Kitabı oku: «Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux», sayfa 10

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XVIII
Une exécution place du Carrousel

Le samedi 26 août 1792, la diligence de Bordeaux déposait rue du Bouloi le citoyen Jacques Mérey, député à la Convention.

Une tristesse profonde planait sur Paris. Décidément Longwy, chose dont on avait douté pendant trois jours, était pris par trahison, et l'Assemblée nationale avait décrété à l'instant même que tout citoyen qui, dans une place assiégée, parlerait de se rendre, après confrontation faite avec les témoins qui auraient entendu la proposition infâme, et affirmation de ceux-ci, serait, sans autre forme de procès, mis à mort.

Les souverains alliés avaient, le 24 août, pris possession de Longwy au nom du roi de France.

La Commune de Paris, dans laquelle s'était déjà incarné le sentiment de la République, avait exigé de l'Assemblée la création d'un tribunal extraordinaire, et, malgré la résistance de Choudieu, qui avait dit: On veut une inquisition, je résisterai jusqu'à la mort; malgré celle de Thuriot, qui s'était écrié: La Révolution n'est pas seulement à la France, nous en sommes comptables à l'humanité, le tribunal extraordinaire avait été voté.

Il faut dire que, pendant les quelques jours qui venaient de s'écouler, la situation ne s'était point embellie. Le voile de deuil qui couvrait la France s'épaississait de plus en plus; les Prussiens étaient partis de Coblentz le 30 juillet. Ils avaient avec eux toute une cavalerie d'émigrés – ces messieurs étaient trop fiers pour servir dans l'infanterie; ils voulaient bien sauver le roi, mais à cheval. Cette cavalerie montait à quatre-vingt-dix escadrons. Le 18 août, ils avaient fait leur jonction avec le général autrichien. Les deux armées, fortes de cent mille hommes, avaient investi et pris Longwy.

L'ennemi marchait sur Verdun.

La Fayette, républicain en Amérique, constitutionnel en France, La Fayette, qui n'avait pas fait un pas depuis 83, c'est-à-dire depuis l'indépendance de l'Amérique jusqu'au 10 août, c'est-à-dire jusqu'à la chute de la monarchie française et que nous devions, sans qu'il eût fait un pas, retrouver en 1830 tel qu'il était en 1792, La Fayette avait appelé son armée à marcher sur Paris pour y défaire le 10-Août; mais l'armée n'avait pas bougé, et c'était lui qui avait été obligé de fuir, comme plus tard devait fuir Dumouriez, dont il eût fait le pendant dans l'histoire si les Autrichiens, en l'arrêtant et en le faisant prisonnier, n'avaient point donné à Béranger l'occasion de faire ce vers:

Des fers d'Olmutz nous effaçons l'empreinte

L'Assemblée l'avait décrété d'accusation. Dumouriez l'avait remplacé à l'armée de l'Est, en même temps que Kellermann remplaçait Luckner à l'armée du Nord.

On apprenait en même temps l'insurrection de la Vendée.

À l'est, la guerre du grand jour, la guerre étrangère.

À l'ouest, la guerre des ténèbres, la guerre civile.

L'une marchant au-devant de l'autre, Paris mis entre les deux.

Sans compter deux ennemis puissants:

Le prêtre, la femme.

Le prêtre, inviolable dans cette sombre forteresse de chêne où il se retire et qu'on appelle le confessionnal.

La femme, endoctrinée par lui, et qui a pour elle les pleurs et les soupirs sur l'oreiller.

– Qu'as-tu? demande le mari.

– Notre pauvre roi qui est au Temple! Notre pauvre curé qu'on veut forcer de prêter serment! la sainte Vierge s'en voile le visage; le petit Jésus en pleure.

Et le lit devenait l'allié du confessionnal.

Mais, par bonheur, voici l'arrière-garde du Nord qui s'avance. Un corps de trente mille Russes vient de se mettre en marche.

La Commune de Paris, plus en contact avec tous que l'Assemblée, sentait la conspiration contre-révolutionnaire ramper du palais à la mansarde et des carrefours aux prisons.

Elle rugissait.

L'Assemblée se sentait impuissante à repousser sans quelque grand coup l'ennemi du dehors, et surtout l'ennemi du dedans.

Elle s'effrayait.

Prenant un terme moyen, au lieu du grand coup que rêvait la Commune, elle avait décrété une grande démonstration.

