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Kitabı oku: «La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1», sayfa 4

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Le billet d'enterrement de ce vieillard, œuvre d'une composition réfléchie et laborieuse, avait été envoyé, selon l'usage, aux portes de tous les hôtels de Versailles; il n'en devint pas moins bientôt, par sa singularité, un effet de bibliothèque, d'autant plus recherché, qu'une émulation de curiosité le rendit de jour en jour plus rare. En voici la teneur:

«Vous êtes prié d'assister au convoi, service et enterrement de Monseigneur Antoine-Paul-Jacques de Quelen, chef des noms et armes des anciens seigneurs de la châtellenie de Quelen, en haute Bretagne, juveigneur34 des comtes de Porhoët, substitué aux noms et armes de Stuer de Caulsade, duc de la Vauguyon, pair de France, prince de Carency, comte de Quélen et du Boulay, marquis de Saint-Mégrin, de Callonge et d'Archiac; vicomte de Calvaignac; baron des anciennes et hautes baronnies de Tonneins, Gratteloup, Villeton, la Gruère et Picornet; seigneur de Larnagol et Talcoimur; vidame, chevalier et avoué de Sarlac, haut baron de Guyenne, second baron de Quercy, lieutenant général des armées du Roi, chevalier de ses ordres, menin de feu monseigneur le Dauphin, premier gentilhomme de la chambre de monseigneur le Dauphin, grand maître de sa garde-robe, ci-devant gouverneur de sa personne et de celle de monseigneur le comte de Provence, gouverneur de la personne de monseigneur le comte d'Artois, premier gentilhomme de sa chambre, grand maître de sa garde-robe et surintendant de sa maison, qui se feront jeudi 6 février 1772, à dix heures du matin, en l'église royale et paroissiale de Notre-Dame de Versailles, où son corps sera inhumé.

»De profundis.»

Grimm, après avoir transcrit cette lettre d'invitation dans sa Correspondance, ajoutait plaisamment: «Il seroit à propos de fonder et d'ériger une chaire dont le professeur ne feroit autre chose, toute l'année, que d'expliquer à la jeunesse le billet d'enterrement de M. le duc de la Vauguyon, sans quoi il est à craindre que l'érudition nécessaire pour le bien entendre ne se perde insensiblement, et que ce billet ne devienne, avec le temps, le désespoir des critiques.»

Madame Élisabeth en fit justice à sa manière. Comme l'on revenait sans cesse sur ce billet incroyable: «Combien M. de Saint-Mégrin, dit-elle, doit regretter d'avoir donné prétexte à tant de bruit sur la tombe de son père!»

La France présentait un singulier spectacle: rien ne bougeait dans la politique, et les esprits étaient agités. La légèreté de la nation, son insouciance naturelle s'accommodaient trop bien de la douceur du gouvernement intérieur pour attacher de l'importance aux événements qui se préparaient au delà de l'horizon.

Le choix des distractions, la poursuite des plaisirs étaient les seuls mobiles qui imprimassent une impulsion à la société endormie dans une douce quiétude. Le mouvement n'était pas dans les faits, il était dans les idées. Aussi les nouveautés de tout genre étaient-elles accueillies avec faveur. Les discussions du jansénisme et du molinisme, qui avaient passionné la génération précédente, ne rencontraient qu'une profonde indifférence chez l'insouciante oisiveté des gens du monde. Un opéra nouveau, une séance de l'Académie française, les Mémoires de Beaumarchais, quelques lignes de l'Encyclopédie, dont chaque livraison était annoncée à son de trompe par la Gazette de France, voilà quels étaient les principaux éléments des passions du jour.

Une question de musique enflammait les esprits bien autrement que le démembrement de la Pologne ou l'indépendance de l'Amérique. Les noms de Gluck et de Piccini étaient les cris de ralliement; la salle de l'Opéra était le théâtre de la guerre, guerre puérile et pourtant de longue durée, guerre de chansons, d'épigrammes et de pamphlets, prélude étrange des divisions politiques qui allaient déchirer la France. Le sujet des querelles était sans doute médiocre et puéril, mais l'esprit de lutte et d'antagonisme se révélait déjà. Un enthousiasme extraordinaire accueillait aussi les découvertes merveilleuses qui étaient signalées dans le domaine des sciences physiques.

La société peu instruite, que ces révélations étonnaient et ravissaient, y puisait je ne sais quel idéal chimérique qu'elle allait bientôt poursuivre à travers tous les obstacles. Les bornes de l'impossible semblaient au moment d'être franchies par le génie de l'homme. Les systèmes les plus extravagants et les chimères les plus insensées trouvaient des prôneurs.

