Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «La dame de Monsoreau — Tome 3»

Yazı tipi:

CHAPITRE PREMIER
CE QUE VENAIT ANNONCER M. LE COMTE DE MONSOREAU

Monsoreau marchait de surprise en surprise: le mur de Méridor rencontré comme par enchantement, ce cheval caressant le cheval qui l'avait amené, comme s'il eût été de sa plus intime connaissance, il y avait certes là de quoi faire réfléchir les moins soupçonneux. En s'approchant, et l'on devine si M. de Monsoreau s'approcha vivement; en s'approchant, il remarqua la dégradation du mur à cet endroit; c'était une véritable échelle, qui menaçait de devenir une brèche; les pieds semblaient s'être creusé des échelons dans la pierre, et les ronces, arrachées fraîchement, pendaient à leurs branches meurtries.

Le comte embrassa tout l'ensemble d'un coup d'oeil, puis, de l'ensemble, il passa aux détails.

Le cheval méritait le premier rang, il l'obtint.

L'indiscret animal portait une selle garnie d'une housse brodée d'argent. Dans un des coins était un double F, entrelaçant un double A.

C'était, à n'en pas douter, un cheval des écuries du prince, puisque le chiffre faisait: François d'Anjou.

Les soupçons du comte, à cette vue, devinrent de véritables alarmes. Le duc était donc venu de ce côté; il y venait donc souvent, puisque, outre le cheval attaché, il y en avait un second qui savait le chemin.

Monsoreau conclut, puisque le hasard l'avait mis sur cette piste, qu'il fallait suivre cette piste jusqu'au bout.

C'était d'abord dans ses habitudes de grand veneur et de mari jaloux.

Mais, tant qu'il resterait de ce côté du mur, il était évident qu'il ne verrait rien.

En conséquence, il attacha son cheval près du cheval voisin, et commença bravement l'escalade.

C'était chose facile: un pied appelait l'autre, la main avait ses places toutes faites pour se poser, la courbe du bras était dessinée sur les pierres à la surface de la crête du mur, et l'on avait soigneusement élagué, avec un couteau de chasse, un chêne, dont, à cet endroit, les rameaux embarrassaient la vue et empêchaient le geste.

Tant d'efforts furent couronnés d'un entier succès. M. de Monsoreau ne fut pas plutôt établi à son observatoire, qu'il aperçut, au pied d'un arbre, une mantille bleue et un manteau de velours noir. La mantille appartenait sans conteste à une femme, et le manteau noir à un homme; d'ailleurs, il n'y avait point à chercher bien loin, l'homme et la femme se promenaient à cinquante pas de là, les bras enlacés, tournant le dos au mur, et cachés d'ailleurs par le feuillage du buisson.

Malheureusement pour M. de Monsoreau, qui n'avait pas habitué le mur à ses violences, un moellon se détacha du chaperon et tomba, brisant les branches, jusque sur l'herbe: là, il retentit avec un écho mugissant.

A ce bruit, il paraît que les personnages dont le buisson cachait les traits à M. de Monsoreau se retournèrent et l'aperçurent, car un cri de femme aigu et significatif se fit entendre, puis un frôlement dans le feuillage avertit le comte qu'ils se sauvaient comme deux chevreuils effrayés.

Au cri de la femme, Monsoreau avait senti la sueur de l'angoisse lui monter au front: il avait reconnu la voix de Diane.

Incapable dès lors de résister au mouvement de fureur qui l'emportait, il s'élança du haut du mur, et, son épée à la main, se mit à fendre buissons et rameaux pour suivre les fugitifs.

Mais tout avait disparu, rien ne troublait plus le silence du parc; pas une ombre au fond des allées, pas une trace dans les chemins, pas un bruit dans les massifs, si ce n'est le chant des rossignols et des fauvettes, qui, habitués à voir les deux amants, n'avaient pu être effrayés par eux.

Que faire en présence de la solitude? que résoudre? où courir? Le parc était grand; on pouvait, en poursuivant ceux qu'on cherchait, rencontrer ceux que l'on ne cherchait pas.

