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Kitabı oku: «La San-Felice, Tome 09», sayfa 2

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LXXXV
OU IL EST PROUVÉ QUE FRÈRE JOSEPH VEILLAIT
SUR SALVATO

C'était pendant la matinée du 27 que Salvato et Luisa avaient quitté le Château-Neuf pour le fort Saint-Elme: le même jour, les châteaux devaient être rendus aux Anglais, et les patriotes embarqués.

Du haut des remparts, Salvato et Luisa avaient pu voir les Anglais prendre possession des forts et les patriotes descendre dans les tartanes.

Quoique tout parût s'accomplir loyalement et selon les conditions du traité, Salvato conserva les doutes qu'il avait conçus sur sa complète exécution.

Il est vrai que, pendant tout le jour et pendant toute la soirée du 27, le vent avait soufflé de l'ouest, et s'était opposé à ce que les tartanes missent à la voile.

Mais, pendant la nuit du 27 au 28, le vent avait sauté au nord-nord-ouest, et, par conséquent, était devenu tout à fait favorable au départ; cependant, les tartanes ne bougeaient pas.

Salvato, ayant Luisa appuyée à son bras, les regardait inquiet du haut des remparts, lorsqu'il fut joint par le colonel Mejean, lequel lui annonça que, contre son attente, le lieutenant-colonel étant de retour au fort vingt-quatre heures plus tôt qu'il ne le pensait, rien ne s'opposait à ce qu'il l'accompagnât dans la course qu'il comptait faire la prochaine nuit.

La chose fut donc arrêtée.

La journée se passa en conjectures. Le vent continuait d'être favorable, et Salvato ne voyait faire aucun préparatif de départ. Sa conviction était qu'il se préparait quelque catastrophe.

Du point élevé où il se trouvait, il planait sur tout le golfe, et pouvait voir, à l'aide d'une longue-vue, tout ce qui se passait dans les tartanes et même sur les vaisseaux de guerre.

Vers cinq heures, une barque, montée par un officier et quelques marins, se détacha des flancs du Foudroyant et s'avança vers l'une des tartanes.

Il se fit alors un grand mouvement à bord de la tartane que la barque venait d'accoster; douze personnes furent tirées de la tartane et descendirent dans la barque; puis la barque volta et rama de nouveau vers le Foudroyant, sur le pont duquel montèrent les douze patriotes, qui bientôt, pour ne plus reparaître, s'enfoncèrent dans les flancs du vaisseau.

Ce fait, dont Salvato cherchait en vain l'explication, lui donna beaucoup à penser.

La nuit vint. Cette excursion que devait faire Mejean inquiétait Luisa. Salvato lui en expliqua la cause en lui faisant part du marché qu'il avait conclu avec Mejean et moyennant lequel il avait acheté leur commun salut.

Luisa serra la main de Salvato.

–N'oublie pas, au besoin, lui dit-elle, que j'ai toute une fortune chez les pauvres Backer.

–Mais à cette fortune, qui n'est point entièrement à toi, répondit en souriant Salvato, n'était-il pas convenu que nous ne toucherions qu'à la dernière extrémité?

Luisa fit un signe affirmatif.

Une heure avant, la sortie du fort, c'est-à-dire vers les onze heures, on discuta si l'on irait au tombeau de Virgile, distant d'un quart de lieue à peu près du fort Saint-Elme, avec une petite escorte, c'est-à-dire en ayant l'air de faire une patrouille, – ou bien si Salvato et Mejean iraient seuls et déguisés.

On opta pour le déguisement.

On se procura deux habits de paysan. Il fut convenu que, si l'on faisait quelque rencontre inattendue, ce serait Salvato qui prendrait la parole. Il parlait le patois napolitain de telle façon, qu'il était impossible de le reconnaître pour ce qu'il était.

L'un prit un pic, et l'autre une bêche, et, à minuit, tous deux sortirent du fort. Ils semblaient deux ouvriers revenant de l'ouvrage et regagnant leur maison.

