Kitabı oku: «La dame de Monsoreau — Tome 2», sayfa 18
CHAPITRE XXVIII
LES AMIS
Pendant que Paris bouillonnait comme l'intérieur d'une fournaise, madame de Monsoreau, escortée par son père et deux de ces serviteurs qu'on recrutait alors comme des troupes auxiliaires pour une expédition, s'acheminait vers le château de Méridor, par étapes de dix lieues à la journée.
Elle aussi commençait à goûter cette liberté précieuse aux gens qui ont souffert. L'azur du ciel et de la campagne, comparé à ce ciel toujours menaçant, suspendu comme un crêpe sur les tours noires de la Bastille, les feuillages déjà verts, les belles routes se perdant comme de longs rubans onduleux dans le fond des bois; tout cela lui paraissait frais et jeune, riche et nouveau, comme si réellement elle fût sortie du cercueil où la croyait plongée son père.
Lui, le vieux baron, était rajeuni de vingt ans. A le voir d'aplomb sur ses étriers, et talonnant le vieux Jarnac, on eût pris le noble seigneur pour un de ces époux barbons qui accompagnent leur jeune fiancée en veillant amoureusement sur elle.
Nous n'entreprendrons pas de décrire ce long voyage. Il n'eut d'autres incidents que le lever et le coucher du soleil. Quelquefois impatiente, Diane se jetait à bas de son lit, lorsque la lune argentait les vitres de sa chambre d'hôtellerie, réveillait le baron, secouait le lourd sommeil de ses gens, et l'on partait, par un beau clair de lune, pour gagner quelques lieues sur le long chemin que la jeune femme trouvait infini.
Il fallait, d'autres fois, la voir, en pleine marche, laisser passer devant Jarnac, tout fier de devancer les autres, puis les serviteurs, et demeurer seule en arrière sur un tertre, afin de regarder dans la profondeur de la vallée si quelqu'un ne suivait pas... Et, lorsque la vallée était déserte, lorsque Diane n'avait aperçu que les troupeaux épars dans le pâturage, ou le clocher silencieux de quelque bourg dressé au bout de la route, elle revenait plus impatiente que jamais. Alors son père, qui l'avait suivie du coin de l'oeil, lui disait:
— Ne crains rien, Diane.
— Craindre quoi, mon père?
— Ne regardes-tu pas si M. de Monsoreau te suit?
— Ah! c'est vrai... Oui, je regardais cela, disait la jeune femme avec un nouveau regard en arrière.
Ainsi, de crainte en crainte, d'espoir en déception, Diane arriva, vers la fin du huitième jour, au château de Méridor, et fut reçue au pont-levis par madame de Saint-Luc et son mari, devenus châtelains en l'absence du baron.
Alors commença pour ces quatre personnes une de ces existences comme tout homme en a rêvé en lisant Virgile, Longus et Théocrite.
Le baron et Saint-Luc chassaient du soir au matin. Sur les traces de leurs chevaux s'élançaient les piqueurs. On voyait des avalanches de chiens rouler du haut des collines à la poursuite d'un lièvre ou d'un renard, et quand le tonnerre de cette cavalcade furieuse passait dans les bois, Diane et Jeanne, assises l'une auprès de l'autre sur la mousse, à l'ombre de quelque hallier, tressaillaient un moment, et reprenaient bientôt leur tendre et mystérieuse conversation.
— Raconte-moi, disait Jeanne, raconte-moi tout ce qui t'est arrivé dans la tombe, car tu étais bien morte pour nous... Vois, l'aubépine en fleurs nous jette ses dernières miettes de neige, et les sureaux envoient leurs parfums enivrants. Un doux soleil se joue aux grandes branches des chênes. Pas un souffle dans l'air, pas un être vivant dans le parc, car les daims se sont enfuis tout à l'heure en sentant trembler la terre, et les renards ont bien vite gagné le terrier... Raconte, petite soeur, raconte.
— Que te disais-je?
— Tu ne me disais rien. Tu es donc heureuse?.. Oh! cependant ce bel oeil noyé dans une ombre bleuâtre, cette pâleur nacrée de tes joues, ce vague élan de paupière, tandis que la bouche essaye un sourire jamais achevé... Diane, tu dois avoir bien des choses à me dire!
— Rien, rien.