M. de Monsoreau songea que la découverte qu'il avait faite suffisait pour le moment; d'ailleurs, il se sentait lui-même sous l'empire d'un sentiment trop violent pour agir avec la prudence qu'il convenait de déployer vis-à-vis d'un rival aussi redoutable que l'était François; car il ne doutait pas que ce rival ne fût le prince. Puis, si, par hasard, ce n'était pas lui, il avait près du duc d'Anjou une mission pressée à accomplir; d'ailleurs, il verrait bien, en se retrouvant près du prince, ce qu'il devait penser de sa culpabilité ou de son innocence.

Puis, une idée sublime lui vint. C'était de franchir le mur à l'endroit même où il l'avait déjà escaladé, et d'enlever avec le sien le cheval de l'intrus surpris par lui dans le parc.

Ce projet vengeur lui donna des forces; il reprit sa course et arriva au pied du mur, haletant et couvert de sueur.

Alors, s'aidant de chaque branche, il parvint au faîte et retomba de l'autre côté; mais, de l'autre côté, plus de cheval, ou, pour mieux dire, plus de chevaux. L'idée qu'il avait eue était si bonne, qu'avant de lui venir, à lui, elle était venue à son ennemi, et que son ennemi en avait profité.

M. de Monsoreau, accablé, laissa échapper un rugissement de rage, montrant le poing à ce démon malicieux, qui, bien certainement, riait de lui dans l'ombre déjà épaisse du bois; mais, comme chez lui la volonté n'était pas facilement vaincue, il réagit contre les fatalités successives qui semblaient prendre à tâche de l'accabler: en s'orientant à l'instant même, malgré la nuit qui descendait rapidement, il réunit toutes ses forces et regagna Angers par un chemin de traverse qu'il connaissait depuis son enfance.

Deux heures et demie après, il arrivait à la porte de la ville, mourant de soif, de chaleur et de fatigue: mais l'exaltation de la pensée avait donné des forces au corps, et c'était toujours le même homme volontaire et violent à la fois.

D'ailleurs, une idée le soutenait: il interrogerait la sentinelle, ou plutôt les sentinelles; il irait de porte en porte; il saurait par quelle porte un homme était entré avec deux chevaux; il viderait sa bourse, il ferait des promesses d'or, et il connaîtrait le signalement de cet homme. Alors, quel qu'il fût, prochainement ou plus tard, cet homme lui payerait sa dette.

Il interrogea la sentinelle; mais la sentinelle venait d'être placée et ne savait rien. Il entra au corps de garde et s'informa: le milicien qui descendait de garde avait vu, il y avait deux heures à peu près, rentrer un cheval sans maître, qui avait repris tout seul le chemin du palais.

Il avait alors pensé qu'il était arrivé quelque accident au cavalier, et que le cheval intelligent avait regagné seul le logis.

Monsoreau se frappa le front: il était décidé qu'il ne saurait rien.

Alors il s'achemina à son tour vers le château ducal.

Là, grande vie, grand bruit, grande joie; les fenêtres resplendissaient comme des soleils, et les cuisines reluisaient comme des fours embrasés, envoyant par leurs soupiraux des parfums de venaison et de girofle capables de faire oublier à l'estomac qu'il est voisin du coeur.

Mais les grilles étaient fermées, et là une difficulté se présenta: il fallait se les faire ouvrir.

Monsoreau appela le concierge et se nomma; mais le concierge ne voulut point le reconnaître.

— Vous étiez droit, et vous êtes voûté, lui dit-il.

— C'est la fatigue.

— Vous étiez pâle, et vous êtes rouge.

— C'est la chaleur.

— Vous étiez à cheval, et vous rentrez sans cheval.

— C'est que mon cheval a eu peur, a fait un écart, m'a désarçonné et est rentré sans cavalier. N'avez-vous pas vu mon cheval?

— Ah! si fait, dit le concierge.

— En tout cas, allez prévenir le majordome.

