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Kitabı oku: «Le Chevalier de Maison-Rouge», sayfa 21

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XXXVII. Le citoyen Gracchus

Un instant le groupe des trois hommes resta immobile à l’orifice du souterrain, pendant que le guichetier plongeait dans l’ouverture sa lanterne, qui ne pouvait en éclairer les profondeurs.

L’architecte triomphant dominait ses trois compagnons de toute la hauteur de son génie.

– Eh bien? dit-il au bout d’un instant.

– Ma foi, oui! répondit Santerre, voilà bien le souterrain, c’est incontestable. Seulement, reste à savoir où il conduit.

– Oui, répéta Richard, reste à savoir cela.

– Eh bien, descends, citoyen Richard, et tu verras toi-même si j’ai dit la vérité.

– Il y a quelque chose de mieux à faire que d’entrer par là, dit le concierge. Nous allons retourner avec toi et le général à la Conciergerie. Là, tu lèveras la dalle du poêle, et nous verrons.

– Très bien! dit Santerre. Allons!

– Mais prends garde, reprit l’architecte, la dalle demeurée ouverte peut donner ici des idées à quelqu’un.

– Qui diable veux-tu qui vienne ici à cette heure? dit Santerre.

– D’ailleurs, reprit Richard, cette salle est déserte, et, en y laissant Gracchus, cela suffira. Reste ici, citoyen Gracchus, et nous viendrons te rejoindre par l’autre côté du souterrain.

– Soit, dit Gracchus.

– Es-tu armé? demanda Santerre.

– J’ai mon sabre et cette pince, citoyen général.

– À merveille! fais bonne garde. Dans dix minutes, nous sommes à toi.

Et tous trois, après avoir fermé la grille, s’en allèrent par la galerie des Merciers retrouver l’entrée particulière de la Conciergerie.

Le guichetier les avait regardés s’éloigner; il les avait suivis des yeux tant qu’il avait pu les voir; il les avait écoutés tant qu’il avait pu les entendre; puis, enfin, tout étant rentré dans la solitude, il posa sa lanterne à terre, s’assit les jambes pendantes dans les profondeurs du souterrain et se mit à rêver.

Les guichetiers rêvent aussi parfois; seulement, en général, on ne se donne pas la peine de chercher ce à quoi ils rêvent.

Tout à coup, et comme il était au plus profond de sa rêverie, il sentit une main s’appesantir sur son épaule. Il se retourna, vit une figure inconnue et voulut crier; mais à l’instant même un pistolet s’appuya glacé sur son front.

Sa voix s’arrêta dans sa gorge, ses bras retombèrent inertes, ses yeux prirent l’expression la plus suppliante qu’ils purent trouver.

– Pas un mot, dit le nouveau venu, ou tu es mort.

– Que voulez-vous, monsieur? balbutia le guichetier.

Même en 93, il y avait, comme on le voit, des moments où l’on ne se tutoyait pas et où l’on oubliait de s’appeler citoyen.

– Je veux, répondit le citoyen Théodore, que tu me laisses entrer là-dedans.

– Pourquoi faire?

– Que t’importe?

Le guichetier regarda avec le plus profond étonnement celui qui lui faisait cette demande.

Cependant, au fond de ce regard, son interlocuteur crut remarquer un éclair d’intelligence.

Il abaissa son arme.

– Refuserais-tu de faire ta fortune?

– Je ne sais pas; personne ne m’a jamais fait de proposition à ce sujet.

– Eh bien, je commencerai, moi.

– Vous m’offrez de faire ma fortune, à moi?

– Oui.

– Qu’entendez-vous par une fortune?

– Cinquante mille livres en or, par exemple: l’argent est rare, et cinquante mille livres en or aujourd’hui valent un million. Eh bien, je t’offre cinquante mille livres.

– Pour vous laisser entrer là-dedans?

– Oui; mais à la condition que tu y viendras avec moi et que tu m’aideras dans ce que j’y veux faire.

– Mais qu’y ferez-vous? Dans cinq minutes, ce souterrain sera rempli de soldats qui vous arrêteront.

Le citoyen Théodore fut frappé de la gravité de ces paroles.

– Peux-tu empêcher que ces soldats n’y descendent?

– Je n’ai aucun moyen; je n’en connais pas; j’en cherche inutilement.

