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Kitabı oku: «Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé»

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LETTRES DE MMES. DE VILLARS, DE COULANGES, ET DE LA FAYETTE; DE NINON DE L'ENCLOS, ET DE MADEMOISELLE AÏSSÉ; Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.
SECONDE ÉDITION.
TOME PREMIER

A PARIS,
Chez LÉOPOLD COLLIN, Libraire,
Rue Gît-le-cœur, Nº. 18
AN XIII. – 1805

AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR

La rapidité avec laquelle a été enlevée la première édition du recueil des Lettres de mesdames de Villars, de la Fayette et de Tencin et de mademoiselle Aïssé, nous a déterminés à en donner une seconde. Nous avons fait à ce recueil plusieurs changemens dont il est à propos de rendre compte.

On a remarqué dans un journal très-répandu1 que les Lettres de madame de Tencin déparoient la collection. Nous étions parfaitement de l'avis du journaliste sur le mérite de ces Lettres: nous avions dit nous-mêmes dans la notice qui les précède, qu'elles étoient de madame de Tencin, intrigante, et non point de madame de Tencin, auteur des jolis romans du Comte de Comminges, du Siége de Calais, etc.; mais nous avions considéré qu'elles étoient en petit nombre; qu'il étoit fort souvent question de celle qui les a écrites, dans une autre correspondance qui fait partie du recueil, c'est-à-dire, dans les Lettres de mademoiselle Aïssé; et qu'enfin, puisque notre dessein étoit de rassembler des Lettres de femmes, celles de madame de Tencin rendroient la réunion plus complète. Ces considérations nous ont bientôt paru d'un moindre poids que l'observation qui nous a été faite; et nous avons reconnu que le principal but de ceux qui travaillent pour le public, étant de lui procurer de l'agrément ou de l'instruction, les Lettres de madame de Tencin devoient être exclues de notre recueil, puisqu'elles ne sont ni instructives, ni agréables.

Nous les avons remplacées par les Lettres de Ninon de l'Enclos et par celles de madame de Coulanges. Ce que nous avons ajouté étant beaucoup plus considérable que ce que nous avons retranché, nous nous sommes vus forcés de faire deux volumes, au lieu d'un.

Le mérite des Lettres de mesdames de Villars et de la Fayette, et de mademoiselle Aïssé, est aujourd'hui trop bien constaté par les éloges que leur ont donnés les journaux, et par l'empressement que le public a mis à se les procurer, pour que nous croyions nécessaire d'en rien dire ici. Il est également inutile de s'étendre sur celles de madame de Coulanges. On sait qu'il n'en est pas de plus enjouées et de plus spirituelles; elles sont remplies de ces traits vifs et brillans, que l'on appeloit les épigrammes de madame de Coulanges; et, en les lisant, on conçoit très-bien comment la femme qui les a écrites, faisoit les délices de la société, dans un siècle où l'on étoit si sensible aux grâces de l'esprit et du bon ton2.