Le concierge, enchanté de cette ouverture qui le déchargeait de toute responsabilité, envoya prévenir M. Remy.

M. Remy arriva, et reconnut parfaitement Monsoreau.

— Et d'où venez-vous, mon Dieu! dans un pareil état? lui demanda-t-il.

Monsoreau répéta la même fable qu'il avait déjà faite au concierge.

— En effet, dit le majordome, nous avons été fort inquiets, quand nous avons vu arriver le cheval sans cavalier; monseigneur surtout, que j'avais eu l'honneur de prévenir de votre arrivée.

— Ah! monseigneur a paru inquiet? fit Monsoreau.

— Fort inquiet.

— Et qu'a-t-il dit?

— Qu'on vous introduisît près de lui aussitôt votre arrivée.

— Bien! le temps de passer à l'écurie seulement, voir s'il n'est rien arrivé au cheval de Son Altesse.

Et Monsoreau passa à l'écurie, et reconnut, à la place où il l'avait pris, l'intelligent animal, qui mangeait en cheval qui sent le besoin de réparer ses forces.

Puis, sans même prendre le soin de changer de costume, — Monsoreau pensait que l'importance de la nouvelle qu'il apportait devait l'emporter sur l'étiquette, — sans même changer, disons-nous, le grand veneur se dirigea vers la salle à manger.

Tous les gentilshommes du prince, et Son Altesse elle-même, réunis autour d'une table magnifiquement servie et splendidement éclairée, attaquaient les pâtés de faisans, les grillades fraîches de sanglier et les entremets épicés, qu'ils arrosaient de ce vin noir de Cahors si généreux et si velouté, ou de ce perfide, suave et pétillant vin d'Anjou, dont les fumées s'extravasent dans la tête avant que les topazes qu'il distille dans le verre soient tout à fait épuisées.

— La cour est au grand complet, disait Antraguet, rose comme une jeune fille et déjà ivre comme un vieux reître; au complet comme la cave de Votre Altesse.

— Non pas, non pas, dit Ribérac, il nous manque un grand veneur. Il est, en vérité, honteux que nous mangions le dîner de Son Altesse, et que nous ne le prenions pas nous-mêmes.

— Moi, je vote pour un grand veneur quelconque, dit Livarot; peu importe lequel, fût-ce M. de Monsoreau.

Le duc sourit, il savait seul l'arrivée du comte.

Livarot achevait à peine sa phrase et le prince son sourire que la porte s'ouvrit et que M. de Monsoreau entra.

Le duc fit, en l'apercevant, une exclamation d'autant plus bruyante, qu'elle retentit au milieu du silence général.

— Eh bien! le voici, dit-il, vous voyez que nous sommes favorisés du ciel, messieurs, puisque le ciel nous envoie à l'instant ce que nous désirons.

Monsoreau, décontenancé de cet aplomb du prince, qui, dans les cas pareils, n'était pas habituel à Son Altesse, salua d'un air assez embarrassé et détourna la tête, ébloui comme un hibou tout à coup transporté de l'obscurité au grand soleil.

— Asseyez-vous là et soupez, dit le duc en montrant à M. de Monsoreau une place en face de lui.

— Monseigneur, répondit Monsoreau, j'ai bien soif, j'ai bien faim, je suis bien las; mais je ne boirai, je ne mangerai, je ne m'assoirai qu'après m'être acquitté près de Votre Altesse d'un message de la plus haute importance.

— Vous venez de Paris, n'est-ce pas?

— En toute hâte, monseigneur.

— Eh bien! j'écoute, dit le duc.

Monsoreau s'approcha de François, et, le sourire sur les lèvres, la haine dans Je coeur, il lui dit tout bas:

— Monseigneur, madame la reine mère s'avance à grandes journées; elle vient voir Votre Altesse.

Le duc, sur qui chacun avait les yeux fixés, laissa percer une joie soudaine.

— C'est bien, dit-il, merci. Monsieur de Monsoreau, aujourd'hui comme toujours, je vous trouve fidèle serviteur; continuons de souper, messieurs.