La nuit, sans être sombre, était nuageuse. La lune, de temps en temps, disparaissait derrière des masses de vapeurs dont elle avait peine à percer l'opacité.

Ils sortirent par une petite poterne faisant face au village d'Antiguano, mais prirent presque aussitôt un petit sentier tournant à gauche et conduisant à Pietra-Catella; puis ils s'engagèrent franchement dans le Vomero, prirent une ruelle qui les conduisit hors du village, laissèrent à gauche la Carone-del-Cielo, et, par l'étroit sentier qui conduit à la rampe du Pausilippe, ils gagnèrent le columbarium que l'on est convenu de désigner au voyageur sous le nom de tombeau de Virgile.

–Il est inutile, mon cher colonel, fit Savalto, de vous apprendre ce que nous venons chercher ici.

–Bon! quelque trésor enfoui à ce que je présume?

–Vous avez deviné. Seulement, la somme ne vaut pas la peine d'être désignée sous le non de trésor. Cependant, soyez tranquille, ajouta-t-il ou souriant, elle est suffisante pour m'acquitter envers vous.

Salvato s'avança vers le laurier et commença de fouiller la terre avec sa pioche.

Mejean le suivait d'un oeil avide.

Au bout de cinq minutes, le fer de la pioche résonna sur un corps dur.

–Ah! ah! fit Mejean, qui suivait l'opération avec une attention ressemblant à de l'anxiété.

–N'avez-vous point entendu raconter, colonel, dit en souriant Salvato, que les dieux mânes étaient les gardiens naturels des trésors?

–Si fait, répondit Mejean; seulement, je ne crois point à tout ce que l'on me raconte… Mais chut! n'entendez-vous point du bruit?

Tous deux écoutèrent.

–C'est une charrette qui roule dans la grotte de Pouzzoles, répondit Salvato au bout de quelques secondes.

Puis, se mettant à genoux, il écarta la terre avec les mains.

–C'est étrange! dit-il, il me semble que cette terre a été nouvellement remuée.

–Allons donc! dit Mejean, pas de mauvaise plaisanterie, mon hôte.

–Ce n'est point une plaisanterie, dit Salvato en tirant le coffret hors de terre: la cassette est vide.

Et il se sentit frissonner malgré lui. Il connaissait trop Mejean pour ignorer qu'il ne lui ferait point de grâce, et, d'ailleurs, il ne voulait point lui en demander.

–Il est bizarre, dit Mejean, qu'on ait pris l'argent et laissé la cassette. Secouez-la donc; peut-être entendrons-nous sonner quelque chose.

–Inutile! je sens bien, au poids, qu'elle est vide. D'ailleurs, entrons dans le columbarium, nous l'ouvrirons.

–Vous en avez la clef?

–Elle s'ouvre par un secret.

On entra dans le columbarium; Mejean tira de sa poche une petite lanterne sourde, battit le briquet et alluma.

Salvato poussa le ressort de la cassette: elle s'ouvrit.

Elle était vide, en effet; mais, à la place de l'or, elle contenait un billet.

Salvato et Mejean s'écrièrent en même temps:

–Un billet!

–Je comprends, dit Salvato.

–Bon! l'or est-il retrouvé? demanda vivement le colonel.

–Non; mais il n'est pas perdu, répliqua le jeune homme.

Et, ouvrant le billet, à la lueur de la lanterne sourde, il lut:

«Suivant tes instructions, je suis venu, dans la nuit du 27 au 28, chercher l'or qui était dans cette cassette, que je remets à cette même place, avec le présent billet.

» Frère JOSEPH.»

–Dans la nuit du 27 au 28! s'écria Mejean.

–Oui; de sorte que, si nous étions venus la nuit dernière, au lieu de celle-ci, nous fussions arrivés à temps.

–N'allez-vous pas dire que c'est ma faute? demanda vivement Mejean.

–Non; car le mal, au bout du compte, n'est pas si grand que vous le croyez, et peut-être même n'y a-t-il pas de mal du tout.

