Kitabı oku: «La dame de Monsoreau — Tome 1», sayfa 9
Le duc fronça le sourcil, crispa ses poings avec colère, pâlit et mit son cheval à un si furieux galop, que Bussy et les siens demeurèrent en arrière.
— Ah! ah! dit Antraguet, il me semble que la plaisanterie est bonne.
— D'autant meilleure, répondit Livarot, qu'elle ne fait pas, ce me semble, à tout le monde l'effet d'une plaisanterie.
— Diable! fit Bussy, il paraîtrait que je l'ai sanglé ferme, le pauvre duc!
Un instant après, on entendit la voix de M. d'Anjou qui criait:
— Eh! Bussy, où es-tu? viens donc!
— Me voici, monseigneur, dit Bussy en s'approchant.
Il trouva le prince éclatant de rire.
— Tiens! dit-il, monseigneur; il paraît que ce que je vous ai dit est devenu drôle.
— Non, Bussy, je ne ris pas de ce que tu m'as dit.
— Tant pis, je l'aimerais mieux; j'aurais eu le mérite de faire rire un prince qui ne rit pas souvent.
— Je ris, mon pauvre Bussy, de ce que tu plaides le faux pour savoir le vrai.
— Non, le diable m'emporte, monseigneur! je vous ai dit la vérité.
— Bien. Alors, pendant que nous ne sommes que nous deux, voyons, conte-moi ta petite histoire; où donc as-tu pris ce que tu es venu me conter?
— Dans les bois de Méridor, monseigneur! Cette fois encore le duc pâlit, mais il ne dit rien.
— Décidément, murmura Bussy, le duc se trouve mêlé en quelque chose dans l'histoire du ravisseur au cheval noir et de la femme à la haquenée blanche.
Voyons, monseigneur, ajouta tout haut Bussy en riant à son tour de ce que le duc ne riait plus, s'il y a une manière de vous servir qui vous plaise mieux que les autres, enseignez-nous-la, nous en profiterons, dussions-nous faire concurrence à M. de Monsoreau.
— Pardieu oui, Bussy, dit le duc, il y en a une, et je te la vais expliquer.
Le duc tira Bussy à part.
— Écoute, lui dit-il, j'ai rencontré par hasard à l'église une femme charmante: comme quelques traits de son visage, cachés sous un voile, me rappelaient ceux d'une femme que j'avais beaucoup aimée, je l'ai suivie et me suis assuré du lieu où elle demeure. Sa suivante est séduite, et j'ai une clef de la maison.
— Eh bien, jusqu'à présent, monseigneur, il me semble que voilà qui va bien.
— Attends. On la dit sage, quoique libre, jeune et belle.
— Ah! monseigneur, voilà que nous entrons dans le fantastique.
— Écoute, tu es brave, tu m'aimes, à ce que tu prétends?
— J'ai mes jours.
— Pour être brave?
— Non, pour vous aimer.
— Bien. Es-tu dans un de ces jours-là?
— Pour rendre service à Votre Altesse, je m'y mettrai. Voyons.
— Eh bien, il s'agirait de faire pour moi ce qu'on ne fait d'ordinaire que pour soi-même.
— Ah! ah! dit Bussy, est-ce qu'il s'agirait, monseigneur, de faire la cour à votre maîtresse, pour que Votre Altesse s'assure qu'elle est réellement aussi sage que belle? Cela me va.
— Non; mais il s'agit de savoir si quelque autre ne la lui fait pas.
— Ah! voyons, cela s'embrouille, monseigneur, expliquons-nous.
— Il s'agirait de t'embusquer et de me dire quel est l'homme qui vient chez elle.
— Il y a donc un homme?
— J'en ai peur.
— Un amant, un mari?
— Un jaloux, tout au moins.
— Tant mieux, monseigneur.
— Comment, tant mieux?
— Cela double vos chances.
— Merci. En attendant, je voudrais savoir quel est cet homme.
— Et vous me chargez de m'en assurer.
— Oui, et si tu consens à me rendre ce service...
— Vous me ferez grand veneur à mon tour, quand la place sera vacante?
