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Kitabı oku: «Le Chevalier de Maison-Rouge», sayfa 14

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XXIV
La mère et la fille

Nous avons déjà dit qu'en quelques heures la nouvelle de cet événement s'était répandue dans tout Paris. En effet, il y avait à cette époque des indiscrétions bien faciles à comprendre de la part d'un gouvernement dont la politique se nouait et se dénouait dans la rue.

La rumeur gagna donc, terrible et menaçante, la vieille rue Saint-Jacques, et, deux heures après l'arrestation de Maurice, on y apprenait cette arrestation.

Grâce à l'activité de Simon, les détails du complot avaient promptement jailli hors du Temple; seulement, comme chacun brodait sur le fond, la vérité arriva quelque peu altérée chez le maître tanneur; il s'agissait, disait-on, d'une fleur empoisonnée qu'on aurait fait passer à la reine, et à l'aide de laquelle l'Autrichienne devait endormir ses gardes pour sortir du Temple; en outre, à ces bruits s'étaient joints certains soupçons sur la fidélité du bataillon congédié la veille par Santerre; de sorte qu'il y avait déjà plusieurs victimes désignées à la haine du peuple.

Mais, vieille rue Saint-Jacques, on ne se trompait point, et pour cause, sur la nature de l'événement, et Morand d'un côté, et Dixmer de l'autre, sortirent aussitôt, laissant Geneviève en proie au plus violent désespoir.

En effet, s'il arrivait malheur à Maurice, c'était Geneviève qui était la cause de ce malheur. C'était elle qui avait conduit par la main l'aveugle jeune homme jusque dans le cachot où il était renfermé et duquel il ne sortirait, selon toute probabilité, que pour marcher à l'échafaud.

Mais, en tout cas, Maurice ne payerait pas de sa tête son dévouement au caprice de Geneviève. Si Maurice était condamné, Geneviève allait s'accuser elle-même au tribunal, elle avouait tout. Elle assumait la responsabilité sur elle, bien entendu, et, aux dépens de sa vie, elle sauvait Maurice.

Geneviève, au lieu de frémir à cette pensée de mourir pour Maurice, y trouvait, au contraire, une amère félicité.

Elle aimait le jeune homme, elle l'aimait plus qu'il ne convenait à une femme qui ne s'appartenait pas. C'était pour elle un moyen de reporter à Dieu son âme pure et sans tache comme elle l'avait reçue de lui.

En sortant de la maison, Morand et Dixmer s'étaient séparés. Dixmer s'achemina vers la rue de la Corderie, et Morand courut à la rue des Nonandières. En arrivant au bout du pont Marie, ce dernier aperçut cette foule d'oisifs et de curieux qui stationnent à Paris pendant ou après un événement sur la place où cet événement a eu lieu, comme les corbeaux stationnent sur un champ de bataille.

À cette vue, Morand s'arrêta tout court; les jambes lui manquaient, il fut forcé de s'appuyer au parapet du pont.

Enfin il reprit, après quelques secondes, cette puissance merveilleuse que, dans les grandes circonstances, il avait sur lui-même, se mêla aux groupes, interrogea et apprit que, dix minutes auparavant, on venait d'enlever, rue des Nonandières, 24, une jeune femme coupable bien certainement du crime dont elle avait été accusée, puisqu'on l'avait surprise occupée à faire ses paquets.

Morand s'informa du club dans lequel la pauvre fille devait être interrogée. Il apprit que c'était devant la section mère qu'elle avait été conduite, et il s'y rendit aussitôt.

Le club regorgeait de monde. Cependant, à force de coups de coude et de coups de poing, Morand parvint à se glisser dans une tribune. La première chose qu'il aperçut, fut la haute taille, la noble figure, la mine dédaigneuse de Maurice, debout au banc des accusés, et écrasant de son regard Simon, qui pérorait.