–Vous connaissez ce frère Joseph?

–Oui.

–Vous êtes sûr de lui?

–Un peu plus que de moi-même.

–Et vous savez où le trouver?

–Je ne le chercherai même pas.

–Comment ferons nous, alors?

–Mais nous laisserons les conventions dans les mêmes termes.

–Et les vingt mille francs?

–Nous les prendrons ailleurs qu'où nous avons cru les trouver: voilà tout.

–Quand?

–Demain.

–Vous êtes sûr?

–Je l'espère.

–Et si vous vous trompiez?

–Alors, je vous dirais, comme les sectateurs du Prophète: «Dieu est grand!»

Mejean passa la main sur son front humide de sueur.

Salvato vit l'angoisse du colonel, lui dont la sérénité avait à peine été troublée un instant.

–Et maintenant, dit-il, il nous faut remettre cette cassette à sa place et retourner au château.

–Les mains vides? fit piteusement le colonel – Je n'y retourne pas les mains vides, puisque j'y retourne avec ce billet.

–Quelle somme y avait-il dans le coffret? demanda Mejean.

–Cent vingt-cinq mille francs, répondit Salvato en remettant le coffret à sa place et en ramenant dessus la terre avec ses pieds.

–Si bien qu'à votre avis, ce billet vaut cent vingt-cinq mille francs?

–Il vaut ce que vaut pour un fils la certitude d'être aimé de son père… Mais rentrons au château comme je le disais, mon cher colonel, et, demain, à dix heures, venez me trouver.

–Pour quoi faire?

–Pour recevoir de Luisa une lettre de change de vingt mille francs, à vue sur la première maison de banque de Naples.

–Vous croyez qu'il y a, dans ce moment-ci, à Naples, une maison de banque qui payera à vue un billet de vingt mille francs?

–J'en suis sûr.

–Eh bien, moi, j'en doute. Les banquiers ne sont pas si bêtes que de payer en temps de révolution.

–Vous verrez que ceux-là seront assez bêtes pour payer même en temps de révolution, et ceux-là pour deux raisons: la première, parce que c'étaient d'honnêtes gens…

–Et la seconde?

–Parce qu'ils sont morts.

–Ah! ah! c'est sur les Backer, alors?

–Justement.

–En ce cas, c'est autre chose.

–Vous avez confiance?

–Oui.

–C'est bien heureux!

Mejean éteignit sa lanterne. Il avait trouvé un banquier qui, en temps de révolution, payait à vue une lettre de change: c'était plus que Diogène ne demandait à Athènes.

Salvato pressa de ses pieds la terre qui recouvrait le coffret. En cas de retour de son père, l'absence du billet devait lui dire que Salvato était venu.

Tous deux reprirent le même chemin qu'ils avaient déjà suivi et rentrèrent au château Saint-Elme aux premiers rayons du jour. Les nuits, au mois de juin, sont, on le sait, les plus courtes de l'année.

Luisa attendait debout et tout habillée le retour de Salvato: son inquiétude ne lui avait point permis de se coucher.

Salvato lui raconta tout ce qui s'était passé.

Luisa prit un papier et écrivit dessus un ordre à la maison Backer de payer, à son débit et à vue, une somme de vingt mille francs.

Puis, tendant le papier à Salvato:

–Tenez, mon ami, dit-elle, portez cela au colonel; le pauvre homme dormira mieux avec cette lettre de change sous son oreiller. Je sais bien, ajouta-t-elle en riant, qu'à défaut des vingt mille francs, il lui reste notre tête; mais je doute que toutes les deux ensemble, une fois coupées, il les estimât vingt mille francs.

L'espérance de Luisa fut trompée, comme l'avait été celle de Salvato. Le juge Speciale était arrivé la veille de Procida, où il avait fait pendre trente-sept personnes, et il avait mis, au nom du roi, le séquestre sur la maison Backer.

Depuis la veille, les payements avaient cessé.