— Ma foi, Bussy, j'en prendrais d'autant mieux l'obligation, que jamais je n'ai rien fait pour toi.
— Tiens! monseigneur s'en aperçoit?
— Il y a longtemps déjà que je me le dis.
— Tout bas, comme les princes se disent ces choses-là.
— Eh bien?
— Quoi, monseigneur?
— Consens-tu?
— A épier la dame?
— Oui.
— Monseigneur, la commission, je l'avoue, me flatte médiocrement, et j'en aimerais mieux une autre.
— Tu t'offrais à me rendre service, Bussy, et voilà déjà que tu recules!
— Dame! vous m'offrez un métier d'espion, monseigneur.
— Eh non, métier d'ami; d'ailleurs, ne crois pas que je te donne une sinécure; il faudra peut-être tirer l'épée.
Bussy secoua la tête.
— Monseigneur, dit-il, il y a des choses qu'on ne fait bien que soi-même; aussi faut-il les faire soi-même, fût-on prince.
— Alors tu me refuses?
— Ma foi oui, monseigneur.
Le duc fronça le sourcil.
— Je suivrai donc ton conseil, dit-il; j'irai moi-même, et, si je suis tué ou blessé dans cette circonstance, je dirai que j'avais prié mon ami Bussy de se charger de ce coup d'épée à donner ou à recevoir, et que, pour la première fois de sa vie, il a été prudent.
— Monseigneur, répondit Bussy, vous m'avez dit l'autre soir: «Bussy, j'ai en haine tous ces mignons de la chambre du roi, qui en toute occasion nous raillent et nous insultent; tu devrais bien aller aux noces de Saint-Luc soulever une occasion de querelle et nous en défaire.» Monseigneur, j'y suis allé; ils étaient cinq; j'étais seul; je les ai défiés; ils m'ont tendu une embuscade, m'ont attaqué tous ensemble m'ont tué mon cheval, et cependant j'en ai blessé deux et j'ai assommé le troisième. Aujourd'hui vous me demandez de faire du tort à une femme. Pardon, monseigneur, cela sort des services qu'un prince peut exiger d'un galant homme, et je refuse.
— Soit, dit le duc, je ferai ma faction tout seul, ou avec Aurilly, comme je l'ai déjà faite.
— Pardon, dit Bussy, qui sentit comme un voile se soulever dans son esprit.
— Quoi?
— Est-ce que vous étiez en train de monter votre faction, monseigneur, lorsque l'autre jour vous avez vu les mignons qui me guettaient?
— Justement.
— Votre belle inconnue, demanda Bussy, demeure donc du côté de la Bastille?
— Elle demeure en face de Sainte-Catherine.
— Vraiment?
— C'est un quartier où l'on est égorgé parfaitement, tu dois en savoir quelque chose.
— Est-ce que Votre Altesse a guetté encore, depuis ce soir-là?
— Hier.
— Et monseigneur a vu?
— Un homme qui furetait dans tous les coins de la place, sans doute pour voir si personne ne l'épiait, et qui, selon toute probabilité, m'ayant aperçu, s'est tenu obstinément devant cette porte.
— Et cet homme était seul, monseigneur? demanda Bussy.
— Oui, pendant une demi-heure à peu près,
— Et après cette demi-heure?
— Un autre homme est venu le rejoindre, tenant une lanterne à la main.
— Ah! ah! fit Bussy.
— Alors l'homme au manteau... continua le prince.
— Le premier avait un manteau? interrompit Bussy.
— Oui. Alors l'homme au manteau et l'homme à la lanterne se sont mis à causer ensemble, et, comme ils ne paraissaient pas disposés à quitter leur poste de la nuit, je leur ai laissé la place et je suis revenu.
— Dégoûté de cette double épreuve?
— Ma foi oui, je l'avoue... De sorte qu'avant de me fourrer dans cette maison, qui pourrait bien être quelque égorgeoir...
— Vous ne seriez pas fâché qu'on y égorgeât un de vos amis.
— Ou plutôt que cet ami, n'étant pas prince, n'ayant pas les ennemis que j'ai, et d'ailleurs habitué à ces sortes d'aventures, étudiât la réalité du péril que je puis courir, et m'en vînt rendre compte.
