Kitabı oku: «La reine Margot», sayfa 42
XXXI. La sueur de sang
Quelques jours après la scène terrible que nous venons de raconter, c’est-à-dire le 30 mai 1574, la cour étant à Vincennes, on entendit tout à coup un grand bruit dans la chambre du roi, lequel, étant retombé plus malade que jamais au milieu du bal qu’il avait voulu donner le jour même de la mort des deux jeunes gens, était, par ordre des médecins, venu chercher à la campagne un air plus pur.
Il était huit heures du matin. Un petit groupe de courtisans causait avec feu dans l’antichambre, quand tout à coup retentit le cri, et parut au seuil de l’appartement la nourrice de Charles, les yeux baignés de larmes et criant d’une voix désespérée:
– Secours au roi! secours au roi!
– Sa Majesté est-elle donc plus mal? demanda le capitaine de Nancey, que le roi avait, comme nous l’avons vu, dégagé de toute obéissance à la reine Catherine pour l’attacher à sa personne.
– Oh! que de sang! que de sang! dit la nourrice. Les médecins! appelez les médecins!
Mazille et Ambroise Paré se relevaient tour à tour auprès de l’auguste malade, et Ambroise Paré, qui était de garde, ayant vu s’endormir le roi, avait profité de cet assoupissement pour s’éloigner quelques instants.
Pendant ce temps, une sueur abondante avait pris le roi; et comme Charles était atteint d’un relâchement des vaisseaux capillaires, et que ce relâchement amenait une hémorragie de la peau, cette sueur sanglante avait épouvanté la nourrice, qui ne pouvait s’habituer à cet étrange phénomène, et qui, protestante, on se le rappelle, lui disait sans cesse que c’était le sang huguenot versé le jour de la Saint-Barthélemy qui appelait son sang.
On s’élança dans toutes les directions; le docteur ne devait pas être loin, et l’on ne pouvait manquer de le rencontrer.
L’antichambre resta donc vide, chacun étant désireux de montrer son zèle en ramenant le médecin demandé.
Alors une porte s’ouvrit, et l’on vit apparaître Catherine. Elle traversa rapidement l’antichambre et entra vivement dans l’appartement de son fils.
Charles était renversé sur son lit, l’œil éteint, la poitrine haletante; de tout son corps découlait une sueur rougeâtre; sa main, écartée, pendait hors de son lit, et au bout de chacun de ses doigts pendait un rubis liquide.
C’était un horrible spectacle.
Cependant, au bruit des pas de sa mère, et comme s’il les eût reconnus, Charles se redressa.
– Pardon, madame, dit-il en regardant sa mère, je voudrais bien mourir en paix.
– Mourir, mon fils, dit Catherine, pour une crise passagère de ce vilain mal! Voudriez-vous donc nous désespérer ainsi?
– Je vous dis, madame, que je sens mon âme qui s’en va. Je vous dis, madame, que c’est la mort qui arrive, mort de tous les diables! Je sens ce que je sens, et je sais ce que je dis.
– Sire, dit la reine, votre imagination est votre plus grave maladie; depuis le supplice si mérité de ces deux sorciers, de ces deux assassins qu’on appelait La Mole et Coconnas, vos souffrances physiques doivent avoir diminué. Le mal moral persévère seul, et, si je pouvais causer avec vous dix minutes seulement, je vous prouverais…
– Nourrice, dit Charles, veille à la porte, et que personne n’entre: la reine Catherine de Médicis veut causer avec son fils bien-aimé Charles IX.
La nourrice obéit.
– Au fait, continua Charles, cet entretien devait avoir lieu un jour ou l’autre, mieux vaut donc aujourd’hui que demain. Demain, d’ailleurs, il serait peut-être trop tard. Seulement, une troisième personne doit assister à notre entretien.
– Et pourquoi?
– Parce que, je vous le répète, la mort est en route, reprit Charles avec une effrayante solennité; parce que d’un moment à l’autre elle entrera dans cette chambre comme vous, pâle et muette, et sans se faire annoncer. Il est donc temps, puisque j’ai mis cette nuit ordre à mes affaires, de mettre ordre ce matin à celles du royaume.
– Et quelle est cette personne que vous désirez voir? demanda Catherine.
– Mon frère, madame. Faites-le appeler.
