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Kitabı oku: «Le grand Meaulnes», sayfa 13

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CHAPITRE VII. LE JOUR DES NOCES

C’est un jeudi, au commencement de février, un beau jeudi soir glacé, où le grand vent souffle. Il est trois heures et demie, quatre heures… Sur les haies, auprès des bourgs, les lessives sont étendues depuis midi et sèchent à la bourrasque. Dans chaque maison, le feu de la salle à manger fait luire tout un reposoir de joujoux vernis. Fatigué de jouer, l’enfant s’est assis auprès de sa mère et il lui fait raconter la journée de son mariage…

Pour celui qui ne veut pas être heureux, il n’a qu’à monter dans son grenier et il entendra, jusqu’au soir, siffler et gémir les naufrages ; il n’a qu’à s’en aller dehors, sur la route, et le vent lui rabattra son foulard sur la bouche comme un chaud baiser soudain qui le fera pleurer. Mais pour celui qui aime le bonheur, il y a, au bord d’un chemin boueux, la maison des Sablonnières, où mon ami Meaulnes est rentré avec Yvonne de Galais, qui est sa femme depuis midi.

Les fiançailles ont duré cinq mois. Elles ont été paisibles, aussi paisibles que la première entrevue avait été mouvementée. Meaulnes est venu très souvent aux Sablonnières, à bicyclette ou en voiture. Plus de deux fois par semaine, cousant ou lisant près de la grande fenêtre qui donne sur la lande et les sapins, Mlle de Galais a vu tout d’un coup sa haute silhouette rapide passer derrière le rideau, car il vient toujours par l’allée détournée qu’il a prise autrefois. Mais c’est la seule allusion – tacite – qu’il fasse au passé. Le bonheur semble avoir endormi son étrange tourment.

De petits événements ont fait date pendant ces cinq calmes mois. On m’a nommé instituteur au hameau de Saint-Benoist-des-Champs. Saint-Benoist n’est pas un village. Ce sont des fermes disséminées à travers la campagne, et la maison d’école est complètement isolée sur une côte au bord de la route. Je mène une vie bien solitaire ; mais, en passant par les champs, il ne faut que trois quarts d’heure de marche pour gagner les Sablonnières.

Delouche est maintenant chez son oncle, qui est entrepreneur de maçonnerie au Vieux-Nançay. Ce sera bientôt lui le patron. Il vient souvent me voir. Meaulnes, sur la prière de Mlle de Galais, est maintenant très aimable avec lui.

Et ceci explique comment nous sommes là tous deux à rôder, vers quatre heures de l’après-midi, alors que les gens de la noce sont déjà tous repartis.

Le mariage s’est fait à midi, avec le plus de silence possible, dans l’ancienne chapelle des Sablonnières qu’on n’a pas abattue et que les sapins cachent à moitié sur le versant de la côte prochaine. Après un déjeuner rapide, la mère de Meaulnes, M. Seurel et Millie, Florentin et les autres sont remontés en voiture. Il n’est resté que Jasmin et moi…

Nous errons à la lisière des bois qui sont derrière la maison des Sablonnières, au bord du grand terrain en friche, emplacement ancien du Domaine aujourd’hui abattu. Sans vouloir l’avouer et sans savoir pourquoi, nous sommes remplis d’inquiétude. En vain nous essayons de distraire nos pensées et de tromper notre angoisse en nous montrant, au cours de notre promenade errante, les bauges des lièvres et les petits sillons de sable où les lapins ont gratté fraîchement… un collet tendu… la trace d’un braconnier… Mais sans cesse nous revenons à ce bord du taillis, d’où l’on découvre la maison silencieuse et fermée…

Au bas de la grande croisée qui donne sur les sapins, il y a un balcon de bois, envahi par les herbes folles que couche le vent. Une lueur comme d’un feu allumé se reflète sur les carreaux de la fenêtre. De temps à autre, une ombre passe. Tout autour, dans les champs environnants, dans le potager, dans la seule ferme qui reste des anciennes dépendances, silence et solitude. Les métayers sont partis au bourg pour fêter le bonheur de leurs maîtres.