– Mais que demandent donc les républicains? disaient les constitutionnels, les larmes aux yeux; les Suisses sont morts, les Tuileries sont foudroyées, le trône est en poussière; le roi est au Temple, les royalistes sont en prison. Demain va avoir lieu la fête expiatoire du 10-Août, et ce soir même, on exécute, en face des Tuileries, ce bon Laporte, ce fidèle serviteur du roi, qui est venu annoncer à l'Assemblée nationale, au nom de son maître en fuite, que ce maître n'avait jamais juré la Constitution que contraint et forcé, de sorte qu'il aimait mieux quitter la France que de tenir son serment.

C'est vrai! les cent-suisses étaient morts: mais la masse des royalistes était en armes et prête à agir; le roi avait perdu les Tuileries, avait perdu son trône, avait perdu sa liberté; mais, en perdant les Tuileries, le trône et la liberté, il gardait l'Europe; mais, en rompant avec la France, il avait tous les rois pour alliés et tous les prêtres pour amis. On allait célébrer l'apothéose des morts du 10-Août: mais, le soir où l'on avait appris la trahison de Longwy, les royalistes s'étaient montrés par groupes autour du Temple, échangeant des signes avec le roi; on allait exécuter Laporte: mais, tandis qu'on punissait le valet innocent, on laissait le maître coupable conspirer tout à son aise.

«L'histoire, dit Michelet, n'a gardé le souvenir d'aucun peuple qui soit entré si loin dans la mort. Quand la Hollande, voyant Louis XIV à ses portes, n'eut de ressource que de s'inonder, que de se noyer elle-même, elle fut en moindre danger, car elle avait l'Europe pour elle; quand Athènes vit le trône de Xerxès sur le rocher de Salamine, perdit terre, se jeta à la nage, n'eut plus que l'eau pour patrie, elle fut en moindre danger; elle était toute sur sa flotte, puissante, organisée dans la main du grand Thémistocle, et elle n'avait pas la trahison dans son sein; la France était désorganisée et presque dissoute, trahie, livrée et vendue.»

C'était juste en ce moment, c'est-à-dire dans l'après-midi du 26 août, que Jacques Mérey arrivait à Paris et se faisait conduire à l'hôtel de Nantes, qui dressait ses cinq étages sur la place du Carrousel.

Jacques Mérey commença par réparer le désordre causé à sa toilette par une nuit et deux journées de diligence. Son intention était d'aller immédiatement rendre visite à ses deux amis Danton et Camille Desmoulins.

C'était Danton qui, du temps où il était avocat au conseil du roi, avait obtenu pour Baptiste la pension viagère qui avait si fort étonné les bonnes gens d'Argenton.

Mais, au moment où, sa toilette achevée, il s'approchait machinalement de la fenêtre, il vit s'arrêter à quinze pas de l'hôtel une charrette peinte en rouge et portant tout un mécanisme peint de la même couleur.

Deux hommes, avec des bonnets rouges et des carmagnoles, étaient assis sur la première banquette de la voiture.

Un cabriolet suivait. Un homme, tout vêtu de noir, en descendit.

La Révolution ne lui avait rien fait changer à son costume: il portait la cravate blanche, les bas de soie et la poudre. Il paraissait âgé de soixante-cinq à soixante-six ans.

C'était Monsieur de Paris, autrement dit le bourreau.

Les deux hommes en carmagnole et en bonnet rouge étaient ses aides.

Le cabriolet s'éloigna. Monsieur de Paris resta pour faire dresser la guillotine.

Jacques Mérey était resté immobile à la fenêtre. Il avait beaucoup entendu parler de la nouvelle invention de M. Guillotin, et il avait même soutenu avec le célèbre Cabanis une discussion sur la douleur plus ou moins grande que devait causer la section des vertèbres, et sur la persistance de la vie chez le décapité.

Il n'était pas du tout de l'avis de M. Guillotin, qui prétendait que les gens qui auraient affaire à sa machine en seraient quittes pour une légère fraîcheur sur le cou, et qui affirmait qu'il n'avait qu'une crainte, c'est que la mort par la guillotine serait si douce qu'elle accroîtrait le nombre des suicides, et qu'on ne saurait comment se défaire des vieillards las de la vie qui voudraient absolument finir à l'aide de la nouvelle invention.

