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Kitabı oku: «La San-Felice, Tome 03», sayfa 10

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– Vous êtes un admirable cicérone, général, et je regrette bien, au lieu de quatre heures, dont plus de deux sont malheureusement déjà écoulées, de n'avoir point quatre jours à passer avec vous.

– Quatre jours seraient trop peu pour ce merveilleux pays; après quatre jours, vous demanderiez quatre mois; après quatre mois, quatre ans. La vie d'un homme tout entière ne suffirait pas à dresser la liste des souvenirs que renferme la ville si justement nommée la ville éternelle. Tenez, par exemple, voyez ces restes d'arches contre lesquelles se brise le fleuve, voyez ces vestiges qui se rattachent aux deux côtés de la rive: là était le pont Triomphal, là ont successivement passé, venant du temple de Mars, qui était situé où est aujourd'hui Saint-Pierre, Paul-Émile, vainqueur de Persée; Pompée, vainqueur de Tigrane, roi d'Arménie; d'Artocès, roi d'Ibérie; d'Orosès, roi d'Albanie; de Darius, roi de Médie; d'Areta, roi de Nabatée; d'Antiochus, roi de Comagène et des pirates. Il avait pris mille châteaux forts, neuf cents villes, huit cents vaisseaux, fondé ou repeuplé neuf villes; ce fut à la suite de ce triomphe qu'il bâtit, avec une portion de sa part de butin, ce beau temple à Minerve qui décorait la place des Septa-Julia, près de l'aqueduc de la Virgo, et sur le frontispice duquel il avait fait mettre en lettres de bronze cette inscription: «Pompée le Grand, imperator, après avoir terminé une guerre de trente ans, défait, mis en fuite, tué ou forcé à se rendre douze millions cent quatre-vingt mille hommes, coulé à fond ou pris huit cent quarante-six vaisseaux, reçu à composition mille cinq cent trente-huit villes ou châteaux, soumis tout le pays depuis le lac Moeris, jusqu'à la mer Rouge, acquitte le voeu qu'il a fait à Minerve.» Et, sur ce même pont, après lui, passèrent Jules César, Auguste, Tibère. Par bonheur, il est tombé, poursuivit avec un sourire mélancolique le général républicain, car nous aurions sans doute l'orgueil d'y passer, nous aussi, à notre tour: et que sommes-nous pour fouler les traces de pareils hommes?

Les réflexions qui assiégeaient la tête de Championnet, éteignirent la voix sur ses lèvres et il garda un silence que n'osa interrompre le jeune officier, depuis le pont Triomphal, qu'il laissait à sa droite, jusqu'au pont Saint-Ange, qu'il se mit à traverser pour passer sur la rive gauche du Tibre.

Au milieu du pont, cependant, au risque d'être indiscret:

– N'est-ce point le tombeau d'Adrien que nous laissons derrière nous? lui demanda le major.

Championnet regarda autour de lui comme s'il sortait d'un rêve.

– Oui, dit-il, et le pont sur lequel nous sommes fut sans doute bâti pour y conduire; Bernin l'a restauré et y a répandu ses coquetteries ordinaires. C'est dans ce monument que s'enfermera Thiébaut, et ce ne sera pas le premier siége qu'il aura soutenu.

Tenez, voici la place que vous avez entrevue de loin, où furent décapitées Béatrice et sa famille. En appuyant à gauche, nous pouvons marcher sur l'emplacement même du Tordinone; sur cette petite place où nous arrivons est l'auberge de l'Ours, avec son enseigne telle qu'elle était au temps où y logea Montaigne, ce grand sceptique qui prit pour devise ces trois mots: Que sais-je? C'était le dernier mot du génie humain après six mille ans; dans six mille ans viendra un autre sceptique qui dira: Peut-être!

– Et vous, général, demanda le major, que dites-vous?

