Kitabı oku: «La reine Margot», sayfa 17
XX. Les poules noires
Il était temps que les deux couples disparussent. Catherine mettait la clef dans la serrure de la seconde porte au moment où Coconnas et madame de Nevers sortaient par l’issue du fond, et Catherine en entrant put entendre le craquement de l’escalier sous les pas des fugitifs.
Elle jeta autour d’elle un regard inquisiteur, et arrêtant enfin son œil soupçonneux sur René, qui se trouvait debout et incliné devant elle:
– Qui était là? demanda-t-elle.
– Des amants qui se sont contentés de ma parole quand je leur ai assuré qu’ils s’aimaient.
– Laissons cela, dit Catherine en haussant les épaules; n’y a-t-il plus personne ici?
– Personne que Votre Majesté et moi.
– Avez-vous fait ce que je vous ai dit?
– À propos des poules noires?
– Oui.
– Elles sont prêtes, madame.
– Ah! si vous étiez juif! murmura Catherine.
– Moi, juif, madame, pourquoi?
– Parce que vous pourriez lire les livres précieux qu’ont écrits les Hébreux sur les sacrifices. Je me suis fait traduire l’un d’eux, et j’ai vu que ce n’était ni dans le cœur ni dans le foie, comme les Romains, que les Hébreux cherchaient les présages: c’était dans la disposition du cerveau et dans la figuration des lettres qui y sont tracées par la main toute-puissante de la destinée.
– Oui, madame! je l’ai aussi entendu dire par un vieux rabbin de mes amis.
– Il y a, dit Catherine, des caractères ainsi dessinés qui ouvrent toute une voie prophétique; seulement les savants chaldéens recommandent…
– Recommandent… quoi? demanda René, voyant que la reine hésitait à continuer.
– Recommandent que l’expérience se fasse sur des cerveaux humains, comme étant plus développés et plus sympathiques à la volonté du consultant.
– Hélas! madame, dit René, Votre Majesté sait bien que c’est impossible!
– Difficile du moins, dit Catherine; car si nous avions su cela à la Saint-Barthélemy… hein, René! Quelle riche récolte! Le premier condamné… j’y songerai. En attendant, demeurons dans le cercle du possible… La chambre des sacrifices est-elle préparée?
– Oui, madame.
– Passons-y.
René alluma une bougie faite d’éléments étranges et dont l’odeur, tantôt subtile et pénétrante, tantôt nauséabonde et fumeuse, révélait l’introduction de plusieurs matières: puis éclairant Catherine, il passa le premier dans la cellule.
Catherine choisit elle-même parmi tous les instruments de sacrifice un couteau d’acier bleuissant, tandis que René allait chercher une des deux poules qui roulaient dans un coin leur œil d’or inquiet.
– Comment procéderons-nous?
– Nous interrogerons le foie de l’une et le cerveau de l’autre. Si les deux expériences nous donnent les mêmes résultats, il faudra bien croire, surtout si ces résultats se combinent avec ceux précédemment obtenus.
– Par où commencerons-nous?
– Par l’expérience du foie.
– C’est bien, dit René. Et il attacha la poule sur le petit autel à deux anneaux placés aux deux extrémités, de manière que l’animal renversé sur le dos ne pouvait que se débattre sans bouger de place. Catherine lui ouvrit la poitrine d’un seul coup de couteau.
La poule jeta trois cris, et expira après s’être assez longtemps débattue.
– Toujours trois cris, murmura Catherine, trois signes de mort. Puis elle ouvrit le corps.
– Et le foie pendant à gauche, continua-t-elle, toujours à gauche, triple mort suivie d’une déchéance. Sais-tu, René, que c’est effrayant?
– Il faut voir, madame, si les présages de la seconde victime coïncideront avec ceux de la première.
René détacha le cadavre de la poule et le jeta dans un coin; puis il alla vers l’autre, qui, jugeant de son sort par celui de sa compagne, essaya de s’y soustraire en courant tout autour de la cellule, et qui enfin, se voyant prise dans un coin, s’envola par-dessus la tête de René, et s’en alla dans son vol éteindre la bougie magique que tenait à la main Catherine.