Et il rapprocha de la table son fauteuil qu'il avait éloigné un instant pour écouter M. de Monsoreau.

Le festin recommença; le grand veneur, placé entre Livarot et Ribérac, n'eut pas plutôt goûté les douceurs d'un bon siège, et ne se fut pas plutôt trouvé en face d'un repas copieux, qu'il perdit tout à coup l'appétit.

L'esprit reprenait le dessus sur la matière.

L'esprit, entraîné dans de tristes pensées, retournait au parc de Méridor, et, faisant de nouveau le voyage que le corps brisé venait d'accomplir, repassait, comme un pèlerin attentif, par ce chemin fleuri qui l'avait conduit à la muraille.

Il revoyait le cheval hennissant; il revoyait le mur dégradé; il revoyait les deux ombres amoureuses et fuyantes; il entendait le cri de Diane, ce cri qui avait retenti au plus profond de son coeur.

Alors, indifférent au bruit, à la lumière, au repas même, oubliant à côté de qui et en face de qui il se trouvait, il s'ensevelissait dans sa propre pensée, laissant son front se couvrir peu à peu de nuages, et chassant de sa poitrine un sourd gémissement qui attirait l'attention des convives étonnés.

— Vous tombez de lassitude, monsieur le grand veneur, dit le prince; en vérité, vous feriez bien d'aller vous coucher.

— Ma foi, oui, dit Livarot, le conseil est bon, et, si vous ne le suivez pas, vous courez grand risque de vous endormir dans votre assiette.

— Pardon, monseigneur, dit Monsoreau en relevant la tête; en effet, je suis écrasé de fatigue.

— Enivrez-vous, comte, dit Antraguet, rien ne délasse comme cela.

— Et puis, murmura Monsoreau, en s'enivrant on oublie.

— Bah! dit Livarot, il n'y a pas moyen; voyez, messieurs, son verre est encore plein.

— A votre santé, comte, dit Ribérac en levant son verre.

Monsoreau fut forcé de faire raison au gentilhomme, et vida le sien d'un seul trait.

— Il boit cependant très-bien; voyez, monseigneur, dit Antraguet.

— Oui, répondit le prince, qui essayait de lire dans le coeur du comte; oui, à merveille.

— Il faudra cependant que vous nous fassiez faire une belle chasse, comte, dit Ribérac; vous connaissez le pays.

— Vous y avez des équipages, des bois, dit Livarot.

— Et même une femme, ajouta Antraguet.

— Oui, répéta machinalement le comte, oui, des équipages, des bois et madame de Monsoreau, oui, messieurs, oui.

— Faites-nous chasser un sanglier, comte, dit le prince.

— Je tâcherai, monseigneur.

— Eh! pardieu, dit un des gentilshommes angevins, vous tâcherez, voilà une belle réponse! le bois en foisonne, de sangliers. Si je chassais au vieux taillis, je voudrais, au bout de cinq minutes, en avoir fait lever dix.

Monsoreau pâlit malgré lui; le vieux taillis était justement cette partie du bois où Roland venait de le conduire.

— Ah! oui, oui, demain, demain! s'écrièrent en choeur les gentilshommes.

— Voulez-vous demain, Monsoreau? demanda le duc.

— Je suis toujours aux ordres de Votre Altesse, répondit Monsoreau; mais cependant, comme monseigneur daignait le remarquer il n'y a qu'un instant, je suis bien fatigué pour conduire une chasse demain. Puis, j'ai besoin de visiter les environs et de savoir où en sont nos bois.

— Et puis, enfin, laissez-lui voir sa femme, que diable! dit le duc avec une bonhomie qui convainquit le pauvre mari que le duc était son rival.

— Accordé! accordé! crièrent les jeunes gens avec gaieté. Nous donnons vingt-quatre heures à M. de Monsoreau pour faire, dans ses bois, tout ce qu'il a à y faire.

— Oui, messieurs, donnez-les-moi, dit le comte, et je vous promets de les bien employer.