– Je dis que c'est le dernier des gouvernements que celui, – regardez à votre gauche – que celui qui laisse se faire de pareils déserts, presque au coeur d'une ville. Tenez, tous ces marais qu'habite huit mois de l'année la mal'aria, ils sont au roi que vous servez; c'est l'héritage des Farnèse. Paul III ne se doutait pas, en léguant ces immenses terrains à son fils le duc de Parme, qu'il lui léguait la fièvre. Dites donc à votre roi Ferdinand qu'il serait non pas seulement d'un héritier pieux, mais d'un chrétien; de faire assainir et de cultiver ces champs, qui l'en récompenseraient par d'abondantes moissons. Un pont bâti ici, tenez, suffirait à un quartier nouveau; la ville enjamberait le fleuve, des maisons s'élèveraient dans tout cet espace vide du château Saint-Ange à la place du Peuple, et la vie en chasserait la mort; mais, pour cela, il faudrait un gouvernement qui s'occupât du bien-être de ses sujets; il faudrait ce grand bienfait que vous venez combattre, vous homme instruit et intelligent cependant; il faudrait la liberté. Elle viendra un jour, non pas temporaire et accidentelle comme celle que nous apportons, mais fille immortelle du progrès et du temps. Tenez, en attendant, c'est de la ruelle qui longe cette église, l'église Saint-Jérôme, qu'une nuit, vers deux heures du matin, sortirent quatre hommes à pied et un homme à cheval, l'homme à cheval portait, en travers de la croupe de sa monture, un cadavre dont les pieds pendaient d'un côté et la tête de l'autre.

» – Ne voyez-vous rien? demanda l'homme à cheval.

»Deux regardèrent du côté du château Saint-Ange, deux du côté de la place du Peuple.

» – Rien, dirent-ils.

»Alors, le cavalier s'avança jusqu'au bord de la rivière et, là, fit pivoter son cheval de manière que la croupe fût tournée du côté de l'eau. Deux hommes prirent le cadavre, un par la tête, l'autre par les pieds, le balancèrent trois fois, et, à la troisième, le lancèrent au fleuve.

»Au bruit que produisit le cadavre en tombant à l'eau:

» – C'est fait? demanda le cavalier.

» – Oui, monseigneur, répondirent les hommes.

»Le cavalier se retourna.

» – Et qui flotte ainsi sur l'eau? demanda-t-il.

» – Monseigneur, répondit un des hommes, c'est son manteau.

»Un autre ramassa des pierres, courut le long de la rive en suivant le courant du fleuve et en jetant des pierres dans ce manteau, jusqu'à ce qu'il eût disparu.

» – Tout va bien, dit alors le cavalier.

»Et il donna une bourse aux hommes, mit son cheval au galop et disparut.

»Le mort était le duc de Candie; le cavalier, c'était César Borgia. Jaloux de sa soeur Lucrèce, César Borgia venait de tuer son frère, le duc de Candie… Par bonheur, continua Championnet, nous voilà arrivés. Le hasard, mon cher, vengeur des rois et de la papauté, vous gardait cette histoire pour la dernière; ce n'était pas la moins curieuse, vous le voyez.

Et, en effet, le groupe que nous venons de suivre, depuis le palais Corsini jusqu'à l'extrémité de Ripetta, débouchait sur la place du Peuple, où était rangée en bataille la garnison de Rome.

Cette garnison se composait de trois mille hommes, à peu près: deux tiers français, une tiers polonais.

En apercevant le général, trois mille voix, par un élan spontané, crièrent:

– Vive la République!

Le général s'avança jusqu'au centre de la première ligne et fit signe qu'il voulait parler. Les cris cessèrent.

– Mes amis, dit le général, je suis forcé de quitter Rome; mais je ne l'abandonne pas. J'y laisse le colonel Thiébaut; il occupera le fort Saint-Ange avec cinq cents hommes; j'ai engagé ma parole de venir le délivrer dans l'espace de vingt jours; vous y engagez-vous avec moi?

– Oui, oui, oui, crièrent trois mille voix.

– Sur l'honneur? dit Championnet.

– Sur l'honneur! répétèrent les trois mille voix.

