Kitabı oku: «La femme au collier de velours», sayfa 6
Hoffmann était près de s'agenouiller devant cette adorable philosophie de l'artiste. Il s'inclina sur la main du vieillard, qui l'attira à lui et le pressa contre son cœur.
– Allons, allons, lui dit-il, c'est convenu; fais ton voyage, puisque la rage d'entendre cette horrible musique de M. Méhul et de M. Dalayrac te tourmente; c'est une maladie de la jeunesse qui sera vite guérie. Je suis tranquille; fais ce voyage, mon ami, et reviens ici, tu y retrouveras Mozart, Beethoven, Cimarosa, Pergolèse, Pasiello, le Porpora, et, de plus, maître Gottlieb et sa fille, c'est-à-dire un père et une femme. Va, mon enfant, va.
Et maître Gottlieb embrassa de nouveau Hoffmann, qui, voyant venir la nuit, jugea qu'il n'avait pas de temps à perdre, et se retira chez lui pour faire ses préparatifs de départ.
Le lendemain, dès le matin, Hoffmann était à sa fenêtre.
Au fur et à mesure que le moment de quitter Antonia approchait, cette séparation lui semblait de plus en plus impossible. Toute cette ravissante période de sa vie qui venait de s'écouler, ces sept mois qui avaient passé comme un jour et qui se représentaient à sa mémoire, tantôt comme un vaste horizon qu'il embrassait d'un coup d'œil, tantôt comme une série de jours joyeux, venaient les uns après les autres, souriants, couronnés de fleurs; ces doux chants d'Antonia, qui lui avaient fait un air tout semé de douces mélodies; tout cela était un trait si puissant, qu'il luttait presque avec l'inconnu, ce merveilleux enchanteur qui attire à lui les cœurs les plus forts, les âmes les plus froides.
À dix heures, Antonia parut au coin de la rue où, à pareille heure, sept mois auparavant, Hoffmann l'avait vue pour la première fois. La bonne Lisbeth la suivait comme de coutume, toutes deux montèrent les degrés de l'église. Arrivée au dernier degré, Antonia se retourna, aperçut Hoffmann, lui fit de la main un signe d'appel et entra dans l'église.
Hoffmann s'élança hors de la maison et y entra après elle.
Antonia était déjà agenouillée et en prière.
Hoffmann était protestant, et ces chants dans une autre langue lui avaient toujours paru assez ridicules; mais lorsqu'il entendit Antonia psalmodier ce chant d'église si doux et si large à la fois, il regretta de ne pas en savoir les paroles pour mêler sa voix à la voix d'Antonia, rendue plus suave encore par la profonde mélancolie à laquelle la jeune fille était en proie.
Pendant tout le temps que dura le saint sacrifice, elle chanta de la même voix dont là-haut doivent chanter les anges; puis enfin, quand la sonnette de l'enfant de chœur annonça la consécration de l'hostie, au moment où les fidèles se courbaient devant le Dieu qui, aux mains du prêtre, s'élevait au-dessus de leurs têtes, seule Antonia redressa son front.
– Jurez, dit-elle.
– Je jure, dit Hoffmann d'une voix tremblante, je jure de renoncer au jeu.
– Est-ce le seul serment que vous vouliez me faire, mon ami?
– Oh! non, attendez. Je jure de vous rester fidèle de cœur et d'esprit, de corps et d'âme.
– Et sur quoi jurez-vous cela?
– Oh! s'écria Hoffmann, au comble de l'exaltation, sur ce que j'ai de plus cher, sur ce que j'ai de plus sacré, sur votre vie!
– Merci! s'écria à son tour Antonia, car si vous ne tenez pas votre serment, je mourrai.
Hoffmann tressaillit, un frisson passa par tout son corps, il ne se repentit pas, seulement, il eut peur. Le prêtre descendait les degrés de l'autel, emportant le Saint Sacrement dans la sacristie.
Au moment où le corps divin de Notre-Seigneur passait, elle saisit la main d'Hoffmann.
– Vous avez entendu son serment, n'est-ce pas, mon Dieu? dit Antonia.
Hoffmann voulut parler.
– Plus une parole, plus une seule; je veux que celles dont se composait votre serment, étant les dernières que j'aurai entendues de vous, bruissent éternellement à mon oreille. Au revoir, mon ami, au revoir.
Et, s'échappant, légère comme une ombre, la jeune fille laissa un médaillon dans la main de son amant.