— Maintenant, notre grand veneur, dit le duc, je vous permets d'aller trouver votre lit. Que l'on conduise M. de Monsoreau à son appartement!

M. de Monsoreau salua et sortit, soulagé d'un grand fardeau, la contrainte.

Les gens affligés aiment la solitude plus encore que les amants heureux.

CHAPITRE II
COMMENT LE ROI HENRI III APPRIT LA FUITE DE SON FRÈRE BIEN-AIMÉ LE DUC D'ANJOU, ET DE CE QUI S'ENSUIVIT

Une fois le grand veneur sorti de la salle à manger, le repas continua plus gai, plus joyeux, plus libre que jamais.

La figure sombre du Monsoreau n'avait pas peu contribué à maintenir les jeunes gentilshommes; car, sous le prétexte et même sous la réalité de la fatigue, ils avaient démêlé cette continuelle préoccupation de sujets lugubres qui imprimait au front du comte cette tache de tristesse mortelle qui faisait le caractère particulier de sa physionomie.

Lorsqu'il fut parti, et que le prince, toujours gêné en sa présence, eut repris son air tranquille:

— Voyons, Livarot, dit le duc, tu avais, lorsque est entré notre grand veneur, commencé de nous raconter votre fuite de Paris. Continue.

Et Livarot continua.

Mais, comme notre titre d'historien nous donne le privilège de savoir mieux que Livarot lui-même ce qui s'était passé, nous substituerons notre récit à celui du jeune homme. Peut-être y perdra-t-il comme couleur, mais il y gagnera comme étendue, puisque nous savons ce que Livarot ne pouvait savoir, c'est-à-dire ce qui s'était passé au Louvre.

Vers le milieu de la nuit, Henri III fut réveillé par un bruit inaccoutumé qui retentissait dans le palais, où cependant, le roi une fois couché, le silence le plus profond était prescrit.

C'étaient des jurons, des coups de hallebarde contre les murailles, des courses rapides dans les galeries, des imprécations à faire ouvrir la terre; et, au milieu de tous ces bruits, de tous ces chocs, de tous ces blasphèmes, ces mots répétés par des milliers d'échos:

— Que dira le roi? que dira le roi?

Henri se dressa sur son lit et regarda Chicot, qui, après avoir soupé avec Sa Majesté, s'était laissé aller au sommeil dans un grand fauteuil, les jambes enlacées à sa rapière.

Les rumeurs redoublaient.

Henri sauta en bas de son lit, tout luisant de pommade, en criant:

— Chicot! Chicot!

Chicot ouvrit un oeil. C'était un garçon prudent qui appréciait fort le sommeil et qui ne se réveillait jamais tout à fait du premier coup.

— Ah! tu as eu tort de m'appeler, Henri, dit-il. Je rêvais que tu avais un fils.

— Écoute! dit Henri, écoute!

— Que veux-tu que j'écoute? Il me semble cependant que tu me dis bien assez de sottises comme cela pendant le jour, sans prendre encore sur mes nuits.

— Mais tu n'entends donc pas? dit le roi en étendant la main dans la direction du bruit.

— Oh! oh! s'écria Chicot; en effet, j'entends des cris.

— Que dira le roi? que dira le roi? répéta Henri. Entends-tu?

— Il y a deux choses à soupçonner: ou ton lévrier Narcisse est malade, ou les huguenots prennent leur revanche et font une Saint-Barthélemy de catholiques.

— Aide-moi à m'habiller, Chicot.

— Je le veux bien; mais aide-moi à me lever, Henri.

— Quel malheur! quel malheur! répétait-on dans les antichambres.

— Diable! ceci devient sérieux, dit Chicot.

— Nous ferons bien de nous armer, dit le roi.

— Nous ferons mieux encore, dit Chicot, de nous dépêcher de sortir par la petite porte, afin de voir et de juger par nous-mêmes le malheur, au lieu de nous le laisser raconter.

Presque aussitôt, suivant le conseil de Chicot, Henri sortit par la porte dérobée et se trouva dans le corridor qui conduisait aux appartements du duc d'Anjou.