— A votre place, monseigneur, dit Bussy, j'abandonnerais cette femme.
— Non pas.
— Pourquoi?
— Elle est trop belle.
— Vous dites vous-même qu'à peine vous l'avez vue.
— Je l'ai vue assez pour avoir remarqué d'admirables cheveux blonds.
— Ah!
— Des yeux magnifiques.
— Ah! ah!
— Un teint comme je n'en ai jamais vu, une taille merveilleuse.
— Ah! ah! ah!
— Tu comprends qu'on ne renonce pas facilement à une pareille femme.
— Oui, monseigneur, je comprends; aussi la situation me touche.
Le duc regarda Bussy de côté.
— Parole d'honneur, dit Bussy.
— Tu railles.
— Non, et la preuve, c'est que, si monseigneur veut me donner ses instructions et m'indiquer le logis, je veillerai ce soir.
— Tu reviens donc sur ta décision?
— Eh! monseigneur, il n'y a que notre saint-père Grégoire XIII qui ne soit pas faillible; seulement dites-moi ce qu'il y aura à faire.
— Il y aura à te cacher à distance de la porte que je t'indiquerai, et, si un homme entre, à le suivre, pour t'assurer qui il est.
— Oui; mais si, en entrant, il referme la porte derrière lui?
— Je t'ai dit que j'avais une clef.
— Ah! c'est vrai; il n'y a plus qu'une chose à craindre, c'est que je suive un autre homme, et que la clef n'aille à une autre porte.
— Il n'y a pas à s'y tromper; cette porte est une porte d'allée; au bout de l'allée à gauche, il y a un escalier; tu montes douze marches et tu te trouves dans le corridor.
— Comment savez-vous cela, monseigneur, puisque vous n'avez jamais été dans la maison?
— Ne t'ai-je point dit que j'avais pour moi la suivante? Elle m'a tout expliqué.
— Tudieu! que c'est commode d'être prince, on vous sert votre besogne toute faite. Moi, monseigneur, il m'eût fallu reconnaître la maison moi-même, explorer l'allée, compter les marches, sonder le corridor. Cela m'eût pris un temps énorme, et qui sait encore si j'eusse réussi?
— Ainsi donc tu consens?
— Est-ce que je sais refuser quelque chose à Votre Altesse? Seulement vous viendrez avec moi pour m'indiquer la porte.
— Inutile; en rentrant de la chasse, nous faisons un détour; nous passons par la porte Saint-Antoine, et je te la fais voir.
— A merveille, monseigneur! et que faudra-t-il faire à l'homme, s'il vient?
— Rien autre chose que de le suivre jusqu'à ce que tu aies appris qui il est.
— C'est délicat; si, par exemple, cet homme pousse la discrétion jusqu'à s'arrêter au milieu du chemin et à couper court à mes investigations?
— Je te laisse le soin de pousser l'aventure du côté qu'il te plaira.
— Alors, Votre Altesse m'autorise à faire comme pour moi.
— Tout à fait.
— Ainsi ferai-je, monseigneur.
— Pas un mot à tous nos jeunes seigneurs.
— Foi de gentilhomme!
— Personne avec toi dans cette exploration.
— Seul, je vous le jure.
— Eh bien, c'est convenu, nous revenons par la Bastille. Je te montre la porte... tu viens chez moi... je te donne la clef... et ce soir...
— Je remplace monseigneur; voilà qui est dit.
Bussy et le prince revinrent joindre alors la chasse, que M. de Monsoreau conduisait en homme de génie. Le roi fut charmé de la manière précise dont le chasseur consommé avait fixé toutes les haltes et disposé tous les relais. Après avoir été chassé deux heures, après avoir été tourné dans une enceinte de quatre ou cinq lieues, après avoir été vu vingt fois, l'animal revint se faire prendre juste à son lancer.
M. de Monsoreau reçut les félicitations du roi et du duc d'Anjou.
— Monseigneur, dit-il, je me trouve trop heureux d'avoir pu mériter vos compliments, puisque c'est à vous que je dois la place.
