Kitabı oku: «La reine Margot», sayfa 11
XII. Les confidences
– Et, d’abord, où allons-nous? demanda Marguerite. Ce n’est pas au pont des Meuniers, j’imagine?… J’ai vu assez de tueries comme cela depuis hier, ma pauvre Henriette!
– J’ai pris la liberté de conduire Votre Majesté…
– D’abord, et avant toute chose, Ma Majesté te prie d’oublier sa majesté… Tu me conduisais donc…
– À l’hôtel de Guise, à moins que vous n’en décidiez autrement.
– Non pas! non pas, Henriette! allons chez toi; le duc de Guise n’y est pas, ton mari n’y est pas?
– Oh! non! s’écria la duchesse avec une joie qui fit étinceler ses beaux yeux couleur d’émeraude; non! ni mon beau-frère, ni mon mari, ni personne! Je suis libre, libre comme l’air, comme l’oiseau, comme le nuage… Libre, ma reine, entendez-vous? Comprenez-vous ce qu’il y a de bonheur dans ce mot: libre?… Je vais, je viens, je commande! Ah! pauvre reine! vous n’êtes pas libre, vous! aussi vous soupirez…
– Tu vas, tu viens, tu commandes! Est-ce donc tout? Et ta liberté ne sert-elle qu’à cela? Voyons, tu es bien joyeuse pour n’être que libre.
– Votre Majesté m’a promis d’entamer les confidences.
– Encore Ma Majesté; voyons, nous nous fâcherons, Henriette; as-tu donc oublié nos conventions?
– Non, votre respectueuse servante devant le monde, ta folle confidente dans le tête-à-tête. N’est-ce pas cela, madame, n’est-ce pas cela, Marguerite?
– Oui, oui! dit la reine en souriant.
– Ni rivalités de maisons, ni perfidies d’amour; tout bien, tout bon, tout franc; une alliance enfin offensive et défensive, dans le seul but de rencontrer et de saisir au vol, si nous le rencontrons, cet éphémère qu’on nomme le bonheur.
– Bien, ma duchesse! c’est cela; et pour renouveler le pacte, embrasse-moi.
Et les deux charmantes têtes, l’une pâle et voilée de mélancolie, l’autre rosée, blonde et rieuse se rapprochèrent gracieusement et unirent leurs lèvres comme elles avaient uni leurs pensées.
– Donc il y a du nouveau? demanda la duchesse en fixant sur Marguerite un regard avide et curieux.
– Tout n’est-il pas nouveau depuis deux jours?
– Oh! je parle d’amour et non de politique, moi. Quand nous aurons l’âge de dame Catherine, ta mère, nous en ferons, de la politique. Mais nous avons vingt ans, ma belle reine, parlons d’autre chose. Voyons, serais-tu mariée pour tout de bon?
– À qui? dit Marguerite en riant.
– Ah! tu me rassures, en vérité.
– Eh bien, Henriette, ce qui te rassure m’épouvante. Duchesse, il faut que je sois mariée.
– Quand cela?
– Demain.
– Ah! bah! vraiment! Pauvre amie! Et c’est nécessaire?
– Absolument.
– Mordi! comme dit quelqu’un de ma connaissance, voilà qui est fort triste.
– Tu connais quelqu’un qui dit: Mordi? demanda en riant Marguerite.
– Oui.
– Et quel est ce quelqu’un?
– Tu m’interroges toujours, quand c’est à toi de parler. Achève, et je commencerai.
– En deux mots, voici: le roi de Navarre est amoureux et ne veut pas de moi. Je ne suis pas amoureuse; mais je ne veux pas de lui. Cependant il faudrait que nous changeassions d’idée l’un et l’autre, ou que nous eussions l’air d’en changer d’ici à demain.
– Eh bien, change, toi! et tu peux être sûre qu’il changera, lui!
– Justement, voilà l’impossible; car je suis moins disposée à changer que jamais.
– À l’égard de ton mari seulement, j’espère!
– Henriette, j’ai un scrupule.
– Un scrupule de quoi?
– De religion. Fais-tu une différence entre les huguenots et les catholiques?
– En politique?
– Oui.
– Sans doute.
– Mais en amour?
– Ma chère amie, nous autres femmes, nous sommes tellement païennes, qu’en fait de sectes nous les admettons toutes, qu’en fait de dieux nous en reconnaissons plusieurs.