– Sire, dit la reine, je vois avec plaisir que ces dénonciations, dictées par la haine bien plus qu’arrachées à la douleur, s’effacent de votre esprit et vont bientôt s’effacer de votre cœur. Nourrice! cria Catherine, nourrice!
La bonne femme, qui veillait au-dehors, ouvrit la porte.
– Nourrice, dit Catherine, par ordre de mon fils, quand M. de Nancey viendra, vous lui direz d’aller quérir le duc d’Alençon.
Charles fit un signe qui retint la bonne femme prête à obéir.
– J’ai dit mon frère, madame, reprit Charles. Les yeux de Catherine se dilatèrent comme ceux de la tigresse qui va se mettre en colère. Mais Charles leva impérativement la main.
– Je veux parler à mon frère Henri, dit-il. Henri seul est mon frère; non pas celui qui est roi là-bas, mais celui qui est prisonnier ici. Henri saura mes dernières volontés.
– Et moi, s’écria la Florentine avec une audace inaccoutumée en face de la terrible volonté de son fils, tant la haine qu’elle portait au Béarnais la jetait hors de sa dissimulation habituelle, si vous êtes, comme vous le dites, si près de la tombe, croyez-vous que je céderai à personne, surtout à un étranger, mon droit de vous assister à votre heure suprême, mon droit de reine, mon droit de mère?
– Madame, dit Charles, je suis roi encore; je commande encore, madame; je vous dis que je veux parler à mon frère Henri, et vous n’appelez pas mon capitaine des gardes?… Mille diables, je vous en préviens, j’ai encore assez de force pour l’aller chercher moi-même.
Et il fit un mouvement pour sauter à bas du lit, qui mit au jour son corps pareil à celui du Christ après la flagellation.
– Sire, s’écria Catherine en le retenant, vous nous faites injure à tous: vous oubliez les affronts faits à notre famille, vous répudiez notre sang; un fils de France doit seul s’agenouiller près du lit de mort d’un roi de France. Quant à moi ma place est marquée ici par les lois de la nature et de l’étiquette; j’y reste donc.
– Et à quel titre, madame, y restez-vous? demanda Charles IX.
– À titre de mère.
– Vous n’êtes pas plus ma mère, madame, que le duc d’Alençon n’est mon frère.
– Vous délirez, monsieur, dit Catherine; depuis quand celle qui donne le jour n’est-elle pas la mère de celui qui l’a reçu?
– Du moment, madame, où cette mère dénaturée ôte ce qu’elle donna, répondit Charles en essuyant une écume sanglante qui montait à ses lèvres.
– Que voulez-vous dire, Charles? Je ne vous comprends pas, murmura Catherine regardant son fils d’un œil dilaté par l’étonnement.
– Vous allez me comprendre, madame.
Charles fouilla sous son traversin et en tira une petite clef d’argent.
– Prenez cette clef, madame, et ouvrez mon coffre de voyage; il contient certains papiers qui parleront pour moi.
Et Charles étendit la main vers un coffre magnifiquement sculpté, fermé d’une serrure d’argent comme la clef qui l’ouvrait, et qui tenait la place la plus apparente de la chambre.
Catherine, dominée par la position suprême que Charles prenait sur elle, obéit, s’avança à pas lents vers le coffre, l’ouvrit, plongea ses regards vers l’intérieur, et tout à coup recula comme si elle avait vu dans les flancs du meuble quelque reptile endormi.
– Eh bien, dit Charles, qui ne perdait pas sa mère de vue, qu’y a-t-il donc dans ce coffre qui vous effraie, madame?
– Rien, dit Catherine.
– En ce cas, plongez-y la main, madame, et prenez-y un livre; il doit y avoir un livre, n’est-ce pas? ajouta Charles avec ce sourire blêmissant, plus terrible chez lui que n’avait jamais été la menace chez un autre.
– Oui, balbutia Catherine.
– Un livre de chasse?
– Oui.
– Prenez-le, et apportez-le-moi.
Catherine, malgré son assurance, pâlit, trembla de tous ses membres, et allongeant la main dans l’intérieur du coffre:
– Fatalité! murmura-t-elle en prenant le livre.
– Bien, dit Charles. Écoutez maintenant: ce livre de chasse… j’étais insensé… j’aimais la chasse, au-dessus de toutes choses… ce livre de chasse, je l’ai trop lu; comprenez-vous, madame?…
Catherine poussa un gémissement sourd.