– Maintenant, continua Championnet, choisissez parmi vous cinq cents hommes prêts à s'ensevelir sous les ruines du château Saint-Ange, plutôt que de se rendre.

– Tous, tous! nous sommes prêts tous! crièrent ceux à qui l'on faisait cet appel.

– Sergents, dit Championnet, sortez des rangs et choisissez quinze hommes par compagnie.

Au bout de dix minutes, quatre cent quatre-vingts hommes se trouvèrent tirés à part et réunis.

– Amis, leur dit Championnet, c'est vous qui garderez les drapeaux des deux régiments, et c'est nous qui viendrons les reprendre. Que les porte-drapeaux passent dans les rangs des hommes du fort Saint-Ange.

Les porte-drapeaux obéirent, aux cris frénétiques de «Vive Championnet! vive la République!»

– Colonel Thiébaut, continua Championnet, jurez et faites jurer à vos hommes que vous vous ferez tuer jusqu'au dernier, plutôt que de vous rendre.

Tous les bras s'étendirent, toutes les voix crièrent:

– Nous le jurons!

Championnet s'avança vers son aide de camp.

– Embrassez-moi, Thiébaut, lui dit-il; si j'avais un fils, c'est à lui que je donnerais la glorieuse mission que je vous confie.

Le général et son aide de camp s'embrassèrent au milieu des hourras, des cris et des vivats de la garnison.

Deux heures sonnèrent à l'église Sainte-Marie-du-Peuple.

– Major Riescach, dit Championnet au jeune messager, les quatre heures sont écoulées et, à mon grand regret, je n'ai plus le droit de vous retenir.

Le major regarda du côté de Ripetta.

– Attendez vous quelque chose, monsieur? lui demanda Championnet.

– Je suis monté sur un de vos chevaux, général.

– J'espère que vous me ferez l'honneur de l'accepter, monsieur, en souvenir des moments trop courts que nous venons de passer ensemble.

– Ne pas accepter le cadeau que vous me faites, général, ou même hésiter à l'accepter, ce serait me montrer moins courtois que vous. Merci du plus profond de mon coeur.

Il s'inclina, la main sur la poitrine.

– Et, maintenant, que dois-je reporter au général Mack?

– Ce que vous avez vu et entendu, monsieur, et vous ajouterez ceci, que, le jour où j'ai quitté Paris et pris congé des membres du Directoire, le citoyen Barras m'a mis la main sur l'épaule et m'a dit: «Si la guerre éclate, en récompense de vos services, vous serez le premier des généraux républicains chargé par la République de détrôner un roi.»

– Et vous avez répondu?

– J'ai répondu: «Les intentions de la République seront remplies, j'y engage ma parole;» et, comme je n'ai jamais manqué à ma parole d'honneur, dites au roi Ferdinand de se bien tenir.

– Je le lui dirai, monsieur, répondit le jeune homme; car, avec un chef comme vous et des hommes comme ceux-là, tout est possible. Et maintenant, général, veuillez m'indiquer mon chemin.

– Brigadier Martin, dit Championnet, prenez quatre hommes et conduisez M. le major Ulrich de Riescach jusqu'à la porte San-Giovanni; vous nous rejoindrez sur la route de la Storta.

Les deux hommes se saluèrent une dernière fois; le major, guidé par le brigadier Martin et escorté par ses quatre dragons, s'enfonça au grand trot dans la via del Babuino. Le colonel Thiébaut et ses cinq cents hommes regagnèrent par Ripetta le château Saint-Ange, où ils se renfermèrent, et le reste de la garnison, Championnet et son état-major en tête, sortit de Rome, tambours battants, par la porte del Popolo.

L
FERDINAND A ROME

Comme l'avait prévu le général Mack, son envoyé le rejoignit un peu au-dessus de Valmontone.

Le général n'entendit rien de tout ce que lui raconta le major de Riescach, sinon que les Français avaient évacué Rome; il courut chez le roi et lui annonça que sur sa sommation, les Français s'étaient mis immédiatement en retraite; que, par conséquent, le lendemain, il entrerait à Rome et, dans huit jours, serait en pleine possession des États romains.