– En un seul, n’est-ce pas?
– Oui, dit la duchesse, avec un regard étincelant de paganisme; oui, celui qui s’appelle Éros, Cupido, Amor; oui, celui qui a un carquois, un bandeau et des ailes… Mordi! vive la dévotion!
– Cependant tu as une manière de prier qui est exclusive; tu jettes des pierres sur la tête des huguenots.
– Faisons bien et laissons dire… Ah! Marguerite, comme les meilleures idées, comme les plus belles actions se travestissent en passant par la bouche du vulgaire!
– Le vulgaire! … Mais c’est mon frère Charles qui te félicitait, ce me semble?
– Ton frère Charles, Marguerite, est un grand chasseur qui sonne du cor toute la journée, ce qui le rend fort maigre… Je récuse donc jusqu’à ses compliments. D’ailleurs, je lui ai répondu, à ton frère Charles… N’as-tu pas entendu ma réponse?
– Non, tu parlais si bas!
– Tant mieux, j’aurai plus de nouveau à t’apprendre. Çà! la fin de ta confidence, Marguerite?
– C’est que… c’est que…
– Eh bien?
– C’est que, dit la reine en riant, si la pierre dont parlait mon frère Charles était historique, je m’abstiendrais.
– Bon! s’écria Henriette, tu as choisi un huguenot. Eh bien, sois tranquille! pour rassurer ta conscience, je te promets d’en choisir un à la première occasion.
– Ah! il paraît que cette fois tu as pris un catholique?
– Mordi! reprit la duchesse.
– Bien, bien! je comprends.
– Et comment est-il notre huguenot?
– Je ne l’ai pas choisi; ce jeune homme ne m’est rien, et ne me sera probablement jamais rien.
– Mais enfin, comment est-il? cela ne t’empêche pas de me le dire, tu sais combien je suis curieuse.
– Un pauvre jeune homme beau comme le Nisus de Benvenuto Cellini, et qui s’est venu réfugier dans mon appartement.
– Oh! oh! … et tu ne l’avais pas un peu convoqué?
– Pauvre garçon! ne ris donc pas ainsi, Henriette, car en ce moment il est encore entre la vie et la mort.
– Il est donc malade?
– Il est grièvement blessé.
– Mais c’est très gênant, un huguenot blessé! surtout dans des jours comme ceux où nous nous trouvons; et qu’en fais-tu de ce huguenot blessé qui ne t’est rien et ne te sera jamais rien?
– Il est dans mon cabinet; je le cache et je veux le sauver.
– Il est beau, il est jeune, il est blessé. Tu le caches dans ton cabinet, tu veux le sauver; ce huguenot-là sera bien ingrat s’il n’est pas trop reconnaissant!
– Il l’est déjà, j’en ai bien peur… plus que je ne le désirerais.
– Et il t’intéresse… ce pauvre jeune homme?
– Par humanité… seulement.
– Ah! l’humanité, ma pauvre reine! c’est toujours cette vertu-là qui nous perd, nous autres femmes!
– Oui, et tu comprends: comme d’un moment à l’autre le roi, le duc d’Alençon, ma mère, mon mari même… peuvent entrer dans mon appartement…
– Tu veux me prier de te garder ton petit huguenot, n’est-ce pas, tant qu’il sera malade, à la condition de te le rendre quand il sera guéri?
– Rieuse! dit Marguerite. Non, je te jure que je ne prépare pas les choses de si loin. Seulement, si tu pouvais trouver un moyen de cacher le pauvre garçon; si tu pouvais lui conserver la vie que je lui ai sauvée; eh bien, je t’avoue que je t’en serais véritablement reconnaissante! Tu es libre à l’hôtel de Guise, tu n’as ni beau-frère, ni mari qui t’espionne ou qui te contraigne, et de plus derrière ta chambre, où personne, chère Henriette, n’a heureusement pour toi le droit d’entrer, un grand cabinet pareil au mien. Eh bien, prête-moi ce cabinet pour mon huguenot; quand il sera guéri tu lui ouvriras la cage et l’oiseau s’envolera.
– Il n’y a qu’une difficulté, chère reine, c’est que la cage est occupée.
– Comment! tu as donc aussi sauvé quelqu’un, toi?
