Kitabı oku: «La reine Margot», sayfa 33
XVI. De Mouy de Saint-Phale
Cette fois, Catherine avait si bien pris ses précautions qu’elle croyait être sûre de son fait.
En conséquence, vers dix heures, elle avait renvoyé Marguerite, bien convaincue, c’était d’ailleurs la vérité, que la reine de Navarre ignorait ce qui se tramait contre son mari, et elle était passée chez le roi, le priant de retarder son coucher.
Intrigué par l’air de triomphe qui, malgré sa dissimulation habituelle, épanouissait le visage de sa mère, Charles questionna Catherine, qui lui répondit seulement ces mots:
– Je ne puis dire qu’une chose à Votre Majesté, c’est que ce soir elle sera délivrée de ses deux plus cruels ennemis.
Charles fit ce mouvement de sourcil d’un homme qui dit en lui-même: C’est bien, nous allons voir. Et sifflant son grand lévrier, qui vient à lui se traînant sur le ventre comme un serpent et posa sa tête fine et intelligente sur le genou de son maître, il attendit.
Au bout de quelques minutes, que Catherine passa les yeux fixes et l’oreille tendue, on entendit un coup de pistolet dans la cour du Louvre.
– Qu’est-ce que ce bruit? demanda Charles en fronçant le sourcil, tandis que le lévrier se relevait par un mouvement brusque en redressant les oreilles.
– Rien, dit Catherine; un signal, voilà tout.
– Et que signifie ce signal?
– Il signifie qu’à partir de ce moment, Sire, votre unique, votre véritable ennemi, est hors de vous nuire.
– Vient-on de tuer un homme? demanda Charles en regardant sa mère avec cet œil de maître qui signifie que l’assassinat et la grâce sont deux attributs inhérents à la puissance royale.
– Non, Sire; on vient seulement d’en arrêter deux.
– Oh! murmura Charles, toujours des trames cachées, toujours des complots dont le roi n’est pas. Mort-diable! ma mère, je suis grand garçon cependant, assez grand garçon pour veiller sur moi-même, et n’ai besoin ni de lisière ni de bourrelet. Allez-vous-en en Pologne avec votre fils Henri, si vous voulez régner; mais ici vous avez tort, je vous le dis, de jouer ce jeu-là.
– Mon fils, dit Catherine, c’est la dernière fois que je me mêle de vos affaires. Mais c’était une entreprise commencée depuis longtemps, dans laquelle vous m’avez toujours donné tort, et je tenais à cœur de prouver à Votre Majesté que j’avais raison.
En ce moment plusieurs hommes s’arrêtèrent dans le vestibule, et l’on entendit se poser sur la dalle la crosse des mousquets d’une petite troupe.
Presque aussitôt M. de Nancey fit demander la permission d’entrer chez le roi.
– Qu’il entre, dit vivement Charles.
M. de Nancey entra, salua le roi, et se tournant vers Catherine:
– Madame, dit-il, les ordres de Votre Majesté sont exécutés: il est pris.
– Comment, il? s’écria Catherine fort troublée; n’en avez-vous pris qu’un?
– Il était seul, madame.
– Et s’est-il défendu?
– Non, il soupait tranquillement dans une chambre, et a remis son épée à la première sommation.
– Qui cela? demanda le roi.
– Vous allez voir, dit Catherine. Faites entrer le prisonnier, monsieur de Nancey. Cinq minutes après de Mouy fut introduit.
– De Mouy! s’écria le roi; et qu’y a-t-il donc, monsieur?
– Eh! Sire, dit de Mouy avec une tranquillité parfaite, si Votre Majesté m’en accorde la permission, je lui ferai la même demande.
– Au lieu de faire cette demande au roi, dit Catherine, ayez la bonté, monsieur de Mouy, d’apprendre à mon fils quel est l’homme qui se trouvait dans la chambre du roi de Navarre certaine nuit, et qui, cette nuit-là, en résistant aux ordres de Sa Majesté comme un rebelle qu’il est, a tué deux gardes et blessé M. de Maurevel?
– En effet, dit Charles en fronçant le sourcil; sauriez-vous le nom de cet homme, monsieur de Mouy?
– Oui, Sire; Votre Majesté désire-t-elle le connaître?