De temps à autre, le vent chargé d’une buée qui est presque de la pluie nous mouille la figure et nous apporte la parole perdue d’un piano. Là-bas, dans la maison fermée, quelqu’un joue. Je m’arrête un instant pour écouter en silence. C’est d’abord comme une voix tremblante qui, de très loin, ose à peine chanter sa joie… C’est comme le rire d’une petite fille qui, dans sa chambre, a été chercher tous ses jouets et les répand devant son ami. Je pense aussi à la joie craintive encore d’une femme qui a été mettre une belle robe et qui vient la montrer et ne sait pas si elle plaira… Cet air que je ne connais pas, c’est aussi une prière, une supplication au bonheur de ne pas être trop cruel, un salut et comme un agenouillement devant le bonheur…

Je pense : « Ils sont heureux enfin. Meaulnes est là-bas près d’elle… »

Et savoir cela, en être sûr, suffit au contentement parfait du brave enfant que je suis.

À ce moment, tout absorbé, le visage mouillé par Je vent de la plaine comme par l’embrun de la mer, je sens qu’on me touche l’épaule.

– Écoute ! dit Jasmin tout bas.

Je le regarde. Il me fait signe de ne pas bouger ; et, lui-même, la tête inclinée, le sourcil froncé, il écoute…

CHAPITRE VIII. L’APPEL DE FRANTZ

– Hou-ou !

Cette fois, j’ai entendu. C’est un signal, un appel sur deux notes, haute et basse, que j’ai déjà entendu jadis… Ah ! je me souviens : c’est le cri du grand comédien lorsqu’il hélait son jeune compagnon à la grille de l’école. C’est l’appel à quoi Frantz nous avait fait jurer de nous rendre, n’importe où et n’importe quand. Mais que demande-t-il ici, aujourd’hui, celui-là ?

– Cela vient de la grande sapinière à gauche, dis-je à mi-voix. C’est un braconnier sans doute.

Jasmin secoue la tête :

– Tu sais bien que non, dit-il.

Puis, plus bas :

– Ils sont dans le pays, tous les deux, depuis ce matin. J’ai surpris Ganache à onze heures en train de guetter dans un champ auprès de la chapelle. Il a détalé en m’apercevant. Ils sont venus de loin peut-être à bicyclette, car il était couvert de boue jusqu’au milieu du dos…

– Mais que cherchent-ils ?

– Je n’en sais rien. Mais à coup sûr il faut que nous les chassions. Il ne faut pas les laisser rôder aux alentours. Ou bien toutes les folies vont recommencer…

Je suis de cet avis, sans l’avouer.

– Le mieux, dis-je, serait de les joindre, de voir ce qu’ils veulent et de leur faire entendre raison…

Lentement, silencieusement, nous nous glissons donc en nous baissant à travers le taillis jusqu’à la grande sapinière, d’où part, à intervalles réguliers, ce cri prolongé qui n’est pas en soi plus triste qu’autre chose, mais qui nous semble à tous les deux de sinistre augure.

Il est difficile, dans cette partie du bois de sapins, où le regard s’enfonce entre les troncs régulièrement plantés, de surprendre quelqu’un et de s’avancer sans être vu. Nous n’essayons même pas. Je me poste à l’angle du bois. Jasmin va se placer à l’angle opposé, de façon à commander comme moi, de l’extérieur, deux des côtés du rectangle et à ne pas laisser fuir l’un des bohémiens sans le héler. Ces dispositions prises, je commence à jouer mon rôle d’éclaireur pacifique et j’appelle :

– Frantz !…

« … Frantz ! Ne craignez rien. C’est moi, Seurel, je voudrais vous parler…

Un instant de silence ; je vais me décider à crier encore, lorsque, au cœur même de la sapinière, où mon regard n’atteint pas tout à fait, une voix commande :

– Restez où vous êtes : il va venir vous trouver.

Peu à peu, entre les grands sapins que l’éloignement fait paraître serrés, je distingue la silhouette du jeune homme qui s’approche. Il paraît couvert de boue et mal vêtu ; des épingles de bicyclette serrent le bas de son pantalon, une vieille casquette à ancre est plaquée sur ses cheveux trop longs ; je vois maintenant sa figure amaigrie… Il semble avoir pleuré.

S’approchant de moi, résolument :

– Que voulez-vous ? demande-t-il d’un air très insolent.

– Et vous-même, Frantz, que faites-vous ici ? Pourquoi venez-vous troubler ceux qui sont heureux ? Qu’avez-vous à demander ? Dites-le.

Ainsi interrogé directement, il rougit un peu, balbutie, répond seulement :

– Je suis malheureux, moi, je suis malheureux.