— Mais vous savez, monsieur, dit le duc, que pour continuer à les mériter, il faut que vous partiez ce soir pour Fontainebleau; le roi veut y chasser après demain et les jours suivants, et ce n'est pas trop d'un jour pour prendre connaissance de la forêt.
— Je le sais, Monseigneur, répondit Monsoreau, et mon équipage est déjà préparé. Je partirai cette nuit.
— Ah! voila! monsieur de Monsoreau, dît Bussy; désormais plus de repos pour vous. Vous avez voulu être grand veneur, vous l'êtes; il y a, dans la charge que vous occupez, cinquante bonnes nuits de moins que pour les antres hommes; heureusement encore que vous n'êtes point marié, mon cher monsieur.
Bussy riait en disant cela: le duc laissa errer un regard perçant sur le grand veneur; puis tournant la tête d'un autre côté, il alla faire ses compliments au roi sur l'amélioration qui depuis la veille paraissait s'être fait en sa santé.
Quant à Monsoreau, il avait, à la plaisanterie de Bussy, encore une fols pâli de cette pâleur hideuse qui lui donnait un si sinistre aspect.
CHAPITRE XII
COMMENT BUSSY RETROUVA A LA FOIS LE PORTRAIT ET L'ORIGINAL
La chasse fut terminée vers les quatre heures du soir: et à cinq heures, comme si le roi avait prévu les désirs du duc d'Anjou, toute la cour rentrait à Paris par le faubourg Saint-Antoine.
M. de Monsoreau, sous le prétexte de partir à l'instant même, avait pris congé des princes, et se dirigeait avec ses équipages vers Fromenteau.
En passant devant la Bastille, le roi fit remarquer à ses amis la fière et sombre apparence de la forteresse: c'était un moyen de leur rappeler ce qui les attendait, si par hasard, après avoir été ses amis, ils devenaient ses ennemis, Beaucoup comprirent et redoublèrent de déférence envers Sa Majesté.
Pendant ce temps, le duc d'Anjou disait tout bas à Bussy, qui marchait à ses côtés:
— Regarde bien, Bussy, regarde bien à droite, cette maison de bois qui abrite sous son pignon une petite statue de la Vierge; suis de l'oeil la même ligne et compte, la maison à la Vierge comprise, quatre autres maisons.
— Bien, dit Bussy.
— C'est la cinquième, dit le duc, celle qui est juste en face de la rue Sainte-Catherine.
— Je la vois. Monseigneur; tenez, voici, au bruit de nos trompettes qui annoncent la roi, toutes les maisons qui se garnissent de curieux.
— Excepté celle que je t'indique, cependant, dit le duc, dont les fenêtres demeurent fermées,
— Mais dont un coin du rideau s'entr'ouvre, dit Bussy avec un effroyable battement de coeur.
— Sans que toutefois on puisse rien apercevoir. Oh! la dame est bien gardée, on se garde bien. En tout cas, voici la maison: à l'hôtel, je t'en donnerai la clef.
Bussy darda son regard par cette étroite ouverture: mais quoique ses ses yeux restassent constamment fixés sur elle, il ne vit rien.
En revenant à l'hôtel d'Anjou, le duc donna effectivement à Bussy la clef de la maison désignée, en lui recommandant de nouveau de faire bonne garde; Bussy promit tout ce que voulut le duc, et repassa par l'hôtel.
— Eh bien? dit-il à Remy.
— Je vous ferai la même question, monseigneur.
— Tu n'as rien trouvé?
— La maison est aussi inabordable le jour que la nuit. Je flotte entre cinq ou six maisons qui se touchent.
— Alors, dit Bussy, je crois que j'ai été plus heureux que toi, mon cher le Haudouin.
— Comment cela, monseigneur? vous avez donc cherché de votre côté?
— Non. Je suis passé dans la rue seulement.
— Et vous avez reconnu la porte?
— La Providence, mon cher ami, a des voies détournées et des combinaisons mystérieuses.
— Alors vous êtes sûr?
— Je ne dis pas que je suis sûr; mais j'espère.
— Et quand saurai-je si vous avez eu le bonheur de retrouver ce que vous cherchiez?
— Demain matin.
— En attendant, avez-vous besoin de moi?
— Aucunement, mon cher Remy.
