Kitabı oku: «La tulipe noire», sayfa 2
– Vite, alors! s'écria Jean, puisqu'il en est temps encore, faisons-lui passer l'ordre de brûler la liasse.
– Par qui faire passer cet ordre?
– Par mon serviteur Craeke, qui devait nous accompagner à cheval et qui est entré avec moi dans la prison pour vous aider à descendre l'escalier.
– Réfléchissez avant de brûler ces titres glorieux, Jean.
– Je réfléchis qu'avant tout, mon brave Corneille, il faut que les frères de Witt sauvent leur vie pour sauver leur renommée. Nous morts, qui nous défendra, Corneille? Qui nous aura seulement compris?
– Vous croyez donc qu'ils nous tueraient s'ils trouvaient ces papiers?
Jean, sans répondre à son frère, étendit la main vers le Buitenhof, d'où s'élançaient en ce moment des bouffées de clameurs féroces.
– Oui, oui, dit Corneille, j'entends bien ces clameurs; mais ces clameurs, que disent-elles?
Jean ouvrit la fenêtre.
– Mort aux traîtres! hurlait la populace.
– Entendez-vous maintenant, Corneille?
– Et les traîtres, c'est nous! dit le prisonnier en levant les yeux au ciel et en haussant les épaules.
– C'est nous, répéta Jean de Witt.
– Où est Craeke?
– À la porte de votre chambre, je présume.
– Faites-le entrer, alors.
Jean ouvrit la porte; le fidèle serviteur attendait en effet sur le seuil.
– Venez, Craeke, et retenez bien ce que mon frère va vous dire.
– Oh non, il ne suffit pas de dire, Jean, il faut que j'écrive, malheureusement.
– Et pourquoi cela?
– Parce que van Baërle ne rendra pas ce dépôt ou ne le brûlera pas sans un ordre précis.
– Mais pourrez-vous écrire, mon cher ami? demanda Jean, à l'aspect de ces pauvres mains toutes brûlées et toutes meurtries.
– Oh! si j'avais plume et encre, vous verriez! dit Corneille.
– Voici un crayon, au moins.
– Avez-vous du papier, car on ne m'a rien laissé ici?
– Cette Bible. Déchirez-en la première feuille.
– Bien.
– Mais votre écriture sera illisible?
– Allons donc! dit Corneille en regardant son frère. Ces doigts qui ont résisté aux mèches du bourreau, cette volonté qui a dompté la douleur, vont s'unir d'un commun effort, et, soyez tranquille, mon frère, la ligne sera tracée sans un seul tremblement.
Et en effet, Corneille prit le crayon et écrivit.
Alors, on put voir sous le linge blanc transparaître les gouttes de sang que la pression des doigts sur le crayon chassait des chairs ouvertes. La sueur ruisselait des tempes du grand pensionnaire. Corneille écrivit:
«Cher filleul,
«Brûle le dépôt que je t'ai confié, brûle-le sans le regarder, sans l'ouvrir, afin qu'il te demeure inconnu à toi-même. Les secrets du genre de celui qu'il contient tuent les dépositaires. Brûle, et tu auras sauvé Jean et Corneille.
«Adieu et aime-moi.
«Corneille de Witt.»
«20 août 1672.
Jean, les larmes aux yeux, essuya une goutte de ce noble sang qui avait taché la feuille, la remit à Craeke avec une dernière recommandation et revint à Corneille, que la souffrance venait de pâlir encore, et qui semblait près de s'évanouir.
– Maintenant, dit-il, quand ce brave Craeke aura fait entendre son ancien sifflet de contremaître, c'est qu'il sera hors des groupes, de l'autre côté du vivier… Alors nous partirons à notre tour.
Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées, qu'un long et vigoureux coup de sifflet perça de son roulement marin les dômes de feuillage noir des ormes et domina les clameurs du Buitenhof.
Jean leva les bras au ciel pour le remercier.
– Et maintenant, dit-il, partons, Corneille.
III
L'ÉLÈVE DE JEAN DE WITT
Tandis que les hurlements de la foule assemblée sur le Buitenhof, montant toujours plus effrayants vers les deux frères, déterminaient Jean de Witt à presser le départ de son frère Corneille, une députation de bourgeois était allée, comme nous l'avons dit, à la maison de ville, pour demander l'expulsion du corps de cavalerie de Tilly.
Il n'y avait pas loin du Buitenhof au Hoogstraat; aussi vit-on un étranger, qui depuis le moment où cette scène avait commencé en suivait les détails avec curiosité, se diriger avec les autres, ou plutôt à la suite des autres, vers la maison de ville, pour apprendre plus tôt la nouvelle de ce qui allait s'y passer.
