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Kitabı oku: «La dame de Monsoreau — Tome 2», sayfa 7

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— Songez qu'ils sont prévenus, qu'ils attendent dans l'anxiété le résultat de votre entrevue avec cet homme.

— La jeune fille sera libre, Bussy, je t'en engage ma foi.

— Ah! dit Bussy, si vous faites cela, vous serez réellement un grand prince, monseigneur.

Et il prit la main du duc, cette main qui avait signé tant de fausses promesses, qui avait manqué à tant de serments jurés, et il la baisa respectueusement.

En ce moment on entendit des pas dans le vestibule.

— Le voici, dit Bussy.

— Faites entrer M. de Monsoreau, cria François avec une sévérité qui parut de bon augure à Bussy.

Et cette fois le jeune gentilhomme, presque sûr d'atteindre enfin au résultat ambitionné par lui, ne put empêcher son regard de prendre, en saluant Monsoreau, une légère teinte d'ironie orgueilleuse; le grand veneur reçut, de son côté, le salut de Bussy avec ce regard vitreux derrière lequel il retranchait les sentiments de son âme, comme derrière une infranchissable forteresse.

Bussy attendit dans ce corridor que nous connaissons déjà, dans ce même corridor où la Mole, une nuit, avait failli être étranglé par Charles IX, Henri III, le duc d'Alençon et le duc de Guise, avec la cordelière de la reine mère. Ce corridor, ainsi que le palier auquel il correspondait, était pour le moment encombré de gentilshommes qui venaient faire leur cour au duc.

Bussy prit place avec eux, et chacun s'empressa de lui faire sa place, autant pour la considération dont il jouissait par lui-même que pour sa faveur près du duc d'Anjou. Le gentilhomme enferma toutes ses sensations en lui-même, et, sans rien laisser apercevoir de la terrible angoisse qu'il concentrait dans son coeur, il attendit le résultat de cette conférence où tout son bonheur à venir était en jeu.

La conversation ne pouvait manquer d'être animée: Bussy avait assez vu de M. de Monsoreau pour comprendre que celui-ci ne se laisserait pas détruire sans lutte. Mais, enfin, il ne s'agissait pour le duc d'Anjou que d'appuyer la main sur lui, et s'il ne pliait pas, eh bien, alors il romprait.

Tout à coup l'éclat bien connu de la voix du prince se fît entendre.

Cette voix semblait commander.

Bussy tressaillit de joie.

— Ah! dit-il, voilà le duc qui me tient parole. Mais à cet éclat il n'en succéda aucun autre, et, comme chacun se taisait en se regardant avec inquiétude, un profond silence régna bientôt parmi les courtisans.

Inquiet, troublé dans son rêve commencé, soumis maintenant au flux des espérances et au reflux de la crainte, Bussy sentit s'écouler minute par minute près d'un quart d'heure.

Tout à coup la porte de la chambre du duc s'ouvrit, et l'on entendit à travers les portières sortir de cette chambre des voix enjouées.

Bussy savait que le duc était seul avec le grand veneur, et que, si leur conversation avait suivi son cours ordinaire, elle ne devrait être rien moins que joyeuse en ce moment.

Cette placidité le fit frissonner.

Bientôt les voix se rapprochèrent, la portière se souleva. Monsoreau sortit à reculons et en saluant. Le duc le reconduisit jusqu'à la limite de sa chambre, en disant:

— Adieu! notre ami. C'est chose convenue.

— Notre ami, murmura Bussy, sangdieu! que signifie cela?

— Ainsi, monseigneur, dit Monsoreau toujours tourné vers le prince, c'est bien l'avis de Votre Altesse; le meilleur moyen à présent, c'est la publicité.

— Oui, oui, dit le duc, ce sont jeux d'enfants que tous ces mystères.

— Alors, dit le grand veneur, dès ce soir je la présenterai au roi.

— Marchez sans crainte, j'aurai tout préparé.

Le duc se pencha vers le grand veneur et lui dit quelques mots à l'oreille.

— C'est fait, monseigneur, répondit celui-ci.