– C’est justement ce que j’ai répondu à ton frère.
– Ah! je comprends; voilà pourquoi tu parlais si bas que je ne t’ai pas entendue.
– Écoute, Marguerite, c’est une histoire admirable, non moins belle, non moins poétique que la tienne. Après t’avoir laissé six de mes gardes, j’étais montée avec les six autres à l’hôtel de Guise, et je regardais piller et brûler une maison qui n’est séparée de l’hôtel de mon frère que par la rue des Quatre-Fils, quand tout à coup j’entends crier des femmes et jurer des hommes. Je m’avance sur le balcon et je vois d’abord une épée dont le feu semblait éclairer toute la scène à elle seule. J’admire cette lame furieuse: j’aime les belles choses, moi! … puis je cherche naturellement à distinguer le bras qui la faisait mouvoir, et le corps auquel ce bras appartenait. Au milieu des coups, des cris, je distingue enfin l’homme, et je vois… un héros, un Ajax Télamon; j’entends une voix, une voix de stentor. Je m’enthousiasme, je demeure toute palpitante, tressaillant à chaque coup dont il était menacé, à chaque botte qu’il portait; ç’a été une émotion d’un quart d’heure, vois-tu, ma reine, comme je n’en avais jamais éprouvé, comme j’avais cru qu’il n’en existait pas. Aussi j’étais là, haletante, suspendue, muette, quand tout à coup mon héros a disparu.
– Comment cela?
– Sous une pierre que lui a jetée une vieille femme; alors, comme Cyrus, j’ai retrouvé la voix, j’ai crié: À l’aide, au secours! Nos gardes sont venus, l’ont pris, l’ont relevé, et enfin l’ont transporté dans la chambre que tu me demandes pour ton protégé.
– Hélas! je comprends d’autant mieux cette histoire, chère Henriette, dit Marguerite, que cette histoire est presque la mienne.
– Avec cette différence, ma reine, que servant mon roi et ma religion, je n’ai point besoin de renvoyer M. Annibal de Coconnas.
– Il s’appelle Annibal de Coconnas? reprit Marguerite en éclatant de rire.
– C’est un terrible nom, n’est-ce pas, dit Henriette. Eh bien, celui qui le porte en est digne. Quel champion, mordi! et que de sang il a fait couler! Mets ton masque, ma reine, nous voici à l’hôtel.
– Pourquoi donc mettre mon masque?
– Parce que je veux te montrer mon héros.
– Il est beau?
– Il m’a semblé magnifique pendant ses batailles. Il est vrai que c’était la nuit à la lueur des flammes. Ce matin, à la lumière du jour, il m’a paru perdre un peu, je l’avoue. Cependant je crois que tu en seras contente.
– Alors, mon protégé est refusé à l’hôtel de Guise; j’en suis fâchée, car c’est le dernier endroit où l’on viendrait chercher un huguenot.
– Pas le moins du monde, je le ferai apporter ici ce soir; l’un couchera dans le coin à droite, l’autre dans le coin à gauche.
– Mais s’ils se reconnaissent l’un pour protestant, l’autre pour catholique, ils vont se dévorer.
– Oh! il n’y a pas de danger. M. de Coconnas a reçu dans la figure un coup qui fait qu’il n’y voit presque pas clair; ton huguenot a reçu dans la poitrine un coup qui fait qu’il ne peut presque pas remuer… Et puis, d’ailleurs, tu lui recommanderas de garder le silence à l’endroit de la religion, et tout ira à merveille.
– Allons, soit!
– Entrons, c’est conclu.
– Merci, dit Marguerite en serrant la main de son amie.
– Ici, madame, vous redevenez Majesté, dit la duchesse de Nevers; permettez-moi donc de vous faire les honneurs de l’hôtel de Guise, comme ils doivent être faits à la reine de Navarre.
Et la duchesse, descendant de sa litière, mit presque un genou en terre pour aider Marguerite à descendre à son tour; puis lui montrant de la main la porte de l’hôtel gardée par deux sentinelles, arquebuse à la main, elle suivit à quelques pas la reine, qui marcha majestueusement précédant la duchesse, qui garda son humble attitude tant qu’elle put être vue. Arrivée à sa chambre, la duchesse ferma sa porte; et appelant sa camériste, Sicilienne des plus alertes:
– Mica, lui dit-elle en italien, comment va M. le comte?