Quant aux Lettres de Ninon, elles exigent de nous une explication particulière. Beaucoup de personnes pourroient les confondre, d'après le simple énoncé du titre, avec les Lettres de Ninon de l'Enclos au marquis de Sévigné, ouvrage supposé, dont l'auteur est M. Damours, avocat au conseil, mort en 1788. Cette correspondance fictive ne jouit pas d'une grande estime auprès des gens de goût. Voici ce que Voltaire en écrivoit en 1771, à M. ******, ministre du Saint Évangile, qui lui avoit demandé des détails sur Ninon. «Quelqu'un a imprimé, il y a deux ans, des Lettres sous le nom de mademoiselle de l'Enclos, à peu près comme dans ce pays-ci on vend du vin d'Orléans pour du Bourgogne. Si elle avoit eu le malheur d'écrire ces Lettres, vous ne m'en auriez pas demandé une sur ce qui la regarde.» On a publié depuis un autre livre du même genre, intitulé Correspondance secrète entre Ninon de l'Enclos, M. de Villarceaux et madame de Maintenon. Nous ne porterons aucun jugement sur cette dernière production, que nous n'avons point lue, et avec laquelle d'ailleurs nous n'avons rien à démêler, non plus qu'avec celle de M. Damours, puisque l'une et l'autre sont des suppositions. Les Lettres que nous donnons, sont les véritables Lettres de Ninon, adressées à Saint-Evremont, dans les œuvres duquel elles sont comme ensevelies. On les en a déjà extraites une fois. Elles ont paru en 1751, précédées de Mémoires sur Ninon, que quelques-uns ont attribués à M. l'abbé Raynal. Ce volume se trouve aujourd'hui très-difficilement. Les Lettres qui nous restent de Ninon, sont au nombre de dix seulement; celles de Saint-Evremont, qui y correspondent, sont au même nombre, et nous les y avons jointes. Un recueil de Lettres, quel qu'il soit, ne peut que perdre du côté de l'intérêt, lorsqu'il n'offre que l'une des deux parties de la correspondance.

A la suite des Lettres de Ninon, nous avons mis la Coquette vengée, petit écrit attribué à cette fille célèbre par MM. Mercier, abbé de Saint-Léger et Jamet le jeune, deux des hommes du siècle dernier, qui ont été le plus profondément versés dans la bibliographie. L'assertion de tels érudits nous a paru suffire. Nous n'y ajouterons pas que nous avons cru reconnoître dans la Coquette vengée, le style de Ninon: on n'en pourroit juger que d'après ses Lettres; et des Lettres, qui sont une conversation écrite, n'ont presque rien de commun avec un ouvrage exprès; mais nous dirons, sans craindre de trouver des contradicteurs, que cet opuscule, rempli de grâce et de finesse, ne peut guère être sorti que de la plume d'une femme, et qu'il est en tout digne de cette Ninon, dont l'esprit et la raison n'ont pas été moins célèbres que l'éclat et la durée de ses charmes. Nous allons dire à quelle occasion il fut fait. En 1659, il parut un petit livre intitulé: le Portrait de la Coquette ou la Lettre d'Aristandre à Timagène. Aristandre apprenant que Timagène, son neveu, se dispose à faire le voyage de Paris, veut le prémunir contre les dangers que son innocence courra dans cette ville; et de tous ces dangers, le plus grand, à son avis, ce sont les coquettes, dont il décrit à son neveu les différentes espèces. Il est certain que, parmi ces portraits, il en est plusieurs, et notamment celui de la Coquette, qui affecte l'instruction, où la malignité des lecteurs dut vouloir retrouver quelques-uns des traits de Ninon; et il n'est guère douteux qu'en effet le peintre ne l'ait prise pour modèle. Il appartenoit à une femme de venger la plus grande partie de son sexe outragée dans la Lettre d'Aristandre; et ce soin regardoit sur-tout celle qui y paroissoit le plus directement attaquée. Cette circonstance, suivant nous, donne un grand poids au témoignage de nos deux bibliographes; et, à défaut d'autres indices, elle auroit pu servir de base à leur opinion. Ninon (car nous croyons fermement que c'est elle qui est l'auteur de l'écrit) Ninon fit donc la Coquette vengée, dont le titre seul annonce suffisamment le dessein. Cette défense, ou plutôt cette récrimination est dirigée contre certains philosophes, nommés pédans de robe courte, et docteurs de ruelles, qui dogmatisent dans des fauteuils, et raisonnent sans cesse sur l'amour, sans avoir rien de raisonnable pour se faire aimer. Pour expliquer l'emploi injurieux que Ninon fait ici du titre de philosophe, il faut dire que l'auteur du Portrait de la Coquette affiche de grandes prétentions à ce titre, pour lequel il assure que les coquettes ont une aversion insurmontable. Nous avouerons sans peine que la Lettre d'Aristandre nous a paru elle-même un ouvrage agréablement écrit, et vraiment digne de la colère de Ninon. Ce qui confirmeroit notre jugement, c'est qu'il fut réimprimé en 1685, c'est-à-dire, plus de vingt-cinq ans après sa première publication. Nous ignorons si l'écrit de Ninon a eu aussi les honneurs de la réimpression; en tout cas, nous pensons qu'il les méritoit pour le moins autant.