Monsoreau salua une dernière fois le duc, qui, sans voir Bussy, caché qu'il était par les plis d'une portière à laquelle il se cramponnait pour ne pas tomber, examinait les assistants.

— Messieurs, dit Monsoreau se retournant vers les gentilshommes qui attendaient leur tour d'audience, et qui s'inclinaient déjà devant une faveur à l'éclat de laquelle semblait pâlir celle de Bussy; messieurs, permettez que je vous annonce une nouvelle: monseigneur me permet que je rende public mon mariage avec mademoiselle Diane de Méridor, ma femme depuis plus d'un mois, et que, sous ses auspices, je la présente ce soir à la cour.

Bussy chancela; quoique le coup ne fût déjà plus inattendu, il était si violent, qu'il pensa en être écrasé.

Ce fut alors qu'il avança la tête, et que le duc et lui, tous deux pâles de sentiments bien opposés, échangèrent un regard de mépris de la part de Bussy, de terreur de la part du duc d'Anjou.

Monsoreau traversa le groupe des gentilshommes, au milieu des compliments et des félicitations.

Quant à Bussy, il fit un mouvement pour aller au duc; mais celui-ci vit ce mouvement, et le prévint en laissant retomber la portière; en même temps, derrière la portière, la porte se referma, et l'on entendit le grincement de la clef dans la serrure.

Bussy sentit alors son sang affluer chaud et tumultueux à ses tempes et à son coeur. Sa main, rencontrant la dague pendue à son ceinturon, la tira machinalement à moitié du fourreau; car, chez cet homme, les passions prenaient un premier élan irrésistible; mais l'amour, qui l'avait poussé à cette violence, paralysa toute sa fougue; une douleur amère, profonde, lancinante, étouffa la colère: au lieu de se gonfler, le coeur éclata.

Dans ce paroxysme de deux passions qui luttaient ensemble, l'énergie du jeune homme succomba, comme tombent ensemble, pour s'être choquées au plus fort de leur ascension, deux vagues courroucées qui semblaient vouloir escalader le ciel.

Bussy comprit que, s'il restait là, il allait donner le spectacle de sa douleur insensée; il suivit le corridor, gagna l'escalier secret, descendit par une poterne dans la cour du Louvre, sauta sur son cheval et prit au galop le chemin de la rue Saint-Antoine.

Le baron et Diane attendaient la réponse promise par Bussy; ils virent le jeune homme apparaître, pâle, le visage bouleversé et les yeux sanglants.

— Madame, s'écria Bussy, méprisez-moi, haïssez-moi; je croyais être quelque chose dans ce monde, et je ne suis qu'un atome; je croyais pouvoir quelque chose, et je ne peux pas même m'arracher le coeur. Madame, vous êtes bien la femme de M. de Monsoreau, et sa femme légitime reconnue à cette heure, et qui doit être présentée ce soir. Mais je suis un pauvre fou, un misérable insensé, ou plutôt, ou plutôt, oui, comme vous le disiez, monsieur le baron, c'est M. le duc d'Anjou qui est un lâche et un infâme.

Et, laissant le père et la fille épouvantés, fou de douleur, ivre de rage, Bussy sortit de la chambre, se précipita par les montées, sauta sur son cheval, lui enfonça ses deux éperons dans le ventre, et, sans savoir où il allait, lâchant les rênes, ne s'occupant que d'étreindre son coeur grondant sous sa main crispée, il partit, semant sur son passage le vertige et la terreur.

CHAPITRE X
CE QUI S'ÉTAIT PASSÉ ENTRE MONSEIGNEUR LE DUC D'ANJOU ET LE GRAND VENEUR

Il est temps d'expliquer ce changement subit qui s'était opéré dans les façons du duc d'Anjou à l'égard de Bussy.

Le duc, lorsqu'il reçut M. de Monsoreau, après les exhortations de son gentilhomme, était monté sur le ton le plus favorable aux projets de ce dernier. Sa bile, facile à s'irriter, débordait d'un coeur ulcéré par les deux passions dominantes dans ce coeur: l'amour-propre du duc avait reçu sa blessure; la peur d'un éclat, dont menaçait Bussy, au nom de M. de Méridor, fouettait plus douloureusement encore la colère de François.