La Gazette de France annonçait tous les deux mois comme une nouvelle importante l'apparition d'un nouveau volume de l'Encyclopédie; tous les jours elle enregistrait la collation faite par le Roi d'abbayes et de prébendes à des ecclésiastiques moins nourris de leur bréviaire et de l'histoire de l'Église que de l'étude des romans de Voltaire ou de Restif de la Bretonne. La plupart de ces bénéfices étant à la nomination et présentation des princes et seigneurs, l'autorité royale se bornait à les sanctionner aveuglément comme autant de faveurs accordées au népotisme ou arrachées par l'importunité. Et pourtant le sentiment public attribuait forcément au Roi lui-même toute la responsabilité des désordres enfantés par ces abus. Le mal que faisait une partie du haut clergé au sommet de l'édifice social par sa corruption, une partie du bas clergé le continuait dans les degrés inférieurs par son ignorance. Le prêtre du dix-huitième siècle était ainsi, aux deux extrêmes degrés de l'échelle, bien loin de ressembler au prêtre tel que le neuvième siècle en concevait l'idéal.

«Le docteur ecclésiastique, déclarait le concile d'Aix-la-Chapelle en 836, doit briller par la science comme par la piété de la vie, car la science sans la piété le rend arrogant, la piété sans la science le rend inutile.»

En convenant que le défaut de piété est plus criminel, nous ferons remarquer que le défaut de science est plus irréparable: un mouvement de la grâce peut changer les mœurs d'un mauvais prêtre et le ramener à Dieu; mais pour acquérir la science il faut de grands efforts et des années. Si, dans chaque état, il est besoin d'une instruction spéciale pour en remplir dignement les fonctions; si, faute de cette instruction spéciale, le négociant se ruine, le capitaine se fait battre, le juge commet des injustices, le médecin tue ses malades, que dirons-nous donc si le ministère des âmes, cet art des arts, comme l'appelle saint Grégoire, c'est-à-dire le ministère le plus important de tous, est confié à des prêtres dépourvus des lumières qu'ils doivent enseigner, et par conséquent défenseurs inhabiles des dogmes qu'on attaque, et gardiens impuissants de la morale qu'on altère? L'hérésie du seizième siècle avait dû presque tous ses succès à l'ignorance du clergé. Ce malheur devait se reproduire dans le dernier siècle, avec des chances d'autant plus fatales que l'esprit de la philosophie était plein d'audace et maniait avec un rare talent l'arme de la raillerie.

Cependant il ne faut pas croire que le clergé français tout entier fût atteint de l'aveuglement de l'ignorance ou de la gangrène de la corruption. S'il en avait été ainsi, la Révolution, quand elle descendit menaçante dans l'arène, n'aurait pas trouvé tant de prêtres prêts à renouveler les merveilles du christianisme héroïque, et à protester par le martyre contre la profanation des choses saintes et l'usurpation des droits de l'Église. À l'époque même où se manifestaient dans la sphère ecclésiastique les abus que nous avons signalés, on voyait monter dans la chaire des prêtres qui, usant de la liberté de la parole presque égale à la licence des mœurs, dévoilaient et combattaient ces abus. Les voix du clergé français les plus écoutées s'élevaient contre la dépravation de la morale, et faisaient remarquer, dans les progrès de l'irréligion, le présage de la décadence de l'État. Un archidiacre de l'Église de Montpellier, nourri de l'étude de Bossuet et de Bourdaloue et qui s'était acquis une certaine renommée par le panégyrique de saint Louis, prononcé en présence de l'Académie française, avait été choisi en 1757 pour prêcher devant le Roi de France. L'abbé de Cambacérès (c'était son nom35) avait l'amour du bien, un grand zèle pour le service de l'Église et de l'humanité; dénué de toute ambition personnelle et peu soucieux des faveurs du prince, il étala devant Louis XV le tableau de la société et du gouvernement avec des paroles si vraies qu'elles étonnèrent le monarque et firent trembler les courtisans.