Et l’on voyait que le guichetier réunissait toutes les perspicacités de son esprit pour trouver ce moyen, qui devait lui valoir cinquante mille livres.

– Mais demain, demanda le citoyen Théodore, pourrons-nous y entrer?

– Oui, sans doute; mais, d’ici à demain, on va poser dans ce souterrain une grille de fer qui prendra toute sa largeur, et, pour plus grande sûreté, il est convenu que cette grille sera pleine, solide, et n’aura point de porte.

– Alors il faut trouver autre chose, dit le citoyen Théodore.

– Oui, il faut trouver autre chose, dit le guichetier. Cherchons.

Comme on le voit par la façon collective dont s’exprimait le citoyen Gracchus, il y avait déjà alliance entre lui et le citoyen Théodore.

– Cela me regarde, dit Théodore. Que fais-tu à la Conciergerie?

– Je suis guichetier.

– C’est-à-dire?

– Que j’ouvre des portes et que j’en ferme.

– Tu y couches?

– Oui, monsieur.

– Tu y manges?

– Pas toujours. J’ai mes heures de récréation.

– Et alors?

– J’en profite.

– Pour quoi faire?

– Pour aller faire la cour à la maîtresse du cabaret du Puits-de-Noé, qui m’a promis de m’épouser quand je posséderais douze cents francs.

– Où est situé le cabaret du Puits-de-Noé?

– Près de la rue de la Vieille-Draperie.

– Fort bien.

– Chut, monsieur!

Le patriote prêta l’oreille.

– Ah! ah! dit-il.

– Entendez-vous?

– Oui… des pas, des pas.

– Ils reviennent. Vous voyez bien que nous n’aurions pas eu le temps.

Ce nous devenait de plus en plus concluant.

– C’est vrai. Tu es un brave garçon, citoyen, et tu me fais l’effet d’être prédestiné.

– À quoi?

– À être riche un jour.

– Dieu vous entende!

– Tu crois donc en Dieu?

– Quelquefois, par-ci par-là. Aujourd’hui, par exemple…

– Eh bien?

– J’y croirais volontiers.

– Crois-y donc, dit le citoyen Théodore en mettant dix louis dans la main du guichetier.

– Diable! dit celui-ci en regardant l’or à la lueur de sa lanterne. C’est donc sérieux?

– On ne peut plus sérieux.

– Que faut-il faire?

– Trouve-toi demain au Puits-de-Noé, je te dirai ce que je veux de toi. Comment t’appelles-tu?

– Gracchus.

– Eh bien, citoyen Gracchus, d’ici à demain, fais-toi chasser par le concierge Richard.

– Chasser! Et ma place?

– Comptes-tu rester guichetier avec cinquante mille francs à toi?

– Non; mais, étant guichetier et pauvre, je suis sûr de ne pas être guillotiné.

– Sûr?

– Ou à peu près; tandis qu’étant libre et riche…

– Tu cacheras ton argent et tu feras la cour à une tricoteuse, au lieu de la faire à la maîtresse du Puits-de-Noé.

– Eh bien, c’est dit.

– Demain, au cabaret.

– À quelle heure?

– À six heures du soir.

– Envolez-vous vite, les voilà… Je dis envolez-vous, parce que je présume que vous êtes descendu à travers les voûtes.

– À demain, répéta Théodore en s’enfuyant.

En effet, il était temps; le bruit des pas et des voix se rapprochait. On voyait déjà dans le souterrain obscur briller la lueur des lumières qui s’approchaient.

Théodore courut à la porte que lui avait montrée l’écrivain dont il avait pris la cahute; il en fit sauter la serrure avec sa pince, gagna la fenêtre indiquée, l’ouvrit, se laissa glisser dans la rue, et se retrouva sur le pavé de la République.

Mais, avant d’avoir quitté la salle des Pas-Perdus, il put encore entendre le citoyen Gracchus interroger Richard, et celui-ci lui répondre:

– Le citoyen architecte avait parfaitement raison: le souterrain passe sous la chambre de la veuve Capet; c’était dangereux.

– Je le crois bien! dit Gracchus, lequel avait la conscience de dire une haute vérité.

Santerre reparut à l’orifice de l’escalier.

– Et tes ouvriers, citoyen architecte? demanda-t-il à Giraud.

– Avant le jour, ils seront ici, et, séance tenante, la grille sera posée, répondit une voix qui semblait sortir des profondeurs de la terre.