C'est là qu'il vit des bras levés au ciel et qu'il entendit les exclamations les plus désespérées.

— Oh! oh! dit Chicot, je devine: ton malheureux prisonnier se sera étranglé dans sa prison. Ventre-de biche! Henri, je te fais mon compliment, tu es un plus grand politique que je ne croyais.

— Eh! non, malheureux! s'écria Henri, ce ne peut être cela.

— Tant pis, dit Chicot.

— Viens, viens.

Et Henri entraîna le Gascon dans la chambre du duc.

La fenêtre était ouverte et garnie d'une foule de curieux entassés les uns sur les autres pour contempler l'échelle de corde accrochée aux trèfles de fer du balcon.

Henri devint pâle comme la mort.

— Eh! eh! mon fils, dit Chicot, tu n'es pas encore si fort blasé que je le croyais.

— Enfui! évadé! cria Henri d'une voix si retentissante, que tous les gentilshommes se retournèrent.

Il y avait des éclairs dans les yeux du roi; sa main serrait convulsivement la poignée de sa miséricorde.

Schomberg s'arrachait les cheveux, Quélus se bourrait le visage de coups de poing, et Maugiron frappait, comme un bélier, de la tête dans la cloison.

Quant à d'Épernon, il avait disparu sous le spécieux prétexte de courir après M. le duc d'Anjou.

La vue du martyre que, dans leur désespoir, s'infligeaient ses favoris calma tout à coup le roi.

— Hé là! doucement, mon fils, dit-il en retenant Maugiron par le milieu du corps.

— Non, mordieu! j'en crèverai, ou le diable m'emporte! dit le jeune homme en prenant du champ pour se briser la tête non plus sur la cloison, mais sur le mur.

— Holà! aidez-moi donc à le retenir, cria Henri.

— Eh! compère, dit Chicot, il y a une mort plus douce: passez-vous tout bonnement votre épée au travers du ventre.

— Veux-tu te taire, bourreau! dit Henri les larmes aux yeux.

Pendant ce temps, Quélus se meurtrissait les joues.

— Oh! Quélus, mon enfant, dit Henri, tu vas ressembler à Schomberg quand il a été trempé dans le bleu de Prusse! Tu seras affreux, mon ami!

Quélus s'arrêta.

Schomberg seul continuait à se dépouiller les tempes; il en pleurait de rage.

— Schomberg! Schomberg! mon mignon, cria Henri, un peu de raison, je t'en prie!

— J'en deviendrai fou.

— Bah! dit Chicot.

— Le fait est, dit Henri, que c'est un affreux malheur, et voilà pourquoi il faut que tu gardes la raison, Schomberg. Oui, c'est un affreux malheur. Je suis perdu! Voilà la guerre civile dans mon royaume... Ah! qui a fait ce coup-là? qui a fourni l'échelle? Par la mordieu! je ferai pendre toute la ville.

Une profonde terreur s'empara des assistants.

— Qui est le coupable? continua Henri; où est le coupable? Dix mille écus à qui me dira son nom! cent mille écus à qui me le livrera mort ou vif!

— Qui voulez-vous que ce soit, s'écria Maugiron, sinon quelque Angevin?

— Pardieu! tu as raison, s'écria Henri. Ah! les Angevins, mordieu! les Angevins, ils me le payeront!

Et, comme si cette parole eût été une étincelle communiquant le feu à une traînée de poudre, une effroyable explosion de cris et de menaces retentit contre les Angevins.

— Oh! oui, les Angevins! cria Quélus.

— Où sont-ils? hurla Schomberg.

— Qu'on les éventre! vociféra Maugiron.

— Cent potences pour cent Angevins! reprit le roi.

Chicot ne pouvait rester muet dans cette fureur universelle: il tira son épée avec un geste de taille-bras, et, s'escrimant du plat à droite et à gauche, il rossa les mignons et battit les murs en répétant avec des yeux farouches:

— Oh! ventre-de-biche! oh! mâle-rage! ah! damnation! les Angevins, mordieu! mort aux Angevins!

