Kitabı oku: «La dame de Monsoreau — Tome 1», sayfa 3
Bussy compta les ombres noires sur la muraille grise.
— Trois, quatre, cinq, dit-il, sans compter les laquais qui se tiennent sans doute dans un autre coin et qui accourront au premier appel des maîtres. On fait cas de moi, à ce qu'il paraît. Diable! voilà pourtant bien de la besogne pour un seul homme. Allons, allons! ce brave Saint-Luc ne m'a point trompé, et, dût-il me trouer le premier l'estomac dans la bagarre, je lui dirais: Merci de l'avertissement, compagnon.
Et, ce disant, il avançait toujours; seulement, son bras droit jouait à l'aise sous son manteau, dont, sans mouvement apparent, sa main gauche avait détaché l'agrafe.
Ce fut alors que Schomberg cria: Aux épées! et qu'à ce cri répété par ses quatre compagnons les gentilshommes bondirent au-devant de Bussy.
— Oui-da, messieurs, dit Bussy de sa voix aiguë, mais tranquille, on veut tuer, à ce qu'il parait, ce pauvre Bussy! C'est donc une bête fauve, c'est donc ce fameux sanglier que nous comptions chasser? Eh bien, messieurs, le sanglier va en découdre quelques uns, c'est moi qui vous le jure, et vous savez que je ne manque pas à ma parole.
— Soit! dit Schomberg; mais cela n'empêche pas que tu ne sois un grand malappris, seigneur Bussy d'Amboise, de nous parler ainsi à cheval, quand nous t'écoutons à pied.
Et, en disant ces paroles, le bras du jeune homme, vêtu de satin blanc, sortit du manteau, et étincela comme un éclair d'argent aux rayons de la lune, sans que Bussy pût deviner à quelle intention, si ce n'est à une intention de menace, correspondante au geste qu'il faisait.
Aussi allait-il répondre comme répondait d'ordinaire Bussy, lorsqu'au moment d'enfoncer les éperons dans le ventre de son cheval, il sentit l'animal plier et mollir sous lui. Schomberg, avec une adresse qui lui était particulière, et dont il avait déjà donné des preuves dans les nombreux combats soutenus par lui, tout jeune qu'il était, avait lancé une espèce de coutelas dont la large lame était plus lourde que le manche et l'arme, en taillant le jarret du cheval, était restée dans la plaie comme un couperet dans une branche de chêne.
L'animal poussa un hennissement sourd et tomba en frissonnant sur ses genoux.
Bussy, toujours préparé à tout, se trouva les deux pieds à terre et l'épée à la main.
— Ah! malheureux! dit-il, c'est mon cheval favori, vous me le payerez!
Et, comme Schomberg s'approchait, emporté par son courage, et calculant mal la portée de l'épée que Bussy tenait serrée au corps, comme on calcule mal la portée de la dent du serpent roulé en spirale, cette épée et ce bras se détendirent et lui crevèrent la cuisse.
Schomberg poussa un cri.
— Eh bien, dit Bussy, suis-je de parole? Un de décousu déjà. C'était le poignet de Bussy, et non le jarret de son cheval, qu'il fallait couper, maladroit!
Et, en un clin d'oeil, tandis que Schomberg comprimait sa cuisse avec son mouchoir, Bussy eut présenté la pointe de sa longue épée au visage, à la poitrine des quatre autres assaillants, dédaignant de crier, car appeler au secours, c'est-à-dire reconnaître qu'il avait besoin d'aide, était indigne de Bussy; seulement, roulant son manteau autour de son bras gauche, et s'en faisant un bouclier, il rompit, non pas pour fuir, mais pour gagner une muraille contre laquelle il pût s'adosser afin de n'être point pris par derrière, portant dix coups à la minute, et sentant parfois cette molle résistance de la chair qui indique que les coups ont porté. Une fois il glissa et regarda machinalement la terre. Cet instant suffit à Quélus, qui lui porta un coup dans le côté.
— Touché! cria Quélus.
— Oui, dans le pourpoint, répondit Bussy, qui ne voulait pas même avouer sa blessure, comme touchent les gens qui ont peur.