– Vous le voyez, René, dit la reine. C’est ainsi que s’éteindra notre race. La mort soufflera dessus et elle disparaîtra de la surface de la terre. Trois fils, cependant, trois fils! … murmura-t-elle tristement.
René lui prit des mains la bougie éteinte et alla la rallumer dans la pièce à côté. Quand il revint, il vit la poule qui s’était fourré la tête dans l’entonnoir.
– Cette fois, dit Catherine, j’éviterai les cris, car je lui trancherai la tête d’un seul coup.
Et en effet, lorsque la poule fut attachée, Catherine, comme elle l’avait dit, d’un seul coup lui trancha la tête. Mais dans la convulsion suprême, le bec s’ouvrit trois fois et se rejoignit pour ne plus se rouvrir.
– Vois-tu! dit Catherine épouvantée. À défaut de trois cris, trois soupirs. Trois, toujours trois. Ils mourront tous les trois. Toutes ces âmes, avant de partir, comptent et appellent jusqu’à trois. Voyons maintenant les signes de la tête.
Alors Catherine abattit la crête pâlie de l’animal, ouvrit avec précaution le crâne, et le séparant de manière à laisser à découvert les lobes du cerveau, elle essaya de trouver la forme d’une lettre quelconque sur les sinuosités sanglantes que trace la division de la pulpe cérébrale.
– Toujours, s’écria-t-elle en frappant dans ses deux mains, toujours! et cette fois le pronostic est plus clair que jamais. Viens et regarde.
René s’approcha.
– Quelle est cette lettre? lui demanda Catherine en lui désignant un signe.
– Un H, répondit René.
– Combien de fois répété? René compta.
– Quatre, dit-il.
– Eh bien, eh bien, est-ce cela? Je le vois, c’est-à-dire Henri IV. Oh! gronda-t-elle en jetant le couteau, je suis maudite dans ma postérité.
C’était une effrayante figure que celle de cette femme pâle comme un cadavre, éclairée par la lugubre lumière et crispant ses mains sanglantes.
– Il régnera, dit-elle, avec un soupir de désespoir, il régnera!
– Il régnera, répéta René enseveli dans une rêverie profonde.
Cependant, bientôt cette expression sombre s’effaça des traits de Catherine à la lumière d’une pensée qui semblait éclore au fond de son cerveau.
– René, dit-elle en étendant la main vers le Florentin sans détourner sa tête inclinée sur sa poitrine, René, n’y a-t-il pas une terrible histoire d’un médecin de Pérouse qui, du même coup, à l’aide d’une pommade, a empoisonné sa fille et l’amant de sa fille?
– Oui, madame.
– Cet amant, c’était? continua Catherine toujours pensive.
– C’était le roi Ladislas, madame.
– Ah! oui, c’est vrai! murmura-t-elle. Avez-vous quelques détails sur cette histoire?
– Je possède un vieux livre qui en traite, répondit René.
– Eh bien, passons dans l’autre chambre, vous me le prêterez.
Tous deux quittèrent alors la cellule, dont René ferma la porte derrière lui.
– Votre Majesté me donne-t-elle d’autres ordres pour de nouveaux sacrifices? demanda le Florentin.
– Non, René, non! je suis pour le moment suffisamment convaincue. Nous attendrons que nous puissions nous procurer la tête de quelque condamné, et le jour de l’exécution tu en traiteras avec le bourreau.
René s’inclina en signe d’assentiment, puis il s’approcha, sa bougie à la main, des rayons où étaient rangés les livres, monta sur une chaise, en prit un et le donna à la reine.
Catherine l’ouvrit.
– Qu’est-ce que cela? dit-elle. «De la manière d’élever et de nourrir les tiercelets, les faucons et le gerfauts pour qu’ils soient braves, vaillants et toujours prêts au vol.»
– Ah! pardon, madame, je me trompe! Ceci est un traité de vénerie fait par un savant Lucquois pour le fameux Castruccio Castracani. Il était placé à côté de l’autre, relié de la même façon. Je me suis trompé. C’est d’ailleurs un livre très précieux; il n’en existe que trois exemplaires au monde: un qui appartient à la bibliothèque de Venise, l’autre qui avait été acheté par votre aïeul Laurent, et qui a été offert par Pierre de Médicis au roi Charles VIII, lors de son passage à Florence, et le troisième que voici.