Ces avertissements descendirent encore de la chaire avec plus de précision. L'abbé de Beauvais, qui dut à ses vertus sacerdotales encore plus qu'à son éloquence son élévation à l'épiscopat36, prononça, dans les premiers mois de 1774, un sermon dont nous extrayons ce passage: «Sire, mon devoir de ministre d'un Dieu de vérité m'ordonne de vous dire que vos peuples sont malheureux, que vous en êtes la cause, et qu'on vous le laisse ignorer.» Ajoutons que l'orateur avait pris pour texte de son discours ces paroles de Jonas: «Adhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur. Encore quarante jours, et Ninive sera renversée.» Ces paroles doublement prophétiques ne retentirent pas en vain. Quarante jours après, le roi Louis XV mourut.

Le mercredi 27 avril 1774, ce prince, étant à Trianon, eut un frisson suivi de fièvre, de mal de tête et de douleurs dans les reins. Il se détermina à revenir à Versailles.

Le vendredi 29, il fut saigné deux fois, et dans la soirée la petite vérole parut. Cette atteinte n'offrit d'abord aucun signe alarmant.

La Gazette de France du lundi 9 mai donnait les nouvelles suivantes:

«De Versailles, le 8 mai 1774.

»Le 5 de ce mois, la petite vérole de Sa Majesté a fait beaucoup de progrès pendant la journée; le redoublement de la nuit a été plus fort que les précédents; il y a eu beaucoup de chaleur et même quelques moments de délire. Néanmoins la journée du 6 s'est passée fort tranquillement… La nuit suivante, le redoublement a été plus modéré, et quoiqu'il eût été moins long que dans la nuit précédente, Sa Majesté fit appeler de son propre mouvement l'abbé Maudeux, son confesseur, et demanda sur les sept heures du matin à recevoir le saint viatique, qui lui fut apporté par le cardinal de la Roche-Aymon, grand aumônier de France. La famille royale, les princes et princesses du sang, les grands officiers de la couronne, les ministres secrétaires d'État, etc., accompagnèrent le saint sacrement jusqu'aux appartements du Roi et le reconduisirent à la chapelle dans le même ordre. Les gardes françoises et suisses étoient sous les armes dans la grande cour du château et battoient aux champs. Sa Majesté a montré dans cette maladie beaucoup de force, de fermeté, de constance et de courage, et principalement dans cette occasion des sentiments de piété et de religion dignes d'un roi très-chrétien… La journée du 7 a été fort calme… Ce matin, vers les cinq heures et demie, le redoublement est devenu très-fort, et Sa Majesté a eu quelques moments de délire. Ces accidents ont été bientôt calmés par des efforts pour vomir qui sont survenus naturellement. La suppuration se soutient, et la plus grande partie des boutons du visage et du col sont déjà desséchés.»

Ce bulletin, fait pour rassurer sur les suites de la maladie, ne laissait pas que de causer une grande émotion. La consternation est dans Versailles. On annonce que l'air du château est infecté: cinquante personnes gagnent la petite vérole pour avoir traversé seulement la galerie; dix en meurent.

«Le Roi est à toute extrémité: outre la petite vérole, il a le pourpre; on ne peut entrer sans danger dans sa chambre. M. de Létorière est mort pour avoir entr'ouvert sa porte afin de le regarder deux minutes. Les médecins eux-mêmes prennent toutes sortes de précautions pour se préserver de la contagion de ce mal affreux, et Mesdames, qui n'ont jamais eu la petite vérole, qui ne sont plus jeunes, et dont la santé est naturellement mauvaise, sont toutes trois dans la chambre, assises près de son lit et sous ses rideaux; elles passent là le jour et la nuit. Tout le monde leur a fait à ce sujet les plus fortes représentations; on leur a dit que c'étoit plus que d'exposer leur vie, que c'étoit la sacrifier: rien n'a pu les empêcher de remplir ce pieux devoir37

La conduite de Mesdames inspira à Madame la Dauphine un sentiment d'estime et d'attachement dont elle se plut à leur donner de nombreux témoignages lorsqu'elle fut Reine. Madame Élisabeth, que son âge avait empêchée d'être initiée à ces détails, en apprit plus tard le récit, qui la pénétra aussi de respect pour ses tantes.

La seule pensée de la mort du Roi suffisait dans ce temps-là pour agiter profondément les esprits. De toutes parts s'élevaient des prières; les villes, les confréries, les abbayes, les communautés religieuses et les corps militaires faisaient célébrer des messes pour le rétablissement de la santé du Roi. La ville de Strasbourg disputait aux plus vieilles cités de la monarchie le droit de montrer en cette occasion des sentiments français. Dès qu'elle apprit la maladie du prince, elle ordonna des prières publiques; elle fit une procession générale, où derrière le saint sacrement marchèrent le maréchal de Contades et tous les corps du clergé, de la magistrature et de la noblesse. Pendant la grand'messe, les magistrats en corps se présentèrent à l'offrande, et firent lire par l'un des avocats généraux de la ville l'acte d'un vœu solennel, qui fut déposé sur l'autel.