– Oui, citoyens, criait Simon, oui, la citoyenne Tison accuse le citoyen Lindey et le citoyen Lorin. Le citoyen Lindey parle d'une bouquetière sur laquelle il veut rejeter son crime; mais je vous en préviens d'avance, la bouquetière ne se retrouvera point; c'est un complot formé par une société d'aristocrates qui se rejettent la balle les uns aux autres, comme des lâches qu'ils sont. Vous avez bien vu que le citoyen Lorin avait décampé de chez lui quand on s'y est présenté. Eh bien, il ne se rencontrera pas plus que la bouquetière.

– Tu en as menti, Simon, dit une voix furieuse; il se retrouvera, car le voici. Et Lorin fit irruption dans la salle.

– Place à moi! cria-t-il en bousculant les spectateurs; place! Et il alla se ranger auprès de Maurice.

Cette entrée de Lorin, faite tout naturellement, sans manières, sans emphase, mais avec toute la franchise et toute la vigueur inhérentes au caractère du jeune homme, produisit le plus grand effet sur les tribunes, qui se mirent à applaudir et à crier bravo!

Maurice se contenta de sourire et de tendre la main à son ami, en homme qui s'était dit à lui-même: «Je suis sûr de ne pas demeurer longtemps seul au banc des accusés.»

Les spectateurs regardaient avec un intérêt visible ces deux beaux jeunes gens, qu'accusait, comme un démon jaloux de la jeunesse et de la beauté, l'immonde cordonnier du Temple.

Celui-ci s'aperçut de la mauvaise impression qui commençait à s'appesantir sur lui. Il résolut de frapper le dernier coup.

– Citoyens, hurla-t-il, je demande que la généreuse citoyenne Tison soit entendue, je demande qu'elle parle, je demande qu'elle accuse.

– Citoyens, dit Lorin, je demande qu'auparavant, la jeune bouquetière qui vient d'être arrêtée et qu'on va sans doute amener devant vous, soit entendue.

– Non, dit Simon, c'est encore quelque faux témoin, quelque partisan des aristocrates; d'ailleurs, la citoyenne Tison brûle du désir d'éclairer la justice.

Pendant ce temps, Morin parlait à Maurice.

– Oui, crièrent les tribunes, oui, la déposition de la femme Tison; oui, oui, qu'elle dépose!

– La citoyenne Tison est-elle dans la salle? demanda le président.

– Sans doute qu'elle y est, s'écria Simon. Citoyenne Tison, dis donc que tu es là.

– Me voilà, mon président, dit la geôlière; mais, si je dépose, me rendra-t-on ma fille?

– Ta fille n'a rien à voir dans l'affaire qui nous occupe, dit le président; dépose d'abord, et puis ensuite adresse-toi à la Commune pour redemander ton enfant.

– Entends-tu? le citoyen président t'ordonne de déposer, cria Simon; dépose donc tout de suite.

– Un instant, dit, en se retournant vers Maurice, le président étonné du calme de cet homme ordinairement si fougueux, un instant! Citoyen municipal, n'as-tu rien à dire d'abord?

– Non, citoyen président; sinon qu'avant d'appeler lâche et traître un homme tel que moi, Simon aurait mieux fait d'attendre qu'il fût mieux instruit.

– Tu dis, tu dis? répéta Simon avec cet accent railleur de l'homme du peuple particulier à la plèbe parisienne.

– Je dis, Simon, reprit Maurice avec plus de tristesse que de colère, que tu seras cruellement puni tout à l'heure quand tu vas voir ce qui va arriver.

– Et que va-t-il donc arriver? demanda Simon.

– Citoyen président, reprit Maurice sans répondre à son hideux accusateur, je me joins à mon ami Lorin pour te demander que la jeune fille qui vient d'être arrêtée soit entendue avant qu'on fasse parler cette pauvre femme, à qui l'on a sans doute soufflé sa déposition.