– Je le vénère, dit Catherine, à cause de sa rareté; mais n’en ayant pas besoin, je vous le rends.
Et elle tendit la main droite vers René pour recevoir l’autre, tandis que de la main gauche elle lui rendit celui qu’elle avait reçu.
Cette fois René ne s’était point trompé, c’était bien le livre qu’elle désirait. René descendit, le feuilleta un instant et le lui rendit tout ouvert.
Catherine alla s’asseoir à une table, René posa près d’elle la bougie magique, et à la lueur de cette flamme bleuâtre, elle lut quelques lignes à demi-voix.
– Bien, dit-elle en refermant le livre, voilà tout ce que je voulais savoir.
Elle se leva, laissant le livre sur la table et emportant seulement au fond de son esprit la pensée qui y avait germé et qui devait y mûrir.
René attendit respectueusement, la bougie à la main, que la reine, qui paraissait prête à se retirer, lui donnât de nouveaux ordres ou lui adressât de nouvelles questions.
Catherine fit plusieurs pas la tête inclinée, le doigt sur la bouche et en gardant le silence. Puis s’arrêtant tout à coup devant René en relevant sur lui son œil rond et fixe comme celui d’un oiseau de proie:
– Avoue-moi que tu as fait pour elle quelque philtre, dit-elle.
– Pour qui? demanda René en tressaillant.
– Pour la Sauve.
– Moi, madame, dit René; jamais!
– Jamais?
– Sur mon âme, je vous le jure.
– Il y a cependant de la magie, car il l’aime comme un fou, lui qui n’est pas renommé par sa constance.
– Qui lui, madame?
– Lui, Henri le maudit, celui qui succédera à nos trois fils, celui qu’on appellera un jour Henri IV, et qui cependant est le fils de Jeanne d’Albret.
Et Catherine accompagna ces derniers mots d’un soupir qui fit frissonner René, car il lui rappelait les fameux gants que, par ordre de Catherine, il avait préparés pour la reine de Navarre.
– Il y va donc toujours? demanda René.
– Toujours, dit Catherine.
– J’avais cru cependant que le roi de Navarre était revenu tout entier à sa femme.
– Comédie, René, comédie. Je ne sais dans quel but, mais tout se réunit pour me tromper. Ma fille elle-même, Marguerite, se déclare contre moi; peut-être, elle aussi, espère-t-elle la mort de ses frères, peut-être espère-t-elle être reine de France.
– Oui, peut-être, dit René, rejeté dans sa rêverie et se faisant l’écho du doute terrible de Catherine.
– Enfin, dit Catherine, nous verrons. Et elle s’achemina vers la porte du fond, jugeant sans doute inutile de descendre par l’escalier secret, puisqu’elle était sûre d’être seule.
René la précéda, et, quelques instants après, tous deux se trouvèrent dans la boutique du parfumeur.
– Tu m’avais promis de nouveaux cosmétiques pour mes mains et pour mes lèvres, René, dit-elle; voici l’hiver, et tu sais que j’ai la peau fort sensible au froid.
– Je m’en suis déjà occupé, madame, et je vous les porterai demain.
– Demain soir tu ne me trouverais pas avant neuf ou dix heures. Pendant la journée je fais mes dévotions.
– Bien, madame, je serai au Louvre à neuf heures.
– Madame de Sauve a de belles mains et de belles lèvres, dit d’un ton indifférent Catherine; et de quelle pâte se sert-elle?
– Pour ses mains?
– Oui, pour ses mains d’abord.
– De pâte à l’héliotrope.
– Et pour ses lèvres?
– Pour ses lèvres, elle va se servir du nouvel opiat que j’ai inventé et dont je comptais porter demain une boîte à Votre Majesté en même temps qu’à elle.
Catherine resta un instant pensive.
– Au reste, elle est belle, cette créature, dit-elle, répondant toujours à sa secrète pensée, et il n’y a rien d’étonnant à cette passion du Béarnais.