LXXXVI
LA BIENVENUE DE SA MAJESTÉ

Dès le 25 juin, avant qu'il eût appris de la bouche même de Ruffo que celui-ci se séparait de la coalition, Nelson avait envoyé au colonel Mejean l'intimation suivante:

«Monsieur, Son Éminence le cardinal Ruffo et le commandant en chef de l'armée russe vous ont fait sommation de vous rendre: je vous préviens que, si le terme qui vous à été accordé est outrepassé de deux heures, vous devrez en subir les conséquences, et que je n'accorderai plus rien de ce qui vous a été offert.

»NELSON.»

Pendant les jours qui suivirent cette sommation, c'est-à-dire du 26 au 29, Nelson fut occupé à faire arrêter les patriotes, à marchander la trahison du fermier et à faire pendre Caracciolo; mais cette oeuvre de honte terminée, il put s'occuper de l'arrestation des patriotes qui n'étaient point encore entre ses mains et du siége du château Saint-Elme.

En conséquence, il fit descendre à terre Troubridge avec treize cents Anglais, tandis que le capitaine Baillie se joignait à lui avec cinq cents Russes.

Pendant les six premiers jours, Troubridge fut secondé par son ami le capitaine Ball; mais, celui-ci ayant été envoyé à Malte, il fut remplacé par le capitaine Benjamin Hollowel, celui-là même qui avait fait cadeau à Nelson d'un cercueil taillé dans le grand mât du vaisseau français l'Orient.

Quoi qu'en aient dit les historiens italiens, une fois acculé au pied de ses murailles, Mejean, qui, par ses négociations, avait compromis l'honneur national, voulut sauver l'honneur français.

Il se défendit courageusement, et le rapport à lord Keith, de Nelson, qui se connaissait en courage, rapport qui commence par ces mots: «Pendant un combat acharné de huit jours, dans lequel notre artillerie s'est avancée à cent quatre-vingts yards des fossés…» en est un éclatant témoignage.

Pendant ces huit jours, le cardinal était resté les bras croisés sous sa tente.

Dans la nuit du 8 au 9 juillet, on signala deux bâtiments que l'on crut reconnaître, l'un pour anglais, l'autre pour napolitain, et qui, passant à l'ouest de la flotte anglaise, faisaient voile vers Procida.

Le matin du 9, en effet, on vit dans le port de cette île deux vaisseaux, dont l'un, le Sea-Horse, portait le pavillon anglais, et l'autre, la Sirène, portait non-seulement le pavillon napolitain, mais encore la bannière royale.

Le 9, au matin, le cardinal recevait du roi cette lettre, sans grande importance pour notre histoire, mais qui prouvera du moins que nous n'avons laissé passer aucun document sans l'avoir lu et utilisé.

«Procida, 9 juillet 1799.

»Mon éminentissime,

»Je vous envoie une foule d'exemplaires d'une lettre que j'ai écrite pour mes peuples. Faites-la-leur connaître immédiatement, et rendez-moi compte de l'exécution de mes ordres par Simonetti, avec lequel j'ai longuement causé ce matin. Vous comprendrez ma détermination à l'égard des employés du barreau.

»Que Dieu vous garde comme je le désire.

»Votre affectionné,

»FERDINAND B.»

Le roi était attendu de jour en jour. Le 2 juillet, il avait reçu les lettres de Nelson et de Hamilton qui lui annonçaient la mort de Caracciolo et qui le pressaient de venir.

Le même jour, il écrivait au cardinal, dont il n'avait point encore reçu la démission:

«Palerme, 2 juillet 1799.

»Mon éminentissime,

»Les lettres que je reçois aujourd'hui, et celle surtout que j'ai reçue dans la soirée du 20, m'ont vraiment consolé en me montrant que les choses prennent un bon pli, celui que je désirais, que je m'étais fixé d'avance pour faire marcher d'accord les affaires terrestres avec l'aide divine et vous mettre en état de me mieux servir.