– Entends-tu, citoyenne, cria Simon, entends-tu? on dit là-bas que tu es un faux témoin!

– Moi, un faux témoin? dit la femme Tison. Ah! tu vas voir; attends, attends.

– Citoyen, dit Maurice, ordonne à cette malheureuse de se taire.

– Ah! tu as peur, cria Simon, tu as peur! Citoyen président, je requiers la déposition de la citoyenne Tison.

– Oui, oui, la déposition! crièrent les tribunes.

– Silence! cria le président; voici la Commune qui revient. En ce moment, en entendit une voiture qui roulait au dehors, avec un grand bruit d'armes et de hurlements. Simon se retourna inquiet vers la porte.

– Quitte la tribune, lui dit le président, tu n'as plus la parole. Simon descendit.

En ce moment, des gendarmes entrèrent avec un flot de curieux, bientôt refoulé, et une femme fut poussée vers le prétoire.

– Est-ce elle? demanda Lorin à Maurice.

– Oui, oui, c'est elle, dit celui-ci. Oh! la malheureuse femme, elle est perdue!

– La bouquetière! la bouquetière! murmurait-on des tribunes, que la curiosité agitait; c'est la bouquetière.

– Je demande, avant toute chose, la déposition de la femme Tison, hurla le cordonnier; tu lui avais ordonné de déposer, président, et tu vois qu'elle ne dépose pas.

La femme Tison fut appelée et entama une dénonciation terrible, circonstanciée. Selon elle, la bouquetière était coupable, il est vrai; mais Maurice et Lorin étaient ses complices.

Cette dénonciation produisit un effet visible sur le public. Cependant Simon triomphait.

– Gendarmes, amenez la bouquetière, cria le président.

– Oh! c'est affreux! murmura Morand en cachant sa tête entre ses deux mains.

La bouquetière fut appelée, et se plaça au bas de la tribune, vis-à-vis de la femme Tison, dont le témoignage venait de rendre capital le crime dont on l'accusait.

Alors elle releva son voile.

– Héloïse! s'écria la femme Tison; ma fille… toi ici?..

– Oui, ma mère, répondit doucement la jeune femme.

– Et pourquoi es-tu entre deux gendarmes?

– Parce que je suis accusée, ma mère.

– Toi… accusée? s'écria la femme Tison avec angoisse; et par qui?

– Par vous, ma mère. Un silence effrayant, silence de mort, vint s'abattre tout à coup sur ces masses bruyantes, et le sentiment douloureux de cette horrible scène étreignit tous les cœurs.

– Sa fille! chuchotèrent des voix basses et comme dans le lointain, sa fille, la malheureuse!

Maurice et Lorin regardaient l'accusatrice et l'accusée avec un sentiment de profonde commisération et de douleur respectueuse.

Simon, tout en désirant voir la fin de cette scène, dans laquelle il espérait que Maurice et Lorin demeureraient compromis, essayait de se soustraire aux regards de la femme Tison, qui roulait autour d'elle un œil égaré.

– Comment t'appelles-tu, citoyenne? dit le président, ému lui-même, à la jeune fille calme et résignée.

– Héloïse Tison, citoyen.

– Quel âge as-tu?

– Dix-neuf ans.

– Où demeures-tu?

– Rue des Nonandières, n° 24.

– Est-ce toi qui as vendu au citoyen municipal Lindey, que voici sur ce banc, un bouquet d'œillets ce matin?

La fille Tison se tourna vers Maurice, et, après l'avoir regardé:

– Oui, citoyen, c'est moi, dit-elle.

La femme Tison regardait elle-même sa fille avec des yeux dilatés par l'épouvante.

– Sais-tu que chacun de ces œillets contenait un billet adressé à la veuve Capet?

– Je le sais, répondit l'accusée.

Un mouvement d'horreur et d'admiration se répandit dans la salle.

– Pourquoi offrais-tu ces œillets au citoyen Maurice?