— Tu es donc heureuse... avec M. de Monsoreau?
Diane tressaillit.
— Tu vois bien! fit Jeanne avec un tendre reproche.
— Avec M. de Monsoreau! répéta Diane; pourquoi as-tu prononcé ce nom? pourquoi viens-tu d'évoquer ce fantôme au milieu de nos bois, au milieu de nos fleurs, au milieu de notre bonheur...
— Bien, je sais maintenant pourquoi tes beaux yeux sont cerclés de bistre, et pourquoi ils se lèvent si souvent vers le ciel; mais je ne sais pas encore pourquoi ta bouche essaye de sourire.
Diane secoua tristement la tête.
— Tu m'as dit, je crois, continua Jeanne en entourant de son bras blanc et rond les épaules de Diane, tu m'as dit que M. de Bussy t'avait montré beaucoup d'intérêt...
Diane rougit si fort, que son oreille, si délicate et si ronde, parut tout à coup enflammée.
— C'est un charmant cavalier que M. de Bussy, dit Jeanne, et elle chanta:
Un beau chercheur de noise,
C'est le seigneur d'Amboise.
Diane appuya sa tête sur le sein de son amie, et murmura d'une voix plus douce que celle des fauvettes qui chantaient sous la feuillée:
Tendre, fidèle aussi,
C'est le brave...
— Bussy!.. dis-le donc, acheva Jeanne en appuyant un joyeux baiser sur les yeux de son amie.
— Assez de folies, dit Diane tout à coup; M. de Bussy ne pense plus à Diane de Méridor.
— C'est possible, dit Jeanne; mais je croirais assez qu'il plaît beaucoup à Diane de Monsoreau.
— Ne me dis pas cela.
— Pourquoi? est-ce que cela te déplaît?
Diane ne répondit pas.
— Je te dis que M. de Bussy ne songe pas à moi... et il fait bien...
Oh! j'ai été lâche... murmura la jeune femme...
— Que dis-tu là?
— Rien, rien.
— Voyons, Diane, tu vas recommencer à pleurer, à t'accuser... Toi, lâche! toi, mon héroïne; tu as été contrainte.
— Je le croyais... je voyais des dangers, des gouffres sous mes pas... A présent, Jeanne, ces dangers me semblent chimériques, ces gouffres, un enfant pouvait les franchir d'une enjambée. J'ai été lâche, te dis-je, oh! que n'ai-je eu le temps de réfléchir!..
— Tu me parles par énigmes.
— Non, ce n'est pas encore cela, s'écria Diane en se levant dans un désordre extrême. Non, ce n'est pas ma faute, c'est lui, Jeanne, c'est lui qui n'a pas voulu. Je me rappelle la situation qui me semblait terrible; j'hésitais, je flottais... mon père m'offrait son appui et j'avais peur... lui, lui m'offrait sa protection... mais il ne l'a pas offerte de façon à me convaincre; le duc d'Anjou était contre lui. Le duc d'Anjou s'était ligué avec M. de Monsoreau, diras-tu. Eh bien, qu'importent le duc d'Anjou et le comte de Monsoreau! Quand on veut bien une chose, quand on aime bien quelqu'un, oh! il n'y aurait ni prince ni maître qui me retiendrait. Vois-tu, Jeanne, si une fois j'aimais...
Et Diane, en proie à son exaltation, s'était adossée à un chêne, comme si, l'âme ayant brisé le corps, celui-ci n'eût plus renfermé assez de force pour se soutenir.
— Voyons, calme-toi, chère amie, raisonne...
— Je te dis que nous avons été lâches.
— Nous... Oh! Diane, de qui parles-tu là? Ce nous est éloquent, ma Diane chérie...
— Je veux dire mon père et moi; j'espère que tu n'entends pas autre chose... Mon père est un bon gentilhomme, et pouvait parler au roi; moi, je suis fière et ne crains pas un homme quand je le hais... Mais, vois-tu! le secret de cette lâcheté, le voici: j'ai compris qu'il ne m'aimait pas.
— Tu te mens à toi-même; s'écria Jeanne;... si tu croyais cela, au point où je te vois, tu irais le lui reprocher à lui-même... Mais tu ne le crois pas, tu sais le contraire, hypocrite, ajouta-t-elle avec une tendre caresse pour son amie.