– Et tu auras sauvé la patrie! dit Santerre, moitié railleur, moitié sérieux.

– Tu ne crois pas dire si juste, citoyen général, murmura Gracchus.

XXXVIII. L’enfant royal

Cependant le procès de la reine avait commencé à s’instruire, comme on a pu le voir dans le chapitre précédent.

Déjà on laissait entrevoir que, par le sacrifice de cette tête illustre, la haine populaire, grondante depuis si longtemps, serait enfin assouvie.

Les moyens ne manquaient pas pour faire tomber cette tête, et cependant Fouquier-Tinville, l’accusateur mortel, avait résolu de ne pas négliger les nouveaux moyens d’accusation que Simon avait promis de mettre à sa disposition.

Le lendemain du jour où Simon et lui s’étaient rencontrés dans la salle des Pas-Perdus, le bruit des armes vint encore faire tressaillir, dans le Temple, les prisonniers qui avaient continué de l’habiter.

Ces prisonniers étaient Madame Élisabeth, madame Royale, et l’enfant qui, après avoir été appelé Majesté au berceau, n’était plus appelé que le petit Louis Capet.

Le général Hanriot, avec son panache tricolore, son gros cheval et son grand sabre, entra, suivi de plusieurs gardes nationaux, dans le donjon où languissait l’enfant royal.

À côté du général marchait un greffier de mauvaise mine, chargé d’une écritoire, d’un rouleau de papier, et s’escrimant avec une plume démesurément longue.

Derrière le scribe venait l’accusateur public. Nous avons vu, nous connaissons et nous retrouverons encore plus tard cet homme sec, jaune et froid, dont l’œil sanglant faisait frissonner le farouche Santerre lui-même dans son harnois de guerre.

Quelques gardes nationaux et un lieutenant les suivaient.

Simon, souriant d’un air faux et tenant d’une main son bonnet d’ourson et de l’autre son tire-pied, monta devant pour indiquer le chemin à la commission.

Ils arrivèrent à une chambre assez noire, spacieuse et nue, au fond de laquelle, assis sur son lit, se tenait le jeune Louis, dans un état d’immobilité parfaite.

Quand nous avons vu le pauvre enfant fuyant devant la brutale colère de Simon, il y avait encore en lui une espèce de vitalité réagissant contre les indignes traitements du cordonnier du Temple: il fuyait, il criait, il pleurait; donc, il avait peur; donc, il souffrait; donc, il espérait.

Aujourd’hui, crainte et espoir avaient disparu; sans doute la souffrance existait encore; mais, si elle existait, l’enfant martyr à qui l’on faisait, d’une façon si cruelle, payer les fautes de ses parents, l’enfant martyr la cachait au plus profond de son cœur et la voilait sous les apparences d’une complète insensibilité.

Il ne leva pas même la tête lorsque les commissaires marchèrent à lui.

Eux, sans autre préambule, prirent des sièges et s’installèrent. L’accusateur public au chevet du lit, Simon au pied, le greffier près de la fenêtre, les gardes nationaux et leur lieutenant sur le côté et un peu dans l’ombre.

Ceux d’entre les assistants qui regardaient le petit prisonnier avec quelque intérêt ou même quelque curiosité, remarquèrent la pâleur de l’enfant, son embonpoint singulier, qui n’était que de la bouffissure, et le fléchissement de ses jambes, dont les articulations commençaient à se tuméfier.

– Cet enfant est bien malade, dit le lieutenant avec une assurance qui fit retourner Fouquier-Tinville, déjà assis et prêt à interroger.

Le petit Capet leva les yeux et chercha dans la pénombre celui qui avait prononcé ces paroles, et il reconnut le même jeune homme qui, une fois déjà, avait, dans la cour du Temple, empêché Simon de le battre. Un rayonnement doux et intelligent circula dans ses prunelles d’un bleu foncé, mais ce fut tout.

– Ah! ah! c’est toi, citoyen Lorin, dit Simon appelant ainsi l’attention de Fouquier-Tinville sur l’ami de Maurice.

– Moi-même, citoyen Simon, répliqua Lorin avec son imperturbable aplomb.

Et, comme Lorin, quoique toujours prêt à faire face au danger, n’était point homme à le chercher inutilement, il profita de la circonstance pour saluer Fouquier-Tinville, qui lui rendit poliment son salut.