»Demain, selon l'invitation faite par l'amiral Nelson et par vous, et surtout pour faire honneur à ma parole, je partirai avec un convoi de troupes pour me rendre à Procida, où je vous reverrai, vous communiquerai mes ordres et prendrai toutes les dispositions nécessaires pour le bien, la sécurité et la félicité de tous les sujets qui sont restés fidèles.

»Je vous en préviens d'avance, en vous assurant que vous retrouverez en moi,

»Votre toujours affectionné,

»FERDINAND B.»

Et, en effet, le lendemain, 3 juillet, le roi s'embarquait, non point sur le Sea-Horse, comme l'y avait invité Nelson, mais sur la frégate la Sirène. Il craignait, en donnant, au retour, le même signe de préférence aux Anglais qu'il leur avait donné en allant, – il craignait, disons-nous, de porter à son comble la désaffection de la marine napolitaine, déjà grande par suite de la condamnation et de la mort de Caracciolo.

Nous avons dit qu'aussitôt arrivé, le roi avait écrit au cardinal; mais on peut voir, malgré la protestation d'amitié qui termine la lettre, ou plutôt par cette même protestation d'amitié, qu'il y a un refroidissement visible entre ces deux illustres personnages.

Ferdinand avait amené avec lui Acton et Castelcicala. La reine avait voulu rester à Palerme: elle savait combien elle était impopulaire à Naples et avait craint que sa présence ne nuisît au triomphe du roi.

Toute la journée du 9, le roi resta à Procida, écoutant le rapport de Speciale, et, malgré son dégoût pour le travail, dressant lui-même la liste des membres de la nouvelle junte d'État qu'il devait instituer, et celle des coupables qu'elle allait avoir à juger.

Il n'y a point à douter de la peine que daigna prendre, en cette circonstance, le roi Ferdinand, – cette double liste, que nous avons eu entre les mains et que nous avons renvoyée des archives de Naples à celles de Turin, étant tout entière écrite de la main de Sa Majesté.

Mettons d'abord sous les yeux de nos lecteurs la liste des bourreaux: à tout seigneur tout honneur!

Puis nous y mettrons celle des victimes.

Cette junte d'État nommée par le roi se composait ainsi:

Le président: Felice Ramani;

Le procureur fiscal: Guidobaldi;

Juges: les conseillers Antonio della Rocca, don Angelo di Fiore, don Gaetano Sambuti, don Vicenzo Speciale.

Juges de vicairie: don Salvatore di Giovanni.

Procureur des accusés: don Alessandro Nara.

Défenseurs des accusés: les conseillers Vanvitelli et Mulès.

Les deux derniers, comme on le comprend bien, n'étaient qu'une fiction de légalité.

Cette junte d'État fut chargée de juger, c'est-à-dire de condamner extraordinairement et sans appel,

A MORT:

Tous ceux qui avaient enlevé, des mains du gouverneur Ricciardo Brandi, le château Saint-Elme, – Nicolino Caracciolo en tête, bien entendu;

(Par bonheur, Nicolino Caracciolo, qui avait reçu mission de Salvato de sauver l'amiral Caracciolo, étant arrivé à la ferme le jour même de son arrestation, et ayant appris la trahison du fermier, n'avait point perdu un instant, s'était jeté dans la campagne et était venu se mettre sous la protection du commandant français de Capoue, le colonel Giraldon.)

Tous ceux qui avaient aidé les Français à entrer à Naples;

Tous ceux qui avaient pris les armes contre les lazzaroni;

Tous ceux qui, après l'armistice, avaient conservé des relations avec les Français;

Tous les magistrats de la République;

Tous les représentants du gouvernement;

Tous les représentants du peuple;

Tous les ministres;

Tous les généraux;

Tous les juges de la haute commission militaire;

Tous les juges du tribunal révolutionnaire;

Tous ceux qui avaient combattu contre les armées du roi;

Tous ceux qui avaient renversé la statue de Charles III;

Tous ceux qui, à la place de cette statue, avaient planté l'arbre de la liberté;

Tous ceux qui, sur la place du Palais, avaient coopéré ou même simplement assisté à la destruction des emblèmes de la royauté et des bannières bourboniennes ou anglaises;

Enfin, tous ceux qui, dans leurs écrits ou dans leurs discours, s'étaient servis de termes offensants pour la personne du roi, de la reine, ou des membres de la famille royale.