Dans la première, édition de ce recueil, les notices biographiques avoient été placées toutes ensemble, au commencement du volume. Mais cette fois nous les avons disposées plus convenablement; chacune se trouve en tête de la correspondance à laquelle elle a rapport.

Dans l'avertissement qui précédoit ces notices, nous disions à quel point la seule édition qu'on eût eue jusqu'alors des Lettres de mademoiselle Aïssé, étoit incorrecte, et quels efforts nous avions eu à faire pour restituer le sens altéré à chaque page par des omissions ou par des changemens de mots, et rétablir les noms propres, presque toujours défigurés à n'être pas reconnoissables. Nous avons fait, dans les écrits du temps, de nouvelles recherches au sujet de ces noms, et nous avons réintégré dans leur véritable orthographe tous ceux qui n'ont pas appartenu à des personnages totalement ignorés. Nous avons aussi ajouté quelques notes explicatives à celles que nous avions trouvées ou que nous avions faites nous-mêmes.

Nous ne croyons pouvoir mieux terminer cet avertissement, qu'en rapportant un passage de La Bruyère, où ce moraliste ingénieux et profond reconnoît et explique la supériorité que les femmes ont sur les hommes dans le genre épistolaire. «Les Lettres de Balzac, de Voiture, dit-il, sont vides de sentimens qui n'ont régné que depuis leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire: elles trouvent sous leur plume, des tours et des expressions qui, souvent en nous, ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche: elles sont heureuses dans le choix des termes qu'elles placent si juste, que, tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, et semblent être faits seulement pour l'usage où elles les mettent. Il n'appartient qu'à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée délicate. Elles ont un enchaînement de discours inimitable, qui se suit naturellement et qui n'est lié que par le sens. Si les femmes étoient toujours correctes, j'oserois dire que les Lettres de quelques-unes d'entr'elles seroient peut-être ce que nous avons dans notre langue de mieux écrit3.» Il n'est pas inutile de remarquer que La Bruyère proclamoit ainsi la prééminence des femmes dans l'art d'écrire des Lettres, à une époque où celles de madame de Sévigné n'étoient point connues du public, et ne l'étoient probablement pas de La Bruyère lui-même. Elles ont été imprimées pour la première fois plus de 30 ans après la publication des Caractéres.

NOTICE SUR MADAME DE VILLARS

Marie de Bellefonds, fille de Bernardin Gigault de Bellefonds, aïeul du maréchal de ce nom, fut mariée au marquis de Villars. Le vainqueur de Dénain, le célèbre maréchal de Villars, fut le fruit de ce mariage.

M. le marquis de Villars fut envoyé ambassadeur auprès de Charles II, roi d'Espagne, au moment où ce prince épousa Marie-Louise d'Orléans, fille de Monsieur, frère de Louis XIV et de Henriette-Anne d'Angleterre, sa première femme.