Ce cri: Mort aux Angevins! fut entendu de toute la ville comme le cri des mères Israélites fut entendu par tout Raina.

Cependant Henri avait disparu.

Il avait songé à sa mère, et, se glissant hors de la chambre sans mot dire, il était allé trouver Catherine, un peu négligée depuis quelque temps, et qui, renfermée dans son indifférence affectée, attendait, avec sa pénétration florentine, une bonne occasion de voir surnager sa politique.

Lorsque Henri entra, elle était à demi couchée, pensive, dans un grand fauteuil, et elle ressemblait plus, avec ses joues grasses, mais un peu jaunâtres, avec ses yeux brillants, mais fixes, avec ses mains potelées, mais pâles, à une statue de cire exprimant la méditation qu'à un être animé qui pense.

Mais, à la nouvelle de l'évasion de François, nouvelle que Henri donna, au reste, sans ménagement aucun, tout embrasé qu'il était de colère et de haine, la statue parut se réveiller tout à coup, quoique le geste qui annonçait ce réveil se bornât, pour elle, à s'enfoncer davantage encore dans son fauteuil et à secouer la tête sans rien dire.

— Eh! ma mère, dit Henri, vous ne vous écriez pas?

— Pourquoi faire, mon fils? demanda Catherine.

— Comment! cette évasion de votre fils ne vous paraît pas criminelle, menaçante, digne des plus grands châtiments?

— Mon cher fils, la liberté vaut bien une couronne, et rappelez-vous que je vous ai, à vous-même, conseillé de fuir quand vous pouviez atteindre cette couronne.

— Ma mère, on m'outrage.

Catherine haussa les épaules.

— Ma mère, on me brave.

— Eh! non, dit Catherine, on se sauve, voilà tout.

— Ah! dit Henri, voilà comme vous prenez mon parti!

— Que voulez-vous dire, mon fils?

— Je dis qu'avec l'âge les sentiments s'émoussent; je dis...

Il s'arrêta.

— Que dites-vous? reprit Catherine avec son calme habituel.

— Je dis que vous ne m'aimez plus comme autrefois.

— Vous vous trompez, dit Catherine avec une froideur croissante. Vous êtes mon fils bien-aimé, Henri; mais celui dont vous vous plaignez est aussi mon fils.

— Ah! trêve à la morale maternelle, madame, dit Henri furieux; nous connaissons ce que cela vaut.

— Eh! vous devez le connaître mieux que personne, mon fils; car, vis-à-vis de vous, ma morale a toujours été de la faiblesse.

— Et, comme vous en êtes aux repentirs, vous vous repentez.

— Je sentais bien que nous en viendrions là, mon fils, dit Catherine; voilà pourquoi je gardais le silence.

— Adieu, madame, adieu, dit Henri; je sais ce qu'il me reste à faire, puisque, chez ma mère même, il n'y a plus de compassion pour moi. Je trouverai des conseillers capables de seconder mon ressentiment et de m'éclairer dans cette rencontre.

— Allez, mon fils, dit tranquillement la Florentine, et que l'esprit de Dieu soit avec ces conseillers, car ils en auront bien besoin pour vous tirer d'embarras.

Et elle le laissa s'éloigner sans faire un geste, sans dire un mot pour le retenir.

— Adieu, madame, répéta Henri. Mais, près de la porte, il s'arrêta.

— Henri, adieu, dit la reine; seulement encore un mot. Je ne prétends pas vous donner un conseil, mon fils; vous n'avez pas besoin de moi, je le sais; mais priez vos conseillers de bien réfléchir avant d'émettre leur avis, et de bien réfléchir encore avant de mettre cet avis à exécution.

— Oh! oui, dit Henri, se rattachant à ce mot de sa mère et en profitant pour ne pas aller plus loin, car la circonstance est difficile, n'est-ce pas, madame?

— Grave, dit lentement Catherine en levant les yeux et les mains au ciel, bien grave, Henri.