Le roi ordonna de doubler l'étape, et, le même soir on vint coucher à Valmontone.

Le lendemain, on se remit en marche, on fit halte à Albano vers midi. De la colline, on planait sur Rome, et, au delà de Rome, la vue s'étendait jusqu'à Ostia. Mais il était impossible que l'armée entrât à Rome le même jour. Il fut convenu qu'elle partirait vers trois heurs de l'après-midi, qu'elle camperait à moitié chemin, et que, le lendemain, à neuf heures du matin, le roi Ferdinand ferait son entrée solennelle par la porte San-Giovanni, et irait directement à San-Carlo entendre la messe d'actions de grâces.

En effet, à trois heures, on partit d'Albano, Mack à cheval et en tête de l'armée, le roi et le duc d'Ascoli dans une voiture escortée de tout l'état-major particulier de Sa Majesté; on laissa à gauche, au-dessous de la colline d'Albano, c'est-à-dire à l'endroit où eut lieu, mil huit cent cinquante ans auparavant, la querelle de Clodius et de Milon, la via Appia, dans laquelle on avait fait des fouilles et qui était abandonnée aux antiquaires, et l'on s'arrêta vers sept heures à deux lieues à peu près de Rome.

Le roi soupait sous une tente magnifique, divisée en trois compartiments, avec le général Mack et le duc d'Ascoli, le marquis Malaspina et les plus favorisés parmi la petite cour qui l'avait suivi, lorsqu'on vint lui annoncer les députés.

Ces députés se composaient de deux des cardinaux qui n'avaient point adhéré au gouvernement républicain, des autorités qui avaient été renversées par ce gouvernement et de quelques-uns de ces martyrs comme les réactions en voient toujours accourir au-devant d'elles.

Ils venaient prendre les ordres du roi pour la cérémonie du lendemain.

Le roi était radieux; lui aussi, comme les Paul-Émile, comme les Pompée, comme les Césars, dont Championnet, trois jours auparavant, parlait au major Riescach, lui aussi allait avoir son triomphe.

Il n'était donc point si difficile d'être un triomphateur que la chose lui avait paru d'abord.

Quel effet allait faire à Caserte, et surtout au Môle, au Marché-Vieux et à Marinella, le récit de ce triomphe, et comme ces bons lazzaroni allaient être fiers quand ils sauraient que leur roi avait triomphé!

Il avait donc vaincu, et sans tirer un seul coup de canon, cette terrible république française, jusque-là réputée invincible! Décidément, le général Mack, qui lui avait prédit tout cela, était un grand homme!

Il résolut, en conséquence, d'écrire le même soir à la reine et de lui expédier un courrier pour lui annoncer cette bonne nouvelle, et, toute chose arrêtée pour le lendemain, les députés congédiés après avoir eu l'honneur de baiser la main au roi, Sa Majesté prit la plume et écrivit:

«Ma chère maîtresse,

»Tout se succède au gré de nos désirs; en moins de cinq jours, je suis arrivé aux portes de Rome, où je fais demain mon entrée solennelle. Tout a fui devant nos armes victorieuses, et, demain soir, du palais Farnèse, j'écrirai au souverain pontife qu'il peut, si tel est son bon plaisir, venir célébrer avec nous à Rome la fête de la Nativité.

»Ah! si je pouvais transporter ici ma crèche et la lui faire voir!

»Le messager que je vous envoie pour vous porter ces bonnes nouvelles est mon courrier ordinaire Ferrari. Permettez-lui, pour sa récompense, de dîner avec mon pauvre Jupiter, qui doit bien s'ennuyer de moi. Répondez-moi par la même voie; rassurez-moi sur votre chère santé et sur celle de mes enfants bien-aimés, à qui, grâce à vous et à notre illustre général Mack, j'espère léguer un trône non-seulement prospère, mais glorieux.