Puis, la tête dans, le bras, appuyé à un tronc d’arbre, il se prend à sangloter amèrement. Nous avons fait quelques pas dans la sapinière. L’endroit est parfaitement silencieux. Pas même la voix du vent que les grands sapins de la lisière arrêtent. Entre les troncs réguliers se répète et s’éteint le bruit des sanglots étouffés du jeune homme. J’attends que cette crise s’apaise et je dis, en lui mettant la main sur l’épaule :

– Frantz, vous viendrez avec moi. Je vous mènerai auprès d’eux. Ils vous accueilleront comme un enfant perdu, qu’on a retrouvé et tout sera fini.

Mais il ne voulait rien entendre. D’une voix assourdie par les larmes, malheureux, entêté, colère, il reprenait :

– Ainsi Meaulnes ne s’occupe plus de moi ? Pourquoi ne répond-il pas quand je l’appelle ? Pourquoi ne tient-il pas sa promesse ?

– Voyons, Frantz, répondis-je, le temps des fantasmagories et des enfantillages est passé. Ne troublez pas avec des folies le bonheur de ceux que vous aimez ; de votre sœur et d’Augustin Meaulnes.

– Mais lui seul peut me sauver, vous le savez bien. Lui seul est capable de retrouver la trace que je cherche. Voilà bientôt trois ans que Ganache et moi nous battons toute la France sans résultat. Je n’avais plus confiance qu’en votre ami. Et voici qu’il ne répond plus. Il a retrouvé son amour, lui. Pourquoi, maintenant, ne pense-t-il pas à moi ? Il faut qu’il se mette en route. Yvonne le laissera bien partir… Elle ne m’a jamais rien refusé.

Il me montrait un visage où, dans la poussière et la boue, les larmes avaient tracé des sillons sales, un visage de vieux gamin épuisé et battu. Ses yeux étaient cernés de taches de rousseur son menton, mal rasé ; ses cheveux trop longs traînaient sur son col sale. Les mains dans les poches, il grelottait. Ce n’était plus ce royal enfant en guenilles des années passées. De cœur, sans doute, il était plus enfant que jamais : impérieux, fantasque et tout de suite désespéré. Mais cet enfantillage était pénible à supporter chez ce garçon déjà légèrement vieilli… Naguère, il y avait en lui tant d’orgueilleuse jeunesse que toute folie au monde lui paraissait permise. À présent, on était d’abord tenté de le plaindre pour n’avoir pas réussi sa vie ; puis de lui reprocher ce rôle absurde de jeune héros romantique où je le voyais s’entêter… Et enfin je pensais malgré moi que notre beau Frantz aux belles amours avait dû se mettre à voler pour vivre, tout comme son compagnon Ganache… Tant d’orgueil avait abouti à cela !

– Si je vous promets, dis-je enfin, après avoir réfléchi, que dans quelques jours Meaulnes se mettra en campagne pour vous, rien que pour vous ?…

– Il réussira, n’est-ce pas ? Vous en êtes sûr ? me demanda-t-il en claquant des dents.

– Je le pense. Tout devient possible avec lui !

– Et comment le saurai-je ? Qui me le dira ?

– Vous reviendrez ici dans un an exactement, à cette même heure : vous trouverez la jeune fille que vous aimez.

Et, en disant ceci, je pensais non pas troubler les nouveaux époux, mais m’enquérir auprès de la tante Moinel et faire diligence moi-même pour trouver la jeune fille.

Le bohémien me regardait dans les yeux avec une volonté de confiance vraiment admirable. Quinze ans, il avait encore et tout de même quinze ans ! – l’âge que nous avions à Sainte-Agathe, le soir du balayage des classes, quand nous fîmes tous les trois ce terrible serment enfantin.

Le désespoir le reprit lorsqu’il fut obligé de dire :

– Eh bien, nous allons partir.

Il regarda, certainement avec un grand serrement de cœur, tous ces bois d’alentour qu’il allait de nouveau quitter.

– Nous serons dans trois jours, dit-il, sur les routes d’Allemagne. Nous avons laissé nos voitures au loin. Et depuis trente heures, nous marchions sans arrêt. Nous pensions arriver à temps pour emmener Meaulnes avant le mariage et chercher avec lui ma fiancée, comme il a cherché le Domaine des Sablonnières.

Puis, repris par sa terrible puérilité :

– Appelez votre Delouche, dit-il en s’en allant, parce que si je le rencontrais ce serait affreux.

Peu à peu, entre les sapins, je vis disparaître sa silhouette grise. J’appelai Jasmin et nous allâmes reprendre notre faction. Mais presque aussitôt, nous aperçûmes, là-bas, Augustin qui fermait les volets de la maison et nous fûmes frappés par l’étrangeté de son allure.