– Parce que je lui voyais l'écharpe municipale, et que je me doutais qu'il allait au Temple.

– Quels sont tes complices?

– Je n'en ai pas.

– Comment! tu as fait le complot à toi toute seule?

– Si c'est un complot, je l'ai fait à moi toute seule.

– Mais le citoyen Maurice savait-il…?

– Que ces fleurs continssent des billets?

– Oui.

– Le citoyen Maurice est municipal; le citoyen Maurice pouvait voir la reine en tête à tête, à toute heure du jour et de la nuit. Le citoyen Maurice, s'il eût eu quelque chose à dire à la reine, n'avait pas besoin d'écrire, puisqu'il pouvait parler.

– Et tu ne connaissais pas le citoyen Maurice?

– Je l'avais vu venir au Temple au temps où j'y étais avec ma pauvre mère; mais je ne le connaissais pas autrement que de vue!

– Vois-tu, misérable! s'écria Lorin en menaçant du poing Simon, qui, baissant la tête, atterré de la tournure que prenaient les affaires, essayait de fuir inaperçu. Vois-tu ce que tu as fait?

Tous les regards se tournèrent vers Simon avec un sentiment de parfaite indignation. Le président continua:

– Puisque c'est toi qui as remis le bouquet, puisque tu savais que chaque fleur contenait un papier, tu dois savoir aussi ce qu'il y avait d'écrit sur ce papier!

– Sans doute, je le sais.

– Eh bien, alors, dis-nous ce qu'il y avait sur ce papier?

– Citoyen, dit avec fermeté la jeune fille, j'ai dit tout ce que je pouvais et surtout tout ce que je voulais dire.

– Et tu refuses de répondre?

– Oui.

– Tu sais à quoi tu t'exposes?

– Oui.

– Tu espères peut-être en ta jeunesse, en ta beauté?

– Je n'espère qu'en Dieu.

– Citoyen Maurice Lindey, dit le président, citoyen Hyacinthe Lorin, vous êtes libres; la Commune reconnaît votre innocence et rend justice à votre civisme. Gendarmes, conduisez la citoyenne Héloïse à la prison de la section.

À ces paroles, la femme Tison sembla se réveiller, jeta un effroyable cri, et voulut se précipiter pour embrasser une fois encore sa fille; mais les gendarmes l'en empêchèrent.

– Je vous pardonne, ma mère, cria la jeune fille pendant qu'on l'entraînait.

La femme Tison poussa un rugissement sauvage, et tomba comme morte.

– Noble fille! murmura Morand avec une douloureuse émotion.

XXV
Le billet

À la suite des événements que nous venons de raconter, une dernière scène vint se joindre comme complément de ce drame qui commençait à se dérouler dans ces sombres péripéties.

La femme Tison, foudroyée par ce qui venait de se passer, abandonnée de ceux qui l'avaient escortée, car il y a quelque chose d'odieux, même dans le crime involontaire, et c'est un crime bien grand que celui d'une mère qui tue son enfant, fût-ce même par excès de zèle patriotique, la femme Tison, après être demeurée quelque temps dans une immobilité absolue, releva la tête, regarda autour d'elle, égarée, et, se voyant seule, poussa un cri et s'élança vers la porte.

À la porte, quelques curieux, plus acharnés que les autres, stationnaient encore; ils s'écartèrent dès qu'ils la virent, en se la montrant du doigt et en se disant les uns aux autres:

– Vois-tu cette femme? C'est celle qui a dénoncé sa fille. La femme Tison poussa un cri de désespoir et s'élança dans la direction du Temple. Mais, arrivée au tiers de la rue Michel-le-Comte, un homme vint se placer devant elle, et, lui barrant le chemin en se cachant la figure dans son manteau:

– Tu es contente, lui dit-il, tu as tué ton enfant.

– Tué mon enfant? tué mon enfant? s'écria la pauvre mère. Non, non, il n'est pas possible.