– Et surtout dévouée à Votre Majesté, dit René, à ce que je crois du moins. Catherine sourit et haussa les épaules.
– Lorsqu’une femme aime, dit-elle, est-ce qu’elle est jamais dévouée à un autre qu’à son amant! Tu lui as fait quelque philtre, René.
– Je vous jure que non, madame.
– C’est bien! n’en parlons plus. Montre-moi donc cet opiat nouveau dont tu me parlais, et qui doit lui faire les lèvres plus fraîches et plus roses encore.
René s’approcha d’un rayon et montra à Catherine six petites boîtes d’argent de la même forme, c’est-à-dire rondes, rangées les unes à côté des autres.
– Voilà le seul philtre qu’elle m’ait demandé, dit René; il est vrai, comme le dit Votre Majesté, que je l’ai composé exprès pour elle, car elle a les lèvres si fines et si tendres que le soleil et le vent les gercent également.
Catherine ouvrit une de ces boîtes, elle contenait une pâte du carmin le plus séduisant.
– René, dit-elle, donne-moi de la pâte pour mes mains; j’en emporterai avec moi.
René s’éloigna avec la bougie et s’en alla chercher dans un compartiment particulier ce que lui demandait la reine. Cependant il ne se retourna pas si vite, qu’il ne crût voir que Catherine, par un brusque mouvement, venait de prendre une boîte et de la cacher sous sa mante. Il était trop familiarisé avec ces soustractions de la reine mère pour avoir la maladresse de paraître s’en apercevoir. Aussi, prenant la pâte demandée enfermée dans un sac de papier fleurdelisé:
– Voici, madame, dit-il.
– Merci, René! reprit Catherine. Puis, après un moment de silence: Ne porte cet opiat à madame de Sauve que dans huit ou dix jours, je veux être la première à en faire l’essai.
Et elle s’apprêta à sortir.
– Votre Majesté veut-elle que je la reconduise? dit René.
– Jusqu’au bout du pont seulement, répondit Catherine; mes gentilshommes m’attendent là avec ma litière.
Tous deux sortirent et gagnèrent le coin de la rue de la Barillerie, où quatre gentilshommes à cheval et une litière sans armoiries attendaient Catherine.
En rentrant chez lui, le premier soin de René fut de compter ses boîtes d’opiat. Il en manquait une.
XXI. L’appartement de Madame de Sauve
Catherine ne s’était pas trompée dans ses soupçons. Henri avait repris ses habitudes, et chaque soir il se rendait chez madame de Sauve. D’abord, il avait exécuté cette excursion avec le plus grand secret, puis, peu à peu, il s’était relâché de sa défiance, avait négligé les précautions, de sorte que Catherine n’avait pas eu de peine à s’assurer que la reine de Navarre continuait d’être de nom Marguerite, de fait madame de Sauve.
Nous avons dit deux mots, au commencement de cette histoire, de l’appartement de madame de Sauve; mais la porte ouverte par Dariole au roi de Navarre s’est hermétiquement refermée sur lui, de sorte que cet appartement, théâtre des mystérieuses amours du Béarnais, nous est complètement inconnu.
Ce logement, du genre de ceux que les princes fournissent à leurs commensaux dans les palais qu’ils habitent, afin de les avoir à leur portée, était plus petit et moins commode que n’eût certainement été un logement situé par la ville. Il était, comme on le sait déjà, placé au second, à peu près au-dessus de celui de Henri, et la porte s’en ouvrait sur un corridor dont l’extrémité était éclairée par une fenêtre ogivale à petits carreaux enchâssés de plomb, laquelle, même dans les plus beaux jours de l’année, ne laissait pénétrer qu’une lumière douteuse. Pendant l’hiver, dès trois heures de l’après-midi, on était obligé d’y allumer une lampe, qui, ne contenant, été comme hiver, que la même quantité d’huile, s’éteignait alors vers les dix heures du soir, et donnait ainsi, depuis que les jours d’hiver étaient arrivés, une plus grande sécurité aux deux amants.