— Tu es payée pour croire à l'amour, toi, répliqua Diane en reprenant sa place auprès de Jeanne; toi, que M. de Saint-Luc a épousée malgré un roi! toi, qu'il a enlevée du milieu de Paris; toi; qu'on a poursuivie peut-être et qui le payes, par tes caresses, de la proscription et de l'exil!
— Et il se trouve richement payé, dit l'espiègle jeune femme.
— Mais moi, — réfléchis un peu, et ne sois pas égoïste; — moi, que ce fougueux jeune homme prétend aimer; moi, qui ai fixé les regards de l'indomptable Bussy, cet homme qui ne connaît pas d'obstacles, je me suis mariée publiquement, je me suis offerte aux yeux de toute la cour, et il ne m'a pas regardée; je me suis confiée à lui dans le cloître de la Gypecienne: nous étions seuls, il avait Gertrude, le Haudoin, ses deux complices, et moi, plus complice encore!.. Oh! j'y songe, par l'église même, un cheval à la porte, il pouvait m'enlever dans un pan de son manteau! A ce moment, vois-tu, je le sentais souffrant, désolé à cause de moi; je voyais ses yeux languissants, sa lèvre pâlie et brûlée par la fièvre. S'il m'avait demandé de mourir pour rendre l'éclat à ses yeux, la fraîcheur à ses lèvres, je serais morte... Eh bien, je suis partie, et il n'a pas songé à me retenir par un coin de mon voile. — Attends, attends encore... Oh! tu ne sais pas ce que je souffre... Il savait que je quittais Paris, que je revenais à Méridor; il savait que M. de Monsoreau... tiens, j'en rougis... que M. de Monsoreau n'est pas mon époux; il savait que je venais seule, et, tout le long de la route, chère Jeanne, je me suis retournée, croyant à chaque instant que j'entendais le galop de son cheval derrière nous. Rien! c'était l'écho du chemin qui parlait! Je te dis qu'il ne pense pas à moi, et que je ne vaux pas un voyage en Anjou... quand il y a tant de femmes belles et courtoises à la cour du roi de France, dont un sourire vaut cent aveux de la provinciale enterrée dans les halliers de Méridor. Comprends-tu maintenant? Es-tu convaincue? ai-je raison? suis-je oubliée, méprisée; ma pauvre Jeanne?
Elle n'avait pas achevé ces mots que le feuillage du chêne craqua violemment; une poussière de mousse et de plâtre brisé roula le long du vieux mur, et un homme, bondissant du milieu des lierres et des mûriers sauvages, vint tomber aux pieds de Diane, qui poussa un cri terrible.
Jeanne s'était écartée; elle avait vu et reconnut cet homme.
— Vous voyez bien que me voici, murmura Bussy agenouillé en baisant le bas de la robe de Diane; qu'il tenait respectueusement dans sa main tremblante.
Diane reconnut, à son tour, la voix, le sourire du comte, et, saisie au coeur, hors d'elle-même, suffoquée par ce bonheur inespéré; elle ouvrit ses bras et se laissa tomber, privée de sentiment, sur la poitrine de celui qu'elle venait d'accuser d'indifférence.
CHAPITRE XXIX
LES AMANTS
Les pâmoisons de joie ne sont jamais bien longues ni bien dangereuses.
On en a vu de mortelles, mais l'exemple est excessivement rare.
Diane ne tarda donc point à ouvrir les yeux, et se trouva dans les bras de Bussy; car Bussy n'avait pas voulu céder à madame de Saint-Luc le privilège de recueillir le premier regard de Diane.
— Oh! murmura-t-elle en se réveillant, oh! c'est affreux, comte, de nous surprendre ainsi.
Bussy attendait d'autres paroles. Eh, qui sait? les hommes sont si exigeants! qui sait, disons-nous, s'il n'attendait pas autre chose que des paroles, lui qui avait expérimenté plus d'une fois les retours à la vie après les pâmoisons et les évanouissements?
Non-seulement Diane en demeura là, mais encore elle s'arracha doucement des bras qui la tenaient captive et revint à son amie, qui, discrète d'abord, avait fait plusieurs pas sous les arbres; puis, curieuse comme l'est toute femme de ce charmant spectacle d'une réconciliation entre gens qui s'aiment, était revenue tout doucement, non pas pour prendre sa part de la conversation, mais assez près des interlocuteurs pour n'en rien perdre.
