut à cet égard que faire des conjectures, qui deviennent de plus en plus incertaines, surtout lorsqu'on voit un homme comme Augereau, républicain enfoncé dans la matière, pénétré du sujet, étant de ceux-là qui avaient pour devise la République, la liberté ou la mort, lorsqu'on voit, dis-je, cet homme conduire et pointer le canon contre cette même liberté nationale qu'il avait choisie et qu'il proclamait en même temps pour patronne.

15.Madame de Lostanges, si charmante par son esprit fin et gai et sa jolie figure, était la femme la plus recherchée sur toutes ces choses dont je parle ici.
16.Le marquis d'Hautefort, un homme extrêmement spirituel, et spirituel avec de la gaîté et du mouvement. Il allait souvent chez ma mère; il était très-vieux alors.
17.25 messidor de l'an V.
18.Lannes était républicain enragé, comme on les nommait alors.
19.Les ennemis (an V) n'avaient à opposer que le prince Charles et Wurmser, vieillard honorable, ainsi que Beaulieu. Voici une lettre de Beaulieu, écrite à cette époque à Vienne, et qui fut interceptée par nous:
  «Je vous avais demandé un général, et vous m'envoyez Argenteau. Je sais qu'il est grand seigneur, et qu'indépendamment des arrêts que je lui ai donnés, on va le faire feld-maréchal de l'empire. Je vous préviens que je n'ai plus que vingt mille hommes, et que les Français en ont soixante mille; que je fuirai demain, après-demain, tous les jours, s'ils me poursuivent. Mon âge me donne le droit de tout dire; en un mot, dépêchez-vous de faire la paix à quelque condition que ce soit.
  On voit que l'Autriche devait être plus qu'inquiète. Ce fut alors que, lorsqu'on proposa la paix, on accepta à Leoben, et plus tard à Campo-Formio.
20.Le ministère qui fut renvoyé était ainsi composé:
  À la Police, Cochon l'Apparent.
  À la Guerre, Petiet.
  À l'Intérieur, Bénézet.
  À la Marine, Truguet.
  Aux Affaires étrangères, Charles Lacroix.
21.Allusion à une motion presque publique faite par Laîné, pour mettre immédiatement (dans les vingt-quatre heures) Barras en arrestation, parce que les troupes de Hoche venaient à Paris sans ordre du ministère de la Guerre et clandestinement.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
300 s. 1 illüstrasyon
ISBN:
http://www.gutenberg.org/ebooks/44676
Telif hakkı:
Public Domain