Cet étranger était un homme très jeune, âgé de vingt-deux ou vingt-trois ans à peine, sans vigueur apparente. Il cachait – car sans doute il avait des raisons pour ne pas être reconnu – sa figure pâle et longue sous un fin mouchoir de toile de Frise, avec lequel il ne cessait d'essuyer son front mouillé de sueur ou ses lèvres brûlantes.
L'œil fixe comme celui de l'oiseau de proie, le nez aquilin et long, la bouche fine et droite, ouverte ou plutôt fendue comme les lèvres d'une blessure, cet homme eût offert à Lavater, si Lavater eût vécu à cette époque, un sujet d'études physiologiques qui d'abord n'eussent pas tourné à son avantage.
Entre la figure du conquérant et celle du pirate, disaient les anciens, quelle différence trouvera-t-on? Celle que l'on trouve entre l'aigle et le vautour.
La sérénité ou l'inquiétude.
Aussi cette physionomie livide, ce corps grêle et souffreteux, cette démarche inquiète qui s'en allaient du Buitenhof au Hoogstraat à la suite de tout ce peuple hurlant, c'était le type et l'image d'un maître soupçonneux ou d'un voleur inquiet; et un homme de police eût certes opté pour ce dernier renseignement, à cause du soin que celui dont nous nous occupons en ce moment prenait de se cacher.
D'ailleurs, il était vêtu simplement et sans armes apparentes; son bras maigre mais nerveux, sa main sèche mais blanche, fine, aristocratique, s'appuyait non pas au bras, mais sur l'épaule d'un officier qui, le poing à l'épée, avait, jusqu'au moment où son compagnon s'était mis en route et l'avait entraîné avec lui, regardé toutes les scènes du Buitenhof avec un intérêt facile à comprendre.
Arrivé sur la place de Hoogstraat, l'homme au visage pâle poussa l'autre sous l'abri d'un contrevent ouvert et fixa les yeux sur le balcon de l'Hôtel de Ville.
Aux cris forcenés du peuple, la fenêtre du Hoogstraat s'ouvrit et un homme s'avança pour dialoguer avec la foule.
– Qui paraît là au balcon? demanda le jeune homme à l'officier en lui montrant de l'œil seulement le harangueur, qui paraissait fort ému et qui se soutenait à la balustrade plutôt qu'il ne se penchait sur elle.
– C'est le député Bowelt, répliqua l'officier.
– Quel homme est ce député Bowelt? Le connaissez-vous?
– Mais un brave homme, à ce que je crois du moins, monseigneur.
Le jeune homme, en entendant cette appréciation du caractère de Bowelt faite par l'officier, laissa échapper un mouvement de désappointement si étrange, de mécontentement si visible, que l'officier le remarqua et se hâta d'ajouter:
– On le dit, du moins, monseigneur. Quant à moi, je ne puis rien affirmer, ne connaissant pas personnellement M. Bowelt.
– Brave homme, répéta celui qu'on avait appelé monseigneur; est-ce brave homme que vous voulez dire ou homme brave?
– Ah! monseigneur m'excusera; je n'oserais établir cette distinction vis-à-vis d'un homme que, je le répète à Son Altesse, je ne connais que de visage.
– Au fait, murmura le jeune homme, attendons, et nous allons bien voir.
L'officier inclina la tête en signe d'assentiment et se tut.
– Si ce Bowelt est un brave homme, continua l'altesse, il va drôlement recevoir la demande que ces furieux viennent lui faire.
Et le mouvement nerveux de sa main qui s'agitait malgré lui sur l'épaule de son compagnon, comme eussent fait les doigts d'un instrumentiste sur les touches d'un clavier, trahissait son ardente impatience si mal déguisée en certains moments, et dans ce moment surtout, sous l'air glacial et sombre de la figure.
On entendit alors le chef de la députation bourgeoise interpeller le député pour lui faire dire où se trouvaient les autres députés ses collègues.
– Messieurs, répéta pour la seconde fois M. Bowelt, je vous dis que dans ce moment je suis seul avec M. d'Asperen, et je ne puis prendre une décision à moi seul.
– L'ordre! l'ordre! crièrent plusieurs milliers de voix.
M. Bowelt voulut parler, mais on n'entendit pas ses paroles et l'on vit seulement ses bras s'agiter en gestes multiples et désespérés.
Mais voyant qu'il ne pouvait se faire entendre, il se retourna vers la fenêtre ouverte et appela M. d'Asperen.