— Eh bien, demanda Bussy, est-ce donc ainsi que vous me recevez, madame?
— Non, dit Diane; car, en vérité, monsieur de Bussy, c'est tendre, c'est affectueux, ce que vous venez de faire là... Mais...
— Oh! de grâce, pas de mais... soupira Bussy en reprenant sa place aux genoux de Diane.
— Non, non, pas ainsi, pas à genoux, monsieur de Bussy.
— Oh! laissez-moi un instant vous prier comme je le fais, dit le comte en joignant les mains, j'ai si longtemps envié cette place.
— Oui; mais, pour la venir prendre, vous avez passé par-dessus le mur. Non-seulement ce n'est pas convenable à un seigneur de votre rang, mais c'est bien imprudent pour quelqu'un qui aurait soin de mon honneur.
— Comment cela?
— Si l'on vous avait vu, par hasard?
— Qui donc m'aurait vu?
— Mais nos chasseurs, qui, il y a un quart d'heure à peine, passaient dans le fourré, derrière le mur.
— Oh! tranquillisez-vous, madame, je me cache avec trop de soin pour être vu.
— Caché! Oh! vraiment, dit Jeanne, c'est du suprême romanesque; racontez-nous cela, monsieur de Bussy.
— D'abord, si je ne vous ai pas rejointe en route, ce n'est pas ma faute; j'ai pris un chemin et vous l'autre. Vous êtes venue par Rambouillet, moi, par Chartres. Puis, écoutez, et jugez si votre pauvre Bussy est amoureux; je n'ai point osé vous rejoindre, et je ne doutais pas cependant que je ne le pusse. Je sentais bien que Jarnac n'était point amoureux, et que le digne animal ne s'exalterait que médiocrement à revenir à Méridor; votre père aussi n'avait aucun motif de se hâter, puisqu'il vous avait près de lui. Mais ce n'était pas en présence de votre père, ce n'était pas dans la compagnie de vos gens, que je voulais vous revoir; car j'ai plus souci que vous ne le croyez de vous compromettre; j'ai fait le chemin étape par étape, en mangeant le manche de ma houssine; le manche de ma houssine fût ma plus habituelle nourriture pendant ces jours.
— Pauvre garçon! dit Jeanne; aussi, vois comme il est maigri.
— Vous arrivâtes enfin, continua Bussy; j'avais pris logement au faubourg de la ville; je vous vis passer, caché derrière une jalousie.
— Oh! mon Dieu, demanda Diane, êtes-vous donc à Angers sous votre nom?
— Pour qui me prenez-vous? dit en souriant Bussy; non pas, je suis un marchand qui voyage; voyez mon costume couleur cannelle; il ne me trahit pas trop, c'est une couleur qui se porte beaucoup parmi les drapiers et les orfèvres, et, puis encore, j'ai un certain air inquiet et affairé qui ne messied pas à un botaniste qui cherche des simples. Bref, on ne m'a pas encore remarqué.
— Bussy, le beau Bussy, deux jours de suite dans une ville de province, sans avoir encore été remarqué? On ne croira jamais cela à la cour.
— Continuez, comte, dit Diane en rougissant. Comment venez-vous de la ville ici, par exemple?
— J'ai deux chevaux d'une race choisie; je monte l'un d'eux, je sors au pas de la ville, m'arrêtant à regarder les écriteaux et les enseignes; mais, quand une fois je suis loin des regards, mon cheval prend un galop qui lui permet de franchir en vingt minutes les trois lieues et demie qu'il y a d'ici à la ville. Une fois dans le bois de Méridor, je m'oriente et je trouve le mur du parc; mais il est long, fort long, le parc est grand. Hier j'ai exploré ce mur pendant plus de quatre heures, grimpant çà et là, espérant vous apercevoir toujours. Enfin, je désespérais presque, quand je vous ai aperçue le soir, au moment où vous rentriez à la maison; les deux grands chiens du baron sautaient après vous, et madame de Saint-Luc leur tenait en l'air un perdreau qu'ils essayaient d'atteindre; puis vous disparûtes. — Je sautai là; j'accourus ici, où vous étiez tout à l'heure; je vis l'herbe et la mousse assidûment foulées, j'en conclus que vous pourriez bien avoir adopté cet endroit, qui est charmant pendant le soleil; pour me reconnaître alors, j'ai fait des brisées comme à la chasse; et, tout en soupirant, ce qui me fait un mal affreux...