— Vous ne voulez pas que je vous suive?
— Impossible.
— Soyez prudent, au moins, monseigneur.
— Ah! dit Bussy, la recommandation est inutile; je suis connu pour cela.
Bussy dîna en homme qui ne sait pas où ni de quelle façon il soupera; puis, à huit heures sonnant, il choisit la meilleure de ses épées, attacha, malgré l'ordonnance que le roi venait de promulguer, une paire de pistolets à sa ceinture, et se fit porter dans la litière, à l'extrémité de la rue Saint-Paul.
Arrivé là, il reconnut la maison à la statue de la Vierge, compta les quatre maisons suivantes, s'assura bien que la cinquième était la maison désignée, et alla, enveloppé dans un grand manteau de couleur sombre, se blottir à l'angle de la rue Sainte-Catherine; bien décidé à attendre deux heures, et au bout de deux heures, si personne ne venait, à agir pour son propre compte.
Neuf heures sonnaient à Saint-Paul comme Bussy s'embusquait.
Il était là depuis dix minutes à peine, quand, à travers l'obscurité, il vit arriver, par la porte de la Bastille, deux cavaliers. A la hauteur de l'hôtel des Tournelles, ils s'arrêtèrent. L'un d'eux mit pied à terre, jeta la bride aux mains du second, qui, selon toute probabilité, était un laquais, et, après lui avoir vu reprendre le chemin par lequel ils étaient venus, après l'avoir vu se perdre, lui et ses deux chevaux, dans l'obscurité, il s'avança vers la maison confiée à la surveillance de Bussy.
Arrivé à quelques pas de la maison, l'inconnu décrivit un grand cercle, comme pour explorer les environs du regard; puis, croyant être sûr qu'il n'était point observé, il s'approcha de la porte et disparut.
Bussy entendit le bruit de cette porte qui se refermait derrière lui.
Il attendit un instant, de peur que le personnage mystérieux ne fût resté en observation derrière le guichet. Puis, quelques minutes s'étant écoulées, il s'avança à son tour, traversa la chaussée, ouvrit la porte, et, instruit par l'expérience, il la referma sans bruit.
Alors il se retourna: le guichet était bien à la hauteur de son oeil, et c'était bien, selon toute probabilité, par ce guichet qu'il avait regardé Quélus.
Ce n'était pas tout, et Bussy n'était pas venu pour rester là. Il s'avança lentement, tâtonnant aux deux côtés de l'allée, au bout de laquelle, à gauche, il trouva la première marche d'un escalier.
Là, il s'arrêta pour deux raisons; d'abord il sentait ses jambes faiblir sous le poids de l'émotion, ensuite il entendait une voix qui disait:
— Gertrude, prévenez votre maîtresse que c'est moi, et que je veux entrer.
La demande était faite d'un ton trop impératif pour souffrir un refus; au bout d'un instant, Bussy entendit la voix d'une femme de chambre qui répondait:
— Passez au salon, monsieur; madame va venir vous y rejoindre.
Puis il entendit encore le bruit d'une porte qui se refermait.
Bussy alors pensa aux douze marches qu'avait comptées Remy; il compta douze marches à son tour, et se trouva sur le palier.
Il se rappela le corridor et les trois portes, fit quelques pas en retenant sa respiration et en étendant la main devant lui. Une première porte se trouva sous sa main, c'était celle par laquelle l'inconnu était entré; il poursuivit son chemin, en trouva une seconde, chercha, sentit une seconde clef, et, tout frissonnant des pieds à la tête, il fit tourner cette clef dans la serrure et poussa la porte.
La chambre dans laquelle se trouva Bussy était complètement obscure, moins la portion de cette chambre qui recevait, par une porte latérale, un reflet de lumières du salon.
Ce reflet portait sur une fenêtre, tendue de deux rideaux de tapisserie, qui firent passer un nouveau frisson de joie dans le coeur du jeune homme.
Ses yeux se portèrent sur la partie du plafond éclairée par cette même lumière, et il reconnut le plafond mythologique qu'il avait déjà remarqué; il étendit la main et sentit le lit sculpté.