– C’était une faiblesse, continua Charles; brûlez-le, madame! il ne faut pas qu’on sache les faiblesses des rois!
Catherine s’approcha de la cheminée ardente, laissa tomber le livre au milieu du foyer, et demeura debout, immobile et muette, regardant d’un œil atone les flammes bleuissantes qui rongeaient les feuilles empoisonnées.
À mesure que le livre brûlait, une forte odeur d’ail se répandait dans toute la chambre.
Bientôt il fut entièrement dévoré.
– Et maintenant, madame, appelez mon frère, dit Charles avec une irrésistible majesté.
Catherine, frappée de stupeur, écrasée sous une émotion multiple que sa profonde sagacité ne pouvait analyser, et que sa force presque surhumaine ne pouvait combattre, fit un pas en avant et voulut parler.
La mère avait un remords; la reine avait une terreur; l’empoisonneuse avait un retour de haine. Ce dernier sentiment domina tous les autres.
– Maudit soit-il, s’écria-t-elle en s’élançant hors de la chambre, il triomphe, il touche au but; oui, maudit, qu’il soit maudit!
– Vous entendez, mon frère, mon frère Henri, cria Charles poursuivant sa mère de la voix; mon frère Henri à qui je veux parler à l’instant même au sujet de la régence du royaume.
Presque au même instant, maître Ambroise Paré entra par la porte opposée à celle qui venait de donner passage à Catherine, et s’arrêtant sur le seuil pour humer l’atmosphère alliacée de la chambre:
– Qui donc a brûlé de l’arsenic ici? dit-il.
– Moi, répondit Charles.
XXXII. La plate-forme du donjon de Vincennes
Cependant Henri de Navarre se promenait seul et rêveur sur la terrasse du donjon; il savait la cour au château qu’il voyait à cent pas de lui, et à travers les murailles, son œil perçant devinait Charles moribond.
Il faisait un temps d’azur et d’or: un large rayon de soleil miroitait dans les plaines éloignées, tandis qu’il baignait d’un or fluide la cime des arbres de la forêt, fiers de la richesse de leur premier feuillage. Les pierres grises du donjon elles-mêmes semblaient s’imprégner de la douce chaleur du ciel, et des ravenelles, apportées par le souffle du vent d’est dans les fentes de la muraille, ouvraient leurs disques de velours rouge et jaune aux baisers d’une brise attiédie.
Mais le regard de Henri ne se fixait ni sur ces plaines verdoyantes, ni sur ces cimes chenues et dorées: son regard franchissait les espaces intermédiaires, et allait au-delà se fixer ardent d’ambition sur cette capitale de France, destinée à devenir un jour la capitale du monde.
– Paris, murmurait le roi de Navarre, voilà Paris; c’est-à-dire la joie, le triomphe, la gloire, le bonheur; Paris où est le Louvre, et le Louvre où est le trône; et dire qu’une seule chose me sépare de ce Paris tant désiré! … ce sont les pierres qui rampent à mes pieds et qui renferment avec moi mon ennemie.
Et en ramenant son regard de Paris à Vincennes, il aperçut à sa gauche, dans un vallon voilé par des amandiers en fleur, un homme sur la cuirasse duquel se jouait obstinément un rayon de soleil, point enflammé qui voltigeait dans l’espace à chaque mouvement de cet homme.
Cet homme était sur un cheval plein d’ardeur, et tenait en main un cheval qui paraissait non moins impatient.
Le roi de Navarre arrêta ses yeux sur le cavalier et le vit tirer son épée hors du fourreau, passer la pointe dans son mouchoir, et agiter ce mouchoir en façon de signal.
Au même instant, sur la colline en face, un signal pareil se répéta, puis tout autour du château voltigea comme une ceinture de mouchoirs.
C’étaient de Mouy et ses huguenots, qui, sachant le roi mourant, et qui, craignant qu’on ne tentât quelque chose contre Henri, s’étaient réunis et se tenaient prêts à défendre ou à attaquer.
Henri reporta ses yeux sur le cavalier qu’il avait vu le premier, se courba hors de la balustrade, couvrit ses yeux de sa main, et brisant ainsi les rayons du soleil qui l’éblouissait reconnut le jeune huguenot.