Et, bondissant sur Quélus, il lia si vigoureusement son épée, que l'arme sauta à dix pas du jeune homme. Mais il ne put poursuivre sa victoire, car au même instant d'O, d'Épernon et Maugiron l'attaquèrent avec une nouvelle furie. Schomberg avait bandé sa blessure, Quélus avait ramassé son épée; il comprit qu'il allait être cerné, qu'il n'avait plus qu'une minute pour gagner la muraille, et que, s'il ne profitait pas de cette minute, il allait être perdu.
Bussy fit en arrière un bond qui mit trois pas entre lui et les assaillants; mais quatre épées le rattrapèrent bien vite, et cependant c'était encore trop tard, car Bussy venait, grâce à un autre bond, de s'adosser au mur. Là il s'arrêta, fort comme Achille ou comme Roland, et souriant à cette tempête de coups qui s'abîmaient sur sa tête et cliquetaient autour de lui.
Tout à coup il sentit la sueur à son front et un nuage passa sur ses yeux.
Il avait oublié sa blessure, et les symptômes d'évanouissement qu'il venait d'éprouver la lui rappelaient.
— Ah! tu faiblis! s'écria Quélus redoublant ses coups.
— Tiens! dit Bussy, juges-en.
Et du pommeau de son épée il le frappa à la tempe. Quélus roula sous ce coup de poing de fer.
Puis, exalté, furieux comme le sanglier qui, après avoir tenu tête aux chiens, fond sur eux, il poussa un cri terrible, et s'élança en avant. D'O et d'Épernon reculèrent; Maugiron avait relevé Quélus, et le tenait embrassé; Bussy brisa du pied l'épée de ce dernier, taillada d'un coup d'estoc l'avant-bras de d'Épernon. Un instant Bussy fut vainqueur; mais Quélus revint à lui, mais Schomberg, tout blessé qu'il était, rentra en lice, mais quatre épées flamboyèrent de nouveau. Bussy se sentit perdu une seconde fois. Il rassembla toutes ses forces pour opérer sa retraite, et recula pas à pas pour regagner son mur. Déjà la sueur glacée de son front, le tintement sourd de ses oreilles, une taie douloureuse et sanglante étendue sur ses yeux, lui annonçaient l'épuisement de ses forces. L'épée ne suivait plus le chemin que lui traçait la pensée obscurcie. Bussy chercha le mur avec sa main gauche, le toucha, et le froid du mur lui fit du bien; mais, à son grand étonnement, le mur céda. C'était une porte entrebâillée. Alors Bussy reprit espoir, et reconquit toutes ses forces pour ce moment suprême. Pendant une seconde, ses coups furent rapides, et si violents, que toutes les épées s'écartèrent ou se baissèrent devant lui. Alors il se laissa glisser de l'autre côté de cette porte, et, se retournant, il la poussa d'un violent coup d'épaule. Le pêne claqua dans la gâche. C'était fini, Bussy était hors de danger, Bussy était vainqueur, puisqu'il était sauvé.
Alors, d'un oeil égaré par la joie, il vit à travers le guichet à l'étroit grillage les figures pâles de ses ennemis. Il entendit les coups d'épée furieux entamer le bois de la porte, puis des cris de rage, des appels insensés. Enfin, tout à coup il lui sembla que la terre manquait sous ses pieds, que la muraille vacillait. Il fit trois pas en avant et se trouva dans une cour, tourna sur lui-même et alla rouler sur les marches d'un escalier.
Puis il ne sentit plus rien, et il lui sembla qu'il descendait dans le silence et l'obscurité du tombeau.
CHAPITRE III
COMMENT IL EST DIFFICILE PARFOIS DE DISTINGUER LE RÊVE DE LA RÉALITÉ
Bussy avait eu le temps, avant de tomber, de passer son mouchoir sous sa chemise, et de boucler le ceinturon de son épée par-dessus, ce qui avait fait une espèce de bandage à la plaie vive et brûlante d'où le sang s'échappait comme un jet de flamme; mais, lorsqu'il en arriva là, il avait déjà perdu assez de sang pour que cette perte amenât l'évanouissement auquel nous avons vu qu'il avait succombé.