– Tu fais observer, je crois, citoyen, dit alors l’accusateur public, que l’enfant est malade; es-tu médecin?

– J’ai étudié la médecine, au moins, si je ne suis pas docteur.

– Eh bien, que lui trouves-tu?

– Comme symptôme de maladie? demanda Lorin.

– Oui.

– Je lui trouve les joues et les yeux bouffis, les mains pâles et maigres, les genoux tuméfiés; et, si je lui tâtais le pouls, je constaterais, j’en suis sûr, un mouvement de quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-dix pulsations à la minute.

L’enfant parut insensible à l’énumération de ses souffrances.

– Et à quoi la science peut-elle attribuer l’état du prisonnier? demanda l’accusateur public.

Lorin se gratta le bout du nez en murmurant:

 
Philis veut me faire parler,
Je n’en ai pas la moindre envie.
 

Puis, tout haut:

– Ma foi, citoyen, répliqua-t-il, je ne connais pas assez le régime du petit Capet pour te répondre… Cependant…

Simon prêtait une oreille attentive, et riait sous cape de voir son ennemi tout près de se compromettre.

– Cependant, continua Lorin, je crois qu’il ne prend pas assez d’exercice.

– Je crois bien, le petit gueux! dit Simon, il ne veut plus marcher.

L’enfant resta insensible à l’apostrophe du cordonnier.

Fouquier-Tinville se leva, vint à Lorin, et lui parla tout bas.

Personne n’entendit les paroles de l’accusateur public; mais il était évident que ces paroles avaient la forme de l’interrogation.

– Oh! oh! crois-tu cela, citoyen? C’est bien grave pour une mère…

– En tout cas, nous allons le savoir, dit Fouquier; Simon prétend le lui avoir entendu dire à lui-même, et s’est engagé à le lui faire avouer.

– Ce serait hideux, dit Lorin; mais enfin cela est possible: l’Autrichienne n’est pas exempte de péché; et, à tort ou à raison, cela ne me regarde pas… On en a fait une Messaline; mais ne pas se contenter de cela et vouloir en faire une Agrippine, cela me parait un peu fort, je l’avoue.

– Voilà ce qui a été rapporté par Simon, dit Fouquier impassible.

– Je ne doute pas que Simon n’ait dit cela… il y a des hommes qu’aucune accusation n’effraye, même les accusations impossibles… Mais ne trouves-tu pas, continua Lorin en regardant fixement Fouquier, ne trouves-tu pas, toi qui es un homme intelligent et probe, toi qui es un homme fort enfin, que demander à un enfant de pareils détails sur celle que les lois les plus naturelles et les plus sacrées de la nature lui ordonnent de respecter, c’est presque insulter à l’humanité tout entière dans la personne de cet enfant?

L’accusateur ne sourcilla point; il tira une note de sa poche et la fit voir à Lorin.

– La Convention m’ordonne d’informer, dit-il; le reste ne me regarde pas, j’informe.

– C’est juste, dit Lorin; et j’avoue que, si cet enfant avouait…

Et le jeune homme secoua la tête avec dégoût.

– D’ailleurs, continua Fouquier, ce n’est pas sur la seule dénonciation de Simon que nous procédons; tiens, l’accusation est publique.

Et Fouquier tira un second papier de sa poche.

Celui-là, c’était un numéro de la feuille qu’on appelait le Père Duchesne, et qui, comme on le sait, était rédigée par Hébert.

L’accusation, en effet, y était formulée en toutes lettres.

– C’est écrit, c’est même imprimé, dit Lorin; mais n’importe, jusqu’à ce que j’aie entendu une pareille accusation sortir de la bouche de l’enfant, je m’entends, sortir volontairement, librement, sans menaces… eh bien…

– Eh bien?…

– Eh bien, malgré Simon et Hébert, je douterais comme tu doutes toi-même.

Simon guettait impatiemment l’issue de cette conversation; le misérable ignorait le pouvoir qu’exerce sur l’homme intelligent le regard qu’il démêle dans la foule: c’est un attrait tout de sympathie ou une impression de haine subite. Parfois c’est une puissance qui repousse, parfois c’est une force qui attire, qui fait découler la pensée et dériver la personne même de l’homme jusqu’à cet autre homme de force égale ou de force supérieure qu’il reconnaît dans la foule.

Mais Fouquier avait senti le poids du regard de Lorin, et voulait être compris de cet observateur.