CHAPITRE IX. LES GENS HEUREUX

Plus tard, j’ai su par le menu détail tout ce qui s’était passé là-bas…

Dans le salon des Sablonnières, dès le début de l’après-midi, Meaulnes et sa femme, que j’appelle encore Mlle de Galais, sont restés complètement seuls. Tous les invités partis, le vieux M. de Galais a ouvert la porte, laissant une seconde le grand vent pénétrer dans la maison et gémir ; puis il s’est dirigé vers le Vieux-Nançay et ne reviendra qu’à l’heure du dîner, pour fermer tout à clef et donner des ordres à la métairie. Aucun bruit du dehors n’arrive plus maintenant jusqu’aux jeunes gens. Il y a tout juste une branche de rosier sans feuilles qui cogne la vitre, du côté de la lande. Comme deux passagers dans un bateau à la dérive, ils sont, dans le grand vent d’hiver, deux amants enfermés avec le bonheur.

– Le feu menace de s’éteindre, dit Mlle de Galais, et elle voulut prendre une bûche dans le coffre.

Mais Meaulnes se précipita et plaça lui-même le bois dans le feu.

Puis il prit la main tendue de la jeune fille et ils restèrent là, debout, l’un devant l’autre, étouffés comme par une grande nouvelle qui ne pouvait pas se dire.

Le vent roulait avec le bruit d’une rivière débordée. De temps à autre une goutte d’eau, diagonalement, comme sur la portière d’un train, rayait la vitre.

Alors la jeune fille s’échappa. Elle ouvrit la porte du couloir et disparut avec un sourire mystérieux. Un instant, dans la demi-obscurité, Augustin resta seul… Le tic tac d’une petite pendule faisait penser à la salle à manger de Sainte-Agathe… Il songea sans doute : « C’est donc ici la maison tant cherchée, le couloir jadis plein de chuchotements et de passages étranges… »

C’est à ce moment qu’il dut entendre – Mlle de Galais me dit plus tard l’avoir entendu aussi – le premier cri de Frantz, tout près de la maison.

La jeune femme, alors, eut beau lui montrer les choses merveilleuses dont elle était chargée : ses jouets de petite fille, toutes ses photographies d’enfant : elle, en cantinière, elle et Frantz sur les genoux de leur mère, qui était si jolie… puis tout ce qui restait de ses sages petites robes de jadis : « jusqu’à celle-ci que je portais, voyez, vers le temps où vous alliez bientôt me connaître, où vous arriviez, je crois, au cours de Sainte-Agathe… Meaulnes ne voyait plus rien et n’entendait plus rien.

Un instant pourtant il parut ressaisi par la pensée de son extraordinaire, inimaginable bonheur :

– Vous êtes là, – dit-il sourdement, comme si le dire seulement donnait le vertige, – vous passez auprès de la table et votre main s’y pose un instant…

Et encore :

– Ma mère, lorsqu’elle était jeune femme, penchait ainsi légèrement son buste sur sa taille pour me parler… Et quand elle se mettait au piano…

Alors Mlle de Galais proposa de jouer avant que la nuit ne vînt. Mais il faisait sombre dans ce coin du salon et l’on fut obligé d’allumer une bougie. L’abat-jour rose, sur le visage de la jeune fille, augmentait ce rouge dont elle était marquée aux pommettes et qui était le signe d’une grande anxiété.

Là-bas, à la lisière du bois, je commençai d’entendre cette chanson tremblante que nous apportait le vent, coupée bientôt par le second cri des deux fous, qui s’étaient rapprochés de nous dans les sapins.

Longtemps Meaulnes écouta la jeune fille en regardant silencieusement par une fenêtre. Plusieurs fois il se tourna vers le doux visage plein de faiblesse et d’angoisse. Puis il s’approcha d’Yvonne et, très légèrement, il mit sa main sur son épaule. Elle sentit doucement peser auprès de son cou cette caresse à laquelle il aurait fallu savoir répondre.

– Le jour tombe, dit-il enfin. Je vais fermer les volets. Mais ne cessez pas de jouer…

Que se passa-t-il alors dans ce cœur obscur et sauvage ? Je me le suis souvent demandé et je ne l’ai su que lorsqu’il fut trop tard. Remords ignorés ? Regrets inexplicables ? Peur de voir s’évanouir bientôt entre ses mains ce bonheur inouï qu’il tenait si serré ? Et alors tentation terrible de jeter irrémédiablement à terre, tout de suite, cette merveille qu’il avait conquise ?