— Par défaut d'habitude, interrompit Jeanne en souriant.
— Je ne dis pas non, madame; en soupirant donc, ce qui me fait un mal affreux, je le répète, j'ai repris la route de la ville; j'étais bien fatigué; j'avais en outre déchiré mon pourpoint cannelle en montant aux arbres, et, cependant, malgré les accrocs de mon pourpoint, malgré l'oppression de ma poitrine, j'avais la joie au coeur: je vous avais vue.
— Il me semble que voilà un admirable récit, dit Jeanne, et que vous avez surmonté là de terribles obstacles: c'est beau et c'est héroïque; mais moi, qui crains de monter aux arbres, j'aurais, à votre place, conservé mon pourpoint et surtout ménagé mes belles mains blanches. Voyez dans quel affreux état sont les vôtres, tout égratignées par les ronces.
— Oui. Mais je n'aurais pas vu celle que je venais voir.
— Au contraire; j'aurais vu, et beaucoup mieux que vous ne l'aviez fait, Diane de Méridor, et même madame de Saint-Luc.
— Qu'eussiez-vous donc fait? demanda Bussy avec empressement.
— Je fusse venu droit au pont du château de Méridor, et j'y fusse entré. M. le baron me serrait dans ses bras, madame de Monsoreau me plaçait près d'elle à table, M. de Saint-Luc me comblait de caresse, madame de Saint-Luc faisait avec moi des anagrammes. C'était la chose du monde la plus simple: il est vrai que la chose du monde la plus simple est celle dont les amoureux ne s'avisent jamais.
Bussy secoua la tête avec un sourire et un regard à l'adresse de Diane.
— Oh! non! dit-il, non. Ce que vous eussiez fait là, c'était bon pour tout le monde, et non pour moi.
Diane rougit comme un enfant, et le même sourire et le même regard se reflétèrent dans ses yeux et sur ses lèvres.
— Allons! dit Jeanne, voilà, à ce qu'il paraît, que je ne comprends plus rien aux belles manières!
— Non! dit Bussy en secouant la tête. Non! je ne pouvais aller au château. Madame est mariée, M. le baron doit au mari de sa fille, quel qu'il soit, une surveillance sévère.
— Bien, dit Jeanne, voilà une leçon de civilité que je reçois; merci, monsieur de Bussy, car je mérite de la recevoir; cela m'apprendra à me mêler aux propos des fous.
— Des fous? répéta Diane.
— Des fous ou des amoureux, répondit madame de Saint-Luc, et en conséquence...
Elle embrassa Diane au front, fit une révérence à Bussy et s'enfuit.
Diane la voulut retenir d'une main, mais Bussy saisit l'autre, et il fallut bien que Diane, si bien retenue par son amant, se décidât à lâcher son amie.
Bussy et Diane restèrent donc seuls.
Diane regarda madame de Saint-Luc, qui s'éloignait en cueillant des fleurs, puis elle s'assit en rougissant.
Bussy se coucha à ses pieds.
— N'est-ce pas, dit-il, que j'ai bien fait, madame, que vous m'approuvez?
— Je ne vais pas feindre, répondit Diane, et, d'ailleurs, vous savez le fond de ma pensée, oui, je vous approuve, mais ici s'arrêtera mon indulgence; en vous désirant, en vous appelant comme je faisais tout à l'heure, j'étais insensée, j'étais coupable.
— Mon Dieu! que dites-vous donc là, Diane?
— Hélas! comte, je dis la vérité! j'ai le droit de rendre malheureux M. de Monsoreau, qui m'a poussée à cette extrémité; mais je n'ai ce droit qu'en m'abstenant de rendre un autre heureux. Je puis lui refuser ma présence, mon sourire, mon amour; mais, si je donnais ces faveurs à un autre, je volerais celui-là, qui, malgré moi, est mon maître.
Bussy écouta patiemment toute cette morale, fort adoucie, il est vrai, par la grâce et la mansuétude de Diane.
— A mon tour de parler, n'est-ce pas? dit-il.