»Les fatigues de la campagne n'ont pas été si grandes que je le craignais. Il est vrai que, jusqu'à présent, j'ai pu faire presque toutes les étapes en voiture et ne monter à cheval que pour mon agrément.

»Un seul point noir reste encore à l'horizon: en quittant Rome, le général républicain a laissé cinq cents hommes et un colonel au château Saint-Ange; dans quel but? Je ne m'en rends point parfaitement compte, mais je ne m'en inquiète pas autrement: notre illustre ami le général Mack m'assurant qu'ils se rendront à la première sommation.

»Au revoir bientôt, ma chère maîtresse, soit que vous veniez, pour que la fête soit complète, célébrer la Nativité avec nous à Rome, soit que, tout étant pacifié et Sa Sainteté étant rétablie sur son trône, je rentre glorieusement dans mes États.

»Recevez, chère maîtresse et épouse, pour les partager avec mes enfants bien-aimés, les embrassements de votre tendre mari et père.

»FERDINAND.»

»P. – S. – J'espère qu'il n'est rien arrivé de fâcheux à mes kangourous et que je les retrouverai tout aussi bien portants que je les ai laissés. A propos, transmettez mes plus affectueux souvenirs à sir William et à lady Hamilton; quant au héros du Nil, il doit encore être à Livourne; où qu'il soit, faites-lui part de nos triomphes.»

Il y avait longtemps que Ferdinand n'avait écrit une si longue lettre; mais il était dans un moment d'enthousiasme, ce qui explique sa prolixité; il la relut, fut satisfait de sa rédaction, regretta de n'avoir pensé à sir William et à lady Hamilton qu'après avoir pensé à ses kangourous, mais ne jugea point que, pour cette petite faute de mémoire, ce fût la peine de recommencer une lettre si bien venue; en conséquence, il la cacheta et fit appeler Ferrari, qui, complétement remis de sa chute, arriva, selon sa coutume, tout botté, et promit que la lettre serait remise entre les mains de la reine, avant le lendemain cinq heures du soir.

Après quoi, la table de jeu étant dressée, le roi se mit à faire son whist avec le duc d'Ascoli, le marquis Malaspina et le duc de Circello, gagna mille ducats, se coucha radieux et rêva qu'il faisait son entrée, non pas à Rome, mais à Paris, non pas dans la capitale des États romains, mais dans la capitale de la France, et que, son manteau royal porté par les cinq directeurs, il entrait dans les Tuileries, désertes depuis le 10 août, ayant une couronne de lauriers sur la tête, comme César, et tenant, comme Charlemagne, le globe d'une main et l'épée de l'autre!

Le jour vint dissiper les illusions de la nuit; mais ce qui en restait suffisait pour satisfaire l'amour-propre d'un homme à qui l'idée d'être conquérant était venue à l'âge de cinquante ans.

Il n'entrait point encore à Paris, mais il entrait déjà à Rome.

L'entrée fut splendide; le roi Ferdinand, à cheval, vêtu de son uniforme de feld-maréchal autrichien, couvert de broderies, portant à son cou et sur sa poitrine tous ses ordres personnels et tous ses ordres de famille, était attendu à la porte San-Giovanni, d'abord par l'ancien sénateur, qui, accompagné des magistrats du municipe, lui présenta à genoux les clefs de Rome sur un plat d'argent; autour des sénateurs et des magistrats du municipe étaient tous les cardinaux restés fidèles à Pie VI; de là, en suivant un itinéraire marqué d'avance par des jonchées de fleurs et de feuillages, le roi devait se rendre à l'église San-Carlo, où se chantait le Te Deum, et, de l'église San-Carlo, au palais Farnèse, situé, comme nous l'avons dit, de l'autre côté du Tibre, en face du palais Corsini, que venait de quitter Championnet.