Jacques Mérey ne pouvait pas descendre pour examiner de près le fatal instrument, qui grandissait à vue d'œil sous ses yeux; mais il pouvait inviter Monsieur de Paris à monter chez lui, et avoir ainsi d'un professeur émérite tous les renseignements qu'il désirait obtenir sur l'invention et les améliorations de l'œuvre philanthropique qui, ne pouvant pas faire l'égalité des Français devant la vie, avait fait au moins l'égalité des Français devant la mort.

Et, comme il commençait à tomber une pluie fine qui le servait à merveille dans son dessein:

– Monsieur, dit-il à l'homme habillé de noir, il n'est point absolument besoin que vous restiez dehors et vous fassiez mouiller pour suivre l'érection de votre machine; montez chez moi, vous verrez aussi bien que de la place, et vous serez à couvert. En outre, comme je sais que vous êtes un homme instruit, quelque peu médecin même, nous causerons sérieusement de notre art commun, car je suis, moi, médecin tout à fait.

Monsieur de Paris, reconnaissant à l'aspect et à la parole de celui qui l'interpellait qu'il avait affaire à un homme sérieux et comme il faut, salua, et, donnant un dernier ordre à ses aides, il prit l'escalier latéral par lequel on montait aux appartements.

Jacques Mérey attendait l'homme noir à sa porte, qu'il tenait entrouverte pour lui indiquer l'endroit où il était attendu.

Le bourreau entra.

Tout le monde sait que l'exécuteur des hautes œuvres, M. Sanson, était un homme parfaitement distingué.

Jacques Mérey le reçut et le traita en conséquence.

Après les premiers compliments échangés:

– Monsieur, dit-il à l'exécuteur des hautes œuvres, j'ai connu autrefois un très habile praticien qui s'était, avant M. Guillotin, beaucoup occupé de la même question qui a illustré ce dernier.

– Ah! oui, dit Sanson, vous voulez parler du DrLouis, n'est-ce pas? celui qui était médecin par quartier du roi?

– Justement, dit Jacques, j'ai étudié sous lui, et j'ai été son élève.

– Eh bien, monsieur, reprit Sanson, je peux vous donner sur le DrLouis et sur ses essais tous les renseignements que vous pouvez désirer. Un jour, il nous convoqua à quatre heures du matin, dans la cour de Bicêtre. Un instrument dans le genre de celui-ci était dressé, et trois cadavres de la nuit même attendaient l'expérience qui devait être faite. Ce fut la première fois que je vis opérer le couperet et que je le mis en mouvement; car, vous savez, monsieur, que ce sont mes aides qui font tout, et que je n'ai, moi, qu'à détacher l'anneau du clou qui le retient et à le laisser glisser dans la rainure, comme vous pourrez d'ailleurs le voir tout à l'heure, si vous voulez assister – et vous êtes à merveille pour cela – à l'exécution de ce pauvre diable de Laporte.

– Oui, monsieur, c'est ce que je ferai, répondit Jacques Mérey, et au point de vue de la science, car je vous prie de croire que je ne suis nullement sanguinaire; mais revenons à l'instrument du Dr Louis, qui, autant que je puis me le rappeler, s'appela même un temps la petite Louisette. Je crois que l'expérience dont vous parlez ne lui fut pas favorable.

– C'est-à-dire, monsieur, que les deux premières exécutions réussirent à merveille. La tête fut détachée des cadavres comme elle l'eût été d'hommes vivants; mais la troisième échoua.

– Était-il arrivé quelque accident à la machine ou était-ce un vice de conformation? demanda le DrMérey.

– C'était un vice de conformation, non pas dans la machine, monsieur, mais dans le couperet. Le couperet tombait à plat, ce qui n'eût rien empêché s'il eût été secondé par une masse de plomb comme celle qui pèse sur lui aujourd'hui.

– Ah! je comprends! dit Jacques Mérey; ce fut le DrGuillotin qui inventa la taille en biseau et, comme Améric Vespuce, il détrôna Christophe Colomb.

– Non, monsieur, non; la chose ne s'est pas passée comme cela; le roi – je vous demande pardon, c'est une vieille habitude – , le citoyen Capet, voulais-je dire, qui s'occupe de mécanique, voulut non pas voir celle du DrLouis, mais s'en faire rendre compte; on lui en fit un dessin exact, qu'il examina avec soin; puis tout à coup, prenant une plume: «Là! dit-il, est le défaut.» Et il traça sur le fer cette ligne savante qui de carré le rendit triangulaire. Le DrGuillotin alla trouver le DrLouis avec le dessin du roi – pardon, du citoyen Capet – ; et, comme le DrLouis était déjà fort ennuyé qu'on eût donné à son invention le nom de petite Louisette, n'ayant pas besoin de cela pour sa réputation, il autorisa son confrère, le DrGuillotin, à faire à sa machine toutes les corrections qui lui conviendraient et même à la baptiser de son nom. Voilà comment le DrGuillotin est devenu l'auteur de cet instrument de supplice qui abaisse notre profession au niveau des plus humbles professions mécaniques, puisque maintenant, pour trancher une tête, il s'agit tout simplement de décrocher un anneau d'un clou, et qu'il n'est plus besoin, comme au temps où on décollait avec l'épée, de force ni d'adresse.