«Dieu tout-puissant, arbitre des destinées, vous donnez aux peuples dans votre miséricorde les rois selon votre cœur. Les jours de notre auguste monarque Louis le Bien-Aimé sont menacés. Voyez le magistrat et le peuple prosternés aux pieds de vos autels. Ils viennent vous supplier de prolonger, pour la gloire de votre nom et pour notre bonheur, les jours précieux de notre monarque et notre père. En reconnoissance de ce bienfait, nous faisons le vœu public et solennel, au nom de cette ville, de renouveler annuellement nos actions de grâces par le sacrifice de la messe, que nous ferons célébrer à cet effet; et comme votre miséricorde entend de préférence la voix des pauvres, nous promettons de doter en mariage quatre personnes indigentes nées de cette ville, pour en jouir autant qu'il plaira à votre divine bonté de conserver la vie de notre Roi, pour laquelle nous offrons mille fois les nôtres.»

Ce vœu, que nous citons à cause de la manière dont il est énoncé, devait rester inexécuté. Dans la soirée du 8, l'état du Roi empira.

Dès qu'il connut la nature de son mal, Louis XV désespéra de sa guérison. «Je n'entends pas, dit-il, qu'on renouvelle ici la scène de Metz.» C'était ordonner le renvoi de madame du Barry. Elle se retira à Ruel chez le duc d'Aiguillon. Quelques personnes de la cour, au nombre de quinze, dit-on, crurent devoir l'y visiter. Leurs livrées furent remarquées. Une sorte de défaveur rejaillit sur ces personnes. Longtemps après, pour désigner l'une d'elles, on disait dans le cercle de la famille royale: «C'était une des quinze voitures de Ruel.»

M. le Dauphin, menacé d'être roi, demandait instamment à Dieu d'éloigner de lui ce malheur. Dans la matinée du 9 mai, il écrivit à l'abbé Terray ce billet, que l'histoire doit conserver: «Monsieur le contrôleur général, je vous prie de faire distribuer sur-le-champ deux cent mille francs aux pauvres de Paris, pour prier Dieu pour le Roi; et si vous trouvez que c'est trop cher, retenez-les sur nos pensions à Madame la Dauphine et à moi.»

Louis XV, sentant le danger où il se trouvait, demanda l'extrême-onction, qui lui fut administrée le 9, à neuf heures du soir, par l'évêque de Senlis, son premier aumônier. Il reçut ce sacrement avec une piété édifiante, et, malgré ses souffrances, ne cessa de joindre ses prières à celles qu'on faisait pour lui. «Le prêtre qui lui administra les derniers sacrements, rapporte Anquetil38, demanda publiquement, par son ordre et en son nom, pardon des scandales qu'il avait donnés.» Dans la nuit du 9 au 10, ses souffrances devinrent atroces; dans la matinée du 10, elles se calmèrent un peu, et à trois heures de l'après-midi, elles cessèrent tout à fait. Louis XV était âgé de soixante-quatre ans trois mois et cinq jours.

Un symptôme infaillible annonçait de minute en minute la fin de plus en plus prochaine du monarque. Une foule considérable encombrait les abords du palais, et l'Œil-de-bœuf se remplissait de courtisans.

Le Dauphin avait résolu de quitter Versailles avec sa famille au moment même de la mort du Roi. Dans une telle circonstance, il eût été peu convenable de transmettre de bouche en bouche des ordres positifs de départ. La bienséance inventa un moyen de correspondance entre le château et l'écurie: une bougie placée sur une fenêtre de l'appartement royal devait être éteinte aussitôt que le Roi aurait fermé les yeux. Les écuyers tenaient l'œil fixé sur cette petite lumière, avec laquelle allait finir un règne.