Il n'y avait plus de doute pour lui; il se retrouvait dans cette chambre où il s'était réveillé, pendant cette nuit où il avait reçu la blessure qui lui avait valu l'hospitalité.
Ce fut un bien autre frisson encore qui passa par les veines de Bussy lorsqu'il toucha ce lit, et qu'il se sentit tout enveloppé de ce délicieux parfum qui s'échappe de la couche d'une femme jeune et belle.
Bussy s'enveloppa dans les rideaux du lit et écouta.
On entendait dans la chambre à côté le pas impatient de l'inconnu; de temps en temps il s'arrêtait, murmurant entre ses dents:
— Eh bien, viendra-t-elle?
A la suite de l'une de ces interpellations, une porte s'ouvrit dans le salon; la porte semblait parallèle à celle qui était déjà entr'ouverte. Le tapis frémit sous la pression d'un petit pied; le frôlement d'une robe de soie arriva jusqu'à l'oreille de Bussy, et le jeune homme entendit une voix de femme empreinte à la fois de crainte et de dédain, qui disait:
— Me voici, monsieur, que me voulez-vous encore?
— Oh! oh! pensa Bussy en s'abritant sous son rideau, si cet homme est l'amant, je félicite fort le mari.
— Madame, dit l'homme à qui l'on faisait cette froide réception, j'ai l'honneur de vous prévenir que, forcé de partir demain matin pour Fontainebleau, je viens passer cette nuit près de vous.
— M'apportez-vous des nouvelles de mon père? demanda la même voix de femme.
— Madame, écoutez-moi.
— Monsieur, vous savez ce qui a été convenu hier, quand j'ai consenti à devenir votre femme, c'est qu'avant toutes choses, ou mon père viendrait à Paris, ou j'irais retrouver mon père.
— Madame, aussitôt après mon retour de Fontainebleau, nous partirons, je vous en donne ma parole d'honneur; mais, en attendant...
— Oh! monsieur, ne fermez pas cette porte, c'est inutile, je ne passerai pas une nuit, pas une seule nuit sous le même toit que vous, que je ne sois rassurée sur le sort de mon père.
Et la femme qui parlait d'une façon si ferme souffla dans un petit sifflet d'argent qui rendit un son aigu et prolongé.
C'était la manière dont on appelait les domestiques à cette époque où les sonnettes n'étaient point encore inventées.
Au même instant la porte par laquelle était entré Bussy s'ouvrit de nouveau et donna passage à la suivante de la jeune femme; c'était une grande et vigoureuse fille de l'Anjou, qui paraissait attendre cet appel de sa maîtresse et qui, l'ayant entendu, se hâtait d'accourir.
Elle entra dans le salon, et, en entrant, elle ouvrit la porte.
Un jet de lumière pénétra alors dans la chambre où était Bussy, et entre les deux fenêtres il reconnut le portrait.
— Gertrude, dit la dame, vous ne vous coucherez point, et vous vous tiendrez toujours à la portée de ma voix.
La femme de chambre se retira, sans répondre, par le même chemin qu'elle était venue, laissant la porte du salon toute grande ouverte, et par conséquent le merveilleux portrait éclairé.
Pour Bussy, il n'y avait plus de doute; ce portrait, c'était bien celui qu'il avait vu.
Il s'approcha doucement pour coller son oeil à l'ouverture que l'épaisseur des gonds laissait entre la porte et la muraille; mais si doucement qu'il marchât, au moment où son regard pénétrait dans la chambre, le parquet cria sous son pied.
A ce bruit, la femme se retourna; c'était l'original du portrait, c'était la fée du rêve.
L'homme, quoiqu'il n'eût rien entendu, en la voyant se retourner, se retourna aussi.
C'était le seigneur de Monsoreau.
— Ah! dit Bussy, la haquenée blanche... la femme enlevée... Je vais sans doute entendre quelque terrible histoire.
Et il essuya son visage, qui spontanément venait de se couvrir de sueur.
Bussy, nous l'avons dit, les voyait tous deux, elle pâle, debout et dédaigneuse.
Lui, assis, non moins pâle, mais livide, agitait son pied impatient et se mordait la main.