– Mais de mieux en mieux, répondit celle-ci.
– Et que fait-il?
– En ce moment, je crois, madame, qu’il prend quelque chose.
– Bien! dit Marguerite, si l’appétit revient, c’est bon signe.
– Ah! c’est vrai! j’oubliais que tu es une élève d’Ambroise Paré. Allez, Mica.
– Tu la renvoies?
– Oui, pour qu’elle veille sur nous. Mica sortit.
– Maintenant, dit la duchesse, veux-tu entrer chez lui, veux-tu que je le fasse venir?
– Ni l’un, ni l’autre; je voudrais le voir sans être vue.
– Que t’importe, puisque tu as ton masque?
– Il peut me reconnaître à mes cheveux, à mes mains, à un bijou.
– Oh! comme elle est prudente depuis qu’elle est mariée, ma belle reine! Marguerite sourit.
– Eh bien, mais je ne vois qu’un moyen, continua la duchesse.
– Lequel?
– C’est de le regarder par le trou de la serrure.
– Soit! conduis-moi! La duchesse prit Marguerite par la main, la conduisit à une porte sur laquelle retombait une tapisserie, s’inclina sur un genou et approcha son œil de l’ouverture que laissait la clef absente.
– Justement, dit-elle, il est à table et a le visage tourné de notre côté. Viens.
La reine Marguerite prit la place de son amie et approcha à son tour son œil du trou de la serrure. Coconnas, comme l’avait dit la duchesse, était assis à une table admirablement servie, et à laquelle ses blessures ne l’empêchaient pas de faire honneur.
– Ah! mon Dieu! s’écria Marguerite en se reculant.
– Quoi donc? demanda la duchesse étonnée.
– Impossible! Non! Si! Oh! sur mon âme! c’est lui-même.
– Qui, lui-même?
– Chut! dit Marguerite en se relevant et en saisissant la main de la duchesse, celui qui voulait tuer mon huguenot, qui l’a poursuivi jusque dans ma chambre, qui l’a frappé jusque dans mes bras! Oh! Henriette, quel bonheur qu’il ne m’ait pas aperçue!
– Eh bien, alors! puisque tu l’as vu à l’œuvre, n’est-ce pas qu’il était beau?
– Je ne sais, dit Marguerite, car je regardais celui qu’il poursuivait.
– Et celui qu’il poursuivait s’appelle?
– Tu ne prononceras pas son nom devant lui?
– Non, je te le promets.
– Lerac de la Mole.
– Et comment le trouves-tu maintenant?
– M. de La Mole?
– Non, M. de Coconnas.
– Ma foi, dit Marguerite, j’avoue que je lui trouve… Elle s’arrêta.
– Allons, allons, dit la duchesse, je vois que tu lui en veux de la blessure qu’il a faite à ton huguenot.
– Mais il me semble, dit Marguerite en riant, que mon huguenot ne lui doit rien, et que la balafre avec laquelle il lui a souligné l’œil…
– Ils sont quittes, alors, et nous pouvons les raccommoder. Envoie-moi ton blessé.
– Non, pas encore; plus tard.
– Quand cela?
– Quand tu auras prêté au tien une autre chambre.
– Laquelle donc?
Marguerite regarda son amie, qui, après un moment de silence, la regarda aussi et se mit à rire.
– Eh bien, soit! dit la duchesse. Ainsi donc, alliance plus que jamais?
– Amitié sincère toujours, répondit la reine.
– Et le mot d’ordre, le signe de reconnaissance, si nous avons besoin l’une de l’autre?
– Le triple nom de ton triple dieu: Éros-Cupido-Amor. Et les deux femmes se quittèrent après s’être embrassées pour la seconde fois et s’être serré la main pour la vingtième fois.
XIII. Comme il y a des clefs qui ouvrent les portes auxquelles elles ne sont pas destinées
La reine de Navarre, en rentrant au Louvre, trouva Gillonne dans une grande émotion. Madame de Sauve était venue en son absence. Elle avait apporté une clef que lui avait fait passer la reine mère. Cette clef était celle de la chambre où était renfermé Henri. Il était évident que la reine mère avait besoin, pour un dessein quelconque, que le Béarnais passât cette nuit chez madame de Sauve.