Il sortit lentement, silencieusement, après avoir regardé sa jeune femme une fois encore. Nous le vîmes, de la lisière du bois, fermer d’abord avec hésitation un volet, puis regarder vaguement vers nous, en fermer un autre, et soudain s’enfuir à toutes jambes dans notre direction. Il arriva près de nous avant que nous eussions pu songer à nous dissimuler davantage. Il nous aperçut, comme il allait franchir une petite haie récemment plantée et qui formait la limite d’un pré. Il fit un écart. Je me rappelle son allure hagarde, son air de bête traquée… Il fit mine de revenir sur ses pas pour franchir la haie du côté du petit ruisseau.

Je l’appelai :

– Meaulnes !… Augustin !…

Mais il ne tournait pas même la tête. Alors, persuadé que cela seulement pourrait le retenir :

– Frantz est là, criai-je. Arrête !

Il s’arrêta enfin. Haletant et sans me laisser le temps de préparer ce que je pourrais dire :

– Il est là ! dit-il. Que réclame-t-il ?

– Il est malheureux, répondis-je. Il venait te demander de l’aide, pour retrouver ce qu’il a perdu.

– Ah ! fit-il, baissant la tête. Je m’en doutais bien. J’avais beau essayer d’endormir cette pensée-là… Mais où est-il ? Raconte vite.

Je dis que Frantz venait de partir et que certainement on ne le rejoindrait plus maintenant. Ce fut pour Meaulnes une grande déception. Il hésita, fit deux ou trois pas, s’arrêta. Il paraissait au comble de l’indécision et du chagrin. Je lui racontai ce que j’avais promis en son nom au jeune homme. Je dis que je lui avais donné rendez-vous dans un an à la même place.

Augustin, si calme en général, était maintenant dans un état de nervosité et d’impatience extraordinaires :

– Ah ! pourquoi avoir fait cela ! dit-il. Mais oui, sans doute, je puis le sauver. Mais il faut que ce soit tout de suite. Il faut que je le voie, que je lui parle, qu’il me pardonne et que je répare tout… Autrement je ne peux plus me présenter là-bas…

Et il se tourna vers la maison des Sablonnières.

– Ainsi, dis-je, pour une promesse enfantine que tu lui as faite, tu es en train de détruire ton bonheur.

– Ah ! si ce n’était que cette promesse, fit-il.

Et ainsi je connus qu’autre chose liait les deux jeunes hommes, mais sans pouvoir deviner quoi.

– En tout cas, dis-je, il n’est plus temps de courir. Ils sont maintenant en route pour l’Allemagne.

Il allait répondre, lorsqu’une figure échevelée, déchirée, hagarde, se dressa entre nous. C’était Mlle de Galais. Elle avait dû courir, car elle avait le visage baigné de sueur. Elle avait dû tomber et se blesser, car elle avait le front écorché au-dessus de l’œil droit et du sang figé dans les cheveux.

Il m’est arrivé, dans les quartiers pauvres de Paris, de voir soudain, descendu dans la rue, séparé par des agents intervenus dans la bataille, un ménage qu’on croyait heureux, uni, honnête. Le scandale a éclaté tout d’un coup, n’importe quand, à l’instant de se mettre à table, le dimanche avant de sortir, au moment de souhaiter la fête du petit garçon… – et maintenant tout est oublié, saccagé. L’homme et la femme, au milieu du tumulte, ne sont plus que deux démons pitoyables et les enfants en larmes se jettent contre eux, les embrassent étroitement, les supplient de se taire et de ne plus se battre.

Mlle de Galais, quand elle arriva près de Meaulnes, me fit penser à un de ces enfants-là, à un de ces pauvres enfants affolés. Je crois que tous ses amis, tout un village, tout un monde l’eût regardée, qu’elle fût accourue tout de même, qu’elle fût tombée de la même façon, échevelée, pleurante, salie.

Mais quand elle eut compris que Meaulnes était bien là, que cette fois du moins, il ne l’abandonnerait pas, alors elle passa son bras sous le sien, puis elle ne put s’empêcher de rire au milieu de ses larmes comme un petit enfant. Ils ne dirent rien ni l’un ni l’autre. Mais, comme elle avait tiré son mouchoir, Meaulnes le lui prit doucement des mains : avec précaution et application, il essuya le sang qui tachait la chevelure de la jeune fille.

– Il faut rentrer, maintenant, dit-il.

Et je les laissai retourner tous les deux, dans le beau grand vent du soir d’hiver qui leur fouettait le visage, lui, l’aidant de la main aux passages difficiles ; elle, souriant et se hâtant, – vers leur demeure pour un instant abandonnée.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
240 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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