– De Mouy! s’écria-t-il comme si celui-ci eût pu l’entendre. Et dans sa joie de se voir ainsi environné d’amis, il leva lui-même son chapeau et fit voltiger son écharpe.
Toutes les banderoles blanches s’agitèrent de nouveau avec une vivacité qui témoignait de leur joie.
– Hélas! ils m’attendent, dit-il, et je ne puis les rejoindre… Que ne l’ai-je fait quand je le pouvais peut-être! … Maintenant j’ai trop tardé.
Et il leur fit un geste de désespoir auquel de Mouy répondit par un signe qui voulait dire: j’attendrai.
En ce moment Henri entendit des pas qui retentissaient dans l’escalier de pierre. Il se retira vivement. Les huguenots comprirent la cause de cette retraite. Les épées rentrèrent au fourreau et les mouchoirs disparurent.
Henri vit déboucher de l’escalier une femme dont la respiration haletante dénonçait une marche rapide, et reconnut, non sans une secrète fureur qu’il éprouvait toujours en l’apercevant, Catherine de Médicis.
Derrière elle, étaient deux gardes qui s’arrêtèrent au haut de l’escalier.
– Oh! oh! murmura Henri, il faut qu’il y ait quelque chose de nouveau et de grave pour que la reine mère vienne ainsi me chercher sur la plate-forme du donjon de Vincennes.
Catherine s’assit sur un banc de pierre adossé aux créneaux pour reprendre haleine. Henri s’approcha d’elle, et avec son plus gracieux sourire:
– Serait-ce moi que vous cherchez, ma bonne mère? dit-il.
– Oui, monsieur, répondit Catherine, j’ai voulu vous donner une dernière preuve de mon attachement. Nous touchons à un moment suprême: le roi se meurt et veut vous entretenir.
– Moi? dit Henri en tressaillant de joie.
– Oui, vous. On lui a dit, j’en suis certaine, que non seulement vous regrettez le trône de Navarre, mais encore que vous ambitionnez le trône de France.
– Oh! fit Henri.
– Ce n’est pas, je le sais bien, mais il le croit, lui, et nul doute que cet entretien qu’il veut avoir avec vous n’ait pour but de vous tendre un piège.
– À moi?
– Oui. Charles, avant de mourir, veut savoir ce qu’il y a à craindre ou à espérer de vous; et de votre réponse à ses offres, faites-y attention, dépendront les derniers ordres qu’il donnera, c’est-à-dire votre mort ou votre vie.
– Mais que doit-il donc m’offrir?
– Que sais-je, moi! des choses impossibles, probablement.
– Enfin, ne devinez-vous pas, ma mère?
– Non; mais je suppose, par exemple… Catherine s’arrêta.
– Quoi?
– Je suppose que, vous croyant ces vues ambitieuses qu’on lui a dites, il veuille acquérir de votre bouche même la preuve de cette ambition. Supposez qu’il vous tente comme autrefois on tentait les coupables, pour provoquer un aveu sans torture; supposez, continua Catherine en regardant fixement Henri, qu’il vous propose un gouvernement, la régence même.
Une joie indicible s’épandit dans le cœur oppressé de Henri; mais il devina le coup, et cette âme vigoureuse et souple rebondit sous l’attaque.
– À moi? dit-il, le piège serait trop grossier; à moi la régence, quand il y a vous, quand il y a mon frère d’Alençon? Catherine se pinça les lèvres pour cacher sa satisfaction.
– Alors, dit-elle vivement, vous renoncez à la régence? «Le roi est mort, pensa Henri, et c’est elle qui me tend un piège.» Puis tout haut:
– Il faut d’abord que j’entende le roi de France, répondit-il, car, de votre aveu même, madame, tout ce que nous avons dit là n’est que supposition.
– Sans doute, dit Catherine; mais vous pouvez toujours répondre de vos intentions.
– Eh! mon Dieu! dit innocemment Henri, n’ayant pas de prétentions, je n’ai pas d’intentions.
– Ce n’est point répondre, cela, dit Catherine, sentant que le temps pressait, et se laissant emporter à sa colère; d’une façon ou de l’autre, prononcez-vous.
– Je ne puis pas me prononcer sur des suppositions, madame; une résolution positive est chose si difficile et surtout si grave à prendre, qu’il faut attendre les réalités.