Au bout d'une demi-heure, la fenêtre s'ouvre et la lumière est éteinte. Les carrosses de la cour sont attelés, les gardes du corps, les écuyers, les pages montent à cheval. Cependant un bruit terrible et ressemblant, dit la chronique, à celui du tonnerre, se faisait entendre dans l'appartement de Louis XV: c'était la foule des courtisans désertant l'antichambre du Roi mort et se précipitant dans l'antichambre du nouveau Roi. C'est ce bruit étrange et sinistre qui annonça à Louis XVI et à Marie-Antoinette que leur règne commençait. Tous deux, par un mouvement spontané, tombèrent à genoux, les yeux pleins de larmes, et en s'écriant: «Mon Dieu! guidez-nous, protégez-nous; nous régnons trop jeunes.» À ce moment, madame la comtesse de Noailles entre, et la première salue Madame la Dauphine comme reine de France; elle prie Leurs Majestés de vouloir bien quitter les cabinets intérieurs pour venir dans la chambre recevoir les hommages de la famille royale et des grands officiers de la couronne. Appuyée au bras de son époux, un mouchoir sur les yeux, la jeune Reine, dans l'attitude la plus touchante, reçoit ces premières visites. Les carrosses sont avancés, l'escorte est à cheval; l'horloge du palais marque quatre heures; toute la cour part pour Choisy: Mesdames, tantes du Roi, dans leur voiture particulière, Madame Clotilde et Madame Élisabeth avec madame la comtesse de Marsan et leurs sous-gouvernantes; le Roi, la Reine, Monsieur, frère du Roi, Madame, le comte et la comtesse d'Artois réunis dans une même voiture.

Le château de Versailles est désert. Courtisans, serviteurs, laquais se hâtent de fuir l'atmosphère pestilentielle que désormais aucun intérêt ne donne le courage d'affronter. En quittant la chambre mortuaire, le duc de Villequier enjoint à M. Andouillé, premier chirurgien du Roi, d'ouvrir le corps et de l'embaumer. «Je dois nécessairement en mourir, répondit Andouillé, mais je suis prêt; seulement, pendant que j'opérerai, vous tiendrez la tête: votre charge vous en fait un devoir.» M. de Villequier se retira, n'insistant plus pour que l'opération fût faite; aussi ne le fut-elle pas. Il devint urgent de procéder le plus tôt possible à l'ensevelissement. Le cercueil fut apporté, les chirurgiens y firent verser une quantité d'esprit-de-vin. Quelques pauvres ouvriers, grassement rémunérés, mirent dans le linceul et couchèrent dans la bière celui qui peu d'heures auparavant était le roi de France.

Cependant le carrosse du nouveau Roi et de sa famille cheminait vers Choisy. La scène solennelle dont ils venaient d'être témoins, celle qui s'ouvrait devant eux, les disposaient naturellement à des pensées tristes et graves; mais à moitié route, un mot plaisamment estropié par madame la comtesse d'Artois fit éclater un rire électrique; les larmes furent essuyées, et les trois couples royaux reprirent le caractère de leur âge.

La Gazette de France du 13 mai contenait le panégyrique du feu Roi, rappelant les hauts faits accomplis sous son règne: la Lorraine acquise à la France, l'érection d'un grand nombre de monuments publics, l'établissement de l'École militaire, la protection accordée aux arts, les grandes voies ouvertes pour la facilité du commerce; puis la Gazette énumérait les qualités d'esprit et de cœur qui avaient conquis à ce prince l'affection populaire39. Les éloges décernés au royal défunt par un journal ne trouvèrent point d'écho dans les sentiments publics. On était loin du temps où la France en larmes avait prodigué à Louis XV des témoignages d'affection. Sans doute quelques pages militaires avaient honoré ce long règne; il léguait au pays des créations utiles et des acquisitions glorieuses. Mais lorsqu'on en pesait d'une main impartiale les torts et les mérites, c'était le plateau des torts qui emportait la balance. Le niveau de la France était descendu en Europe, et le niveau de la royauté était descendu en France. Louis XV, qui avait gaspillé le présent, laissait à son héritier un menaçant avenir. Le peuple apprenait que son Roi avait vaillamment supporté cette maladie purulente dont le dégoût augmente les douleurs; mais il avait vu dans les souffrances du prince le châtiment même de ses désordres.

Les Feuillants du monastère royal de Saint-Bernard, près des Tuileries, dont la mission est de prier au lit de mort des princes de la maison royale, avaient été, dès le soir du 10 mai, mandés par le grand aumônier pour remplir leur office. Leur charité et leur dévouement furent vaincus par l'insupportable odeur d'un cadavre en dissolution. Dès le 12, il devint indispensable de procéder à la levée du corps. À sept heures du soir, le convoi funèbre sortit du château, sans cérémonie, selon l'usage pratiqué pour les princes qui meurent de la petite vérole40. Le clergé des deux paroisses et les Récollets de Versailles suivirent le cercueil jusqu'à la place d'Armes; l'évêque de Senlis, premier aumônier de Sa Majesté, l'accompagna jusqu'à Saint-Denis. Le peuple, parsemé sur la route, se montra insensible à ces tristes funérailles, et plus d'une fois même il chargea d'imprécations la mémoire de ce prince qu'il avait surnommé le Bien-Aimé.