M. d'Asperen parut à son tour au balcon, où il fut salué de cris plus énergiques encore que ceux qui avaient, dix minutes auparavant, accueilli M. Bowelt.
Il n'entreprit pas moins cette tâche difficile de haranguer la multitude; mais la multitude préféra forcer la garde des États, qui d'ailleurs n'opposa aucune résistance au peuple souverain, à écouter la harangue de M. d'Asperen.
– Allons, dit froidement le jeune homme pendant que le peuple s'engouffrait par la porte principale du Hoogstraat, il paraît que la délibération aura lieu à l'intérieur, colonel. Allons entendre la délibération.
– Ah! monseigneur, monseigneur, prenez garde!
– À quoi?
– Parmi ces députés, il y en a beaucoup qui ont été en relation avec vous, et il suffit qu'un seul reconnaisse Votre Altesse.
– Oui, pour qu'on m'accuse d'être l'instigateur de tout ceci. Tu as raison, dit le jeune homme, dont les joues rougirent un instant du regret qu'il avait d'avoir montré tant de précipitation dans ses désirs; oui, tu as raison, restons ici. D'ici, nous les verrons revenir avec ou sans l'autorisation, et nous jugerons de la sorte si M. Bowelt est un brave homme ou un homme brave, ce que je tiens à savoir.
– Mais, fit l'officier en regardant avec étonnement celui à qui il donnait le titre de monseigneur; mais Votre Altesse ne suppose pas un seul instant, je présume, que les députés ordonnent aux cavaliers de Tilly de s'éloigner, n'est-ce pas?
– Pourquoi? demanda froidement le jeune homme.
– Parce que s'ils ordonnaient cela, ce serait tout simplement signer la condamnation à mort de MM. Corneille et Jean de Witt.
– Nous allons voir, répondit froidement l'Altesse; Dieu seul peut savoir ce qui se passe au cœur des hommes. L'officier regarda à la dérobée la figure impassible de son compagnon, et pâlit. C'était à la fois un brave homme et un homme brave que cet officier.
De l'endroit où ils étaient restés, l'Altesse et son compagnon entendaient les rumeurs et les piétinements du peuple dans les escaliers de l'Hôtel de Ville.
Puis on entendit ce bruit sortir et se répandre sur la place, par les fenêtres ouvertes de cette salle au balcon de laquelle avaient paru MM. Bowelt et d'Asperen, lesquels étaient rentrés à l'intérieur, dans la crainte, sans doute, qu'en les poussant, le peuple ne les fit sauter par-dessus la balustrade.
Puis on vit des ombres tournoyantes et tumultueuses passer devant ces fenêtres.
La salle des délibérations s'emplissait.
Soudain le bruit s'arrêta; puis, soudain encore, il redoubla d'intensité et atteignit un tel degré d'explosion que le vieil édifice en trembla jusqu'au faîte.
Puis enfin le torrent se reprit à rouler par les galeries et les escaliers jusqu'à la porte, sous la voûte de laquelle on le vit déboucher comme une trombe.
En tête du premier groupe volait, plutôt qu'il ne courait, un homme hideusement défiguré par la joie.
C'était le chirurgien Tyckelaer.
– Nous l'avons! nous l'avons! cria-t-il en agitant un papier en l'air.
– Ils ont l'ordre! murmura l'officier stupéfait.
– Eh bien! me voilà fixé, dit tranquillement l'Altesse. Vous ne saviez pas, mon cher colonel, si M. Bowelt était un brave homme ou un homme brave. Ce n'est ni l'un ni l'autre.
Puis continuant à suivre de l'œil, sans sourciller, toute cette foule qui roulait devant lui.
– Maintenant, dit-il, venez au Buitenhof, colonel; je crois que nous allons voir un spectacle étrange.
L'officier s'inclina et suivit son maître sans répondre.
La foule était immense sur la place et aux abords de la prison. Mais les cavaliers de Tilly la contenaient toujours avec le même bonheur et surtout avec la même fermeté.
Bientôt, le comte entendit la rumeur croissante que faisait en s'approchant ce flux d'hommes, dont il aperçut bientôt les premières vagues roulant avec la rapidité d'une cataracte qui se précipite.
En même temps, il aperçut le papier qui flottait en l'air, au-dessus des mains crispées et des armes étincelantes.
– Eh! fit-il en se levant sur ses étriers et en touchant son lieutenant du pommeau de son épée, je crois que les misérables ont leur ordre.
– Lâches coquins! cria le lieutenant.