Cependant, soit que, dans ce cerveau surexcité par la colère et la souffrance, la vie persistât sous les apparences de l'évanouissement, soit que cet évanouissement cessât pour faire place à une fièvre qui fit place à un second évanouissement, voici ce que Bussy vit ou crut voir, dans cette heure de rêve ou de réalité, pendant cet instant de crépuscule placé entre l'ombre de deux nuits.
Il se trouvait dans une chambre avec des meubles de bois sculpté, avec une tapisserie à personnages et un plafond peint. Ces personnages, dans toutes les attitudes possibles, tenant des fleurs, portant des piques, semblaient sortir des murailles contre lesquelles ils s'agitaient pour monter au plafond par des chemins mystérieux. Entre les deux fenêtres, un portrait de femme était placé, éclatant de lumière; seulement il semblait à Bussy que le cadre de ce portrait n'était autre chose que le chambranle d'une porte. Bussy, immobile, fixé sur son lit comme par un pouvoir supérieur, privé de tous ses mouvements, ayant perdu toutes ses facultés, excepté celle de voir, regardait tous ces personnages d'un oeil terne, admirant les fades sourires de ceux qui portaient des fleurs, et les grotesques colères de ceux qui portaient des épées. Avait-il déjà vu ces personnages ou les voyait-il pour la première fois? C'est ce qu'il ne pouvait préciser, tant sa tête était alourdie.
Tout à coup la femme du portrait sembla se détacher du cadre, et une adorable créature, vêtue d'une longue robe de laine blanche, comme celle que portent les anges, avec des cheveux blonds tombant sur ses épaules, avec des yeux noirs comme du jais, avec de longs cils veloutés, avec une peau sous laquelle il semblait qu'on pût voir circuler le sang qui la teintait de rose, s'avança vers lui. Cette femme était si prodigieusement belle, ses bras étendus étaient si attrayants, que Bussy fit un violent effort pour aller se jeter à ses pieds. Mais il semblait retenu à son lit par des liens pareils à ceux qui retiennent le cadavre au tombeau, tandis que, dédaigneuse de la terre, l'âme immatérielle monte au ciel.
Cela le força de regarder le lit sur lequel il était couché, et il lui sembla que c'était un de ces lits magnifiques, sculptés sous François 1er, auquel pendaient des courtines de damas blanc, broché d'or.
A la vue de cette femme, les personnages de la muraille et du plafond cessèrent d'occuper Bussy. La femme du portrait était tout pour lui, et il cherchait à voir quel vide elle laissait dans le cadre. Mais un nuage que ses yeux ne pouvaient percer flottait devant ce cadre, et il lui en dérobait la vue; alors il reporta ses yeux sur le personnage mystérieux, et, concentrant sur la merveilleuse apparition tous ses regards, il se mit à lui adresser un compliment en vers comme il les faisait, c'est-à-dire couramment.
Mais soudain la femme disparut: un corps opaque s'interposait entre elle et Bussy; ce corps marchait lourdement et allongeait les mains comme fait le patient au jeu de Colin-Maillard.
Bussy sentit la colère lui monter à la tête, et il entra dans une telle rage contre l'importun visiteur, que, s'il eût eu la liberté de ses mouvements, il se fût certes jeté sur lui; il est même juste de dire qu'il l'essaya, mais la chose lui fut impossible.
Comme il s'efforçait vainement de se détacher du lit auquel il semblait enchaîné, le nouveau venu parla.
— Eh bien, demanda-t-il, suis-je enfin arrivé?
— Oui, maître, dit une voix si douce que toutes les fibres du coeur de Bussy en tressaillirent, et vous pouvez maintenant ôter votre bandeau.
Bussy fit un effort pour voir si la femme à la douce voix était bien la même que celle du portrait; mais la tentative fut inutile. Il n'aperçut devant lui qu'une jeune et gracieuse figure d'homme qui venait, selon l'invitation qui lui en avait été faite, d'ôter son bandeau, et qui promenait tout autour de la chambre des regards effarés.
— Au diable l'homme! pensa Bussy.
Et il essaya de formuler sa pensée par la parole ou par le geste, mais l'un lui fut aussi impossible que l'autre.