— Parlez, répondit Diane.
— Avec franchise?
— Parlez!
— Eh bien, de tout ce que vous venez de dire, madame, vous n'avez pas trouvé un mot au fond de votre coeur.
— Comment?
— Écoutez-moi sans impatience, madame, vous voyez que je vous ai écoutée patiemment; vous m'avez accablé de sophismes.
Diane fit un mouvement.
— Les lieux communs de morale, continua Bussy, ne sont que cela quand ils manquent d'application. En échange de ces sophismes, moi, madame, je vais vous rendre des vérités. Un homme est votre maître, dites-vous; mais avez-vous choisi cet homme? Non, une fatalité vous l'a imposé, et vous l'avez subi. Maintenant, avez-vous dessein de souffrir toute votre vie des suites d'une contrainte si odieuse? Alors c'est à moi de vous en délivrer.
Diane ouvrit la bouche pour parler, Bussy l'arrêta d'un signe.
— Oh! je sais ce que vous m'allez répondre, dit le jeune homme. Vous me répondrez que, si je provoque M. de Monsoreau et si je le tue, vous ne me reverrez jamais. — Soit, je mourrai de douleur de ne pas vous revoir; mais vous vivrez libre, mais vous vivrez heureuse, mais vous pourrez rendre heureux un galant homme, qui dans sa joie, bénira quelquefois mon nom, et dira: «Merci! Bussy, merci! de nous avoir délivrés de cet affreux Monsoreau;» et vous-même, Diane, vous qui n'oseriez me remercier vivant, vous me remercierez mort.
La jeune femme saisit la main du comte et la serra tendrement.
— Vous n'avez pas encore imploré, Bussy, dit-elle, et voilà que vous menacez déjà.
— Vous menacer? Oh! Dieu m'entend, et il sait quelle est mon intention; je vous aime si ardemment, Diane, que je n'agirai point comme ferait un autre homme. Je sais que vous m'aimez. Mon Dieu! n'allez pas vous en défendre, vous rentreriez dans la classe de ces esprits vulgaires dont les paroles démentent les actions. Je le sais, car vous l'avez avoué. Puis, un amour comme le mien, voyez-vous, rayonne comme le soleil, et vivifie tous les coeurs qu'il touche; ainsi je ne vous supplierai pas, je ne me consumerai pas en désespoir. Non, je me mettrai à vos genoux, que je baise, et je vous dirai, la main droite sur mon coeur, sur ce coeur qui n'a jamais menti ni par intérêt ni par crainte, je vous dirai: «Diane, je vous aime, et ce sera pour toute ma vie! Diane, je vous jure à la face du ciel que je mourrai pour vous, que je mourrai en vous adorant.» Si vous me dites encore: «Partez, ne volez pas le bonheur d'un autre,» je me relèverai sans soupir, sans un signe, de cette place, où je suis si heureux cependant, et je vous saluerai profondément en me disant: «Cette femme ne m'aime pas; cette femme ne m'aimera jamais.» Alors je partirai et vous ne me reverrez plus jamais. Mais, comme mon dévouement pour vous est encore plus grand que mon amour, comme mon désir de vous voir heureuse survivra à la certitude que je ne puis pas être heureux moi-même, comme je n'aurai pas volé le bonheur d'un autre, j'aurai le droit de lui voler sa vie en y sacrifiant la mienne: voilà ce que je ferai, madame, et cela de peur que vous ne soyez esclave éternellement, et que ce ne vous soit un prétexte à rendre malheureux les braves gens qui vous aiment.
Bussy s'était ému en prononçant ces paroles. Diane lut dans son regard si brillant et si loyal toute la vigueur de sa résolution: elle comprit que ce qu'il disait, il allait le faire; que ces paroles se traduiraient indubitablement en action, et, comme la neige d'avril fond aux rayons du soleil, sa rigueur se fondit à la flamme de ce regard.
— Eh bien! dit-elle, merci de cette violence que vous me faites, ami. C'est encore une délicatesse de votre part, de m'ôter ainsi jusqu'au remords de vous avoir cédé. Maintenant, m'aimerez-vous jusqu'à la mort, comme vous dites? maintenant, ne serai-je pas le jeu de votre fantaisie, et ne me laisserez-vous pas un jour l'odieux regret de ne pas avoir écouté l'amour de M. de Monsoreau? Mais non, je n'ai pas de conditions à vous faire; je suis vaincue, je suis livrée; je suis à vous, Bussy, d'amour, du moins. Restez donc, ami, et maintenant que ma vie est la vôtre, veillez sur nous.