– L’interrogatoire va commencer, dit l’accusateur public; greffier, prends la plume.

Celui-ci venait d’écrire les préliminaires d’un procès-verbal, et attendait, comme Simon, comme Hanriot, comme tous enfin, que le colloque de Fouquier-Tinville et de Lorin eût cessé.

L’enfant seul paraissait complètement étranger à la scène dont il était le principal acteur, et avait repris ce regard atone qu’avait un instant illuminé l’éclair d’une suprême intelligence.

– Silence! dit Hanriot, le citoyen Fouquier-Tinville va interroger l’enfant.

– Capet, dit l’accusateur, sais-tu ce qu’est devenue ta mère?

Le petit Louis passa d’une pâleur de marbre à une rougeur brûlante.

Mais il ne répondit pas.

– M’as-tu entendu, Capet? reprit l’accusateur.

Même silence.

– Oh! il entend bien, dit Simon; mais il est comme les singes, il ne veut pas répondre, de peur qu’on ne le prenne pour un homme et qu’on ne le fasse travailler.

– Réponds, Capet, dit Hanriot; c’est la commission de la Convention qui t’interroge, et tu dois obéissance aux lois.

L’enfant pâlit, mais ne répondit pas.

Simon fit un geste de rage; chez ces natures brutales et stupides, la fureur est une ivresse accompagnée des hideux symptômes de l’ivresse du vin.

– Veux-tu répondre, louveteau! dit-il en lui montrant le poing.

– Tais-toi, Simon, dit Fouquier-Tinville, tu n’as pas la parole.

Ce mot, dont il avait pris l’habitude au tribunal révolutionnaire, lui échappa.

– Entends-tu, Simon, dit Lorin, tu n’as pas la parole; c’est la seconde fois qu’on te dit cela devant moi; la première, c’était quand tu accusais la fille de la mère Tison, à laquelle tu as eu le plaisir de faire couper le cou.

Simon se tut.

– Ta mère t’aimait-elle, Capet? demanda Fouquier.

Même silence.

– On dit que non, continua l’accusateur.

Quelque chose comme un pâle sourire passa sur les lèvres de l’enfant.

– Mais quand je vous dis, hurla Simon, qu’il m’a dit à moi qu’elle l’aimait trop.

– Regarde, Simon, comme c’est fâcheux que le petit Capet, si bavard dans le tête-à-tête, devienne muet devant le monde, dit Lorin.

– Oh! si nous étions seuls! dit Simon.

– Oui, si vous étiez seuls, mais vous n’êtes pas seuls, malheureusement. Oh! si vous étiez seuls, brave Simon, excellent patriote, comme tu rosserais le pauvre enfant, hein? Mais tu n’es pas seul, et tu n’oses pas, être infâme! devant nous autres, honnêtes gens, qui savons que les anciens, sur lesquels nous essayons de nous modeler, respectaient tout ce qui était faible; tu n’oses pas, car tu n’es pas seul, et tu n’es pas vaillant, mon digne homme, quand tu as des enfants de cinq pieds six pouces à combattre.

– Oh!… murmura Simon en grinçant des dents.

– Capet, reprit Fouquier, as-tu fait quelque confidence à Simon?

Le regard de l’enfant prit, sans se détourner, une expression d’ironie impossible à décrire.

– Sur ta mère? continua l’accusateur.

Un éclair de mépris passa dans le regard.

– Réponds oui ou non, s’écria Hanriot.

– Réponds oui! hurla Simon en levant son tire-pied sur l’enfant.

L’enfant frissonna, mais ne fit aucun mouvement pour éviter le coup.

Les assistants poussèrent une espèce de cri de répulsion.

Lorin fit mieux, il s’élança, et, avant que le bras de Simon se fût abaissé, il le saisit par le poignet.

– Veux-tu me lâcher? vociféra Simon devenant pourpre de rage.

– Voyons, dit Fouquier, il n’y a point de mal à ce qu’une mère aime son enfant; dis-nous de quelle manière ta mère t’aimait, Capet. Cela peut lui être utile.

Le jeune prisonnier tressaillit à cette idée qu’il pouvait être utile à sa mère.

– Elle m’aimait comme une mère aime son fils, monsieur, dit-il; il n’y a pas deux manières pour les mères d’aimer leurs enfants, ni pour les enfants d’aimer leur mère.