— Ah! je comprends maintenant, dit le jeune homme en s'approchant du lit, vous êtes blessé, n'est-ce pas, mon cher monsieur? Voyons, nous allons essayer de vous raccommoder.
Bussy voulut répondre; mais il comprit que cela était chose impossible. Ses yeux nageaient dans une vapeur glacée, et les extrêmes bourrelets de ses doigts le piquaient comme s'ils eussent été traversés par cent mille épingles.
— Est-ce que le coup est mortel? demanda avec un serrement de coeur et un accent de douloureux intérêt qui fit venir les larmes aux yeux de Bussy la voix douce qui avait déjà parlé, et que le blessé reconnut pour être celle de la dame du portrait.
— Dame! je n'en sais rien encore; mais je vais vous le dire, répliqua le jeune homme; en attendant il est évanoui.
Ce fut là tout ce que put comprendre Bussy; il lui sembla entendre comme le froissement d'une robe qui s'éloignait. Puis il crut sentir quelque chose comme un fer rouge qui traversait son flanc, et ce qui restait d'éveillé en lui acheva de s'évanouir.
Plus tard il fut impossible à Bussy de fixer la durée de cet évanouissement.
Seulement, lorsqu'il sortit de ce sommeil, un vent froid courait sur son visage; des voix rauques et discordantes écorchaient son oreille, il ouvrit les yeux pour voir si c'étaient les personnages de la tapisserie qui se querellaient avec ceux du plafond, et, dans l'espérance que le portrait serait toujours là, il tourna la tête de tous côtés. Mais de tapisserie, point; de plafond, pas davantage. Quant au portrait, il avait complètement disparu. Bussy n'avait à sa droite qu'un homme vêtu de gris avec un tablier blanc retroussé à la ceinture et taché de sang; à sa gauche, qu'un moine genovéfain, qui lui soulevait la tête, et devant lui, qu'une vieille femme marmottant des prières.
L'oeil errant de Bussy s'attacha bientôt à une masse de pierres qui se dressait devant lui, et monta jusqu'à la plus grande hauteur de ces pierres pour la mesurer; il reconnut alors le Temple, ce donjon flanqué de murs et de tours; au-dessus du Temple le ciel blanc et froid, légèrement doré par le soleil levant.
Bussy était purement et simplement dans la rue, ou plutôt sur le rebord d'un fossé, et ce fossé était celui du Temple.
— Ah! merci, mes braves gens, dit-il, pour la peine que vous avez prise de m'apporter ici. J'avais besoin d'air, mais on aurait pu m'en donner en ouvrant les fenêtres, et j'eusse été mieux sur mon lit de damas blanc et or que sur cette terre nue. N'importe, il y a dans ma poche, à moins que vous ne vous soyez déjà payés vous-mêmes, ce qui serait prudent, quelque vingt écus d'or; prenez, mes amis, prenez.
— Mais, mon gentilhomme, dit le boucher, nous n'avons pas eu la peine de vous apporter, et vous étiez là, bien véritablement là. Nous vous y avons trouvé, en passant au point du jour.
— Ah! diable! dit Bussy; et le jeune médecin y était-il?
Les assistants se regardèrent.
— C'est un reste de délire, dit le moine en secouant la tête. Puis, revenant à Bussy:
— Mon fils, lui dit-il, je crois que vous feriez bien de vous confesser.
Bussy regarda le moine d'un air effaré.
— Il n'y avait pas de médecin, pauvre cher jeune homme, dit la vieille. Vous étiez là, seul, abandonné, froid comme un mort. Voyez, il y a un peu de neige, et votre place est dessinée en noir sur la neige.
Bussy jeta un regard sur son côté endolori, se rappela avoir reçu un coup d'épée, glissa la main sous son pourpoint et sentit son mouchoir à la même place, fixé sur la plaie par le ceinturon de son épée.
— C'est singulier, dit-il.
Déjà, profitant de la permission qu'il leur avait donnée, les assistants se partageaient sa bourse avec force exclamations pitoyables à son endroit.
— Là, dit-il quand le partage fut achevé, c'est fort bien, mes amis.
Maintenant, conduisez-moi à mon hôtel.