Hoffmann la regarda s'éloigner comme Orphée dut regarder Eurydice fugitive; puis lorsque Antonia eut disparu, il ouvrit le médaillon.
Le médaillon renfermait le portrait d'Antonia, tout resplendissant de jeunesse et de beauté.
Deux heures après, Hoffmann prenait sa place dans la même diligence que Zacharias Werner en répétant:
– Sois tranquille, Antonia, oh! non, je ne jouerai pas! oh! oui, je te serai fidèle!
CHAPITRE VII
Une barrière de Paris en 1793
Le voyage du jeune homme fut assez triste dans cette France qu'il avait tant désirée. Ce n'était pas qu'en se rapprochant du centre il éprouvât autant de difficultés qu'il en avait rencontré pour se rendre aux frontières; non, la République française faisait meilleur accueil aux arrivants qu'aux partants.
Toutefois on n'était admis au bonheur de savourer cette précieuse forme de gouvernement qu'après avoir accompli un certain nombre de formalités passablement rigoureuses.
Ce fut le temps où les Français surent le moins écrire, mais ce fut le temps où ils écrivirent le plus. Il paraissait donc, à tous les fonctionnaires de fraîche date, convenable d'abandonner leurs occupations domestiques ou plastiques, pour signer des passeports, composer des signalements, donner des visas, accorder des recommandations, et faire, en un mot, tout ce qui concerne l'état de patriote.
Jamais la paperasserie n'eut autant de développement qu'à cette époque. Cette maladie endémique de l'administration française, se greffant sur le terrorisme, produisit les plus beaux échantillons de calligraphie grotesque dont on eût pu parler jusqu'à ce jour.
Hoffmann avait sa feuille de route d'une exiguïté remarquable. C'était le temps des exiguïtés: journaux, livres, publications de colportage, tout se réduisait au simple in-octavo pour les plus grandes mesures. La feuille de route du voyageur, disons-nous, fut envahie dès l'Alsace par des signatures de fonctionnaires qui ne ressemblaient pas mal à ces zigzags d'ivrognes qui toisent diagonalement les rues en battant l'une et l'autre muraille.
Force fut donc à Hoffmann de joindre une feuille à son passeport, puis, une autre en Lorraine, où surtout les écritures prirent des proportions colossales. Là où le patriotisme était le plus chaud, les écrivains étaient plus naïfs. Il y eut un maire qui employa deux feuilles, recto et verso, pour donner à Hoffmann un autographe ainsi conçu:
Auphemann, chune Allemans, ami de la libreté se rendan à Pari ha pié.
«Signé, GOLIER.»
Muni de ce parfait document sur sa patrie, son âge, ses principes, sa destination et ses moyens de transport, Hoffmann ne s'occupa plus que du soin de coudre ensemble tous ces lambeaux civiques, et nous devons dire qu'en arrivant à Paris, il possédait un assez joli volume, que, disait-il, il ferait relier en fer-blanc, si jamais il tentait un nouveau voyage, parce que, forcé d'avoir toujours ces feuilles à la main, elles risquaient trop dans un simple carton.
Partout on lui répétait:
– Mon cher voyageur, la province est encore habitable, mais Paris est bien remué. Défiez-vous, citoyen, il y a une police bien pointilleuse à Paris, et, en votre qualité d'Allemand, vous pourriez n'être pas traité en bon Français.
À quoi Hoffmann répondait par un sourire fier, réminiscence des fiertés spartiates quand les espions de Thessalie cherchaient à grossir les forces de Xerxès, roi des Perses.
Il arriva devant Paris: c'était le soir, les barrières étaient fermées.
Hoffmann parlait passablement la langue française, mais on est allemand ou on ne l'est pas; si on ne l'est pas, on a un accent qui, à la longue, réussit à passer pour l'accent d'une de nos provinces; si on l'est, on passe toujours pour un Allemand.
Il faut expliquer comment se faisait la police aux barrières.
D'abord, elles étaient fermées; ensuite, sept ou huit sectionnaires, gens oisifs et pleins d'intelligence, Lavaters amateurs, rôdaient par escouades, en fumant leurs pipes, autour de deux ou trois agents de police municipale.
Ces braves gens, qui, de députation en députation, avaient fini par hanter toutes les salles de clubs, tous les bureaux de districts, tous les endroits où la politique s'était glissée par le côté actif ou le côté passif; ces gens, qui avaient vu à l'Assemblée nationale ou à la Convention chaque député, dans les tribunes tous les aristocrates mâles et femelles, dans les promenades tous les élégants signalés, dans les théâtres toutes les célébrités suspectes, dans les revues tous les officiers, dans les tribunaux tous les accusés plus ou moins libérés d'accusation, dans les prisons tous les prêtres épargnés; ces dignes patriotes savaient si bien leur Paris, que tout visage de connaissance devait les frapper au passage, et, disons-le, les frappait presque toujours.