C'étaient à peu près quarante mille citoyens menacés de mort par une seule et même ordonnance.

Les dispositions plus douces, c'est-à-dire celles qui n'emportaient que la condamnation à l'exil, menaçaient à peu près soixante mille personnes.

C'était plus du quart de la population de Naples.

Cette occupation, que le roi regardait comme pressée avant toutes, lui prit toute la journée du 9.

Le 10 au matin, la frégate la Sirène quitta le port de Procida et fit voile vers le Foudroyant.

A peine le roi eut-il mis le pied sur le pont, que le Foudroyant, au coup de sifflet du contre-maître, se pavoisa comme pour une fête, et que l'on entendit les premières détonations d'une salve de trente et un coups de canon.

Le bruit s'était déjà répandu que le roi était à Procida; la canonnade partie des flancs du Foudroyant apprit au peuple qu'il était à bord du vaisseau amiral.

Aussitôt, une foule immense accourut sur la plage de Chiaïa, de Santa-Lucia et de Marinella. Une multitude de barques, ornées de bannières de toutes couleurs, sortirent du port, ou plutôt se détachèrent de la rive et voguèrent vers l'escadre anglaise pour saluer le roi et lui souhaiter la bienvenue. En ce moment, et pendant que le roi était sur le pont, regardant, avec une longue-vue, le château Saint-Elme, contre lequel, en l'honneur de son arrivée, sans doute, le canon anglais faisait rage, un boulet anglais coupa, par hasard, la hampe du drapeau français arboré sur la forteresse, comme si les assiégeants eussent calculé ce moment pour donner au roi ce spectacle, qu'il regarda comme un heureux présage.

Et, en effet, au lieu que ce fût la bannière tricolore qui reparût, ce fut la bannière blanche, c'est-à-dire le drapeau parlementaire.

L'apparition inattendue de ce symbole de paix, qui semblait ménagée pour l'arrivée du roi, produisit un effet magique sur tous les assistants, qui éclatèrent en hourras et en applaudissements, tandis que les canons du château de l'Oeuf, du Château-Neuf et du château del Carmine répondaient joyeusement aux salves parties des flancs du vaisseau amiral anglais.

Et, à propos de la chute de cette bannière, qu'on nous permette d'emprunter quelques lignes à Dominique Sacchinelli, l'historien du cardinal: elles sont assez curieuses pour trouver place ici, n'interrompant d'ailleurs aucunement notre récit.

«Consacrons, dit-il, un paragraphe aux singuliers accidents du hasard, qui eurent lieu pendant cette révolution.

»Le 23 janvier, un boulet lancé par les jacobins de Saint-Elme, coupa la lance de la bannière royale qui flottait sur le Château-Neuf, et sa chute détermina l'entrée des troupes françaises à Naples.

»Le 22 mars, un obus fait tomber du château de Cotrone la bannière républicaine, et cet accident, considéré comme un miracle, amène la révolte de la garnison contre les patriotes et facilite aux royalistes l'occupation du château.

»Enfin, le 10 juillet, la chute de la bannière française, déployée au-dessus du château Saint-Elme, amène la capitulation de ce fort.

»Et, ajoute l'historien, celui qui voudrait confronter les dates verrait que tous ces accidents, de même que les plus importants qui eurent lieu pendant l'entreprise du cardinal Ruffo, eurent lieu des vendredis.»

Détournons les yeux du château Saint-Elme, où nous aurons plus d'une fois encore l'occasion de les reporter, pour suivre du regard une barque qui se détache du rivage un peu au-dessus du pont de la Madeleine, et s'avance, sans pavillon, silencieuse et sévère, au milieu de toutes ces barques bruyantes et pavoisées.