– Écoutez, monsieur, dit Catherine, il n’y a pas de temps à perdre, et nous le perdons en discussions vaines, en finesses réciproques. Jouons notre jeu en roi et en reine. Si vous acceptez la régence, vous êtes mort.
«Le roi vit», pensa Henri. Puis tout haut:
– Madame, dit-il avec fermeté, Dieu tient la vie des hommes et des rois entre ses mains: il m’inspirera. Qu’on dise à Sa Majesté que je suis prêt à me présenter devant elle.
– Réfléchissez, monsieur.
– Depuis deux ans que je suis proscrit, depuis un mois que je suis prisonnier, répondit Henri gravement, j’ai eu le temps de réfléchir, madame, et j’ai réfléchi. Ayez donc la bonté de descendre la première près du roi, et de lui dire que je vous suis. Ces deux braves, ajouta Henri en montrant les deux soldats, veilleront à ce que je ne m’échappe point. D’ailleurs, ce n’est point mon intention.
Il y avait un tel accent de fermeté dans les paroles de Henri, que Catherine vit bien que toutes ses tentatives, sous quelque forme qu’elles fussent déguisées, ne gagneraient rien sur lui; elle descendit précipitamment.
Aussitôt qu’elle eut disparu, Henri courut au parapet et fit à de Mouy un signe qui voulait dire: Approchez-vous et tenez-vous prêt à tout événement.
De Mouy, qui était descendu de cheval, sauta en selle, et, avec le second cheval de main, vint au galop prendre position à deux portées de mousquet du donjon.
Henri le remercia du geste et descendit.
Sur le premier palier il trouva les deux soldats qui l’attendaient.
Un double poste de Suisses et de chevau-légers gardait l’entrée des cours; il fallait traverser une double haie de pertuisanes pour entrer au château et pour en sortir.
Catherine s’était arrêtée là et attendait.
Elle fit signe aux deux soldats qui suivaient Henri de s’écarter, et posant une de ses mains sur son bras:
– Cette cour a deux portes, dit-elle; à celle-ci, que vous voyez derrière les appartements du roi, si vous refusez la régence, un bon cheval et la liberté vous attendent; à celle-là, sous laquelle vous venez de passer, si vous écoutez l’ambition… Que dites-vous?
– Je dis que si le roi me fait régent, madame, c’est moi qui donnerai des ordres aux soldats, et non pas vous. Je dis que si je sors du château à la nuit, toutes ces piques, toutes ces hallebardes, tous ces mousquets s’abaisseront devant moi.
– Insensé! murmura Catherine exaspérée, crois-moi, ne joue pas avec Catherine ce terrible jeu de la vie et de la mort.
– Pourquoi pas? dit Henri en regardant fixement Catherine; pourquoi pas avec vous aussi bien qu’avec un autre, puisque j’y ai gagné jusqu’à présent?
– Montez donc chez le roi, monsieur, puisque vous ne voulez rien croire et rien entendre, dit Catherine en lui montrant l’escalier d’une main et en jouant avec un des deux couteaux empoisonnés qu’elle portait dans cette gaine de chagrin noir devenue historique.
– Passez la première, madame, dit Henri; tant que je ne serai pas régent, l’honneur du pas vous appartient.
Catherine, devinée dans toutes ses intentions, n’essaya point de lutter, et passa la première.
XXXIII. La Régence
Le roi commençait à s’impatienter; il avait fait appeler M. de Nancey dans sa chambre, et venait de lui donner l’ordre d’aller chercher Henri, lorsque celui-ci parut.
En voyant son beau-frère apparaître sur le seuil de la porte, Charles poussa un cri de joie, et Henri demeura épouvanté comme s’il se fût trouvé en face d’un cadavre.
Les deux médecins qui étaient à ses côtés s’éloignèrent; le prêtre qui venait d’exhorter le malheureux prince à une fin chrétienne se retira également.
Charles IX n’était pas aimé, et cependant on pleurait beaucoup dans les antichambres. À la mort des rois, quels qu’ils aient été, il y a toujours des gens qui perdent quelque chose et qui craignent de ne pas retrouver ce quelque chose sous leur successeur.