— Madame, dit enfin le seigneur de Monso-reau, n'espérez pas continuer longtemps avec moi ce rôle de femme persécutée et victime; vous êtes à Paris, vous êtes dans ma maison; et, de plus, vous êtes maintenant la comtesse de Monsoreau, c'est-à-dire ma femme.
— Si je suis votre femme, pourquoi refuser de me conduire à mon père? pourquoi continuer de me cacher aux yeux du monde?
— Vous avez oublié le duc d'Anjou, madame.
— Vous m'avez affirmé qu'une fois votre femme je n'avais plus rien à craindre de lui.
— C'est-à-dire...
— Vous m'avez affirmé cela.
— Mais encore, madame, faut-il que je prenne quelques précautions.
— Eh bien, monsieur, prenez ces précautions, et revenez me voir quand elles seront prises.
— Diane, dit le comte, au coeur duquel la colère montait visiblement, Diane, ne faites pas un jeu de ce lien sacré du mariage. C'est un conseil que je veux bien vous donner.
— Faites, monsieur, que je n'aie plus de défiance dans le mari, et je respecterai le mariage.
— Il me semblait cependant avoir, par la manière dont j'ai agi envers vous, mérité toute votre confiance.
— Monsieur, je pense que, dans toute cette affaire, mon intérêt ne vous a pas seul guidé, ou que, s'il en est ainsi, le hasard vous a bien servi.
— Oh! c'en est trop, s'écria le comte; je suis dans ma maison, vous êtes ma femme, et, dût l'enfer vous venir en aide, cette nuit même vous serez à moi.
Bussy mit la main à la garde de son épée et fit un pas en avant; mais Diane ne lui donna pas le temps de paraître.
— Tenez, dit-elle en tirant un poignard de sa ceinture, voilà comme je vous réponds.
Et, bondissant dans la chambre où était Bussy, elle referma la porte, poussa le double verrou, et, tandis que Monsoreau s'épuisait en menaces, heurtant les planches du poing:
— Si vous faites seulement sauter une parcelle du bois de cette porte, dit Diane, vous me connaissez, monsieur, vous me trouverez morte sur le seuil.
— Et, soyez tranquille, madame, dit Bussy en enveloppant Diane de ses bras, vous auriez un vengeur.
Diane fut près de pousser un cri; mais elle comprit que le seul danger qui la menaçât lui venait de son mari. Elle demeura donc sur la défensive, mais muette; tremblante, mais immobile.
M. de Monsoreau frappa violemment du pied; puis, convaincu sans doute que Diane exécuterait sa menace, il sortit du salon en repoussant violemment la porte derrière lui.
Puis on entendit le bruit de ses pas s'éloigner dans le corridor et décroître dans l'escalier.
— Mais vous, monsieur, dit alors Diane en se dégageant des bras de Bussy et en faisant un pas en arrière, qui êtes-vous et comment vous trouvez-vous ici?
— Madame, dit Bussy en rouvrant la porte et en s'agenouillant devant Diane, je suis l'homme à qui vous avez conservé la vie. Comment pourriez-vous croire que je suis entré chez vous dans une mauvaise intention, ou que je forme des desseins contre votre honneur?
Grâce au flot de lumière qui inondait la noble figure du jeune homme, Diane le reconnut.
— Oh! vous ici, monsieur! s'écria-t-elle en joignant les mains, vous étiez là, vous avez tout entendu?
— Hélas! oui, madame.
— Mais, qui êtes-vous? votre nom, monsieur?
— Madame, je suis Louis de Clermont, comte de Bussy.
— Bussy! vous êtes le brave Bussy! s'écria naïvement Diane, sans se douter de la joie que cette exclamation répandait dans le coeur du jeune homme. Ah! Gertrude, continua-t-elle en s'adressant à sa suivante, qui, ayant entendu sa maîtresse parler avec quelqu'un, entrait tout effarée; Gertrude, je n'ai plus rien à craindre, car, à partir de ce moment, je mets mon honneur sous la sauvegarde du plus noble et du plus loyal gentilhomme de France.
Puis, tendant la main à Bussy:
— Relevez-vous, monsieur, dit-elle, je sais qui vous êtes: il faut que vous sachiez qui je suis.