Le roi, frappé de cette expression de terreur qu'il croyait lire dans les yeux de sa mère, revint près d'elle.

— Quels sont ceux qui l'ont enlevé? en avez-vous quelque idée, ma mère?

Catherine ne répondit point.

— Moi, dit Henri, je pense que ce sont les Angevins.

Catherine sourit avec cette finesse qui montrait toujours en elle un esprit supérieur veillant pour terrasser et confondre l'esprit d'autrui.

— Les Angevins? répéta-t-elle.

— Vous ne le croyez pas, dit Henri, tout le monde le croit.

Catherine fit encore un mouvement d'épaules.

— Que les autres croient cela, bien, dit-elle; mais vous, mon fils, enfin!

— Quoi donc! madame!.. Que voulez-vous dire?.. Expliquez-vous, je vous en supplie.

— A quoi bon m'expliquer?

— Votre explication m'éclairera.

— Vous éclairera! Allons donc! Henri, je ne suis qu'une femme vieille et radoteuse; ma seule influence est dans mon repentir et dans mes prières.

— Non, parlez, parlez, ma mère, je vous écoute. Oh! vous êtes encore, vous serez toujours notre âme à nous tous. Parlez.

— Inutile; je n'ai que des idées de l'autre siècle, et la défiance fait tout l'esprit des vieillards. La vieille Catherine! donner, à son âge, un conseil qui vaille encore quelque chose! Allons donc! mon fils, impossible!

— Eh bien! soit, ma mère, dit Henri; refusez-moi votre secours, privez-moi de votre aide. Mais, dans une heure, voyez-vous, que ce soit votre avis ou non, et je le saurai alors, j'aurai fait pendre tous les Angevins qui sont à Paris.

— Faire pendre tous les Angevins! s'écria Catherine avec cet étonnement qu'éprouvent les esprits supérieurs lorsqu'on dit devant eux quelque énormité.

— Oui, oui, pendre, massacrer, assassiner, brûler. A l'heure qu'il est, mes amis courent déjà la ville pour rompre les os à ces maudits, à ces brigands, à ces rebelles!..

— Qu'ils s'en gardent, malheureux, s'écria Catherine emportée par le sérieux de la situation; ils se perdraient eux-mêmes, ce qui ne serait rien; mais ils vous perdraient avec eux.

— Comment cela?

— Aveugle! murmura Catherine; les rois auront donc éternellement des jeux pour ne pas voir!

Et elle joignit les mains.

— Les rois ne sont rois qu'à la condition qu'ils vengeront les injures qu'on leur fait, car alors leur vengeance est une justice, et, dans ce cas surtout, tout mon royaume se lèvera pour me défendre.

— Fou, insensé, enfant, murmura la Florentine.

— Mais pourquoi cela, comment cela?

— Pensez-vous qu'on égorgera, qu'on brûlera, qu'on pendra des hommes comme Bussy, comme Antraguet, comme Livarot, comme Ribérac, sans faire couler des flots de sang?

— Qu'importe! pourvu qu'on les égorge.

— Oui, sans doute, si on les égorge; montrez-les-moi morts, et, par Notre-Dame! je vous dirai que vous avez bien fait. Mais on ne les égorgera pas; mais on aura levé pour eux l'étendard de la révolte; mais on leur aura mis nue à la main l'épée qu'ils n'eussent jamais osé tirer du fourreau pour un maître comme François. Tandis qu'au contraire, dans ce cas-là, par votre imprudence, ils dégaineront pour défendre leur vie; et votre royaume se soulèvera, non pas pour vous, mais contre vous.

— Mais, si je ne me venge pas, j'ai peur, je recule, s'écria Henri.

— A-t-on jamais dit que j'avais peur? dit Catherine en fronçant le sourcil et en pressant ses dents de ses lèvres minces et rougies avec du carmin.

— Cependant, si c'étaient les Angevins, ils mériteraient une punition, ma mère.

— Oui, si c'étaient eux, mais ce ne sont pas eux.