En effet, deux sentiments de cette nature produisent, en se combinant, d'épouvantables explosions, quand le coeur qui les renferme, pareil à ces bombes saturées de poudre, est assez solidement construit, assez hermétiquement clos pour que la compression double l'éclat.

M. d'Alençon reçut donc le grand veneur avec un de ces visages sévères qui faisaient trembler à la cour les plus intrépides, car on savait les ressources de François en matière de vengeance.

— Votre Altesse m'a mandé? dit Monsoreau fort calme et avec un regard aux tapisseries; car il devinait, cet homme habitué à manier l'âme du prince, tout le feu qui couvait sous ces froideurs apparentes, et l'on eût dit, pour transporter la figure de l'être vivant aux objets inanimés, qu'il demandait compte à l'appartement des projets au maître.

— Ne craignez rien, monsieur, dit le duc qui avait compris; il n'y a personne derrière ces tentures; nous pourrons causer librement et surtout franchement.

Monsoreau s'inclina.

— Car vous êtes un bon serviteur, monsieur le grand veneur de France, et vous avez de l'attachement pour ma personne?

— Je le crois, monseigneur.

— Moi, j'en suis sûr, monsieur, c'est vous qui, en mainte occasion, m'avez instruit des complots ourdis contre moi, vous qui avez aidé mes entreprises, oubliant souvent vos intérêts, exposant votre vie.

— Altesse!..

— Je le sais. Dernièrement encore, il faut que je vous le rappelle, car, en vérité, vous avez tant de délicatesse, que jamais chez vous aucune allusion, même indirecte, ne remet en évidence les services rendus. Dernièrement, pour cette malheureuse aventure...

— Quelle aventure, monseigneur?

— Cet enlèvement de mademoiselle de Méridor; pauvre jeune fille!

— Hélas! murmura Monsoreau de façon que la réponse ne fût pas sérieusement applicable au sens des paroles de François.

— Vous la plaignez, n'est-ce pas? dit ce dernier l'appelant sur un terrain sûr.

— Ne la plaindriez-vous pas, Altesse?

— Moi! oh! vous savez si j'ai regretté ce funeste caprice! Et tenez, il a fallu toute l'amitié que j'ai pour vous, toute l'habitude que j'ai de vos bons services, pour me faire oublier que sans vous je n'eusse pas enlevé la jeune fille.

Monsoreau sentit le coup.

— Voyons, se dit-il, seraient-ce simplement des remords? Monseigneur, répliqua-t-il, votre bonté naturelle vous conduit à exagérer: vous n'avez pas plus causé la mort de cette jeune fille, que moi-même...

— Comment cela?

— Certes, vous n'aviez pas l'intention de pousser la violence jusqu'à la mort de mademoiselle de Méridor?

— Oh! non.

— Alors l'intention vous absout, monseigneur; c'est un malheur, un malheur comme le hasard en cause tous les jours.

— Et, d'ailleurs, ajouta le duc en plongeant son regard dans le coeur de Monsoreau, la mort a tout enveloppé dans son éternel silence...

Il y eut assez de vibration dans la voix du prince pour que Monsoreau levât les yeux aussitôt, et se dit:

— Ce ne sont pas des remords...

— Monseigneur, reprit-il, voulez-vous que je parle franc à Votre Altesse?

— Pourquoi hésiteriez-vous? dit aussitôt le prince avec un étonnement mêlé de hauteur.

— En effet, dit Monsoreau, je ne sais pas pourquoi j'hésiterais.

— Qu'est-ce à dire?

— Oh! monseigneur, je veux dire qu'avec un prince aussi éminent par son intelligence et sa noblesse de coeur, la franchise doit entrer désormais comme un élément principal dans cette conversation.

— Désormais?.. Que signifie?

— C'est que, au début, Votre Altesse n'a pas jugé à propos d'user avec moi de cette franchise.

— Vraiment! riposta le duc avec un éclat de rire qui décelait une furieuse colère.

— Écoutez-moi, monseigneur, dit humblement Monsoreau; je sais ce que Votre Altesse voulait me dire.

— Parlez donc, alors.