– Cela me ferait plaisir, je l’avoue.
– Eh bien, Sire, il s’appelait de Mouy de Saint-Phale.
– C’était vous?
– Moi-même!
Catherine, étonnée de cette audace, recula d’un pas vers le jeune homme.
– Et comment, dit Charles IX, osâtes-vous résister aux ordres du roi?
– D’abord, Sire, j’ignorais qu’il y eût un ordre de Votre Majesté; puis je n’ai vu qu’une chose, ou plutôt qu’un homme, M. de Maurevel, l’assassin de mon père et de M. l’amiral. Je me suis rappelé alors qu’il y avait un an et demi, dans cette même chambre où nous sommes, pendant la soirée du 24 août, Votre Majesté m’avait promis, parlant à moi-même, de nous faire justice du meurtrier; or, comme il s’était depuis ce temps passé de graves événements, j’ai pensé que le roi avait été malgré lui détourné de ses désirs. Et voyant Maurevel à ma portée, j’ai cru que c’était le ciel qui me l’envoyait. Votre Majesté sait le reste, Sire; j’ai frappé sur lui comme sur un assassin et tiré sur ses hommes comme sur des bandits.
Charles ne répondit rien; son amitié pour Henri lui avait fait voir depuis quelque temps bien des choses sous un autre point de vue que celui où il les avait envisagées d’abord, et plus d’une fois avec terreur.
La reine mère, à propos de la Saint-Barthélemy, avait enregistré dans sa mémoire des propos sortis de la bouche de son fils, et qui ressemblaient à des remords.
– Mais, dit Catherine, que veniez-vous faire à une pareille heure chez le roi de Navarre?
– Oh! répondit de Mouy, c’est toute une histoire bien longue à raconter; mais si cependant Sa Majesté a la patience de l’entendre…
– Oui, dit Charles, parlez donc, je le veux.
– J’obéirai, Sire, dit de Mouy en s’inclinant.
Catherine s’assit en fixant sur le jeune chef un regard inquiet.
– Nous écoutons, dit Charles. Ici, Actéon.
Le chien reprit la place qu’il avait avant que le prisonnier n’eût été introduit.
– Sire, dit de Mouy, j’étais venu chez Sa Majesté le roi de Navarre comme député de nos frères, vos fidèles sujets de la religion.
Catherine fit signe à Charles IX.
– Soyez tranquille, ma mère, dit celui-ci, je ne perds pas un mot. Continuez, monsieur de Mouy, continuez; pourquoi étiez-vous venu?
– Pour prévenir le roi de Navarre, continua M. de Mouy, que son abjuration lui avait fait perdre la confiance du parti huguenot; mais que cependant, en souvenir de son père, Antoine de Bourbon, et surtout en mémoire de sa mère, la courageuse Jeanne d’Albret, dont le nom est cher parmi nous, ceux de la religion lui devaient cette marque de déférence de le prier de se désister de ses droits à la couronne de Navarre.
– Que dit-il? s’écria Catherine, ne pouvant, malgré sa puissance sur elle-même, recevoir sans crier un peu le coup inattendu qui la frappait.
– Ah! ah! fit Charles; mais cette couronne de Navarre, qu’on fait ainsi sans ma permission voltiger sur toutes les têtes, il me semble cependant qu’elle m’appartient un peu.
– Les huguenots, Sire, reconnaissent mieux que personne ce principe de suzeraineté que le roi vient d’émettre. Aussi espéraient-ils engager Votre Majesté à la fixer sur une tête qui lui est chère.
– À moi! dit Charles, sur une tête qui m’est chère! Mort-diable! de quelle tête voulez-vous donc parler, monsieur? Je ne vous comprends pas.
– De la tête de M. le duc d’Alençon.
Catherine devint pâle comme la mort, et dévora de Mouy d’un regard flamboyant.
– Et mon frère d’Alençon le savait?
– Oui, Sire.
– Et il acceptait cette couronne?
– Sauf l’agrément de Votre Majesté, à laquelle il nous renvoyait.
– Oh! oh! dit Charles, en effet, c’est une couronne qui ira à merveille à notre frère d’Alençon. Et moi qui n’y avais pas songé! Merci, de Mouy. Merci! Quand vous aurez des idées semblables, vous serez le bienvenu au Louvre.