– Et vous regrettez ce temps là? dit Jacques Mérey.

– Oui, monsieur; l'épée à la main, nous étions des justiciers; la ficelle à la main, nous ne sommes plus que des bourreaux. Vous êtes jeune, vous, et vous regardez en avant; moi je suis vieux et je regrette le temps passé; mon fils, qui est mon premier aide et qui a quarante-deux ans, s'y est fait tout de suite; mon petit-fils, qui en a douze, n'y pensera plus et fera la chose comme si elle s'était toujours passée ainsi.

– Mais, dit Jacques Mérey, excusez mon indiscrétion, monsieur; vous paraissez voir avec tristesse les préparatifs de cette exécution.

– Oui, monsieur, c'est vrai. Je vous demande pardon de ne pas vous appeler citoyen et de ne pas vous tutoyer; mais comme vous pouvez le voir, et comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je suis vieux et ne puis arriver à perdre mes anciennes habitudes. Oui, cette exécution m'attriste profondément; je puis vous l'avouer, à vous, monsieur, qui me paraissez être un philosophe; nous sommes, dans notre famille, les vieux serviteurs de la royauté; il m'en coûte, à mon âge, de changer de maître et de devenir le valet du peuple.

– Mais alors pourquoi, pouvant déléguer votre fils à votre place pour l'exécution de ce soir, pourquoi la faites-vous vous-même?

– Quoique M. Laporte ne soit ni un grand seigneur, ni un noble, c'est un homme éminent, qui a servi le roi avec fidélité: j'aurais cru manquer à tous mes devoirs en n'assistant pas moi-même à ses derniers moments; il peut avoir quelque mission suprême à me confier, quelque secret important à me dire; je lui manquerais sur l'échafaud, et, quoique je ne sache pas si j'en descendrai vivant, tant je me sens faible, j'ai cru qu'il était de mon devoir d'y monter. Le soir de mon mariage, il y a de cela quarante-quatre ans, nous étions en train de danser joyeusement lorsqu'une troupe de jeunes seigneurs qui revenaient de quelque joyeuse expédition, voyant le premier étage que j'habitais illuminé comme pour une fête, monta et demanda le maître de la maison.

»Je m'approchai et m'inclinai devant eux, attendant respectueusement qu'ils voulussent bien dire la cause de leur visite.

» – Monsieur, me dit celui qui paraissait chargé de porter la parole pour les autres, nous sommes, comme vous pouvez le voir, des seigneurs de la Cour; il nous semble de bien bonne heure pour rentrer chez nous; vous nous paraissez en fête, quelque baptême ou quelque mariage? Nous vous promettons de ne porter malheur ni à l'enfant, ni à la mariée.

» – Monsieur, répondis-je, ce serait un grand honneur pour nous, mais je doute que vous nous le fassiez quand vous saurez qui je suis.

» – Qui êtes-vous donc? demanda-t-il.

» – Je suis Monsieur de Paris, répondis-je.

» – Comment! dit l'un d'eux, qui n'avait pas encore parlé; comment, monsieur, c'est vous qui décapitez, qui pendez, qui rouez, qui cassez les bras et les jambes?

» – C'est-à-dire, monsieur, entendons-nous, ce sont mes aides qui font tout cela, lorsqu'il s'agit du commun et de criminels vulgaires; mais lorsque, par hasard, le patient est un grand seigneur comme vous autres, messieurs, je me fais un honneur de remplir toutes ces fonctions moi-même.

»Vingt ans après, nous nous retrouvâmes face à face sur l'échafaud, ce jeune homme et moi; je lui tins ma parole, je l'exécutai moi-même, et je le fis souffrir le moins que je pus. C'était le baron de Lally-Tollendal.»

Jacques Mérey s'inclina; il admirait cette conscience d'autant plus sincèrement qu'en effet Sanson était fort pâle, et, à la vue des premières baïonnettes qui apparaissaient au guichet du Carrousel, paraissait près de se trouver mal.