Une petite antichambre tapissée de damas de soie à larges fleurs jaunes, une chambre de réception tendue de velours bleu, une chambre à coucher, dont le lit à colonnes torses et à rideau de satin cerise enchâssait une ruelle ornée d’un miroir garni d’argent et de deux tableaux tirés des amours de Vénus et d’Adonis; tel était le logement, aujourd’hui l’on dirait le nid, de la charmante fille d’atours de la reine Catherine de Médicis.
En cherchant bien on eût encore, en face d’une toilette garnie de tous ses accessoires, trouvé, dans un coin sombre de cette chambre, une petite porte ouvrant sur une espèce d’oratoire, où, exhaussé sur deux gradins, s’élevait un prie-Dieu. Dans cet oratoire étaient pendues à la muraille, et comme pour servir de correctif aux deux tableaux mythologiques dont nous avons parlé, trois ou quatre peintures du spiritualisme le plus exalté. Entre ces peintures étaient suspendues, à des clous dorés, des armes de femme; car, à cette époque de mystérieuses intrigues, les femmes portaient des armes comme les hommes, et, parfois, s’en servaient aussi habilement qu’eux.
Ce soir-là, qui était le lendemain du jour où s’étaient passées chez maître René les scènes que nous avons racontées, madame de Sauve, assise dans sa chambre à coucher sur un lit de repos, racontait à Henri ses craintes et son amour, et lui donnait comme preuve de ces craintes et de cet amour le dévouement qu’elle avait montré dans la fameuse nuit qui avait suivi celle de la Saint-Barthélemy, nuit que Henri, on se le rappelle, avait passée chez sa femme.
Henri, de son côté, lui exprimait sa reconnaissance. Madame de Sauve était charmante ce soir-là dans son simple peignoir de batiste, et Henri était très reconnaissant.
Au milieu de tout cela, comme Henri était réellement amoureux, il était rêveur. De son côté madame de Sauve, qui avait fini par adopter de tout son cœur cet amour commandé par Catherine, regardait beaucoup Henri pour voir si ses yeux étaient d’accord avec ses paroles.
– Voyons, Henri, disait madame de Sauve, soyez franc: pendant cette nuit passée dans le cabinet de Sa Majesté la reine de Navarre, avec M. de La Mole à vos pieds, n’avez-vous pas regretté que ce digne gentilhomme se trouvât entre vous et la chambre à coucher de la reine?
– Oui, en vérité, ma mie, dit Henri, car il me fallait absolument passer par cette chambre pour aller à celle où je me trouve si bien, et où je suis si heureux en ce moment.
Madame de Sauve sourit.
– Et vous n’y êtes pas rentré depuis?
– Que les fois que je vous ai dites.
– Vous n’y rentrerez jamais sans me le dire?
– Jamais.
– En jureriez-vous?
– Oui, certainement, si j’étais encore huguenot, mais…
– Mais quoi?
– Mais la religion catholique, dont j’apprends les dogmes en ce moment, m’a appris qu’on ne doit jamais jurer.
– Gascon, dit madame de Sauve en secouant la tête.
– Mais à votre tour, Charlotte, dit Henri, si je vous interrogeais, répondriez-vous à mes questions?
– Sans doute, répondit la jeune femme. Moi je n’ai rien à vous cacher.
– Voyons, Charlotte, dit le roi, expliquez-moi une bonne fois comment il se fait qu’après cette résistance désespérée qui a précédé mon mariage, vous soyez devenue moins cruelle pour moi qui suis un gauche Béarnais, un provincial ridicule, un prince trop pauvre, enfin, pour entretenir brillants les joyaux de sa couronne?
– Henri, dit Charlotte, vous me demandez le mot de l’énigme que cherchent depuis trois mille ans les philosophes de tous les pays! Henri, ne demandez jamais à une femme pourquoi elle vous aime; contentez-vous de lui demander: M’aimez-vous?
– M’aimez-vous, Charlotte? demanda Henri.
– Je vous aime, répondit madame de Sauve avec un charmant sourire et en laissant tomber sa belle main dans celle de son amant.
Henri retint cette main.