Elle porte le cardinal Ruffo, qui, en échange de l'hommage qu'il va faire au roi de son royaume reconquis, vient lui demander, pour toute grâce, de maintenir les traités qu'il a signés en son nom, et de ne pas faire à son honneur royal la souillure d'un manque de parole.

Voilà encore une de ces occasions où le romancier est forcé de céder la plume à l'historien, et des faits où l'imagination n'a pas le droit d'ajouter un mot au texte implacable de l'annaliste.

Et que le lecteur veuille bien se rappeler que les lignes que nous allons mettre sous ses yeux sont tirées d'un livre publié par Dominique Sacchinelli en 1836, c'est-à-dire en plein règne de Ferdinand II, ce grand étouffeur de la presse, et publié avec permission de la censure.

Voici les propres paroles de l'honorable historien:

«Pendant que l'on traitait avec le commandant français de la reddition du fort Saint-Elme, le cardinal se rendit à bord du Foudroyant, pour informer de vive voix le roi Ferdinand de ce qui était arrivé avec les Anglais, à l'endroit de la capitulation du Château-Neuf et du château de l'Oeuf, et du scandale que produisait la violation de ces traités. Sa Majesté se montra d'abord disposée à observer et à suivre la capitulation; cependant, elle ne voulut rien décider sans avoir entendu Nelson et Hamilton.

»Tous deux furent appelés à donner leur avis.

»Hamilton soutint cette doctrine diplomatique, que les souverains ne traitaient pas avec leurs sujets rebelles, et déclara que le traité devait être nul et non avenu.

»Nelson ne chercha point de faux-fuyants. Il manifesta une haine profonde contre tout révolutionnaire à la mode française, disant qu'il fallait extirper jusqu'à la racine du mal pour empêcher de nouveaux malheurs, puisque, les républicains étant obstinés dans le péché et incapables de repentir, ils commettraient, aussitôt que s'en présenterait l'occasion, de pires et plus funestes excès, et qu'enfin l'exemple de leur impunité servirait d'aiguillon à tous les malintentionnés.

»Et, de même que Nelson avait rendu inefficaces les remontrances faites par le cardinal Ruffo au moment du traité, de même il réussit par ses intrigues à paralyser les mêmes intentions du roi et le désir de clémence qu'il avait un moment manifesté.»

Le roi décida donc, malgré les instances que le cardinal Ruffo poussa jusqu'à la supplication, Nelson et Hamilton, ces deux mauvais génies de son honneur, entendus, – que les capitulations du château de l'Oeuf et du Château-Neuf seraient tenues pour nulles et non avenues.

A peine cette décision fut-elle prise, que le cardinal, se voilant le visage d'un pan de sa robe de pourpre, descendit dans le bateau qui l'avait amené et rentra dans cette maison où les traités avaient été signés, en vouant cette monarchie qu'il venait de rétablir aux vengeances, tardives peut-être, mais certaines, de la justice divine.

Et, le même jour, les prisonniers détenus à bord du Foudroyant et des felouques qui devaient les conduire en France furent débarqués et conduits, enchaînés deux à deux, dans les prisons du château de l'Oeuf, du Château-Neuf, du château des Carmes et de la Vicairie. Et, comme ces prisons n'étaient pas suffisantes, – les lettres du roi elles-mêmes accusent huit mille captifs, – ceux qui ne purent tenir dans ces quatre châteaux furent conduits aux Granili, convertis en prisons supplémentaires.

Ce que voyant, les lazzaroni pensèrent qu'avec le roi Nasone, les jours des fêtes sanglantes étaient revenus, et, par conséquent, ils se remirent à piller, à brûler et à tuer avec plus d'entrain que jamais.