Jacques Mérey lui offrit un verre de vin.

– Oui, monsieur, lui dit-il, si vous voulez me faire l'honneur de trinquer avec moi.

– Je le veux bien, répondit le docteur; mais à la condition que vous ferez raison à mon toast, quel qu'il soit.

– C'est convenu, monsieur; c'est bien le moins que je vous doive pour le grand honneur que vous me faites.

Jacques Mérey sonna, demanda une bouteille de madère et deux verres.

Il les emplit à moitié, en présenta un au bourreau, et, le choquant au sien:

– À l'abolition de la peine de mort! dit-il.

– Oh! de grand cœur, monsieur, dit Sanson. Dieu m'épargnerait ainsi de bien tristes journées que je prévois.

Les deux hommes choquèrent de nouveau leur verre et le vidèrent d'un trait.

– Maintenant, dit l'exécuteur des hautes œuvres, serait-ce indiscret à moi de demander le nom de l'homme qui n'a pas dédaigné de toucher mon verre du sien.

– Je m'appelle Jacques Mérey, monsieur, et suis député à la Convention.

– Ah! monsieur, laissez-moi vous baiser la main, car d'après ce que vous venez de dire, vous ne condamnerez pas à mort notre pauvre roi.

– Non, parce que je crois fermement que nul homme n'a le droit de reprendre ce qu'il n'a pas donné et ce qu'il ne peut pas rendre: la vie! Mais la peine la plus dure après la mort, je la demanderai pour lui, car ce baron de Lally, dont vous parliez tout à l'heure et que vous avez exécuté, était, près de l'homme qui a voulu livrer la France à l'étranger, plus blanc que la neige. Allez, monsieur, faites votre office terrible, et n'oubliez pas, toutes les fois que vous passerez sur cette place, qu'il y a au premier étage de l'hôtel de Nantes un philosophe qui vous sait gré de plaindre les victimes que vous exécutez, d'appeler Louis XVI «le roi,» et non «Capet,» de dire «monsieur» au lieu de «citoyen,» et qui est tout prêt à vous serrer la main chaque fois que vous lui tendrez la vôtre.

Sanson s'inclina avec la dignité d'un homme qui vient d'être relevé à ses propres yeux, et sortit.

En effet, les troupes commandées pour l'exécution commencèrent à envahir le Carrousel et formèrent un carré autour de l'échafaud, écartant tout le monde et laissant un espace vide entre les spectateurs et la fatale machine. La curiosité était encore grande, car c'était la quatrième ou cinquième fois qu'elle opérait, et comme l'avait dit le grand-père Sanson, c'était la première fois qu'il allait assister un patient.

Il était déjà sur l'échafaud lorsque le carré se forma. Il avait essayé du pied chaque marche de l'escalier; il avait pesé sur les planches de la plate-forme pour s'assurer de leur solidité; il faisait fonctionner la bascule pour voir si rien ne l'arrêterait; enfin il faisait glisser le couperet dans sa rainure pour voir si la rainure était suffisamment graissée.

C'est ainsi que, avant la représentation d'une pièce importante, le machiniste fait, la toile baissée, la répétition de ses décors.

L'exécution était fixée pour neuf heures; elle devait se faire aux flambeaux pour produire une plus grande impression.

À huit heures trois quarts, on commença d'entendre les roulements du tambour, qui, détendu à dessein, rendait ce son sourd et funèbre qui accompagne les convois.

Bientôt les premières torches parurent à la porte du Carrousel qui donne sur la Seine. Le condamné venait de la Conciergerie, et, pour surcroît de peine, il devait être exécuté devant ce palais qu'il avait, pendant près de quarante ans, habité avec le maître pour lequel il allait mourir.

La charrette où il était amené était entourée d'escadrons de cavalerie; en tête du cortège marchaient une soixantaine de sans-culottes portant des torches.

Le carré de soldats s'ouvrit pour laisser passer la charrette et son conducteur, assis sur le timon.

Le condamné était seul dans le fatal tombereau; il avait refusé un prêtre assermenté, et nul n'ayant prêté serment n'avait osé risquer sa tête à l'accompagner sur l'échafaud. Il était en chemise, en culotte et en bas de soie noire; le col de sa chemise était coupé au ras des épaules et ses cheveux au ras de la nuque.

Il regarda avec tristesse, mais non avec crainte, l'échafaud dressé devant lui.