– Mais, reprit-il poursuivant sa pensée, si je l’avais deviné ce mot que les philosophes cherchent en vain depuis trois mille ans, du moins relativement à vous, Charlotte?
Madame de Sauve rougit.
– Vous m’aimez, continua Henri; par conséquent je n’ai pas autre chose à vous demander, et me tiens pour le plus heureux homme du monde. Mais, vous le savez, au bonheur il manque toujours quelque chose. Adam, au milieu du paradis, ne s’est pas trouvé complètement heureux, et il a mordu à cette misérable pomme qui nous a donné à tous ce besoin de curiosité qui fait que chacun passe sa vie à la recherche d’un inconnu quelconque. Dites-moi, ma mie, pour m’aider à trouver le mien, n’est-ce point la reine Catherine qui vous a dit d’abord de m’aimer?
– Henri, dit madame de Sauve, parlez bas quand vous parlez de la reine mère.
– Oh! dit Henri avec un abandon et une confiance à laquelle madame de Sauve fut trompée elle-même, c’était bon autrefois de me défier d’elle, cette bonne mère, quand nous étions mal ensemble; mais maintenant que je suis le mari de sa fille…
– Le mari de madame Marguerite! dit Charlotte en rougissant de jalousie.
– Parlez bas à votre tour, dit Henri. Maintenant que je suis le mari de sa fille, nous sommes les meilleurs amis du monde. Que voulait-on? que je me fisse catholique, à ce qu’il paraît. Eh bien, la grâce m’a touché; et, par l’intercession de saint Barthélemy, je le suis devenu. Nous vivons maintenant en famille comme de bons frères, comme de bons chrétiens.
– Et la reine Marguerite?
– La reine Marguerite, dit Henri, eh bien, elle est le lien qui nous unit tous.
– Mais vous m’avez dit, Henri, que la reine de Navarre, en récompense de ce que j’avais été dévouée pour elle, avait été généreuse pour moi. Si vous m’avez dit vrai, si cette générosité, pour laquelle je lui ai voué une si grande reconnaissance, est réelle, elle n’est qu’un lien de convention facile à briser. Vous ne pouvez donc vous reposer sur cet appui, car vous n’en avez imposé à personne avec cette prétendue intimité.
– Je m’y repose cependant, et c’est depuis trois mois l’oreiller sur lequel je dors.
– Alors, Henri, s’écria madame de Sauve, c’est que vous m’avez trompée, c’est que véritablement madame Marguerite est votre femme.
Henri sourit.
– Tenez, Henri! dit madame de Sauve, voilà de ces sourires qui m’exaspèrent, et qui font que, tout roi que vous êtes, il me prend parfois de cruelles envies de vous arracher les yeux.
– Alors, dit Henri, j’arrive donc à en imposer sur cette prétendue intimité, puisqu’il y a des moments où, tout roi que je suis, vous voulez m’arracher les yeux, parce que vous croyez qu’elle existe!
– Henri! Henri! dit madame de Sauve, je crois que Dieu lui-même ne sait pas ce que vous pensez.
– Je pense, ma mie, dit Henri, que Catherine vous a dit d’abord de m’aimer, que votre cœur vous l’a dit ensuite, et que, quand ces deux voix vous parlent, vous n’entendez que celle de votre cœur. Maintenant, moi aussi, je vous aime, et de toute mon âme, et même c’est pour cela que lorsque j’aurais des secrets, je ne vous les confierais pas, de peur de vous compromettre, bien entendu… car l’amitié de la reine est changeante, c’est celle d’une belle mère.
Ce n’était point là le compte de Charlotte; il lui semblait que ce voile qui s’épaississait entre elle et son amant toutes les fois qu’elle voulait sonder les abîmes de ce cœur sans fond, prenait la consistance d’un mur et les séparait l’un de l’autre. Elle sentit donc les larmes envahir ses yeux à cette réponse, et comme en ce moment dix heures sonnèrent:
– Sire, dit Charlotte, voici l’heure de me reposer; mon service m’appelle de très bon matin demain chez la reine mère.
– Vous me chassez donc ce soir, ma mie? dit Henri.