En disant ces mots, Diane posa une de ses mains si blanches et si effilées sur l'épaule de Bussy, et lui tendit l'autre, qu'il tint amoureusement collée à ses lèvres; Diane frissonna sous ce baiser.
On entendit alors les pas légers de Jeanne, accompagnés d'une petite toux indicatrice: elle rapportait une gerbe de fleurs nouvelles et le premier papillon qui se fût encore hasardé peut-être hors de sa coque de soie: c'était une atalante aux ailes rouges et noires.
Instinctivement, les mains entrelacées se désunirent.
Jeanne remarqua ce mouvement.
— Pardon, mes bons amis, de vous déranger, dit-elle, mais il nous faut rentrer sous peine que l'on vienne nous chercher ici. Monsieur le comte, regagnez, s'il vous plaît, votre excellent cheval qui fait quatre lieues en une demi-heure, et laissez-nous faire le plus lentement possible, car je présume que nous aurons fort à causer, les quinze cents pas qui nous séparent de la maison. Dame! voici ce que vous perdez à votre entêtement, monsieur de Bussy: le dîner du château, qui est excellent surtout pour un homme qui vient de monter à cheval et de grimper par-dessus les murailles, et cent bonnes plaisanteries que nous eussions faites, sans compter certains coups d'oeil échangés qui chatouillent mortellement le coeur. — Allons, Diane, rentrons.
Et Jeanne prit le bras de son amie et fit un léger effort pour l'entraîner avec elle.
Bussy regarda les deux amies avec un sourire. Diane, encore à demi retournée de son côté, lui tendit la main.
Il se rapprocha d'elles.
— Eh bien! demanda-t-il, c'est tout ce que vous me dites?
— A demain, répliqua Diane, n'est-ce pas convenu?
— A demain seulement?
— A demain et à toujours!
Bussy ne put retenir un petit cri de joie; il inclina ses lèvres sur la main de Diane; puis, jetant un dernier adieu aux deux femmes, il s'éloigna ou plutôt s'enfuit.
Il sentait qu'il lui fallait un effort de volonté pour consentir à se séparer de celle à laquelle il avait si longtemps désespéré d'être réuni.
Diane le suivit du regard jusqu'au fond du taillis, et, retenant son amie par le bras, écouta jusqu'au son le plus lointain de ses pas dans les broussailles.
— Ah! maintenant, dit Jeanne, lorsque Bussy fut disparu tout à fait, veux-tu causer un peu avec moi, Diane?
— Oh! oui, dit la jeune femme tressaillant comme si la voix de son amie la tirait d'un rêve. Je t'écoute.
— Eh bien! vois-tu, demain j'irai à la chasse avec Saint-Luc et ton père.
— Comment! tu me laisseras seule au château?
— Écoute, chère amie, dit Jeanne; moi aussi, j'ai mes principes de morale, et il y a certaines choses que je ne puis consentir à faire.
— Oh! Jeanne, s'écria madame de Monsoreau en pâlissant, peux-tu bien me dire de ses duretés-là, à moi, à ton amie?
— Il n'y a pas d'amie qui tienne, continua mademoislle de Brissac avec la même tranquillité. Je ne puis continuer ainsi.
— Je croyais que tu m'aimais, Jeanne, et voilà que tu me perces te coeur, dit la jeune femme avec des larmes dans les yeux; tu ne veux pas continuer, dis-tu, eh! quoi donc ne veux-tu pas continuer?
— Continuer, murmura Jeanne à l'oreille de son amie, continuer de vous empêcher, pauvres amants que vous êtes, de vous aimer tout à votre aise.
Diane saisit dans ses bras la rieuse jeune femme, et couvrit de baisers son visage épanoui. Comme elle la tenait embrassée, les trompes de la chasse firent entendre leurs bruyantes fanfares.
— Allons, on nous appelle, dit Jeanne; le pauvre Saint-Luc s'impatiente. Ne sois donc pas plus dure envers lui que je ne veux l'être envers l'amoureux en pourpoint cannelle.