Au moment où le roi prit les clefs de Rome, les chants éclatèrent. Cent jeunes filles habillées de blanc marchèrent en tête du cortége, portant des corbeilles de joncs dorés, pleines de feuilles de roses, qu'elles jetaient en l'air comme au jour de la Fête-Dieu. Les corbeilles vides étaient aussitôt remplacées par des corbeilles pleines, afin qu'il n'y eût point d'interruption dans la pluie odoriférante; et, comme derrière les jeunes filles marchaient à reculons de jeunes enfants de choeur, balançant des encensoirs, on avançait entre une double haie formée par la population de Rome et des environs, vêtue de ses habits de fête, au milieu d'une pluie de fleurs et d'une atmosphère embaumée.

Une admirable musique militaire – et celle de Naples est renommée entre toutes – jouait les airs les plus gais de Cimarosa, de Pergolèse et de Paesiello; puis venait, au milieu d'un grand espace vide, le roi seul, dans l'isolement emblématique de la majesté souveraine; derrière le roi marchait Mack et tout son état-major; puis, derrière Mack, une masse de trente mille hommes de troupes, vingt mille d'infanterie, dix mille de cavalerie, habillés à neuf, magnifiques d'aspect, s'avançant avec un ensemble remarquable, grâce aux nombreuses manoeuvres faites dans les camps, et suivis de cinquante pièces d'artillerie nouvellement fondues, de leur caissons et de leurs fourgons nouvellement peints; tout cela resplendissant au soleil d'une de ces magnifiques journées de novembre que l'automne méridional fait luire entre un jour de brouillard et un jour de pluie, comme un dernier adieu à l'été, comme un premier salut à l'hiver.

Nous avons dit que l'itinéraire était tracé d'avance: on commença donc par traverser ce que l'on pourrait appeler le désert de Saint-Jean-de-Latran, les pelouses et les allées solitaires conduisant à Santa-Croce in-Gerusalemme et à Sainte-Marie-Majeure, et l'on s'avança directement vers la vieille basilique dont Henri IV fut le bienfaiteur et dont, en sa qualité de petit-fils de Henri IV, Ferdinand était chanoine. Sur les degrés de l'église, au bas desquels le roi fut reçu à cheval et encensé au milieu des chants de joie et des cantiques d'actions de grâces, était groupé tout le clergé latéranien. Les chants terminés, le roi descendit de cheval et, sur de magnifiques tapis, gagna à pied la Scala santa, cet escalier sacré, transporté de Jérusalem à Rome, qui faisait partie de la maison de Pilate, que Jésus se rendant au prétoire toucha de ses pieds nus et sanglants, et que les fidèles ne montent plus qu'à genoux.

Le roi en baisa la première marche, et, au moment où ses lèvres touchaient le marbre saint, la musique éclata en fanfares joyeuses, et cent mille voix firent entendre une immense acclamation.

Le roi demeura à genoux le temps de dire sa prière, se releva, se signa, monta à cheval, traversa la grande place de Saint-Jean, mesura des yeux le magnifique obélisque élevé à Thèbes par Thoutmasis II, respecté par Cambyse, qui renversa et mutila tous les autres, enlevé par Constantin et déterré dans le grand Cirque; suivit la longue rue de Saint-Jean-de-Latran, toute bordée de monastères et qui descend en pente douce jusqu'au Colisée; prit ce fameux quartier des Carènes où Pompée avait sa maison; presqu'en ligne droite, gagna la place Trajane, dont la colonne était enterrée jusqu'au-dessus de sa base; de là, par un angle droit, arriva au Corso, et, sur la place de Venise, qui, à l'autre extrémité de la même rue, fait pendant à la place du Peuple, descendit à la place Colonna, et enfin suivit le Corso jusqu'à la vaste église San-Carlo, y fut reçu par tout le clergé sous son gigantesque portail, descendit de cheval pour la seconde fois, entra dans l'église, et, sous le dais qui lui était préparé, entendit le Te Deum.

Puis, le Te Deum chanté, il sortit de l'église, remonta à cheval, et, toujours précédé, suivi, accompagné du même cortége, il continua de descendre le Corso jusqu'à la place du Peuple, longea le cours du Tibre, et, dans le sens inverse où l'avait longé Championnet pour sortir de Rome, prit la via della Scroffa, où est Saint-Louis-des-Français, la grande place Navone, le forum Agonal des Romains, et, de là, en quelques instants, par la façade du palais Braschi, opposée à celle où se trouve Pasquino, il gagna le Campo-dei-Fiori et le palais Farnèse, but de sa longue course, terme de son triomphe.