– Sire, vous seriez instruit depuis longtemps de tout ce projet sans cette malheureuse affaire de Maurevel qui m’a fait craindre d’être tombé dans la disgrâce de Votre Majesté.
– Oui, mais, fit Catherine, que disait Henri de ce projet?
– Le roi de Navarre, madame, se soumettait au désir de ses frères, et sa renonciation était prête.
– En ce cas, s’écria Catherine, cette renonciation, vous devez l’avoir?
– En effet, madame, dit de Mouy, par hasard je l’ai sur moi, signée de lui et datée.
– D’une date antérieure à la scène du Louvre? dit Catherine.
– Oui, de la veille, je crois. Et M. de Mouy tira de sa poche une renonciation en faveur du duc d’Alençon, écrite, signée de la main de Henri, et portant la date indiquée.
– Ma foi, oui, dit Charles, et tout est bien en règle.
– Et que demandait Henri en échange de cette renonciation?
– Rien, madame; l’amitié du roi Charles, nous a-t-il dit, le dédommagerait amplement de la perte d’une couronne.
Catherine mordit ses lèvres de colère et tordit ses belles mains.
– Tout cela est parfaitement exact, de Mouy, ajouta le roi.
– Alors, reprit la reine mère, si tout était arrêté entre vous et le roi de Navarre, à quelle fin l’entrevue que vous avez eue ce soir avec lui?
– Moi, madame, avec le roi de Navarre? dit de Mouy. M. de Nancey, qui m’a arrêté, fera foi que j’étais seul. Votre Majesté peut l’appeler.
– Monsieur de Nancey! dit le roi. Le capitaine des gardes reparut.
– Monsieur de Nancey, dit vivement Catherine, M. de Mouy était-il tout à fait seul à l’auberge de la Belle-Étoile?
– Dans la chambre, oui, madame; mais dans l’auberge, non.
– Ah! dit Catherine, quel était son compagnon?
– Je ne sais si c’était le compagnon de M. de Mouy, madame; mais je sais qu’il s’est échappé par une porte de derrière, après avoir couché sur le carreau deux de mes gardes.
– Et vous avez reconnu ce gentilhomme, sans doute?
– Non, pas moi, mais mes gardes.
– Et quel était-il? demanda Charles IX.
– M. le comte Annibal de Coconnas.
– Annibal de Coconnas, répéta le roi assombri et rêveur, celui qui a fait un si terrible massacre de huguenots pendant la Saint-Barthélemy.
– M. de Coconnas, gentilhomme de M. d’Alençon, dit M. de Nancey.
– C’est bien, c’est bien, dit Charles IX; retirez-vous, monsieur de Nancey, et une autre fois, souvenez-vous d’une chose…
– De laquelle, Sire?
– C’est que vous êtes à mon service, et que vous ne devez obéir qu’à moi.
M. de Nancey se retira à reculons en saluant respectueusement. De Mouy envoya un sourire ironique à Catherine. Il se fit un silence d’un instant.
La reine tordait la ganse de sa cordelière, Charles caressait son chien.
– Mais quel était votre but, monsieur? continua Charles; agissiez-vous violemment?
– Contre qui, Sire?
– Mais contre Henri, contre François ou contre moi.
– Sire, nous avions la renonciation de votre beau-frère, l’agrément de votre frère; et, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, nous étions sur le point de solliciter l’autorisation de Votre Majesté, lorsque est arrivée cette fatale affaire du Louvre.
– Eh bien, ma mère, dit Charles, je ne vois aucun mal à tout cela. Vous étiez dans votre droit, monsieur de Mouy, en demandant un roi. Oui, la Navarre peut être et doit être un royaume séparé. Il y a plus, ce royaume semble fait exprès pour doter mon frère d’Alençon, qui a toujours eu si grande envie d’une couronne, que lorsque nous portons la nôtre il ne peut détourner les yeux de dessus elle. La seule chose qui s’opposait à cette intronisation, c’était le droit de Henriot; mais puisque Henriot y renonce volontairement…
– Volontairement, Sire.