– Est-il temps de descendre? demanda-t-il à haute voix.

– Attendez que l'on vous aide, cria un des valets.

– Inutile, répondit le patient, et, pourvu qu'on me mette le marchepied, je descendrai seul.

Puis, avec un sourire, et regardant le double rang d'infanterie et de cavalerie qui entourait l'échafaud:

– Vous n'avez pas peur que je me sauve, n'est-ce pas? dit-il.

On enleva alors la planche qui fermait le tombereau par derrière, on y plaça le marchepied. Le patient descendit seul et sans aide, tourna autour du tombereau, suivi du valet qui avait apporté le marchepied, et, en avant de l'escalier, où l'attendait le grand-père Sanson pour l'aider à monter sur la plate-forme, il trouva l'huissier, qui lui lut sa condamnation à mort pour cause de trahison au peuple.

– Ne pourriez-vous ajouter: et de fidélité au roi? demanda Laporte.

– Ce qui est écrit est écrit, dit l'huissier. Vous n'avez pas de révélation à faire?

– Non, répondit Laporte, sinon que j'espère que les trois quarts des Français sont coupables comme moi, et, à ma place, se seraient conduits comme moi.

L'huissier se dérangea et démasqua l'escalier de l'échafaud.

Sanson lui offrit le bras. Le patient, orgueilleux de montrer qu'il avait conservé toute sa force en face de la mort, refusait de s'y appuyer.

Sanson lui dit deux mots tout bas, et il ne fit plus aucune difficulté de monter, aidé par lui.

Il monta lentement, mais chacun put remarquer que c'était l'exécuteur qui ralentissait son pas; pendant ce temps, ils parlaient bas, et sans doute Laporte le chargeait-il de ses volontés dernières.

Arrivés sur la plate-forme, ils causèrent encore quelques secondes, puis Sanson lui demanda:

– Êtes-vous prêt?

– M'est-il permis de faire ma prière? demanda Laporte.

Sanson fit de la tête signe que oui.

Le patient s'agenouilla, mais il indiqua que ses mains liées derrière le dos le gênaient pour prier.

Sanson les lui délia à la condition qu'il se laisserait lier de nouveau lorsque la prière serait terminée.

Laporte rapprocha ses deux mains et dit à haute voix la prière suivante, que l'on put entendre au milieu du silence solennel qui se faisait autour de l'échafaud:

– Mon Dieu! pardonnez-moi mes péchés et regardez comme expiation la mort douloureuse que je vais supporter pour avoir été fidèle à mon roi. Qu'il sache que, à l'heure de ma mort, mon âme est à Dieu et que mon cœur est à lui.

Puis il ajouta en latin:

– In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum.

– Amen! dit à haute voix l'exécuteur.

De grands murmures coururent dans la foule; mais lorsqu'on vit le condamné se relever, faire le signe de la croix en se tournant du côté des Tuileries, et donner sans résistance ses mains à lier, cette résignation de victime toucha la foule, qui se tut.

Ce qui suivit eut la durée de l'éclair.

Le condamné fut poussé sur la bascule, sa tête glissa à travers la lucarne, le couperet tomba.

– La tête! la tête! cria la foule.

Le bourreau s'approcha d'un pas ferme, fouilla dans le panier, tirant par les cheveux blancs la tête souillée de sang, et la montra au peuple, qui battit des mains.

Mais, en même temps, on le vit vaciller, ses doigts se détendirent et lâchèrent la tête, qui roula de l'échafaud à terre, tandis que lui tombait mort sur la plate-forme.

– Un médecin! un médecin! crièrent les aides.

– Me voilà! répondit Jacques Mérey.

Et, se suspendant d'une main au balcon, il se laissa tomber dans la rue.

Non seulement la foule, mais la troupe elle-même s'ouvrit devant lui. On le vit rapidement traverser l'espace vide, monter deux à deux l'escalier de la plate-forme, en criant:

– Enlevez-lui son habit!

Alors, à genoux près du corps inerte, il lui posa la tête sur son genou, et déchirant sa chemise de manière à mettre le bras à découvert, il fouilla rapidement la veine d'un coup de lancette.

Mais, quoiqu'il se fût passé dix secondes à peine entre la chute de l'exécuteur et la tentative du docteur pour le rendre à la vie, le sang ne vint pas.

Le bourreau, fidèle à son devoir, était mort près de la victime, mort fidèle à son roi.

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19 mart 2017
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