C'était en effet l'ordre, que la compagnie des bourgeois reçut avec des rugissements joyeux. Elle s'ébranla aussitôt et marcha les armes basses et en poussant de grands cris à l'encontre des cavaliers du comte de Tilly.
Mais le comte n'était pas homme à les laisser approcher plus que de mesure.
– Halte! cria-t-il, halte! et que l'on dégage le poitrail de mes chevaux, ou je commande: En avant!
– Voici l'ordre! répondirent cent voix insolentes.
Il le prit avec stupeur, jeta dessus un regard rapide, et tout haut:
– Ceux qui ont signé cet ordre, dit-il, sont les véritables bourreaux de M. Corneille de Witt. Quant à moi, je ne voudrais pas pour mes deux mains avoir écrit une seule lettre de cet ordre infâme.
En repoussant du pommeau de son épée l'homme qui voulait le lui reprendre:
– Un moment, dit-il. Un écrit comme celui-là est d'importance et se garde.
Il plia le papier et le mit avec soin dans la poche de son justaucorps. Puis se retournant vers sa troupe: – Cavaliers de Tilly, cria-t-il, file à droite!
Puis à demi-voix, et cependant de façon à ce que ses paroles ne fussent pas perdues pour tout le monde: – Et maintenant, égorgeurs, dit-il, faites votre œuvre.
Un cri furieux, composé de toutes les haines avides et de toutes les joies féroces qui râlaient sur le Buitenhof, accueillit ce départ.
Les cavaliers défilaient lentement.
Le comte resta derrière, faisant face jusqu'au dernier moment à la populace ivre qui gagnait au fur et à mesure le terrain que perdait le cheval du capitaine.
Comme on voit, Jean de Witt ne s'était pas exagéré le danger quand, aidant son frère à se lever, il le pressait de partir.
Corneille descendit donc, appuyé au bras de l'ex-grand pensionnaire, l'escalier qui conduisait dans la cour. Au bas de l'escalier, il trouva la belle Rosa toute tremblante.
– Oh! M. Jean, dit celle-ci, quel malheur!
– Qu'y a-t-il donc, mon enfant? demanda de Witt.
– Il y a que l'on dit qu'ils sont allés chercher au Hoogstraat l'ordre qui doit éloigner les cavaliers du comte de Tilly.
– Oh! oh! fit Jean. En effet, ma fille, si les cavaliers s'en vont, la position est mauvaise pour nous.
– Aussi, si j'avais un conseil à vous donner… dit la jeune fille toute tremblante.
– Donne, mon enfant. Qu'y aurait-il d'étonnant que Dieu me parlât par ta bouche?
– Eh bien! monsieur Jean, je ne sortirais point par la grande rue.
– Et pourquoi cela, puisque les cavaliers de Tilly sont toujours à leur poste?
– Oui, mais tant qu'il ne sera pas révoqué, cet ordre est de rester devant la prison.
– Sans doute.
– En avez-vous un pour qu'ils vous accompagnent jusque hors la ville?
– Non.
– Eh bien! du moment où vous allez avoir dépassé les premiers cavaliers, vous tomberez aux mains du peuple.
– Mais la garde bourgeoise?
– Oh! la garde bourgeoise, c'est la plus enragée.
– Que faire, alors?
– À votre place, monsieur Jean, continua timidement la jeune fille, je sortirais par la poterne. L'ouverture donne sur une rue déserte, car tout le monde est dans la grande rue, attendant à l'entrée principale, et je gagnerais celle des portes de la ville par laquelle vous voulez sortir.
– Mais mon frère ne pourra marcher, dit Jean.
– J'essaierai, répondit Corneille avec une expression de fermeté sublime.
– Mais n'avez-vous pas votre voiture? demande la jeune fille.
– La voiture est là, au seuil de la grande porte.
– Non, répondit la jeune fille. J'ai pensé que votre cocher était un homme dévoué, et je lui ai dit d'aller vous attendre à la poterne.
Les deux frères se regardèrent avec attendrissement, et leur double regard, lui apportant toute l'expression de leur reconnaissance, se concentra sur la jeune fille.
– Maintenant, dit le grand pensionnaire, reste à savoir si Gryphus voudra bien nous ouvrir cette porte.
– Oh! non, dit Rosa, il ne voudra pas.
– Eh bien! alors?
– Alors, j'ai prévu son refus et, tout à l'heure, tandis qu'il causait par la fenêtre de la geôle avec un pistolier, j'ai pris la clef au trousseau.
– Et tu l'as, cette clé?