— Votre Altesse voulait me faire entendre que peut-être mademoiselle de Méridor n'était pas morte, et qu'elle dispensait de remords ceux qui se croyaient ses meurtriers.

— Oh! quel temps vous avez mis, monsieur, à me faire faire cette réflexion consolante! Vous êtes un fidèle serviteur, sur ma parole! vous m'avez vu sombre, affligé; vous m'avez ouï parler des rêves funèbres que je faisais depuis la mort de cette femme, moi dont la sensibilité n'est pas banale, Dieu merci... et vous m'avez laissé vivre ainsi, lorsque, avec ce seul doute, vous pouviez m'épargner tant de souffrances!.. Comment faut-il que j'appelle cette conduite, monsieur?..

Le duc prononça ces paroles avec tout l'éclat d'un courroux prêt à déborder.

— Monseigneur, répondit Monsoreau, on dirait que Votre Altesse dirige contre moi une accusation...

— Traître! s'écria tout à coup le duc en faisant un pas vers le grand veneur, je la dirige et je l'appuie... Tu m'as trompé! tu m'as pris cette femme que j'aimais.

Monsoreau pâlit affreusement, mais ne perdit rien de son attitude calme et presque fière.

— C'est vrai, dit-il.

— Ah! c'est vrai... l'impudent, le fourbe!

— Veuillez parler plus bas, monseigneur, dit Monsoreau toujours aussi calme. Votre Altesse oublie qu'elle parle à un gentilhomme, à un bon serviteur.

Le duc se mit à rire convulsivement.

— A un bon serviteur du roi! continua Monsoreau aussi impassible qu'avant cette terrible menace.

Le duc s'arrêta sur ce seul mot.

— Que voulez-vous dire? murmura-t-il.

— Je veux dire, reprit avec douceur et obséquiosité Monsoreau, que, si monseigneur voulait bien m'entendre, il comprendrait que j'aie pu prendre cette femme, puisque son Altesse voulait elle-même la prendre.

Le duc ne trouva rien à répondre, stupéfait de tant d'audace.

— Voici mon excuse, dit humblement le grand veneur; j'aimais ardemment mademoiselle de Méridor...

— Moi aussi! répondit François avec une inexprimable dignité.

— C'est vrai, monseigneur, vous êtes mon maître; mais mademoiselle de Méridor ne vous aimait pas.

— Et elle t'aimait, toi?

— Peut-être, murmura Monsoreau.

— Tu mens! tu mens! tu l'as violentée comme je la violentais.

Seulement, moi, le maître, j'ai échoué; toi, le valet, tu as réussi.

C'est que je n'ai que la puissance, tandis que tu avais la trahison.

— Monseigneur, je l'aimais.

— Que m'importe, à moi?

— Monseigneur...

— Des menaces, serpent?

— Monseigneur! prenez garde! dit Monsoreau en baissant la tête comme le tigre qui médite son élan. Je l'aimais, vous dis-je, et je ne suis pas un de vos valets comme vous disiez tout à l'heure. Ma femme est à moi comme ma terre; nul ne peut me la prendre, pas même le roi. Or j'ai voulu avoir cette femme, et je l'ai prise.

— Vraiment! dit François en s'élançant vers le timbre d'argent placé sur la table, tu l'as prise, eh bien, tu la rendras.

— Vous vous trompez, monseigneur, s'écria Monsoreau en se précipitant vers la table pour empêcher le prince d'appeler. Arrêtez cette mauvaise pensée qui vous vient de me nuire; car, si vous appeliez une fois, si vous me faisiez une injure publique...

— Tu rendras cette femme, te dis-je.

— La rendre, comment?.. Elle est ma femme, je l'ai épousée devant Dieu.

Monsoreau comptait sur l'effet de cette parole, mais le prince ne quitta point son attitude irritée.

— Si elle est ta femme devant Dieu, dit-il, tu la rendras aux hommes!

— Il sait donc tout? murmura Monsoreau.

— Oui, je sais tout. Ce mariage, tu le rompras; je le romprai, fusses-tu cent fois engagé devant tous les dieux qui ont régné dans le ciel.