Ce n'était pas chose aisée que de se déguiser alors: trop de richesse dans le costume appelait l'œil, trop de simplicité appelait le soupçon. Comme la malpropreté était un des insignes de civisme les plus répandus, tout porteur d'eau, tout marmiton pouvait cacher un aristocrate; et puis la main blanche aux beaux ongles, comment la dissimuler entièrement? Cette démarche aristocratique qui n'est plus sensible de nos jours, où les plus humbles portent les plus hauts talons, comment la cacher à vingt paires d'yeux plus ardents que ceux du limier en quête?
Un voyageur était donc, dès son arrivée, fouillé, interrogé, dénudé, quant au moral, avec une facilité que donnait l'usage, et une liberté que donnait… la liberté.
Hoffmann parut devant ce tribunal vers six heures du soir, le 7 décembre. Le temps était gris, rude, mêlé de brume et de verglas; mais les bonnets d'ours et de loutre emprisonnant les têtes patriotes leur laissaient assez de sang chaud à la cervelle et aux oreilles pour qu'ils possédassent toute leur présence d'esprit et leurs précieuses facultés investigatrices.
Hoffmann fut arrêté par une main qui se posa doucement sur sa poitrine.
Le jeune voyageur était vêtu d'un habit gris de fer, d'une grosse redingote, et ses bottes allemandes lui dessinaient une jambe assez coquette, car il n'avait pas rencontré de boue depuis la dernière étape, et le carrosse ne pouvait plus marcher à cause du grésil. Hoffmann avait fait six lieues à pied, sur une route légèrement saupoudrée de neige durcie.
– Où vas-tu comme cela, citoyen, avec tes belles bottes? dit un agent au jeune homme.
– Je vais à Paris, citoyen.
– Tu n'es pas dégoûté, jeune Prussien, répliqua le sectionnaire, en prononçant cette épithète de Prussien avec une prodigalité d's qui fit accourir dix curieux autour du voyageur.
Les Prussiens n'étaient pas à ce moment de moins grands ennemis pour la France que les Philistins pour les compatriotes de Samson l'Israélite.
– Eh bien! oui, je suis pruzien, répondit Hoffmann, en changeant les cinq s du sectionnaire en un z; après?
– Alors, si tu es prussien, tu es bien en même temps un petit espion de Pitt et Cobourg, hein?
– Lisez mes passeports, répondit Hoffmann en exhibant son volume à l'un des lettrés de la barrière.
– Viens, répliqua celui-ci en tournant les talons pour emmener l'étranger au corps de garde.
Hoffmann suivit ce guide avec une tranquillité parfaite.
Quand, à la lueur des chandelles fumeuses, les patriotes virent ce jeune homme nerveux, l'œil ferme, les cheveux mal ordonnés, hachant son français avec le plus de conscience possible, l'un d'eux s'écria:
– Il ne se niera pas aristocrate, celui-là; a-t-il des mains et des pieds!
– Vous êtes un bête, citoyen, répondit Hoffmann; je suis patriote autant que vous, et de plus, je suis une artiste.
En disant ces mots, il tira de sa poche une de ces pipes effrayantes dont un plongeur de l'Allemagne peut seul trouver le fond.
Cette pipe fit un effet prodigieux sur les sectionnaires, qui savouraient leur tabac dans leurs petits réceptacles.
Tous se mirent à contempler le petit jeune homme qui entassait dans cette pipe, avec une habileté fruit d'un grand usage, la provision de tabac d'une semaine.
Il s'assit ensuite, alluma le tabac méthodiquement jusqu'à ce que le fourneau présentât une large croûte de feu à sa surface, puis il aspira à temps égaux des nuages de fumée qui sortirent gracieusement, en colonnes bleuâtres, de son nez et de ses lèvres.
– Il fume bien, dit un des sectionnaires.
– Et il paraît que c'est un fameux, dit un autre; vois donc ses certificats.
– Qu'es-tu venu faire à Paris? demanda un troisième.
– Étudier la science et la liberté, répliqua Hoffmann.
– Et quoi encore? ajouta le Français peu ému de l'héroïsme d'une telle phrase, probablement à cause de sa grande habitude.