Toutefois les prières publiques se multiplièrent de toutes parts: il y avait au fond des cœurs pieux comme un besoin de demander à Dieu le repos de cette âme royale, et les églises41 n'attendaient pas à cet égard l'exemple ou le signal des évêques. Tous les corps civils et militaires de l'État, les villes, les tribunaux, les chapitres, les ordres religieux, toutes les communautés, toutes les confréries, toutes les classes de citoyens manifestèrent par des prières publiques des sentiments au fond desquels peut-être il eût été facile de trouver moins de regret pour le prince qui n'était plus, que de vœux pour le couple royal qui, sans force et sans expérience, venait d'être chargé de veiller sur la fortune publique.

34.On appelait ainsi autrefois un cadet apanagé. Le duc d'Orléans était juveigneur de la maison de France.
35.Mort en 1802. C'était l'oncle du prince archichancelier de l'empire et du cardinal-archevêque de Rouen.
36.Jean-Baptiste-Charles-Marie de Beauvais, évêque de Sénez, démissionnaire en 1783, nommé en 1789 député de la vicomté de Paris aux états généraux, mort le 4 avril 1790.
37.Souvenirs de Félicie.
38.Histoire de France, an XIII (1805), t. XIII, p. 196 à 203.
39.La plupart des princes de l'Europe avaient une respectueuse sympathie pour Louis XV. Informée de la mort de ce monarque, Marie-Thérèse écrivait de Luxembourg, le 18 mai 1774, à la jeune Reine de France: «Je regretterai toute ma vie ce prince et cet ami, votre bon et tendre beau-père. J'admire en même temps la grâce de Dieu d'avoir donné le moment au Roi de recourir à sa divine miséricorde, et les paroles du grand aumônier prononcées de la part du Roi ne peuvent se lire sans fondre en larmes et espérer son salut. Nous avons d'abord interdit tout spectacle ici; nous ne verrons personne avant le 24, où on mettra le grand deuil, et je le porterai tout le reste de mes jours. Je ne vous fais point de compliments sur votre dignité, qui est achetée bien chèrement, mais qui le deviendra encore plus si vous ne pouvez mener la même vie tranquille et innocente que vous avez menée pendant ces trois années, par les bontés et complaisances du bon père, et qui vous a attiré l'approbation et l'amour de vos peuples, grand avantage pour votre situation présente; mais il faut la savoir conserver et l'employer au bien du Roi et de l'État. Vous êtes tous deux bien jeunes, le fardeau est grand; j'en suis en peine et vraiment en peine. Sans que votre adorable père dans le cas pareil m'auroit soutenue, jamais je n'aurois pu en sortir, et j'étois plus âgée que vous deux. Tout ce que je puis vous souhaiter, c'est que vous ne précipitiez rien: voyez par vos propres yeux, ne changez rien, laissez tout continuer de même; le chaos et les intrigues deviendroient insurmontables, et vous seriez, mes chers enfants, si troublés que vous ne pourriez vous en tirer. Je puis vous en parler d'expérience. Quel autre intérêt pourrois-je avoir de vous conseiller d'écouter surtout les conseils de Mercy? Il connoît la cour et la ville; il est prudent et vous est entièrement attaché. Dans ce moment-ci regardez-le autant comme un ministre de vous que le mien, quoique cela combine très-bien. L'intérêt de nos deux États exige que nous nous tenions aussi étroitement liés d'intérêt comme de famille. Votre gloire, votre bien-être m'est autant à cœur que le nôtre. Ces malheureux temps de jalousie n'existent plus entre nos États et intérêts; mais notre sainte religion, le bien de nos États exigent que nous restions unis de cœur et d'intérêt, et que le monde soit convaincu de la solidité de ce lien… Mes vieux jours ne peuvent couler tranquillement qu'en vous voyant tous deux, mes chers enfants, heureux. J'en prie et ferai prier instamment à ce sujet. En vous donnant ma bénédiction, je suis toujours…»
40.Gazette de France du lundi 16 mai 1774.
41.Voir la note V à la fin du volume.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
31 temmuz 2017
Hacim:
723 s. 6 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
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