— Ah! certainement, certainement, pauvre cher jeune homme, dit la vieille; le boucher est fort, et puis il a son cheval, sur lequel vous pouvez monter.
— Est-ce vrai? dit Bussy.
— C'est la vérité du bon Dieu! dit le boucher, et moi et mon cheval sommes à votre service, mon gentilhomme.
— C'est égal, mon fils, dit le moine, tandis que le boucher va chercher son cheval, vous feriez bien de vous confesser.
— Comment vous appelez-vous? demanda Bussy.
— Je m'appelle frère Gorenflot, répondit le moine.
— Eh bien, frère Gorenflot, dit Bussy en s'accommodant sur son derrière, j'espère que le moment n'est pas encore venu. Aussi, mon père, au plus pressé. J'ai froid, et je voudrais être à mon hôtel pour me réchauffer.
— Et comment s'appelle votre hôtel?
— Hôtel de Bussy.
— Comment! s'écrièrent les assistants, hôtel de Bussy!
— Oui, qu'y a-t-il d'étonnant à cela?
— Vous êtes donc des gens de M. de Bussy.
— Je suis M. de Bussy lui-même.
— Bussy! s'écria la foule, le seigneur de Bussy, le brave Bussy, le fléau des mignons... Vive Bussy!
Et le jeune homme, enlevé sur les épaules de ses auditeurs, fut reporté en triomphe en son hôtel, tandis que le moine s'en allait comptant sa part des vingt écus d'or, secouant la tête et murmurant:
— Si c'est ce sacripant de Bussy, cela ne m'étonne plus qu'il n'ait pas voulu se confesser.
Une fois rentré dans son hôtel, Bussy fit appeler son chirurgien ordinaire, lequel trouva la blessure sans conséquence.
— Dites-moi, lui dit Bussy, cette blessure n'a-t-elle pas été pansée?
— Ma foi! dit le docteur, je ne l'affirmerais pas, quoique, après tout, elle paraisse bien fraîche.
— Et, demanda Bussy, est-elle assez grave m'avoir donné le délire?
— Certainement.
— Diable! fit Bussy; cependant cette tapisserie avec ses personnages portant des fleurs et des piques, ce plafond à fresques, ce lit sculpté et tendu de damas blanc et or, ce portrait entre les deux fenêtres, cette adorable femme blonde aux yeux noirs, ce médecin qui jouait à Colin-Maillard, et à qui j'ai failli crier casse-cou, ce serait donc du délire? et il n'y aurait de vrai que mon combat avec les mignons? Où me suis-je donc battu, déjà? Ah! oui, c'est cela. C'était près de la Bastille, vers la rue Saint-Paul. Je me suis adossé à un mur; ce mur, c'était une porte, et cette porte a cédé heureusement. Je l'ai refermée à grand'peine, je me suis trouvé dans une allée. Là, je ne me rappelle plus rien jusqu'au moment où je me suis évanoui. Ou bien ai-je rêvé, maintenant? voici la question. Ah! et mon cheval, à propos? On doit avoir retrouvé mon cheval mort sur la place. Docteur, appelez, je vous prie, quelqu'un.
Le docteur appela un valet.
Bussy s'informa et il apprit que l'animal, saignant, mutilé, s'était traîné jusqu'à la porte de l'hôtel, et qu'on l'avait trouvé là, hennissant, à la pointe du jour. Aussitôt l'alarme s'était répandue dans l'hôtel; tous les gens de Bussy, qui adoraient leur maître, s'étaient mis à sa recherche, et la plupart d'entre eux n'étaient pas encore rentrés.
— Il n'y a donc que le portrait, dit Bussy, qui demeure pour moi à l'état de rêve, et c'en était un en effet. Quelle probabilité y a-t-il qu'un portrait se détache de son cadre pour venir converser avec un médecin qui a les yeux bandés? C'est moi qui suis un fou. Et cependant, quand je me le rappelle, ce portrait était bien charmant. Il avait...
Bussy se mit à détailler le portrait, et, à mesure qu'il en repassait tout les détails dans sa mémoire, un frisson voluptueux, ce frisson de l'amour qui réchauffe et chatouille le coeur, passait comme un velours sur sa poitrine brûlante.