Madame de Villars suivit son mari dans cette ambassade, qui ne dura guère plus de dix-huit mois. Pendant son séjour à Madrid, elle écrivit à madame de Coulanges. Il ne nous est parvenu que trente-sept Lettres de cette correspondance; elles commencent au 2 novembre 1679, et finissent au 15 mai 1681. Elles contiennent des détails très-curieux sur le caractère du roi et de la reine, sur leur manière de vivre, sur les intrigues et l'étiquette de leur cour, enfin sur les mœurs et les usages de l'Espagne. Une preuve de la confiance qu'elles méritent, c'est que le président Hénault, écrivain sévère dans le choix de ses autorités, les cite, en parlant du pouvoir absolu que les ministres de l'Empereur exerçoient à la cour de Charles II4. Du reste, elles sont écrites d'un style simple, facile et agréable; c'est celui d'une femme, qui à beaucoup de sens et d'esprit naturel joignoit ce ton délicat et fin qui distingue la bonne compagnie. Ces Lettres étoient lues avec beaucoup de plaisir par les personnes les plus spirituelles de la plus aimable société qui ait peut-être jamais existé. Qui pourroit se piquer d'être plus difficile qu'elles? Voici ce que madame de Sévigné écrivoit à sa fille, au sujet des Lettres de madame de Villars. «Madame de Villars mande mille choses agréables à madame de Coulanges, chez qui on vient apprendre les nouvelles. Ce sont des relations qui font la joie de beaucoup de personnes; M. de la Rochefoucault en est curieux; madame de Vins et moi, nous en attrapons ce que nous pouvons. Nous comprenons les raisons qui font que tout est réduit à ce bureau d'adresse; mais cela est mêlé de tant d'amitié et de tendresse, qu'il semble que son tempérament soit changé en Espagne. Cette reine d'Espagne est belle et grasse; le roi amoureux, et jaloux sans savoir de quoi, ni de qui; les combats de taureaux affreux; deux grands pensèrent y périr; leurs chevaux tués sous eux; très-souvent la scène est ensanglantée. Voilà les divertissemens d'un royaume chrétien; les nôtres sont bien opposés à cette destruction et bien plus aisés à comprendre5». Madame de Sévigné, dans une autre lettre à madame de Grignan, avoit déjà parlé ainsi de celles de madame de Villars. «Madame de Villars n'a écrit uniquement, en arrivant à Madrid, qu'à madame de Coulanges; et, dans cette lettre, elle nous fait des complimens à toutes nous autre vieilles amies. Madame de Schomberg, mademoiselle de Lestrange, madame de la Fayette, tout est en un paquet. Madame de Villars dit qu'il n'y a qu'à être en Espagne pour n'avoir plus d'envie d'y bâtir des châteaux6. Vous voyez bien qu'elle ne pouvoit mieux adresser sa lettre, puisqu'elle vouloit mander cette gentillesse7».

Madame de Villars mourut le 24 juin 1706, âgée de 82 ans.

Ses Lettres étoient entre les mains de M. le chevalier de Perrin, éditeur de celles de madame de Sévigné, qui se disposoit à les faire imprimer, lorsqu'il mourut en 1754. Elles l'ont été depuis sur le manuscrit que l'on a trouvé dans ses papiers.

LETTRES DE MADAME DE VILLARS, A MADAME DE COULANGES

LETTRE PREMIÈRE

Madrid, 2 novembre 1679.

Me voici enfin à Madrid, où je suis résolue d'attendre tranquillement le retour du roi, et l'arrivée de la reine, sa femme. Je n'ai pas eu le courage d'aller à Burgos. M. de Villars, qui m'attendoit ici, est parti pour rejoindre le roi, qui va chercher la reine d'une telle impétuosité, qu'on ne peut le suivre; et si elle n'est pas encore arrivée à Burgos, il est résolu d'emmener avec lui l'archevêque de cette ville-là, et d'aller jusqu'à Vittoria, ou sur la frontière, pour épouser cette princesse. Il n'a voulu écouter aucun conseil contraire à cette diligence. Il est transporté d'amour et d'impatience. Ainsi, avec de telles dispositions, il ne faut pas douter que cette jeune reine ne soit heureuse. La reine douairière, qui est très-bonne et très-raisonnable, souhaite passionnément qu'elle soit contente. Je trouvai, en venant, toutes les dames, et tous les officiers de sa maison, qui est très-nombreuse, auprès de Burgos. La duchesse de Terranova, sa camarera mayor, fit arrêter sa litière auprès de la mienne. Elle me parut spirituelle et très-honnête, point aussi vieille que je me l'étois figurée. Toutes les dames et filles d'honneur me montroient de loin leurs mouchoirs que l'on met en l'air en signe d'amitié. Je pensai oublier d'en faire autant; et, si ma fille ne m'en eût fait aviser, j'allois débuter par une grande sottise. Vous ne sauriez vous imaginer quelles honnêtetés je reçois ici. La reine mère m'a envoyé son majordome pour savoir comment je me trouvois des fatigues de mon voyage, et me donner beaucoup de marques de bonté. On dit qu'elle n'a pas accoutumé d'en user de la sorte avec les autres ambassadrices; ce n'est pas à mon médiocre mérite que j'attribue cet honneur.