– Il paraît que c’est la volonté de Dieu! Monsieur de Mouy, vous êtes libre de retourner vers vos frères, que j’ai châtiés… un peu durement, peut-être; mais ceci est une affaire entre moi et Dieu: et dites-leur que, puisqu’ils désirent pour roi de Navarre mon frère d’Alençon, le roi de France se rend à leurs désirs. À partir de ce moment, la Navarre est un royaume, et son souverain s’appelle François. Je ne demande que huit jours pour que mon frère quitte Paris avec l’éclat et la pompe qui conviennent à un roi. Allez, monsieur de Mouy, allez! … Monsieur de Nancey, laissez passer M. de Mouy, il est libre.
– Sire, dit de Mouy en faisant un pas en avant, Votre Majesté permet-elle?
– Oui, dit le roi. Et il tendit la main au jeune huguenot. De Mouy mit un genou à terre et baisa la main du roi.
– À propos, dit Charles en le retenant au moment où il allait se relever, ne m’aviez-vous pas demandé justice de ce brigand de Maurevel?
– Oui, Sire.
– Je ne sais où il est pour vous la faire, car il se cache; mais si vous le rencontrez, faites-vous justice vous-même, je vous y autorise, et de grand cœur.
– Ah! Sire, s’écria de Mouy, voilà qui me comble véritablement; que Votre Majesté s’en rapporte à moi; je ne sais non plus où il est, mais je le trouverai, soyez tranquille.
Et de Mouy, après avoir respectueusement salué le roi Charles et la reine Catherine, se retira sans que les gardes qui l’avaient amené missent aucun empêchement à sa sortie. Il traversa les corridors, gagna rapidement le guichet, et une fois dehors ne fit qu’un bond de la place Saint-Germain-l’Auxerrois à l’auberge de la Belle-Étoile, où il retrouva son cheval, grâce auquel, trois heures après la scène que nous venons de raconter, le jeune homme respirait en sûreté derrière les murailles de Mantes.
Catherine, dévorant sa colère, regagna son appartement d’où elle passa dans celui de Marguerite. Elle y trouva Henri en robe de chambre et qui paraissait prêt à se mettre au lit.
– Satan, murmura-t-elle, aide une pauvre reine pour qui Dieu ne veut plus rien faire!
XVII. Deux têtes pour une couronne
– Qu’on prie M. d’Alençon de me venir voir, avait dit Charles en congédiant sa mère.
M. de Nancey, disposé d’après l’invitation du roi de n’obéir désormais qu’à lui-même, ne fit qu’un bond de chez Charles chez son frère, lui transmettant sans adoucissement aucun l’ordre qu’il venait de recevoir.
Le duc d’Alençon tressaillit: en tout temps il avait tremblé devant Charles; et à bien plus forte raison encore depuis qu’il s’était fait, en conspirant, des motifs de le craindre.
Il ne s’en rendit pas moins près de son frère avec un empressement calculé.
Charles était debout et sifflait entre ses dents un hallali sur pied.
En entrant, le duc d’Alençon surprit dans l’œil vitreux de Charles un de ces regards envenimés de haine qu’il connaissait si bien.
– Votre Majesté m’a fait demander, me voici, Sire, dit-il. Que désire de moi Votre Majesté?
– Je désire vous dire, mon bon frère, que, pour récompenser cette grande amitié que vous me portez, je suis décidé à faire aujourd’hui pour vous la chose que vous désirez le plus.
– Pour moi?
– Oui, pour vous. Cherchez dans votre esprit quelle chose vous rêvez depuis quelque temps sans oser me la demander, et cette chose, je vous la donne.
– Sire, dit François, j’en jure à mon frère, je ne désire que la continuation de la bonne santé du roi.
– Alors vous devez être satisfait, d’Alençon; l’indisposition que j’ai éprouvée à l’époque de l’arrivée des Polonais est passée. J’ai échappé, grâce à Henriot, à un sanglier furieux qui voulait me découdre, et je me porte de façon à n’avoir rien à envier au mieux portant de mon royaume; vous pouviez donc sans être mauvais frère désirer autre chose que la continuation de ma santé, qui est excellente.
– Je ne désirais rien, Sire.
– Si fait, si fait, François, reprit Charles s’impatientant; vous désirez la couronne de Navarre, puisque vous vous êtes entendu avec Henriot et de Mouy: avec le premier pour qu’il y renonçât, avec le second pour qu’il vous la fît avoir. Eh bien, Henriot y renonce! de Mouy m’a transmis votre demande, et cette couronne que vous ambitionnez…
– Eh bien? demanda d’Alençon d’une voix tremblante.