– Et la peinture, ajouta Hoffmann.
– Ah! tu es peintre, comme le citoyen David?
– Absolument.
– Tu sais faire les patriotes romains tout nus comme lui?
– Je les fais tout habillés, dit Hoffmann.
– C'est moins beau.
– C'est selon, répliqua Hoffmann avec un imperturbable sang-froid.
– Fais-moi donc mon portrait, dit le sectionnaire avec admiration.
– Volontiers.
Hoffmann prit un tison au poêle, en éteignit à peine l'extrémité rutilante, et, sur le mur blanchi à la chaux, il dessina un des plus laids visages qui eussent jamais déshonoré la capitale du monde civilisé. Le bonnet à poils et la queue de renard, la bouche baveuse, les favoris épais, la courte pipe, le menton fuyant furent imités avec un si rare bonheur de vérité dans sa charge, que tout le corps de garde demanda au jeune homme la faveur d'être portraituré par lui.
Hoffmann s'exécuta de bonne grâce et croqua sur le mur une série de patriotes aux visages bien réussis, mais moins nobles, assurément, que les bourgeois de la Ronde nocturne de Rembrandt.
Les patriotes une fois en belle humeur, il ne fut plus question de soupçons: l'Allemand fut naturalisé parisien; on lui offrit la bière d'honneur, et lui, en garçon bien pensant, il offrit à ses hôtes du vin de Bourgogne, que ces messieurs acceptèrent de grand cœur.
Ce fut alors que l'un d'eux, plus rusé que les autres, prit son nez épais dans le crochet de son index, et dit à Hoffmann en clignant l'œil gauche:
– Avoue-nous une chose, citoyen allemand.
– Laquelle, notre ami?
– Avoue-nous le but de ta mission.
– Je te l'ai dit: la politique et la peinture.
– Non, non, autre chose.
– Je t'assure, citoyen.
– Tu comprends bien que nous ne t'accusons pas; tu nous plais, et nous te protégerons; mais voici deux délégués du club des Cordeliers, deux des Jacobins; moi, je suis des Frères et Amis; choisis parmi nous celui de ces clubs auquel tu feras ton hommage.
– Quel hommage? dit Hoffmann surpris.
– Oh! ne t'en cache pas, c'est si beau que tu devrais t'en pavaner partout.
– Vrai, citoyen, tu me fais rougir, explique-toi.
– Regarde et juge si je sais deviner, dit le patriote. Et, ouvrant le livre des passeports, il montra, de son doigt gras, sur une page, sous la rubrique Strasbourg, les lignes suivantes:
«Hoffmann, voyageur, venant de Mannheim, a pris à Strasbourg une caisse étiquetée ainsi qu'il suit: O.B.»
– C'est vrai, dit Hoffmann.
– Eh bien! que contient cette caisse?
– J'ai fait ma déclaration à l'octroi de Strasbourg.
– Regardez, citoyens, ce que ce petit sournois apporte ici… Vous souvenez-vous de l'envoi de nos patriotes d'Auxerre?
– Oui, dit l'un d'eux, une caisse de lard.
– Pour quoi faire?
– Pour graisser la guillotine, s'écria un chœur de voix satisfaites.
– Eh bien! dit Hoffmann, un peu pâle, quel rapport cette caisse que j'apporte peut-elle avoir avec l'envoi des patriotes d'Auxerre?
– Lis, dit le Parisien en lui montrant son passeport: lis, jeune homme: «Voyageant pour la politique et pour l'art.» C'est écrit!
– Ô République! murmura Hoffmann.
– Avoue donc, jeune ami de la liberté, lui dit son protecteur.
– Ce serait me vanter d'une idée que je n'ai pas eue, répliqua Hoffmann. Je n'aime pas la fausse gloire; non, la caisse que j'ai prise à Strasbourg, et qui m'arrivera par le roulage, ne contient qu'un violon, une boîte à couleurs et quelques toiles roulées.
Ces mots diminuèrent beaucoup l'estime que certains avaient conçue d'Hoffmann. On lui rendit ses papiers, on fit raison à ses rasades mais on cessa de le regarder comme un sauveur des peuples esclaves.
L'un des patriotes ajouta même:
– Il ressemble à Saint-Just, mais j'aime mieux Saint-Just.
Hoffmann replongé dans sa rêverie, qu'échauffaient le poêle, le tabac et le vin de Bourgogne, demeura quelque temps silencieux. Mais soudain relevant la tête:
– On guillotine donc beaucoup ici? dit-il.