Ce deuil, ces sanglots, les paroles de Catherine, l’appareil sinistre et majestueux des derniers moments d’un roi, enfin, la vue de ce roi lui-même, atteint d’une maladie qui s’est reproduite depuis, mais dont la science n’avait pas encore eu d’exemple, produisirent sur l’esprit encore jeune et par conséquent encore impressionnable de Henri un effet si terrible que, malgré sa résolution de ne point donner de nouvelles inquiétudes à Charles sur son état, il ne put, comme nous l’avons dit, réprimer le sentiment de terreur qui se peignit sur son visage en apercevant ce moribond tout ruisselant de sang.
Charles sourit avec tristesse. Rien n’échappe aux mourants des impressions de ceux qui les entourent.
– Venez, Henriot, dit-il en tendant la main à son beau-frère avec une douceur de voix que Henri n’avait jamais remarquée en lui jusque-là. Venez, car je souffrais de ne pas vous voir; je vous ai bien tourmenté dans ma vie, mon pauvre ami, et parfois, je me le reproche maintenant, croyez-moi! parfois j’ai prêté les mains à ceux qui vous tourmentaient; mais un roi n’est pas maître des événements, et outre ma mère Catherine, outre mon frère d’Anjou, outre mon frère d’Alençon, j’avais au-dessus de moi, pendant ma vie, quelque chose de gênant, qui cesse du jour où je touche à la mort: la raison d’État.
– Sire, balbutia Henri, je ne me souviens plus de rien que de l’amour que j’ai toujours eu pour mon frère, que du respect que j’ai toujours porté à mon roi.
– Oui, oui, tu as raison, dit Charles, et je te suis reconnaissant de parler ainsi, Henriot; car en vérité tu as beaucoup souffert sous mon règne, sans compter que c’est pendant mon règne que ta pauvre mère est morte. Mais tu as dû voir que l’on me poussait souvent. Parfois j’ai résisté; mais parfois aussi j’ai cédé de fatigue. Mais, tu l’as dit, ne parlons plus du passé; maintenant c’est le présent qui me pousse, c’est l’avenir qui m’effraie.
Et en disant ces mots, le pauvre roi cacha son visage livide dans ses mains décharnées.
Puis, après un instant de silence, secouant son front pour en chasser ces sombres idées et faisant pleuvoir autour de lui une rosée de sang:
– Il faut sauver l’État, continua-t-il à voix basse et en s’inclinant vers Henri; il faut l’empêcher de tomber entre les mains des fanatiques ou des femmes.
Charles, comme nous venons de le dire, prononça ces paroles à voix basse, et cependant Henri crut entendre derrière la coulisse du lit comme une sourde exclamation de colère. Peut-être quelque ouverture pratiquée dans la muraille, à l’insu de Charles lui-même, permettait-elle à Catherine d’entendre cette suprême conversation.
– Des femmes? reprit le roi de Navarre pour provoquer une explication.
– Oui, Henri, dit Charles, ma mère veut la régence en attendant que mon frère de Pologne revienne. Mais écoute ce que je te dis, il ne reviendra pas.
– Comment! il ne reviendra pas? s’écria Henri, dont le cœur bondissait sourdement de joie.
– Non, il ne reviendra pas, continua Charles, ses sujets ne le laisseront pas partir.
– Mais, dit Henri, croyez-vous, mon frère, que la reine mère ne lui aura pas écrit à l’avance?
– Si fait, mais Nancey a surpris le courrier à Château-Thierry et m’a rapporté la lettre; dans cette lettre j’allais mourir, disait-elle. Mais moi aussi j’ai écrit à Varsovie, ma lettre y arrivera, j’en suis sûr, et mon frère sera surveillé. Donc, selon toute probabilité, Henri, le trône va être vacant.
Un second frémissement plus sensible encore que le premier se fit entendre dans l’alcôve.
– Décidément, se dit Henri, elle est là; elle écoute, elle attend! Charles n’entendit rien.
– Or, poursuivit-il, je meurs sans héritier mâle.
Puis il s’arrêta: une douce pensée parut éclairer son visage, et posant sa main sur l’épaule du roi de Navarre:
– Hélas! te souviens-tu, Henriot, continua-t-il, te souviens-tu de ce pauvre petit enfant que je t’ai montré un soir dormant dans son berceau de soie, et veillé par un ange? Hélas! Henriot, ils me le tueront! …
– Ô Sire, s’écria Henri, dont les yeux se mouillèrent de larmes, je vous jure devant Dieu que mes jours et mes nuits se passeront à veiller sur sa vie. Ordonnez, mon roi.