Tout l'état-major put entrer dans cette magnifique cour, chef-d'oeuvre des trois plus grands architectes qui aient existé, San-Gallo, Vignole et Michel-Ange; tandis qu'entre les deux fontaines qui ornent la façade du palais et qui coulent dans les plus larges coupes de granit que l'on connaisse, on mettait, autant pour l'honneur que pour la défense, quatre pièces de canon en batterie.

Un dîner de deux cents couverts était servi dans la grande galerie peinte par Annibal et Augustin Carrache, et leurs élèves. Les deux frères y travaillèrent huit ans et reçurent pour salaire cinq cents écus d'or, c'est-à-dire trois mille francs de notre monnaie.

Rome entière semblait s'être donné rendez-vous sur la place du palais Farnèse. Malgré les sentinelles, le peuple envahit la cour, l'escalier, les antichambres et pénétra jusqu'aux portes de la galerie; les cris de «Vive le roi!» poussés sans interruption, forcèrent trois fois Ferdinand à quitter la table et à se montrer à la fenêtre.

Aussi, fou de joie, se croyant le rival de ces héros dont, un instant, sur la voie sacrée, il avait foulé la trace, ne voulut-il point attendre au lendemain pour donner au pape Pie VI avis de son entrée à Rome, et, oubliant que, prisonnier des Français, il n'était pas tout à fait libre de ses actions, la tête échauffée par le vin et le coeur bondissant d'orgueil, il passa, aussitôt le café pris, dans un cabinet de travail, et lui écrivit la lettre suivante:

A Sa Sainteté le pape Pie VI, premier vicaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

«Prince des apôtres, roi des rois,

»Votre Sainteté apprendra sans doute avec la plus grande satisfaction, qu'aidé de Notre-Seigneur Jésus-Christ et sous l'auguste protection du bienheureux saint Janvier, aujourd'hui même, avec mon armée, je suis entré sans résistance et en triomphateur dans la capitale du monde chrétien. Les Français ont fui, épouvantés à la vue de la croix et au simple éclat de mes armes. Votre Sainteté peut donc reprendre sa suprême et paternelle puissance, que je couvrirai de mon armée. Qu'elle abandonne donc sa trop modeste demeure de la Chartreuse, et que, sur les ailes des chérubins, comme notre sainte vierge de Lorette, elle vienne et descende au Vatican pour le purifier par sa présence sacrée. Votre Sainteté pourra célébrer à Saint-Pierre le divin office le jour de la naissance de Notre Sauveur.»

Le soir, le roi parcourut en voiture, au milieu des cris de «Vive le roi Ferdinand! vive Sa Sainteté Pie VI!» les principales rues de Rome et les places Navone, d'Espagne et de Venise; il s'arrêta un instant au théâtre Argentina, où l'on devait chanter une cantate en son honneur; puis, de là, pour voir Rome tout enflammée, il monta sur les plus hautes rampes du mont Pincio.

La ville était illuminée a giorno, depuis la porte San-Giovanni jusqu'au Vatican, et depuis la place du Peuple jusqu'à la pyramide de Cestus. Un seul monument, surmonté du drapeau tricolore et pareil à une protestation solennelle et menaçante de la France contre l'occupation de Rome, restait obscur au milieu de tous ces rayonnements, muet au milieu de toutes ces clameurs.

C'était le château Saint-Ange.

Sa masse sombre et silencieuse avait quelque chose de formidable et d'effrayant; car le seul cri qui, de quart d'heure en quart d'heure, sortait de son silence était celui de «Sentinelles, prenez garde à vous!» Et la seule lumière que l'on vit luire dans les ténèbres était la mèche allumée des artilleurs, debout près de leurs canons.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
240 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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