Marguerite prit la clef, la tourna et la retourna entre ses mains. Elle se fit rendre compte des moindres paroles de madame de Sauve, les pesa lettre par lettre dans son esprit, et crut avoir compris le projet de Catherine.
Elle prit une plume, de l’encre et écrivit sur son papier:
«Au lieu d’aller ce soir chez madame de Sauve, venez chez la reine de Navarre. MARGUERITE.»
Puis elle roula le papier, l’introduisit dans le trou de la clef et ordonna à Gillonne, dès que la nuit serait venue, d’aller glisser cette clef sous la porte du prisonnier.
Ce premier soin accompli, Marguerite pensa au pauvre blessé; elle ferma toutes les portes, entra dans le cabinet, et, à son grand étonnement, elle trouva La Mole revêtu de ses habits encore tout déchirés et tout tachés de sang.
En la voyant, il essaya de se lever; mais, chancelant encore, il ne put se tenir debout et retomba sur le canapé dont on avait fait un lit.
– Mais qu’arrive-t-il donc, monsieur? demanda Marguerite, et pourquoi suivez-vous si mal les ordonnances de votre médecin? Je vous avais recommandé le repos, et voilà qu’au lieu de m’obéir vous faites tout le contraire de ce que j’ai ordonné!
– Oh! madame, dit Gillonne, ce n’est point ma faute. J’ai prié, supplié monsieur le comte de ne point faire cette folie, mais il m’a déclaré que rien ne le retiendrait plus longtemps au Louvre.
– Quitter le Louvre! dit Marguerite en regardant avec étonnement le jeune homme, qui baissait les yeux; mais c’est impossible. Vous ne pouvez pas marcher; vous êtes pâle et sans force, on voit trembler vos genoux. Ce matin, votre blessure de l’épaule a saigné encore.
– Madame, répondit le jeune homme, autant j’ai rendu grâce à Votre Majesté de m’avoir donné asile hier au soir, autant je la supplie de vouloir bien me permettre de partir aujourd’hui.
– Mais, dit Marguerite étonnée, je ne sais comment qualifier une si folle résolution: c’est pire que de l’ingratitude.
– Oh! madame! s’écria La Mole en joignant les mains, croyez que, loin d’être ingrat, il y a dans mon cœur un sentiment de reconnaissance qui durera toute ma vie.
– Il ne durera pas longtemps, alors! dit Marguerite émue à cet accent, qui ne laissait pas de doute sur la sincérité des paroles; car, ou vos blessures se rouvriront et vous mourrez de la perte du sang, ou l’on vous reconnaîtra comme huguenot et vous ne ferez pas cent pas dans la rue sans qu’on vous achève.
– Il faut pourtant que je quitte le Louvre, murmura La Mole.
– Il faut! dit Marguerite en le regardant de son regard limpide et profond; puis pâlissant légèrement: Oh, oui! je comprends! dit-elle, pardon, monsieur! Il y a sans doute, hors du Louvre, une personne à qui votre absence donne de cruelles inquiétudes. C’est juste, monsieur de la Mole, c’est naturel, et je comprends cela. Que ne l’avez-vous dit tout de suite, ou plutôt comment n’y ai-je pas songé moi-même! C’est un devoir, quand on exerce l’hospitalité, de protéger les affections de son hôte comme on panse des blessures, et de soigner l’âme comme on soigne le corps.
– Hélas! madame, répondit La Mole, vous vous trompez étrangement. Je suis presque seul au monde et tout à fait seul à Paris, où personne ne me connaît. Mon assassin est le premier homme à qui j’aie parlé dans cette ville, et Votre Majesté est la première femme qui m’y ait adressé la parole.
– Alors, dit Marguerite surprise, pourquoi voulez-vous donc vous en aller?
– Parce que, dit La Mole, la nuit passée, Votre Majesté n’a pris aucun repos, et que cette nuit… Marguerite rougit.
– Gillonne, dit-elle, voici la nuit venue, je crois qu’il est temps que tu ailles porter la clef. Gillonne sourit et se retira.
– Mais, continua Marguerite, si vous êtes seul à Paris, sans amis, comment ferez-vous?