– Cela est ainsi, cependant, car ta fille est arrêtée.

– Et où l'a-t-on conduite?

– À la Conciergerie; de là, elle partira pour le tribunal révolutionnaire, et tu sais ce que deviennent ceux qui y vont.

– Rangez-vous, dit la femme Tison, et laissez-moi passer.

– Où vas-tu?

– À la Conciergerie.

– Qu'y vas-tu faire?

– La voir encore.

– On ne te laissera pas entrer.

– On me laissera bien coucher sur la porte, vivre là, dormir là. J'y resterai jusqu'à ce qu'elle sorte, et je la verrai au moins encore une fois.

– Si quelqu'un te promettait de te rendre ta fille?

– Que dites-vous?

– Je te demande, en supposant qu'un homme te promît de te rendre ta fille, si tu ferais ce que cet homme te dirait de faire?

– Tout pour ma fille! tout pour mon Héloïse! s'écria la femme en se tordant les bras avec désespoir. Tout, tout, tout!

– Écoute, reprit l'inconnu, c'est Dieu qui te punit.

– Et de quoi?

– Des tortures que tu as infligées à une pauvre mère comme toi.

– De qui voulez-vous parler? Que voulez-vous dire?

– Tu as souvent conduit la prisonnière à deux doigts du désespoir où tu marches toi-même en ce moment, par tes révélations et tes brutalités, Dieu te punit en conduisant à la mort cette fille que tu aimais tant.

– Vous avez dit qu'il y avait un homme qui pouvait la sauver; où est cet homme? que veut-il? que demande-t-il?

– Cet homme veut que tu cesses de persécuter la reine, que tu lui demandes pardon des outrages que tu lui as faits, et qui, si tu t'aperçois que cette femme, qui, elle aussi, est une mère qui souffre, qui pleure, qui se désespère, par une circonstance impossible, par quelque miracle du ciel, est sur le point de se sauver, au lieu de t'opposer à sa fuite, tu y aides de tout ton pouvoir.

– Écoute, citoyen, dit la femme Tison, c'est toi, n'est-ce pas, qui es cet homme?

– Eh bien?

– C'est toi qui promets de sauver ma fille? L'inconnu se tut.

– Me le promets-tu? t'y engages-tu? me le jures-tu? Réponds!

– Écoute. Tout ce qu'un homme peut faire pour sauver une femme, je le ferai pour sauver ton enfant.

– Il ne peut pas la sauver! s'écria la femme Tison en poussant des hurlements; il ne peut pas la sauver. Il mentait lorsqu'il promettait de la sauver.

– Fais ce que tu pourras pour la reine, je ferai ce que je pourrai pour ta fille.

– Que m'importe la reine, à moi? C'est une mère qui a une fille, voilà tout. Mais, si l'on coupe le cou à quelqu'un, ce ne sera pas à sa fille, ce sera à elle. Qu'on me coupe le cou, et qu'on sauve ma fille. Qu'on me mène à la guillotine, à la condition qu'il ne tombera pas un seul cheveu de sa tête, et j'irai à la guillotine en chantant:

 
Ah! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrates à la lanterne…
 

Et la femme Tison se mit à chanter avec une voix effrayante; puis, tout à coup, elle interrompit son chant par un grand éclat de rire.

L'homme au manteau parut lui-même effrayé de ce commencement de folie et fit un pas en arrière.

– Oh! tu ne t'éloigneras pas comme cela, dit la femme Tison au désespoir, et en le retenant par son manteau; on ne vient pas dire à une mère: «Fais cela et je sauverai ton enfant», pour lui dire après cela: «Peut-être.» La sauveras-tu?

– Oui.

– Quand cela?

– Le jour où on la conduira de la Conciergerie à l'échafaud.

– Pourquoi attendre? pourquoi pas cette nuit, ce soir, à l'instant même?

– Parce que je ne puis pas.