— Et j'aurais rêvé tout cela! s'écria Bussy, tandis que le docteur posait l'appareil sur sa blessure. Mordieu! c'est impossible, on ne fait pas de pareils rêves. — Récapitulons.
Et Bussy se mit à répéter pour la centième fois:
— J'étais au bal; Saint-Luc m'a prévenu qu'on devait m'attendre du côté de la Bastille. J'étais avec Antraguet, Ribeirac et Livarot. Je les ai renvoyés. J'ai pris ma route par le quai, le Grand-Châtelet, etc., etc. A l'hôtel des Tournelles, j'ai commencé d'apercevoir les gens qui m'attendaient. Ils se sont rués sur moi, m'ont estropié mon cheval. Nous nous sommes rudement battus. Je suis entré dans une allée; je me suis trouvé mal, et puis... ah! voilà! c'est cet et puis qui me tue; il y a une fièvre, un délire, un rêve, après cet et puis. Et puis, ajouta-t-il avec un soupir, je me suis retrouvé sur le talus des fossés du Temple, où un moine genovéfain a voulu me confesser. — C'est égal, j'en aurai le coeur net, reprit Bussy après un silence d'un instant, qu'il employa encore à rappeler ses souvenirs. Docteur, me faudra-t-il donc garder encore la chambre quinze jours pour cette égratignure, comme j'ai fait pour la dernière?
— C'est selon. Voyons, est-ce que vous ne pouvez pas marcher? demanda le chirurgien.
— Moi, au contraire, dit Bussy. Il me semble que j'ai du vif-argent dans les jambes.
— Faites quelques pas.
Bussy sauta à bas de son lit, et donna la preuve de ce qu'il avait avancé en faisant assez allègrement le tour de sa chambre.
— Cela ira, dit le médecin, pourvu que vous ne montiez pas à cheval et que vous ne fassiez pas dix lieues pour le premier jour.
— A la bonne heure! s'écria Bussy, voilà un médecin! cependant j'en ai vu un autre cette nuit. Ah! oui, bien vu, j'ai sa figure gravée là, et, si je le rencontre jamais, je le reconnaîtrai, j'en réponds.
— Mon cher seigneur, dit le médecin, je ne vous conseille pas de le chercher; on a toujours un peu de fièvre après les coups d'épée; vous devriez cependant savoir cela, vous qui êtes à votre douzième.
— Oh! mon Dieu! s'écria tout à coup Bussy, frappé d'une idée nouvelle, car il ne songeait qu'au mystère de sa nuit, est-ce que mon rêve aurait commencé au delà de la porte, au lieu de commencer en deçà? Est-ce qu'il n'y aurait pas eu plus d'allée et d'escalier qu'il n'y avait de lit de damas blanc et or, et de portrait? Est-ce que ces brigands-là, me croyant tué, m'auraient porté tout bellement jusqu'aux fossés du Temple, afin de dépister quelque spectateur de la scène? Alors, c'est pour le coup que j'aurais bien certainement rêvé le reste. Dieu saint! si c'est vrai, s'ils m'ont procuré le rêve qui m'agite, qui me dévore, qui me tue, je fais serment de les éventrer tous jusqu'au dernier!
— Mon cher seigneur, dit le médecin, si vous voulez vous guérir promptement, il ne faut pas vous agiter ainsi.
— Excepté cependant ce bon Saint-Luc, continua Bussy sans écouter ce que lui disait le docteur. Celui-là, c'est autre chose; il s'est conduit en ami pour moi. Aussi je veux qu'il ait ma première visite.
— Seulement, pas avant ce soir, à cinq heures, dit le médecin.
— Soit, dit Bussy; mais, je vous assure, ce n'est pas de sortir et de voir du monde qui peut me rendre malade, mais de me tenir en repos et de demeurer seul.
— Au fait, c'est possible, dit le docteur, vous êtes en toutes choses un singulier malade, agissez à votre guise, monseigneur; je ne vous recommande plus qu'une chose: c'est de ne pas vous faire donner un autre coup d'épée avant que celui-là soit guéri.
Bussy promit au médecin de faire ce qu'il pourrait pour cela, et, s'étant fait habiller, il appela sa litière et se fit porter à l'hôtel Montmorency.