Je n'ai pas encore voulu recevoir de visites. J'attends le retour de M. de Villars. Il y a tant de manières et tant de cérémonies à observer, qu'il faut qu'il m'instruise de tout, depuis les moindres choses jusques aux plus importantes. Rien ne ressemble ici à ce qui se pratique en France.

Don Juan est mort de chagrin; le roi commençoit à lui en donner, en rappelant, sans lui en parler, plusieurs grands qu'il avoit exilés.

Je ne sais si la princesse d'Harcourt entrera dans le carrosse de la reine.

La connétable Colonne m'a envoyé visiter. Elle est toujours dans son couvent, dont elle s'ennuie fort; elle espère en sortir quand la reine sera ici, et loger chez sa belle-sœur, la marquise de los Balbasès. L'abbé de Villars, qui l'alla voir l'autre jour, l'a trouvée très-bien faite, et j'entends dire qu'elle n'est pas reconnoissable de ce qu'elle étoit en France: c'est une taille charmante, un teint clair et net, de beaux yeux, des dents blanches, de beaux cheveux. Elle a fait un livre de sa vie, qui est déjà traduit en trois langues, afin que personne n'ignore ses aventures: il est fort divertissant. Elle est habillée à l'espagnole d'un fort bon air, mais ayant retranché et augmenté, ce qui en effet est mieux.

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LETTRE II

Madrid, 30 novembre 1679.

On ne peut mener une plus plaisante vie, que celle que je mène ici depuis mon arrivée, ne faisant aucune visite, et n'en voulant recevoir qu'après le retour de M. de Villars. Je sors quelquefois, quand il fait beau, pour aller, ce qu'on appelle tomar el sol8, hors des portes. Le soleil est très-agréable en cette saison. Il faut soigneusement tirer tous les rideaux du carrosse dans la ville; autrement on passeroit pour n'être pas honnête femme, et par tout pays il seroit fâcheux de se décrier pour un si petit sujet.

Les ducs d'Ossone et d'Astorga se sont fort querellés devant la reine. L'on a jugé que le premier avoit tort, et on l'a envoyé ici attendre les ordres du roi. Je ne sais plus quelle charge il a9; mais les bruits de Madrid sont que le marquis de los Balbasès la pourroit bien avoir. Je n'ai point encore vu de beautés Espagnoles.