– Ah! tu vois bien, tu vois bien, s'écria la femme Tison, tu vois bien que tu ne peux pas; mais, moi, je peux.

– Que peux-tu?

– Je peux persécuter la prisonnière, comme tu l'appelles; je peux surveiller la reine, comme tu dis, aristocrate que tu es! je puis entrer à toute heure, jour et nuit, dans la prison, et je ferai tout cela. Quant à ce qu'elle se sauve, nous verrons. Ah! nous verrons bien, puisqu'on ne veut pas sauver ma fille, si elle doit se sauver, elle. Tête pour tête, veux-tu? Madame Veto a été reine, je le sais bien; Héloïse Tison n'est qu'une pauvre fille, je le sais bien; mais sur la guillotine nous sommes tous égaux.

– Eh bien, soit! dit l'homme au manteau; sauve-la, je la sauverai.

– Jure.

– Je le jure.

– Sur quoi?

– Sur ce que tu voudras.

– As-tu une fille?

– Non.

– Eh bien, dit la femme Tison en laissant tomber ses deux bras avec découragement, sur quoi veux-tu jurer alors?

– Écoute, je te jure sur Dieu.

– Bah! répondit la femme Tison; tu sais bien qu'ils ont défait l'ancien, et qu'ils n'ont pas encore fait le nouveau.

– Je te jure sur la tombe de mon père.

– Ne jure pas par une tombe, cela lui porterait malheur… Oh! mon Dieu, mon Dieu! quand je pense que, dans trois jours peut-être, moi aussi, je jurerai par la tombe de ma fille! Ma fille! ma pauvre Héloïse! s'écria la femme Tison avec un tel éclat, qu'à sa voix, déjà retentissante, plusieurs fenêtres s'ouvrirent.

À la vue de ces fenêtres qui s'ouvraient, un autre homme sembla se détacher de la muraille et s'avança vers le premier.

– Il n'y a rien à faire avec cette femme, dit le premier au second, elle est folle.

– Non, elle est mère, dit celui-ci. Et il entraîna son compagnon. En les voyant s'éloigner, la femme Tison sembla revenir à elle.

– Où allez-vous? s'écria-t-elle; allez-vous sauver Héloïse? Attendez-moi, alors, je vais avec vous. Attendez-moi, mais attendez-moi donc!

Et la pauvre mère les poursuivit en hurlant; mais, au coin de la rue la plus proche, elle les perdit de vue. Et ne sachant plus de quel côté tourner, elle demeura un instant indécise, regardant de tous côtés; et se voyant seule dans la nuit et dans le silence, ce double symbole de la mort, elle poussa un cri déchirant et tomba sans connaissance sur le pavé.

Dix heures sonnèrent. Pendant ce temps, et comme cette même heure retentissait à l'horloge du Temple, la reine, assise dans cette chambre que nous connaissons, près d'une lampe fumeuse, entre sa sœur et sa fille, et cachée aux regards des municipaux par madame Royale, qui, faisant semblant de l'embrasser, relisait un petit billet écrit sur le papier le plus mince qu'on avait pu trouver, avec une écriture si fine qu'à peine si ses yeux, brûlés par les larmes, avaient conservé la force de la déchiffrer. Le billet contenait ce qui suit:

«Demain, mardi, demandez à descendre au jardin, ce que l'on vous accordera sans difficulté aucune, attendu que l'ordre est donné de vous accorder cette faveur aussitôt que vous la demanderez. Après avoir fait trois ou quatre tours, feignez d'être fatiguée, approchez-vous de la cantine, et demandez à la femme Plumeau la permission de vous asseoir chez elle. Là, au bout d'un instant, feignez de vous trouver plus mal et de vous évanouir. Alors on fermera les portes pour qu'on puisse vous porter du secours, et vous resterez avec Madame Élisabeth et madame Royale. Aussitôt la trappe de la cave s'ouvrira; précipitez-vous, avec votre sœur et votre fille, par cette ouverture, et vous êtes sauvées toutes trois.»