– Madame, j’en aurai beaucoup; car, tandis que j’étais poursuivi, j’ai pensé à ma mère, qui était catholique; il m’a semblé que je la voyais glisser devant moi sur le chemin du Louvre, une croix à la main, et j’ai fait vœu, si Dieu me conservait la vie, d’embrasser la religion de ma mère. Dieu a fait plus que de me conserver la vie, madame; il m’a envoyé un de ses anges pour me la faire aimer.
– Mais vous ne pourrez marcher; avant d’avoir fait cent pas vous tomberez évanoui.
– Madame, je me suis essayé aujourd’hui dans le cabinet; je marche lentement et avec souffrance, c’est vrai; mais que j’aille seulement jusqu’à la place du Louvre; une fois dehors, il arrivera ce qu’il pourra.
Marguerite appuya sa tête sur sa main et réfléchit profondément.
– Et le roi de Navarre, dit-elle avec intention, vous ne m’en parlez plus. En changeant de religion, avez-vous donc perdu le désir d’entrer à son service?
– Madame, répondit La Mole en pâlissant, vous venez de toucher à la véritable cause de mon départ… Je sais que le roi de Navarre court les plus grands dangers et que tout le crédit de Votre Majesté comme fille de France suffira à peine à sauver sa tête.
– Comment, monsieur? demanda Marguerite; que voulez-vous dire et de quels dangers me parlez-vous?
– Madame, répondit La Mole en hésitant, on entend tout du cabinet où je suis placé.
– C’est vrai, murmura Marguerite pour elle seule, M. de Guise me l’avait déjà dit. Puis tout haut:
– Eh bien, ajouta-t-elle, qu’avez-vous donc entendu?
– Mais d’abord la conversation que Votre Majesté a eue ce matin avec son frère.
– Avec François? s’écria Marguerite en rougissant.
– Avec le duc d’Alençon, oui, madame; puis ensuite, après votre départ, celle de mademoiselle Gillonne avec madame de Sauve.
– Et ce sont ces deux conversations…?
– Oui, madame. Mariée depuis huit jours à peine, vous aimez votre époux. Votre époux viendra à son tour comme sont venus M. le duc d’Alençon et madame de Sauve. Il vous entretiendra de ses secrets. Eh bien, je ne dois pas les entendre; je serais indiscret… et je ne puis pas… je ne dois pas… surtout je ne veux pas l’être!
Au ton que La Mole mit à prononcer ces derniers mots, au trouble de sa voix, à l’embarras de sa contenance, Marguerite fut illuminée d’une révélation subite.
– Ah! dit-elle, vous avez entendu de ce cabinet tout ce qui a été dit dans cette chambre jusqu’à présent?
– Oui, madame. Ces mots furent soupirés à peine.
– Et vous voulez partir cette nuit, ce soir, pour n’en pas entendre davantage?
– À l’instant même, madame! s’il plaît à Votre Majesté de me le permettre.
– Pauvre enfant! dit Marguerite avec un singulier accent de douce pitié.
Étonné d’une réponse si douce lorsqu’il s’attendait à quelque brusque riposte, La Mole leva timidement la tête; son regard rencontra celui de Marguerite et demeura rivé comme par une puissance magnétique sur le limpide et profond regard de la reine.
– Vous vous sentez donc incapable de garder un secret, monsieur de la Mole? dit doucement Marguerite, qui, penchée sur le dossier de son siège, à moitié cachée par l’ombre d’une tapisserie épaisse, jouissait du bonheur de lire couramment dans cette âme en restant impénétrable elle-même.
– Madame, dit La Mole, je suis une misérable nature, je me défie de moi même, et le bonheur d’autrui me fait mal.
– Le bonheur de qui? dit Marguerite en souriant; ah! oui, le bonheur du roi de Navarre! Pauvre Henri!
– Vous voyez bien qu’il est heureux, madame! s’écria vivement La Mole.
– Heureux?…
– Oui, puisque Votre Majesté le plaint.
Marguerite chiffonnait la soie de son aumônière et en effilait les torsades d’or.
– Ainsi, vous refusez de voir le roi de Navarre, dit-elle, c’est arrêté, c’est décidé dans votre esprit?
– Je crains d’importuner Sa Majesté en ce moment.
– Mais le duc d’Alençon, mon frère?
– Oh! madame, s’écria La Mole, M. le duc d’Alençon! non, non; moins encore M. le duc d’Alençon que le roi de Navarre.
– Parce que…? demanda Marguerite émue au point de trembler en parlant.