– Eh bien, mort-diable! elle est à vous. D’Alençon pâlit affreusement; puis tout à coup le sang appelé à son cœur, qu’il faillit briser, reflua vers les extrémités, et une rougeur ardente lui brûla les joues; la faveur que lui faisait le roi le désespérait en un pareil moment.
– Mais, Sire, reprit-il tout en palpitant d’émotion et cherchant vainement à se remettre, je n’ai rien désiré et surtout rien demandé de pareil.
– C’est possible, dit le roi, car vous êtes fort discret, mon frère; mais on a désiré, on a demandé pour vous, mon frère.
– Sire, je vous jure que jamais…
– Ne jurez pas Dieu.
– Mais, Sire, vous m’exilez donc?
– Vous appelez ça un exil, François? Peste! vous êtes difficile… Qu’espériez-vous donc de mieux? D’Alençon se mordit les lèvres de désespoir.
– Ma foi! continua Charles en affectant la bonhomie, je vous croyais moins populaire, François, et surtout moins près des huguenots; mais ils vous demandent, il faut bien que je m’avoue à moi-même que je me trompais. D’ailleurs, je ne pouvais rien désirer de mieux que d’avoir un homme à moi, mon frère qui m’aime et qui est incapable de me trahir, à la tête d’un parti qui depuis trente ans nous fait la guerre. Cela va tout calmer comme par enchantement, sans compter que nous serons tous rois dans la famille. Il n’y aura que le pauvre Henriot qui ne sera rien que mon ami. Mais il n’est point ambitieux, et ce titre, que personne ne réclame, il le prendra, lui.
– Oh! Sire, vous vous trompez, ce titre, je le réclame… ce titre, qui donc y a plus droit que moi? Henri n’est que votre beau-frère par alliance; moi, je suis votre frère par le sang et surtout par le cœur… Sire, je vous en supplie, gardez-moi près de vous.
– Non pas, non pas, François, répondit Charles; ce serait faire votre malheur.
– Comment cela?
– Pour mille raisons.
– Mais voyez donc un peu, Sire, si vous trouverez jamais un compagnon si fidèle que je le suis. Depuis mon enfance je n’ai jamais quitté Votre Majesté.
– Je le sais bien, je le sais bien, et quelquefois même je vous aurais voulu voir plus loin.
– Que veut dire le roi?
– Rien, rien… je m’entends… Oh! que vous aurez de belles chasses là-bas! François, que je vous porte envie! Savez-vous qu’on chasse l’ours dans ces diables de montagnes comme on chasse ici le sanglier? Vous allez nous entretenir tous de peaux magnifiques. Cela se chasse au poignard, vous savez; on attend l’animal, on l’excite, on l’irrite; il marche au chasseur, et, à quatre pas de lui, il se dresse sur ses pattes de derrière. C’est à ce moment-là qu’on lui enfonce l’acier dans le cœur, comme Henri a fait pour le sanglier à la dernière chasse. C’est dangereux; mais vous êtes brave, François, et ce danger sera pour vous un vrai plaisir.
– Ah! Votre Majesté redouble mes chagrins, car je ne chasserai plus avec elle.
– Corbœuf! tant mieux! dit le roi, cela ne nous réussit ni à l’un ni à l’autre de chasser ensemble.
– Que veut dire Votre Majesté?
– Que chasser avec moi vous cause un tel plaisir et vous donne une telle émotion, que vous, qui êtes l’adresse en personne, que vous qui, avec la première arquebuse venue, abattez une pie à cent pas, vous avez, la dernière fois que nous avons chassé de compagnie, avec votre arme, une arme qui vous est familière, manqué à vingt pas un gros sanglier, et cassé par contre la jambe à mon meilleur cheval. Mort-diable! François, cela donne à songer, savez-vous!
– Oh! Sire, pardonnez à l’émotion, dit d’Alençon devenu livide.