– Pas mal, pas mal; cela a baissé un peu depuis les Brissotins, mais c'est encore satisfaisant.
– Savez-vous où je trouverais un bon gîte, mes amis?
– Partout.
– Mais pour tout voir.
– Ah! alors loge-toi du côté du quai aux Fleurs.
– Bien.
– Sais-tu où cela se trouve, le quai aux Fleurs?
– Non, mais ce mot de fleurs me plaît. Je m'y vois déjà installé, au quai aux Fleurs. Par où y va-t-on?
– Tu vas descendre tout droit la rue d'Enfer, et tu arriveras au quai.
– Quai, c'est-à-dire que l'on touche à l'eau! dit Hoffmann.
– Tout juste.
– Et l'eau, c'est la Seine?
– C'est la Seine.
– Le quai aux Fleurs borde la Seine, alors?
– Tu connais Paris mieux que moi, citoyen allemand.
– Merci. Adieu; puis-je passer?
– Tu n'as plus qu'une petite formalité à accomplir.
– Dis.
– Tu passeras chez le commissaire de police, et tu te feras délivrer un permis de séjour.
– Très bien! Adieu.
– Attends encore. Avec ce permis du commissaire, tu iras à la police.
– Ah! ah!
– Et tu donneras l'adresse de ton logement.
– Soit! c'est fini?
– Non, tu te présenteras à la section.
– Pour quoi faire?
– Pour justifier de tes moyens d'existence.
– Je ferai tout cela; et ce sera tout?
– Pas encore; il faudra faire des dons patriotiques.
– Volontiers.
– Et ton serment de haine aux tyrans français et étrangers.
– De tout mon cœur. Merci de ces précieux renseignements.
– Et puis, tu n'oublieras pas d'écrire lisiblement tes nom et prénoms sur une pancarte, à ta porte.
– Cela sera fait.
– Va-t'en, citoyen, tu nous gênes.
Les bouteilles étaient vides.
– Adieu, citoyens; grand merci de votre politesse.
Et Hoffmann partit, toujours en société de sa pipe, plus allumée que jamais.
Voilà comment il fit son entrée dans la capitale de la France républicaine.
Ce mot charmant «quai aux Fleurs» l'avait affriandé. Hoffmann se figurait déjà une petite chambre dont le balcon donnait sur ce merveilleux quai aux Fleurs.
Il oubliait décembre et les vents de bise, il oubliait la neige et cette mort passagère de toute la nature. Les fleurs venaient éclore dans son imagination sous la fumée de ses lèvres; il ne voyait plus que les jasmins et la rose, malgré les cloaques du faubourg.
Il arriva, neuf heures sonnant, au quai aux Fleurs, lequel était parfaitement sombre et désert, ainsi que le sont les quais du Nord en hiver. Toutefois, cette solitude était, ce soir, plus noire et plus sensible qu'autre part.
Hoffmann avait trop faim, il avait trop froid pour philosopher en chemin; mais pas d'hôtellerie sur ce quai.
Levant les yeux, il aperçut enfin, au coin du quai et de la rue de la Barillerie, une grosse lanterne rouge, dans les vitres de laquelle tremblait un lumignon crasseux.
Ce fanal pendait et se balançait au bout d'une potence de fer, fort propre, en ces temps d'émeute, à suspendre un ennemi politique.
Hoffmann ne vit que ces mots écrits en lettres vertes sur le verre rouge:
Logis à pied. – Chambres et cabinets meublés.
Il heurta vivement à la porte d'une allée; la porte s'ouvrit; le voyageur entra en tâtonnant.
Une voix rude lui cria:
– Fermez votre porte.
Et un gros chien, aboyant, sembla lui dire:
– Gare à vos jambes!
Prix fait avec une hôtesse assez avenante, chambre choisie, Hoffmann se trouva possesseur de quinze pieds de long sur huit de large, formant ensemble une chambre à coucher et un cabinet, moyennant trente sous par jour, payables chaque matin, au lever.
Hoffmann était si joyeux, qu'il paya quinze jours d'avance, de peur qu'on ne vînt lui contester la possession de ce logement précieux.
Cela fait, il se coucha dans un lit assez humide; mais tout lit est lit pour un voyageur de dix-huit ans.
Et puis, comment se montrer difficile quand on a le bonheur de loger quai aux Fleurs?
Hoffmann invoqua d'ailleurs le souvenir d'Antonia, et le paradis n'est-il pas toujours là où l'on invoque les anges?