– Et moi, petit serpent, je soutiens que tu m’as dit que ta mère…

– Tu auras rêvé cela, interrompit tranquillement Lorin; tu dois avoir souvent le cauchemar, Simon.

– Lorin! Lorin! grinça Simon.

– Eh bien, oui, Lorin; après! Il n’y a pas moyen de le battre, Lorin: c’est lui qui bat les autres quand ils sont méchants; il n’y a pas moyen de le dénoncer, car ce qu’il vient de faire en arrêtant ton bras, il l’a fait devant le général Hanriot et le citoyen Fouquier-Tinville, qui l’approuvent, et ils ne sont pas des tièdes, ceux-là! Il n’y a donc pas moyen de le faire guillotiner un peu, comme Héloïse Tison; c’est fâcheux, c’est même enrageant, mais c’est comme cela, mon pauvre Simon!

– Plus tard! plus tard! répondit le cordonnier avec son ricanement d’hyène.

– Oui, cher ami, dit Lorin; mais j’espère, avec l’aide de l’Être suprême!… ah! tu t’attendais que j’allais dire avec l’aide de Dieu? mais j’espère, avec l’aide de l’Être suprême et de mon sabre, t’avoir éventré auparavant; mais range-toi, Simon, tu m’empêches de voir.

– Brigand!

– Tais-toi! tu m’empêches d’entendre.

Et Lorin écrasa Simon de son regard.

Simon crispait ses poings, dont les noires bigarrures le rendaient fier; mais comme l’avait dit Lorin, il lui fallait se borner là.

– Maintenant qu’il a commencé à parler, dit Hanriot, il continuera sans doute; continue, citoyen Fouquier.

– Veux-tu répondre maintenant? demanda Fouquier.

L’enfant rentra dans son silence.

– Tu vois, citoyen, tu vois! dit Simon.

– L’obstination de cet enfant est étrange, dit Hanriot, troublé malgré lui par cette fermeté toute royale.

– Il est mal conseillé, dit Lorin.

– Par qui? demanda Hanriot.

– Dame, par son patron.

– Tu m’accuses? s’écria Simon; tu me dénonces?… Ah! c’est curieux…

– Prenons-le par la douceur, dit Fouquier.

Se retournant alors vers l’enfant, qu’on eût dit complètement insensible:

– Voyons, mon enfant, dit-il, répondez à la commission nationale; n’aggravez pas votre situation en refusant des éclaircissements utiles; vous avez parlé au citoyen Simon des caresses que vous faisait votre mère, de la façon dont elle vous faisait ces caresses, de sa façon de vous aimer.

Louis promena sur l’assemblée un regard qui devint haineux en s’arrêtant sur Simon, mais il ne répondit pas.

– Vous trouvez-vous malheureux? demanda l’accusateur; vous trouvez-vous mal logé, mal nourri, mal traité? voulez-vous plus de liberté, un autre ordinaire, une autre prison, un autre gardien? voulez-vous un cheval pour vous promener? voulez-vous qu’on vous accorde la société d’enfants de votre âge?

Louis reprit le profond silence dont il n’était sorti que pour défendre sa mère.

La commission demeura interdite d’étonnement; tant de fermeté, tant d’intelligence étaient incroyables dans un enfant.

– Hein! ces rois, dit Hanriot à voix basse, quelle race! c’est comme les tigres; tout petits, ils ont de la méchanceté.

– Comment rédiger le procès-verbal? demanda le greffier embarrassé.

– Il n’y a qu’à en charger Simon, dit Lorin; il n’y a rien à écrire, cela fera son affaire à merveille.

Simon montra le poing à son implacable ennemi.

Lorin se mit à rire.

– Tu ne riras point comme cela le jour où tu éternueras dans le sac, dit Simon ivre de fureur.

– Je ne sais si je te précéderai ou si je te suivrai dans la petite cérémonie dont tu me menaces, dit Lorin; mais ce que je sais, c’est que beaucoup riront le jour où ce sera ton tour. Dieux!… j’ai dit dieux au pluriel… dieux! seras-tu laid ce jour-là, Simon! tu seras hideux.

Et Lorin se retira derrière la commission avec un franc éclat de rire.

La commission n’avait plus rien à faire, elle sortit.

Quant à l’enfant, une fois délivré de ses interrogateurs, il se mit à chantonner sur son lit un petit refrain mélancolique qui était la chanson favorite de son père.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
480 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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