– Eh! oui, reprit Charles, l’émotion, je le sais bien; et c’est à cause de cette émotion, que j’apprécie à sa juste valeur, que je vous dis: Croyez-moi, François, mieux vaut chasser loin l’un de l’autre, surtout quand on a des émotions pareilles. Réfléchissez à cela, mon frère, non pas en ma présence, ma présence vous trouble, je le vois, mais quand vous serez seul, et vous conviendrez que j’ai tout lieu de craindre qu’à une nouvelle chasse une autre émotion ne vienne à vous prendre; car alors il n’y a rien qui fasse relever la main comme l’émotion, car alors vous tueriez le cavalier au lieu du cheval, le roi au lieu de la bête. Peste! une balle placée trop haut ou trop bas, cela change fort la face d’un gouvernement, et nous en avons un exemple dans notre famille. Quand Montgomery a tué notre père Henri II par accident, par émotion peut-être, le coup a porté notre frère François II sur le trône et notre père Henri à Saint-Denis. Il faut si peu de chose à Dieu pour faire beaucoup!
Le duc sentit la sueur ruisseler sur son front pendant ce choc aussi redoutable qu’imprévu.
Il était impossible que le roi dît plus clairement à son frère qu’il avait tout deviné. Charles, voilant sa colère sous une ombre de plaisanterie, était peut-être plus terrible encore que s’il eût laissé la lave haineuse qui lui dévorait le cœur se répandre bouillante au-dehors; sa vengeance paraissait proportionnée à sa rancune. À mesure que l’une s’aigrissait, l’autre grandissait, et pour la première fois d’Alençon connut le remords, ou plutôt le regret d’avoir conçu un crime qui n’avait pas réussi.
Il avait soutenu la lutte tant qu’il avait pu, mais sous ce dernier coup il plia la tête, et Charles vit poindre dans ses yeux cette flamme dévorante qui, chez les êtres d’une nature tendre, creuse le sillon par où jaillissent les larmes.
Mais d’Alençon était de ceux-là qui ne pleurent que de rage.
Charles tenait fixé sur lui son œil de vautour, aspirant pour ainsi dire chacune des sensations qui se succédaient dans le cœur du jeune homme. Et toutes ces sensations lui apparaissaient aussi précises, grâce à cette étude approfondie qu’il avait faite de sa famille, que si le cœur du duc eût été un livre ouvert.
Il le laissa ainsi un instant écrasé, immobile et muet. Puis d’une voix empreinte de haineuse fermeté:
– Mon frère, dit-il, nous vous avons dit notre résolution, et notre résolution est immuable: vous partirez.
D’Alençon fit un mouvement. Charles ne parut pas le remarquer et continua:
– Je veux que la Navarre soit fière d’avoir pour prince un frère du roi de France. Or, pouvoir, honneurs, vous aurez tout ce qui convient à votre naissance, comme votre frère Henri l’a eu, et comme lui, ajouta-t-il en souriant, vous me bénirez de loin. Mais n’importe, les bénédictions ne connaissent pas la distance.
– Sire…
– Acceptez, ou plutôt résignez-vous. Une fois roi, on trouvera une femme digne d’un fils de France. Qui sait! qui vous apportera un autre trône peut être.
– Mais, dit le duc d’Alençon, Votre Majesté oublie son bon ami Henri.
– Henri! mais puisque je vous ai dit qu’il n’en voulait pas, du trône de Navarre! Puisque je vous ai déjà dit qu’il vous l’abandonnait! Henri est un joyeux garçon et non pas une face pâle comme vous. Il veut rire et s’amuser à son aise, et non sécher, comme nous sommes condamnés à le faire, nous, sous des couronnes.
D’Alençon poussa un soupir.
– Mais, dit-il, Votre Majesté m’ordonne donc de m’occuper…
– Non pas, non pas. Ne vous inquiétez de rien, François, je réglerai tout moi-même; reposez-vous sur moi comme sur un bon frère. Et maintenant que tout est convenu, allez; dites ou ne dites pas notre entretien à vos amis: je veux prendre des mesures pour que la chose devienne bientôt publique. Allez, François.
Il n’y avait rien à répondre, le duc salua et partit la rage dans le cœur.
Il brûlait de trouver Henri pour causer avec lui de tout ce qui venait de se passer; mais il ne trouva que Catherine: en effet, Henri fuyait l’entretien et la reine mère le recherchait.