– Parce que, quoique déjà trop mauvais huguenot pour être serviteur bien dévoué de Sa Majesté le roi de Navarre, je ne suis pas encore assez bon catholique pour être des amis de M. d’Alençon et de M. de Guise. Cette fois, ce fut Marguerite qui baissa les yeux et qui sentit le coup vibrer au plus profond de son cœur; elle n’eût pas su dire si le mot de La Mole était pour elle caressant ou douloureux. En ce moment Gillonne rentra. Marguerite l’interrogea d’un coup d’œil. La réponse de Gillonne, renfermée aussi dans un regard, fut affirmative. Elle était parvenue à faire passer la clef au roi de Navarre. Marguerite ramena ses yeux sur La Mole, qui demeurait devant elle indécis, la tête penchée sur sa poitrine, et pâle comme l’est un homme qui souffre à la fois du corps et de l’âme.
– Monsieur de la Mole est fier, dit-elle, et j’hésite à lui faire une proposition qu’il refusera sans doute.
La Mole se leva, fit un pas vers Marguerite et voulut s’incliner devant elle en signe qu’il était à ses ordres; mais une douleur profonde, aiguë, brûlante, vint tirer des larmes de ses yeux, et, sentant qu’il allait tomber, il saisit une tapisserie, à laquelle il se soutint.
– Voyez-vous, s’écria Marguerite en courant à lui et en le retenant dans ses bras, voyez-vous, monsieur, que vous avez encore besoin de moi!
Un mouvement à peine sensible agita les lèvres de La Mole.
– Oh! oui! murmura-t-il, comme de l’air que je respire, comme du jour que je vois!
En ce moment trois coups retentirent, frappés à la porte de Marguerite.
– Entendez-vous, madame? dit Gillonne effrayée.
– Déjà! murmura Marguerite.
– Faut-il ouvrir?
– Attends. C’est le roi de Navarre peut-être.
– Oh! madame! s’écria La Mole rendu fort par ces quelques mots, que la reine avait cependant prononcés à voix si basse qu’elle espérait que Gillonne seule les aurait entendus; madame! je vous en supplie à genoux, faites-moi sortir, oui, mort ou vif, madame! Ayez pitié de moi! Oh! vous ne me répondez pas. Eh bien, je vais parler et, quand j’aurai parlé, vous me chasserez, je l’espère.
– Taisez-vous, malheureux! dit Marguerite, qui ressentait un charme infini à écouter les reproches du jeune homme; taisez-vous donc!
– Madame, reprit La Mole, qui ne trouvait pas sans doute dans l’accent de Marguerite cette rigueur à laquelle il s’attendait; madame, je vous le répète, on entend tout de ce cabinet. Oh! ne me faites pas mourir d’une mort que les bourreaux les plus cruels n’oseraient inventer.
– Silence! silence! dit Marguerite.
– Oh! madame, vous êtes sans pitié; vous ne voulez rien écouter, vous ne voulez rien entendre. Mais comprenez donc que je vous aime…
– Silence donc, puisque je vous le dis! interrompit Marguerite en appuyant sa main tiède et parfumée sur la bouche du jeune homme, qui la saisit entre ses deux mains et l’appuya contre ses lèvres.
– Mais…, murmura La Mole.
– Mais taisez-vous donc, enfant! Qu’est-ce donc que ce rebelle qui ne veut pas obéir à sa reine?
Puis, s’élançant hors du cabinet, elle referma la porte, et s’adossant à la muraille en comprimant avec sa main tremblante les battements de son cœur:
– Ouvre, Gillonne! dit-elle. Gillonne sortit de la chambre, et, un instant après, la tête fine, spirituelle et un peu inquiète du roi de Navarre souleva la tapisserie.
– Vous m’avez mandé, madame? dit le roi de Navarre à Marguerite.
– Oui, monsieur. Votre Majesté a reçu ma lettre?
– Et non sans quelque étonnement, je l’avoue, dit Henri en regardant autour de lui avec une défiance bientôt évanouie.
– Et non sans quelque inquiétude, n’est-ce pas, monsieur? ajouta Marguerite.