– Henri, je suis triste. Étant triste, vous me trouveriez maussade, et, me trouvant maussade, vous ne m’aimeriez plus. Vous voyez bien qu’il vaut mieux que vous vous retiriez.
– Soit! dit Henri, je me retirerai si vous l’exigez, Charlotte; seulement, ventre-saint-gris! vous m’accorderez bien la faveur d’assister à votre toilette!
– Mais la reine Marguerite, Sire, ne la ferez-vous pas attendre en y assistant?
– Charlotte, répliqua Henri sérieux, il avait été convenu entre nous que nous ne parlerions jamais de la reine de Navarre, et ce soir, ce me semble, nous n’avons parlé que d’elle.
Madame de Sauve soupira, et elle alla s’asseoir devant sa toilette. Henri prit une chaise, la traîna jusqu’à celle qui servait de siège à sa maîtresse, et mettant un genou dessus en s’appuyant au dossier:
– Allons, dit-elle, ma bonne petite Charlotte, que je vous voie vous faire belle, et belle pour moi, quoi que vous en disiez. Mon Dieu! que de choses, que de pots de parfums, que de sacs de poudre, que de fioles, que de cassolettes!
– Cela paraît beaucoup, dit Charlotte en soupirant, et cependant c’est trop peu, puisque je n’ai pas encore, avec tout cela, trouvé le moyen de régner seule sur le cœur de Votre Majesté.
– Allons! dit Henri, ne retombons pas dans la politique. Qu’est-ce que ce petit pinceau si fin, si délicat? Ne serait-ce pas pour peindre les sourcils de mon Jupiter Olympien?
– Oui, Sire, répondit madame de Sauve en souriant, et vous avez deviné du premier coup.
– Et ce joli petit râteau d’ivoire?
– C’est pour tracer la ligne des cheveux.
– Et cette charmante petite boîte d’argent au couvercle ciselé?
– Oh! cela, c’est un envoi de René, Sire, c’est le fameux opiat qu’il me promet depuis si longtemps pour adoucir encore ces lèvres que Votre Majesté a la bonté de trouver quelquefois assez douces.
Et Henri, comme pour approuver ce que venait de dire la charmante femme dont le front s’éclaircissait à mesure qu’on la remettait sur le terrain de la coquetterie, appuya ses lèvres sur celles que la baronne regardait avec attention dans son miroir.
Charlotte porta la main à la boîte qui venait d’être l’objet de l’explication ci-dessus, sans doute pour montrer à Henri de quelle façon s’employait la pâte vermeille, lorsqu’un coup sec frappé à la porte de l’antichambre fit tressaillir les deux amants.
– On frappe, madame, dit Dariole en passant la tête par l’ouverture de la portière.
– Va t’informer qui frappe et reviens, dit madame de Sauve.
Henri et Charlotte se regardèrent avec inquiétude, et Henri songeait à se retirer dans l’oratoire où déjà plus d’une fois il avait trouvé un refuge, lorsque Dariole reparut.
– Madame, dit-elle, c’est maître René le parfumeur.
À ce nom, Henri fronça le sourcil et se pinça involontairement les lèvres.
– Voulez-vous que je lui refuse la porte? dit Charlotte.
– Non pas! dit Henri; maître René ne fait rien sans avoir auparavant songé à ce qu’il fait; s’il vient chez vous, c’est qu’il a des raisons d’y venir.
– Voulez-vous vous cacher alors?
– Je m’en garderai bien, dit Henri, car maître René sait tout, et maître René sait que je suis ici.
– Mais Votre Majesté n’a-t-elle pas quelque raison pour que sa présence lui soit douloureuse?
– Moi! dit Henri en faisant un effort que, malgré sa puissance sur lui-même, il ne put tout à fait dissimuler, moi! aucune! Nous étions en froid, c’est vrai; mais, depuis le soir de la Saint-Barthélemy, nous nous sommes raccommodés.
– Faites entrer! dit madame de Sauve à Dariole. Un instant après, René parut et jeta un regard qui embrassa toute la chambre. Madame de Sauve était toujours devant sa toilette. Henri avait repris sa place sur le lit de repos. Charlotte était dans la lumière et Henri dans l’ombre.