Le duc, en voyant Catherine, étouffa aussitôt ses douleurs et essaya de sourire. Moins heureux que Henri d’Anjou, ce n’était pas une mère qu’il cherchait dans Catherine, mais simplement une alliée. Il commençait donc par dissimuler avec elle, car, pour faire de bonnes alliances, il faut bien se tromper un peu mutuellement.
Il aborda donc Catherine avec un visage où ne restait plus qu’une légère trace d’inquiétude.
– Eh bien, madame, dit-il, voilà de grandes nouvelles; les savez-vous?
– Je sais qu’il s’agit de faire un roi de vous, monsieur.
– C’est une grande bonté de la part de mon frère, madame.
– N’est-ce pas?
– Et je suis presque tenté de croire que je dois reporter sur vous une partie de ma reconnaissance; car enfin, si c’était vous qui lui eussiez donné le conseil de me faire don d’un trône, c’est à vous que je le devrais; quoique j’avoue au fond qu’il m’a fait peine de dépouiller ainsi le roi de Navarre.
– Vous aimez fort Henriot, mon fils, à ce qu’il paraît?
– Mais oui; depuis quelque temps nous nous sommes intimement liés.
– Croyez-vous qu’il vous aime autant que vous l’aimez vous-même?
– Je l’espère, madame.
– C’est édifiant une pareille amitié, savez-vous? surtout entre princes. Les amitiés de cour passent pour peu solides, mon cher François.
– Ma mère, songez que nous sommes non seulement amis, mais encore presque frères. Catherine sourit d’un étrange sourire.
– Bon! dit-elle, est-ce qu’il y a des frères entre rois?
– Oh! quant à cela, nous n’étions roi ni l’un ni l’autre, ma mère, quand nous nous sommes liés ainsi; nous ne devions même jamais l’être; voilà pourquoi nous nous aimions.
– Oui, mais les choses sont bien changées à cette heure.
– Comment, bien changées?
– Oui, sans doute; qui vous dit maintenant que vous ne serez pas tous deux rois?
Au tressaillement nerveux du duc, à la rougeur qui envahit son front, Catherine vit que le coup lancé par elle avait porté en plein cœur.
– Lui? dit-il. Henriot roi? et de quel royaume, ma mère?
– D’un des plus magnifiques de la chrétienté, mon fils.
– Ah! ma mère, dit d’Alençon en pâlissant, que dites-vous donc là?
– Ce qu’une bonne mère doit dire à son fils, ce à quoi vous avez plus d’une fois songé, François.
– Moi? dit le duc, je n’ai songé à rien, madame, je vous jure.
– Je veux bien vous croire; car votre ami, car votre frère Henri, comme vous l’appelez, est, sous sa franchise apparente, un seigneur fort habile et fort rusé qui garde ses secrets mieux que vous ne gardez les vôtres, François. Par exemple, vous a-t-il jamais dit que de Mouy fût son homme d’affaires?
Et, en disant ces mots, Catherine plongea son regard comme un stylet dans l’âme de François.
Mais celui-ci n’avait qu’une vertu, ou plutôt qu’un vice, la dissimulation; il supporta donc parfaitement le regard.
– De Mouy! dit-il avec surprise, et comme si ce nom était prononcé pour la première fois devant lui en pareille circonstance.
– Oui, le huguenot de Mouy de Saint-Phale, celui-là même qui a failli tuer M. de Maurevel, et qui, clandestinement et en courant la France et la capitale sous des habits différents, intrigue et lève une armée pour soutenir votre frère Henri contre votre famille.
Catherine, qui ignorait que sous ce rapport son fils François en sût autant et même plus qu’elle se leva sur ces mots, s’apprêtant à faire une majestueuse sortie.
François la retint.
– Ma mère, dit-il, encore un mot, s’il vous plaît. Puisque vous daignez m’initier à votre politique, dites-moi comment, avec de si faibles ressources et si peu connu qu’il est, Henri parviendrait-il à faire une guerre assez sérieuse pour inquiéter ma famille?
– Enfant, dit la reine en souriant, sachez donc qu’il est soutenu par plus de trente mille hommes peut-être; que le jour où il dira un mot, ces trente mille hommes apparaîtront tout à coup comme s’ils sortaient de terre; et ces trente mille hommes, ce sont des huguenots, songez-y, c’est-à-dire les plus braves soldats du monde. Et puis, et puis, il a une protection que vous n’avez pas su ou pas voulu vous concilier, vous.