— Ah! monseigneur, vous blasphémez, dit Monsoreau.

— Demain, mademoiselle de Méridor sera rendue à son père; demain tu partiras pour l'exil que je vais t'imposer. Dans une heure, tu auras vendu ta charge de grand veneur: voilà mes conditions, sinon, prends garde, vassal, je te briserai comme je brise ce verre.

Et le prince, saisissant une coupe de cristal émaillée, présent de l'archiduc d'Autriche, la lança comme un furieux vers Monsoreau qui fut enveloppé de ses débris.

— Je ne rendrai pas la femme, je ne quitterai pas ma charge et je demeurerai en France, reprit Monsoreau en courant à François stupéfait.

— Pourquoi cela... maudit?

— Parce que je demanderai ma grâce au roi de France, au roi élu à l'abbaye de Sainte-Geneviève, et que ce nouveau souverain, si bon, si noble, si heureux de la faveur divine, toute récente encore, ne refusera pas d'écouter le premier suppliant qui lui présentera une requête.

Monsoreau avait accentué progressivement ces mots terribles; le feu de ses yeux passait peu à peu dans sa parole, qui devenait éclatante.

François pâlit à son tour, fît un pas en arrière, alla pousser la lourde tapisserie de la porte d'entrée, puis, saisissant Monsoreau par la main, il lui dit, en saccadant chaque mot comme s'il eût été au bout de ses forces:

— C'est bien... c'est bien... comte, cette requête, présentez-la-moi plus bas... je vous écoute.

— Je parlerai humblement, dit Monsoreau redevenu tout à coup tranquille, humblement comme il convient au très-humble serviteur de Votre Altesse.

François fit lentement le tour de la vaste chambre, et, quand il fut à portée de regarder derrière les tapisseries, il y regarda chaque fois. Il semblait ne pouvoir croire que les paroles de Monsoreau n'eussent pas été entendues.

— Vous disiez? demanda-t-il.

— Je disais, monseigneur, qu'un fatal amour a tout fait. L'amour, noble seigneur, est la plus impérieuse des passions... Pour me faire oublier que Votre Altesse avait jeté les yeux sur Diane, il fallait que je ne fusse plus maître de moi.

— Je vous le disais, comte, c'est une trahison.

— Ne m'accablez pas, monseigneur, voilà quelle est la pensée qui me vint. Je vous voyais riche, jeune, heureux; je vous voyais le premier prince du monde chrétien.

Le duc fit un mouvement.

— Car vous l'êtes... murmura Monsoreau à l'oreille du duc; entre ce rang suprême et vous, il n'y a plus qu'une ombre, facile à dissiper... Je voyais toute la splendeur de votre avenir, et, comparant cette immense fortune au peu de chose que j'ambitionnais, ébloui de votre rayonnement futur qui m'empêchait presque de voir la pauvre petite fleur que je désirais, moi chétif, près de vous, mon maître, je me suis dit: Laissons le prince à ses rêves brillants, à ses projets splendides; là est son but; moi, je cherche le mien dans l'ombre... A peine s'apercevra-t-il de ma retraite, à peine sentira-t-il glisser la chétive perle que je dérobe à son bandeau royal.

— Comte! comte! dit le duc, enivré malgré lui par la magie de cette peinture.

— Vous me pardonnez, n'est-ce pas, monseigneur?

A ce moment, le duc leva les yeux. Il vit au mur, tapissé de cuir doré, le portrait de Bussy, qu'il aimait à regarder parfois comme il avait jadis aimé à regarder le portrait de la Mole. Ce portrait avait l'oeil si fier, la mine si haute, il tenait son bras si superbement arrondi sur la hanche, que le duc se figura voir Bussy lui-même avec son oeil de feu, Bussy qui sortait de la muraille pour l'exciter à prendre courage.

— Non, dit-il, je ne puis vous pardonner: ce n'est pas pour moi que je tiens rigueur, Dieu m'en est témoin; c'est parce qu'un père en deuil, un père indignement abusé, réclame sa fille; c'est parce qu'une femme, forcée à vous épouser, crie vengeance contre vous; c'est parce que, en un mot, le premier devoir d'un prince est la justice.