– La voici, monsieur Jean.
– Mon enfant, dit Corneille, je n'ai rien à te donner en échange du service que tu me rends, excepté la Bible que tu trouveras dans ma chambre: c'est le dernier présent d'un honnête homme; j'espère qu'il te portera bonheur.
– Merci, monsieur Corneille, elle ne me quittera jamais, répondit la jeune fille. Puis à elle-même et en soupirant: – Quel malheur que je ne sache pas lire! dit-elle.
– Voici les clameurs qui redoublent, ma fille, dit Jean; je crois qu'il n'y a pas un instant à perdre.
– Venez donc, dit la belle Frisonne, et par un couloir intérieur, elle conduisit les deux frères au côté opposé de la prison.
Toujours guidés par Rosa, ils descendirent un escalier d'une douzaine de marches, traversèrent une petite cour aux remparts crénelés, et la porte cintrée s'étant ouverte, ils se retrouvèrent de l'autre côté de la prison dans la rue déserte, en face de la voiture qui les attendait, le marchepied abaissé.
– Eh! vite, vite, vite, mes maîtres, les entendez-vous? cria le cocher tout effaré.
Mais après avoir fait monter Corneille le premier, le grand pensionnaire se retourna vers la jeune fille.
– Adieu, mon enfant, dit-il; tout ce que nous pourrions te dire ne t'exprimerait que faiblement notre reconnaissance. Nous te recommandons à Dieu, qui se souviendra, j'espère que tu viens de sauver la vie de deux hommes.
Rosa prit la main que lui tendait le grand pensionnaire et la baisa respectueusement.
– Allez, dit-elle, allez, on dirait qu'ils enfoncent la porte.
Jean de Witt monta précipitamment, prit place près de son frère, et ferma le mantelet de la voiture en criant: – Au Tol-Hek!
Le Tol-Hek était la grille qui fermait la porte conduisant au petit port de Scheveningen, dans lequel un petit bâtiment attendait les deux frères.
La voiture partit au galop de deux vigoureux chevaux flamands et emporta les fugitifs.
Rosa les suivit jusqu'à ce qu'ils eussent tourné l'angle de la rue.
Alors elle rentra fermer la porte derrière elle et jeta la clef dans un puits.
Ce bruit qui avait fait pressentir à Rosa que le peuple enfonçait la porte, était en effet celui du peuple, qui, après avoir fait évacuer la place de la prison, se ruait contre cette porte.
Si solide qu'elle fût, et quoique le geôlier Gryphus – il faut lui rendre cette justice – se refusât obstinément d'ouvrir cette porte, on sentait qu'elle ne résisterait pas longtemps; et Gryphus, fort pâle, se demandait si mieux ne valait pas ouvrir que briser cette porte, lorsqu'il sentit qu'on le tirait doucement par l'habit.
Il se retourna et vit Rosa.
– Tu entends les enragés? dit-il.
– Je les entends si bien, mon père, qu'à votre place…
– Tu ouvrirais, n'est-ce pas?
– Non, je laisserais enfoncer la porte.
– Mais ils vont me tuer.
– Oui, s'ils vous voient.
– Comment veux-tu qu'ils ne me voient pas?
– Cachez-vous.
– Où cela?
– Dans le cachot secret.
– Mais toi, mon enfant?
– Moi, mon père, j'y descendrai avec vous. Nous fermerons la porte sur nous et, quand ils auront quitté la prison, eh bien! nous sortirons de notre cachette.
– Tu as pardieu raison, s'écria Gryphus; c'est étonnant, ajouta-t-il, ce qu'il y a de jugement dans cette petite tête.
Puis, comme la porte s'ébranlait à la grande joie de la populace:
– Venez, venez, mon père, dit Rosa en ouvrant une petite trappe.
– Mais cependant, nos prisonniers? fit Gryphus.
– Dieu veillera sur eux, mon père, dit la jeune fille; permettez-moi de veiller sur vous.
Gryphus suivit sa fille, et la trappe retomba sur leur tête, juste au moment où la porte brisée donnait passage à la populace.
Au reste, ce cachot où Rosa faisait descendre son père, et qu'on appelait le cachot secret, offrait aux deux personnages, que nous allons être forcés d'abandonner pour un instant, un sûr asile, n'étant connu que des autorités, qui parfois y enfermaient quelqu'un de ces grands coupables pour lesquels on craint quelque révolte ou quelque enlèvement.
Le peuple se rua dans la prison en criant:
– Mort aux traîtres! À la potence Corneille de Witt! À mort! à mort!