M. de Villars vient d'arriver de Burgos. Il m'a conté beaucoup de détails de tout ce qu'il vient de voir. Il se flatte que le prince et la princesse d'Harcourt auront été contens de lui. Il m'a parlé de la plus belle robe du monde qu'avoit la princesse. Madame de Grancey a très-bien fait, et s'est fort bien servie de son temps de faveur auprès de la reine, pour ne lui donner que de très-bons conseils. On croit qu'elle aura du roi Catholique une pension de deux mille écus. On ne sait point encore si elle viendra jusques ici. Elle paroissoit fort tentée de s'en retourner avec la princesse d'Harcourt. Le roi et la reine viennent seuls dans un grand carrosse sans glaces, à la mode du pays. Il sera fort heureux pour eux qu'ils soient comme leur carrosse. On dit que la reine fait très-bien: pour le roi, comme il étoit fort amoureux avant que de l'avoir vue, sa présence ne peut qu'avoir augmenté sa passion. Elle reçut le roi avec un très-bel habit à la françoise, et une quantité surprenante de pierreries; mais elle le quitta le lendemain pour s'habiller à l'espagnole; et le roi la trouva beaucoup mieux. Madame de Grancey en mit un aussi, que la reine lui donna, et se coiffa à l'espagnole; ce qui lui sied fort bien. Elle étoit avec les dames d'honneur, qui sont proprement les filles de la reine. Elles passent toutes deux à deux, après la comédie, devant le roi et la reine, faisant leurs révérences: madame de Grancey figuroit avec une qui étoit de fort bonne grâce. Je n'ai point entendu dire que la maréchale de Clérembault figurât avec personne, mais qu'elle parloit fort bien espagnol. Le roi et la reine seront ici dans trois jours, et viendront demeurer à Buen-Retiro, maison royale aux portes de Madrid, jusqu'à ce que tout soit prêt pour l'entrée de la reine. Que j'appréhende de m'habiller, et de commencer à sortir! Je ne suis point du tout née pour représenter.

Je viens d'apprendre que madame de Grancey est partie de Burgos pour Paris avec le prince et la princesse d'Harcourt. Elle a eu mille louis, deux mille écus de pension, et un présent de diamans de dix-huit cents ou deux mille pistoles, tout pareil à celui qu'on a donné à la maréchale de Clérembault. Il y en a eu deux autres de trois mille pistoles pour le prince et la princesse d'Harcourt. Toutes les femmes, hors les deux nourrices de la reine, et deux autres filles, ont été renvoyées. Une vieille sous-gouvernante, nommée mademoiselle Fauvelet, est morte en chemin; mais si bien en chemin, que son âme est partie de ce monde pour l'autre de dedans sa litière, ayant toujours voulu suivre, quelque malade qu'elle fût. Elle mourut peu d'heures avant que d'arriver au lieu où le roi vint trouver la reine, et où ils se sont mariés.

La reine avoit perdu en chemin mille pistoles contre le prince et la princesse d'Harcourt, et autres personnes qui l'accompagnoient. Quand leurs majestés furent parties, les joueurs eurent grand'peur de n'être pas payés; mais ils furent agréablement surpris par l'arrivée d'une bourse où étoit cette somme.

Ne trouvez-vous pas que madame de Grancey a fait un agréable voyage? Tout le monde dans cette cour est fort content d'elle. Le prince et la princesse d'Harcourt avoient un très-beau train, une grande table, et se sont fort bien acquittés de leur emploi. Leur entrée à Burgos fut trouvée fort belle. Le prince d'Harcourt s'est très-bien gouverné, et l'on est ici très-satisfait de l'un et de l'autre. Vous pouvez en assurer M. de Brancas10.

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1.Voyez le numéro du journal des Débats du 3 messidor an XIII.
2.Depuis plusieurs années, on a réuni aux Lettres de madame de Sévigné celles de mesdames de Coulanges et de la Fayette. Cette partie de notre collection fera un double emploi peu considérable pour ceux qui ont des éditions récentes de madame de Sévigné; et ceux qui n'ont que des éditions antérieures, seront sans doute bien aises de pouvoir les compléter au moyen de notre recueil.
3.Caractères de La Bruyère, chap. Ier. des Ouvrages de l'Esprit.
4.Abrégé Chronologique de l'Histoire de France, tom. 3, p. 846.
5.Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, du 8 octobre 1679.
6.Cette phrase est une preuve que toutes les Lettres de madame de Villars à madame de Coulanges n'ont pas été conservées; elle ne se trouve dans aucune de celles qui nous restent.
7.Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, du 28 février 1680.
8.Littéralement, prendre le soleil.
9.Gouverneur du Milanais, conseiller d'état, président du conseil des ordres et grand écuyer de la reine.
10.Père de la princesse d'Harcourt.