Selon l'habitude que nous avons prise, depuis le commencement de ce livre, de ne rien affirmer des horreurs commises à cette époque, de si haut ou de si bas qu'elles vinssent, sans appuyer notre dire de documents authentiques, nous emprunterons les lignes suivantes à l'auteur des Mémoires pour servir à l'histoire des révolutions de Naples:

«Les journées du 9 et du 10 furent signalées par les crimes et les infamies de toute espèce qui furent commis et desquels ma plume se refuse à tracer le tableau. Ayant allumé un grand feu en face du palais royal, les lazzaroni jetèrent dans les flammes sept malheureux arrêtés quelques jours auparavant, et poussèrent la cruauté jusqu'à manger les membres, tout saignants encore, de leurs victimes. L'infâme archiprêtre Rinaldi se glorifiait d'avoir pris part à cet immonde banquet,»

Outre l'archiprêtre Rinaldi, un homme se faisait remarquer à cette orgie d'anthropophages: de même que Satan préside au sabbat, lui présidait à cette horrible subversion de toutes les lois de l'humanité.

Cet homme était Gaetano Mammone.

Rinaldi mangeait les chairs à moitié cuites; Mammone buvait le sang à même les blessures. Le hideux vampire a laissé une telle impression de terreur dans l'esprit des Napolitains, qu'aujourd'hui encore, aujourd'hui qu'il est mort depuis plus de quarante-cinq ans, pas un habitant de Sora, c'est-à-dire du pays où il était né, n'a osé répondre à mes questions et me donner des renseignements sur lui. «Il buvait le sang comme un ivrogne boit du vin!» voilà ce que j'ai entendu dire par dix vieillards qui l'avaient connu, et c'est en réalité la seule réponse qui m'ait été faite par vingt personnes différentes qui l'avaient vu s'enivrer de cette odieuse boisson.

Mais un homme que l'on se fût attendu à voir prendre une part frénétique à la réaction, et qui, au grand étonnement de tous, au lieu d'y prendre part, paraissait, au contraire, la voir s'accomplir avec terreur, c'était fra Pacifico.

Depuis le meurtre de l'amiral François Caracciolo, pour lequel il avait un culte, fra Pacifico avait senti toutes ses convictions l'abandonner. Comment pendait-on comme traître et comme jacobin un homme qu'il avait vu servir son roi avec tant de fidélité et combattre avec tant de courage?

Puis un autre fait jetait encore un grand trouble dans son esprit, étroit mais loyal: comment, après avoir tant fait, – et fra Pacifico savait mieux que personne ce qu'il avait fait, – comment, après avoir tant fait, le cardinal était-il non-seulement sans puissance, mais à peu près disgracié? et comment était-ce Nelson, un Anglais, – qu'en sa qualité de bon chrétien, il détestait presque autant comme hérétique, qu'en sa qualité de bon royaliste il détestait les jacobins, – comment était-ce Nelson qui avait maintenant tout pouvoir, qui jugeait, qui condamnait, qui pendait?

On avouera qu'il y avait dans ces deux faits de quoi jeter du doute même dans un cerveau plus fort que celui de fra Pacifico.

Aussi, comme nous l'avons dit, voyait-on le pauvre moine en simple spectateur aux exploits de Rinaldi, de Mammone et des lazzaroni qui suivaient leur exemple. Quand la férocité de ces hordes de cannibales devenait trop grande, on le voyait même détourner la tête et s'éloigner, sans frapper comme d'habitude le pauvre Giacobino de son bâton; et, si c'était à pied qu'il vaguait ainsi par les rues, préoccupé d'une idée secrète, cette fameuse tige de laurier, autrefois massue, était devenue un bourdon de pèlerin, sur lequel, comme s'il était fatigué d'un long voyage, il appuyait, dans des haltes fréquentes et pensives, ses deux mains et son visage.

Quelques personnes, qui avaient remarqué ce changement et que ce changement préoccupait, prétendaient même avoir vu fra Pacifico entrer dans des églises, s'y agenouiller et prier.

Un capucin priant! Ceux à qui l'on racontait cela ne voulaient pas le croire.