– Madame, dit René avec une respectueuse familiarité, je viens vous faire mes excuses.
– Et de quoi donc, René? demanda madame de Sauve avec cette condescendance que les jolies femmes ont toujours pour ce monde de fournisseurs qui les entoure et qui tend à les rendre plus jolies.
– De ce que depuis si longtemps j’avais promis de travailler pour ces jolies lèvres, et de ce que…
– De ce que vous n’avez tenu votre promesse qu’aujourd’hui, n’est-ce pas? dit Charlotte.
– Qu’aujourd’hui! répéta René.
– Oui, c’est aujourd’hui seulement, et même ce soir, que j’ai reçu cette boîte que vous m’avez envoyée.
– Ah! en effet, dit René en regardant avec une expression étrange la petite boîte d’opiat qui se trouvait sur la table de madame de Sauve, et qui était de tout point pareille à celles qu’il avait dans son magasin.
– J’avais deviné! murmura-t-il; et vous vous en êtes servie?
– Non, pas encore, et j’allais l’essayer quand vous êtes entré.
La figure de René prit une expression rêveuse qui n’échappa point à Henri, auquel, d’ailleurs, bien peu de choses échappaient.
– Eh bien, René! qu’avez-vous donc? demanda le roi.
– Moi, rien, Sire, dit le parfumeur, j’attends humblement que Votre Majesté m’adresse la parole avant de prendre congé de madame la baronne.
– Allons donc! dit Henri en souriant. Avez-vous besoin de mes paroles pour savoir que je vous vois avec plaisir?
René regarda autour de lui, fit le tour de la chambre comme pour sonder de l’œil et de l’oreille les portes et les tapisseries, puis s’arrêtant de nouveau et se plaçant de manière à embrasser du même regard madame de Sauve et Henri:
– Je ne le sais pas, dit-il. Henri averti, grâce à cet instinct admirable qui, pareil à un sixième sens, le guida pendant toute la première partie de sa vie au milieu des dangers qui l’entouraient, qu’il se passait en ce moment quelque chose d’étrange et qui ressemblait à une lutte dans l’esprit du parfumeur, se tourna vers lui, et tout en restant dans l’ombre, tandis que le visage du Florentin se trouvait dans la lumière:
– Vous à cette heure ici, René? lui dit-il.
– Aurais-je le malheur de gêner Votre Majesté? répondit le parfumeur en faisant un pas en arrière.
– Non pas. Seulement je désire savoir une chose.
– Laquelle, Sire?
– Pensiez-vous me trouver ici?
– J’en étais sûr.
– Vous me cherchiez donc?
– Je suis heureux de vous rencontrer, du moins.
– Vous avez quelque chose à me dire? insista Henri.
– Peut-être, Sire! répondit René. Charlotte rougit, car elle tremblait que cette révélation, que semblait vouloir faire le parfumeur, ne fût relative à sa conduite passée envers Henri; elle fit donc comme si, toute aux soins de sa toilette, elle n’eût rien entendu, et interrompant la conversation:
– Ah! en vérité, René, s’écria-t-elle en ouvrant la boîte d’opiat, vous êtes un homme charmant; cette pâte est d’une couleur merveilleuse, et, puisque vous voilà, je vais, pour vous faire honneur, expérimenter devant vous votre nouvelle production.
Et elle prit la boîte d’une main, tandis que de l’autre elle effleurait du bout du doigt la pâte rosée qui devait passer du doigt à ses lèvres.
René tressaillit.
La baronne approcha en souriant l’opiat de sa bouche.
René pâlit.
Henri, toujours dans l’ombre, mais les yeux fixes et ardents, ne perdait ni un mouvement de l’un ni un frisson de l’autre.
La main de Charlotte n’avait plus que quelques lignes à parcourir pour toucher ses lèvres, lorsque René lui saisit le bras, au moment où Henri se levait pour en faire autant.
Henri retomba sans bruit sur son lit de repos.
– Un moment, madame, dit René avec un sourire contraint; mais il ne faudrait pas employer cet opiat sans quelques recommandations particulières.
– Et qui me les donnera, ces recommandations?