– Je vous l’avouerai, madame. Cependant, tout entouré que je suis d’ennemis acharnés et d’amis plus dangereux encore peut-être que mes ennemis, je me suis rappelé qu’un soir j’avais vu rayonner dans vos yeux le sentiment de la générosité: c’était le soir de nos noces; qu’un autre jour j’y avais vu briller l’étoile du courage, et, cet autre jour, c’était hier, jour fixé pour ma mort.
– Eh bien, monsieur? dit Marguerite en souriant, tandis que Henri semblait vouloir lire jusqu’au fond de son cœur.
– Eh bien, madame, en songeant à tout cela je me suis dit à l’instant même, en lisant votre billet qui me disait de venir: Sans amis, comme il est, prisonnier, désarmé, le roi de Navarre n’a qu’un moyen de mourir avec éclat, d’une mort qu’enregistre l’histoire, c’est de mourir trahi par sa femme, et je suis venu.
– Sire, répondit Marguerite, vous changerez de langage quand vous saurez que tout ce qui se fait en ce moment est l’ouvrage d’une personne qui vous aime… et que vous aimez.
Henri recula presque à ces paroles et son œil gris et perçant interrogea sous son sourcil noir la reine avec curiosité.
– Oh! rassurez-vous, Sire! dit la reine en souriant; cette personne, je n’ai pas la prétention de dire que ce soit moi!
– Mais cependant, madame, dit Henri, c’est vous qui m’avez fait tenir cette clef: cette écriture, c’est la vôtre.
– Cette écriture est la mienne, je l’avoue, ce billet vient de moi, je ne le nie pas. Quant à cette clef, c’est autre chose.
Qu’il vous suffise de savoir qu’elle a passé entre les mains de quatre femmes avant d’arriver jusqu’à vous.
– De quatre femmes! s’écria Henri avec étonnement.
– Oui, entre les mains de quatre femmes, dit Marguerite; entre les mains de la reine mère, entre les mains de madame de Sauve, entre les mains de Gillonne, et entre les miennes.
Henri se mit à méditer cette énigme.
– Parlons raison maintenant, monsieur, dit Marguerite, et surtout parlons franc. Est-il vrai, comme c’est aujourd’hui le bruit public, que Votre Majesté consente à abjurer?
– Ce bruit public se trompe, madame, je n’ai pas encore consenti.
– Mais vous êtes décidé, cependant.
– C’est-à-dire, je me consulte. Que voulez-vous? quand on a vingt ans et qu’on est à peu près roi, ventre-saint-gris! il y a des choses qui valent bien une messe.
– Et entre autres choses la vie, n’est-ce pas? Henri ne put réprimer un léger sourire.
– Vous ne me dites pas toute votre pensée, Sire! dit Marguerite.
– Je fais des réserves pour mes alliés, madame; car, vous le savez, nous ne sommes encore qu’alliés: si vous étiez à la fois mon alliée… et…
– Et votre femme, n’est-ce pas, Sire?
– Ma foi, oui… et ma femme.
– Alors?
– Alors, peut-être serait-ce différent; et peut-être tiendrais-je à rester roi des huguenots, comme ils disent… Maintenant, il faut que je me contente de vivre.
Marguerite regarda Henri d’un air si étrange qu’il eût éveillé les soupçons d’un esprit moins délié que ne l’était celui du roi de Navarre.
– Et êtes-vous sûr, au moins, d’arriver à ce résultat? dit-elle.
– Mais à peu près, dit Henri; vous savez qu’en ce monde, madame, on n’est jamais sûr de rien.
– Il est vrai, reprit Marguerite, que Votre Majesté annonce tant de modération et professe tant de désintéressement, qu’après avoir renoncé à sa couronne, après avoir renoncé à sa religion, elle renoncera probablement, on en a l’espoir du moins, à son alliance avec une fille de France.
Ces mots portaient avec eux une si profonde signification que Henri en frissonna malgré lui. Mais domptant cette émotion avec la rapidité de l’éclair:
– Daignez vous souvenir, madame, qu’en ce moment je n’ai point mon libre arbitre. Je ferai donc ce que m’ordonnera le roi de France. Quant à moi, si l’on me consultait le moins du monde dans cette question où il ne va de rien moins que de mon trône, de mon bonheur et de ma vie, plutôt que d’asseoir mon avenir sur les droits que me donne notre mariage forcé, j’aimerais mieux m’ensevelir chasseur dans quelque château, pénitent dans quelque cloître.