– Merci! Henriot, merci, dit le roi avec une effusion qui était bien loin de son caractère, mais que cependant lui donnait la situation. J’accepte ta parole. N’en fais pas un roi… heureusement il n’est pas né pour le trône, mais un homme heureux. Je lui laisse une fortune indépendante; qu’il ait la noblesse de sa mère, celle du cœur. Peut-être vaudrait-il mieux pour lui qu’on le destinât à l’Église; il inspirerait moins de crainte. Oh! il me semble que je mourrais, sinon heureux, du moins tranquille, si j’avais là pour me consoler les caresses de l’enfant et le doux visage de la mère.
– Sire, ne pouvez-vous les faire venir?
– Eh! malheureux! ils ne sortiraient pas d’ici. Voilà la condition des rois, Henriot: ils ne peuvent ni vivre ni mourir à leur guise. Mais depuis ta promesse je suis plus tranquille.
Henri réfléchit.
– Oui, sans doute, mon roi, j’ai promis, mais pourrai-je tenir?
– Que veux-tu dire?
– Moi-même, ne serai-je pas proscrit, menacé comme lui, plus que lui, même? Car, moi, je suis un homme, et lui n’est qu’un enfant.
– Tu te trompes, répondit Charles; moi mort, tu seras fort et puissant, et voilà qui te donnera la force et la puissance. À ces mots, le moribond tira un parchemin de son chevet.
– Tiens, lui dit-il. Henri parcourut la feuille revêtue du sceau royal.
– La régence à moi, Sire! dit-il en pâlissant de joie.
– Oui, la régence à toi, en attendant le retour du duc d’Anjou, et comme, selon toute probabilité, le duc d’Anjou ne reviendra point, ce n’est pas la régence qui te donne ce papier, c’est le trône.
– Le trône, à moi! murmura Henri.
– Oui, dit Charles, à toi, seul digne et surtout seul capable de gouverner ces galants débauchés, ces filles perdues qui vivent de sang et de larmes. Mon frère d’Alençon est un traître, il sera traître envers tous, laisse-le dans le donjon où je l’ai mis. Ma mère voudra te tuer, exile-la. Mon frère d’Anjou, dans trois mois, dans quatre mois, dans un an peut-être, quittera Varsovie et viendra te disputer la puissance; réponds à Henri par un bref du pape. J’ai négocié cette affaire par mon ambassadeur, le duc de Nevers, et tu recevras incessamment le bref.
– Ô mon roi!
– Ne crains qu’une chose, Henri, la guerre civile. Mais en restant converti, tu l’évites, car le parti huguenot n’a consistance qu’à la condition que tu te mettras à sa tête, et M. de Condé n’est pas de force à lutter contre toi. La France est un pays de plaine, Henri, par conséquent un pays catholique. Le roi de France doit être le roi des catholiques et non le roi des huguenots; car le roi de France doit être le roi de la majorité. On dit que j’ai des remords d’avoir fait la Saint-Barthélemy; des doutes, oui; des remords, non. On dit que je rends le sang des huguenots par tous les pores. Je sais ce que je rends: de l’arsenic, et non du sang.
– Oh! Sire, que dites-vous?
– Rien. Si ma mort doit être vengée, Henriot, elle doit être vengée par Dieu seul. N’en parlons plus que pour prévoir les événements qui en seront la suite. Je te lègue un bon parlement, une armée éprouvée. Appuie-toi sur le parlement et sur l’armée pour résister à tes seuls ennemis: ma mère et le duc d’Alençon.
En ce moment, on entendit dans le vestibule un bruit sourd d’armes et de commandements militaires.
– Je suis mort, murmura Henri.
– Tu crains, tu hésites, dit Charles avec inquiétude.
– Moi! Sire, répliqua Henri; non, je ne crains pas; non, je n’hésite pas; j’accepte.
Charles lui serra la main. Et comme en ce moment sa nourrice s’approchait de lui, tenant une potion qu’elle venait de préparer dans une chambre voisine, sans faire attention que le sort de la France se décidait à trois pas d’elle:
– Appelle ma mère, bonne nourrice, et dis aussi qu’on fasse venir M. d’Alençon.