– Laquelle?
– Il a le roi, le roi qui l’aime, qui le pousse, le roi qui, par jalousie contre votre frère de Pologne et par dépit contre vous, cherche autour de lui des successeurs. Seulement, aveugle que vous êtes si vous ne le voyez pas, il les cherche autre part que dans sa famille.
– Le roi! … vous croyez, ma mère?
– Ne vous êtes-vous donc pas aperçu qu’il chérit Henriot, son Henriot?
– Si fait, ma mère, si fait.
– Et qu’il en est payé de retour? car ce même Henriot, oubliant que son beau-frère le voulait arquebuser le jour de la Saint-Barthélemy, se couche à plat ventre comme un chien qui lèche la main dont il a été battu.
– Oui, oui, murmura François, je l’ai déjà remarqué, Henri est bien humble avec mon frère Charles.
– Ingénieux à lui complaire en toute chose.
– Au point que, dépité d’être toujours raillé par le roi sur son ignorance de la chasse au faucon, il veut se mettre à… Si bien qu’hier il m’a demandé, oui, pas plus tard qu’hier, si je n’avais point quelques bons livres qui traitent de cet art.
– Attendez donc, dit Catherine, dont les yeux étincelèrent comme si une idée subite lui traversait l’esprit; attendez donc… et que lui avez-vous répondu?
– Que je chercherais dans ma bibliothèque.
– Bien, dit Catherine, bien, il faut qu’il l’ait, ce livre.
– Mais j’ai cherché, madame, et n’ai rien trouvé.
– Je trouverai, moi, je trouverai… et vous lui donnerez le livre comme s’il venait de vous.
– Et qu’en résultera-t-il?
– Avez-vous confiance en moi, d’Alençon?
– Oui, ma mère.
– Voulez-vous m’obéir aveuglément à l’égard de Henri, que vous n’aimez pas, quoi que vous en disiez? D’Alençon sourit.
– Et que je déteste, moi, continua Catherine.
– Oui, j’obéirai.
– Après-demain, venez chercher le livre ici, je vous le donnerai, vous le porterez à Henri… et…
– Et…?
– Laissez Dieu, la Providence ou le hasard faire le reste. François connaissait assez sa mère pour savoir qu’elle ne s’en rapportait point d’habitude à Dieu, à la Providence ou au hasard du soin de servir ses amitiés ou ses haines; mais il se garda d’ajouter un seul mot, et saluant en homme qui accepte la commission dont on le charge, il se retira chez lui.
– Que veut-elle dire? pensa le jeune homme en montant l’escalier, je n’en sais rien. Mais ce qu’il y a de clair pour moi dans tout ceci, c’est qu’elle agit contre un ennemi commun. Laissons-la faire.
Pendant ce temps, Marguerite, par l’intermédiaire de La Mole, recevait une lettre de De Mouy. Comme en politique les deux illustres conjoints n’avaient point de secret, elle décacheta cette lettre et la lut.
Sans doute cette lettre lui parut intéressante, car à l’instant même Marguerite, profitant de l’obscurité qui commençait à descendre le long des murailles du Louvre, se glissa dans le passage secret, monta l’escalier tournant, et, après avoir regardé de tous côtés avec attention, s’élança rapide comme une ombre, et disparut dans l’antichambre du roi de Navarre.
Cette antichambre n’était plus gardée par personne depuis la disparition d’Orthon.
Cette disparition, dont nous n’avons pas parlé depuis le moment où le lecteur l’a vu s’opérer d’une façon si tragique pour le pauvre Orthon, avait fort inquiété Henri. Il s’en était ouvert à madame de Sauve et à sa femme, mais ni l’une ni l’autre n’était plus instruite que lui; seulement, madame de Sauve lui avait donné quelques renseignements, à la suite desquels il était demeuré parfaitement clair à l’esprit de Henri que le pauvre enfant avait été victime de quelque machination de la reine mère, et que c’était à la suite de cette machination qu’il avait failli, lui, être arrêté avec de Mouy, dans l’auberge de la Belle-Étoile.