— Monseigneur!

— C'est, vous dis-je, le premier devoir d'un prince, et je ferai justice...

— Si la justice, dit Monsoreau, est le premier devoir d'un prince, la reconnaissance est le premier devoir d'un roi.

— Que dites-vous?

— Je dis que jamais un roi ne doit oublier celui auquel il doit sa couronne... Or, monseigneur...

— Eh bien?..

— Vous me devez la couronne, sire!

— Monsoreau! s'écria le duc avec une terreur plus grande encore qu'aux premières attaques du grand veneur. Monsoreau! reprit-il d'une voix basse et tremblante, êtes-vous donc alors un traître envers le roi comme vous fûtes un traître envers le prince?

— Je m'attache à qui me soutient, sire! continua Monsoreau d'une voix de plus en plus élevée.

— Malheureux!..

Et le duc regarda encore le portrait de Bussy.

— Je ne puis! dit-il... Vous êtes un loyal gentilhomme, Monsoreau, vous comprendrez que je ne puis approuver ce que vous avez fait.

— Pourquoi cela, monseigneur?

— Parce que c'est une action indigne de vous et de moi... Renoncez à cette femme. Eh! mon cher comte... encore ce sacrifice; mon cher comte, je vous en dédommagerai par tout ce que vous me demanderez...

— Votre Altesse aime donc encore Diane de Méridor? fit Monsoreau pâle de jalousie.

— Non! non! je le jure, non!

— Eh bien, alors, qui peut arrêter Votre Altesse? Elle est ma femme; ne suis-je pas bon gentilhomme? quelqu'un peut-il s'immiscer ainsi dans les secrets de ma vie?

— Mais elle ne vous aime pas.

— Qu'importe?

— Faites cela pour moi, Monsoreau...

— Je ne le puis...

— Alors... dit le duc plongé dans la plus horrible perplexité... alors...

— Réfléchissez, sire!

Le duc essuya son front couvert de la sueur que ce titre prononcé par le comte venait d'y faire monter.

— Vous me dénonceriez?

— Au roi détrôné pour vous, oui, Votre Majesté; car, si mon nouveau prince me blessait dans mon honneur, dans mon bonheur, je retournerais à l'ancien.

— C'est infâme!

— C'est vrai, sire; mais j'aime assez pour être infâme.

— C'est lâche!

— Oui, Votre Majesté, mais j'aime assez pour être lâche.

Le duc fit un mouvement vers Monsoreau. Mais celui-ci l'arrêta d'un seul regard, d'un seul sourire.

— Vous ne gagneriez rien à me tuer, monseigneur, dit-il; il est des secrets qui surnagent avec les cadavres! Restons, vous un roi plein de clémence, moi le plus humble de vos sujets!

Le duc se brisait les doigts les uns contre les autres, il les déchirait avec les ongles.

— Allons, allons, mon bon seigneur, faites quelque chose pour l'homme qui vous a le mieux servi en toute chose.

François se leva.

— Que demandez-vous? dit-il.

— Que Votre Majesté...

— Malheureux! malheureux! tu veux donc que je le supplie?

— Oh! monseigneur!

Et Monsoreau s'inclina.

— Dites, murmura François.

— Monseigneur, vous me pardonnerez?

— Oui.

— Monseigneur, vous me réconcilierez avec M. de Méridor?

— Oui.

— Monseigneur, vous signerez mon contrat de mariage avec mademoiselle de Méridor?

— Oui, fit le duc d'une voix étouffée.

— Et vous honorerez ma femme d'un sourire, le jour où elle paraîtra en cérémonie au cercle de la reine, à qui je veux avoir l'honneur de la présenter?

— Oui, dit François; est-ce tout?

— Absolument tout, monseigneur.

— Allez, vous avez ma parole.

— Et vous, dit Monsoreau en s'approchant de l'oreille du duc, vous conserverez le trône où je vous ai fait monter! Adieu, sire.

Cette fois il le dit si bas, que l'harmonie de ce mot parut suave au prince.

— Il ne me reste plus, pensa Monsoreau, qu'à savoir comment le duc a été instruit.