– Mon Dieu! dit madame Royale, notre malheureuse destinée se lasserait-elle?

– Ou ce billet ne serait-il qu'un piège? reprit Madame Élisabeth.

– Non, non, dit la reine; ces caractères m'ont toujours révélé la présence d'un ami mystérieux, mais bien brave et bien fidèle.

– C'est du chevalier? demanda madame Royale.

– De lui-même, répondit la reine. Madame Élisabeth joignit les mains.

– Relisons le billet chacune de notre côté tout bas, reprit la reine, afin que, si l'une de nous oubliait une chose, l'autre s'en souvînt.

Et toutes trois relurent des yeux; mais, comme elles achevaient cette lecture, elles entendirent la porte de leur chambre rouler sur ses gonds. Les deux princesses se retournèrent: la reine seule resta comme elle était; seulement, par un mouvement presque insensible, elle porta le petit billet à ses cheveux et le glissa dans sa coiffure.

C'était un des municipaux qui ouvrait la porte.

– Que voulez-vous, monsieur? demandèrent ensemble Madame Élisabeth et madame Royale.

– Hum! dit le municipal, il me semble que vous vous couchez bien tard ce soir…

– Y a-t-il donc, dit la reine en se retournant avec sa dignité ordinaire, un nouvel arrêté de la Commune qui décide à quelle heure je me mettrai au lit?

– Non, citoyenne, dit le municipal; mais, si c'est nécessaire, on en fera un.

– En attendant, monsieur, dit Marie-Antoinette, respectez, je ne vous dirai pas la chambre d'une reine, mais celle d'une femme.

– En vérité, grommela le municipal, ces aristocrates parlent toujours comme s'ils étaient quelque chose.

Mais, en attendant, soumis par cette dignité hautaine dans la prospérité, mais que trois ans de souffrance avaient faite calme, il se retira.

Un instant après, la lampe s'éteignit, et, comme d'habitude, les trois femmes se déshabillèrent dans les ténèbres, faisant de l'obscurité un voile à leur pudeur.

Le lendemain, à neuf heures du matin, la reine, après avoir relu, enfermée dans les rideaux de son lit, le billet de la veille, afin de ne s'écarter en rien des instructions qui y étaient portées, après l'avoir déchiré et réduit en morceaux presque impalpables, s'habilla dans ses rideaux, et, réveillant sa sœur, passa chez sa fille.

Un instant après, elle sortit et appela les municipaux de garde.

– Que veux-tu, citoyenne? demanda l'un d'eux paraissant sur la porte, tandis que l'autre ne se dérangeait pas même de son déjeuner pour répondre à l'appel royal.

– Monsieur, dit Marie-Antoinette, je sors de la chambre de ma fille, et la pauvre enfant est, en vérité, bien malade. Ses jambes sont enflées et douloureuses, car elle fait trop peu d'exercice. Or, vous le savez, monsieur, c'est moi qui l'ai condamnée à cette inaction; j'étais autorisée à descendre me promener au jardin; mais, comme il me fallait passer devant la porte de la chambre que mon mari habitait de son vivant, au moment de passer devant cette porte, le cœur m'a failli, je n'ai pas eu la force et je suis remontée, me bornant à la promenade de la terrasse.

«Maintenant cette promenade est insuffisante à la santé de ma pauvre enfant. Je vous prie donc, citoyen municipal, de réclamer en mon nom, auprès du général Santerre, l'usage de cette liberté qui m'avait été accordée; je vous en serai reconnaissante.

La reine avait prononcé ces mots avec un accent si doux et si digne à la fois, elle avait si bien évité toute qualification qui pouvait blesser la pruderie républicaine de son interlocuteur, que celui-ci, qui s'était présenté à elle couvert, comme c'était l'habitude de la plupart de ces hommes, souleva peu à peu son bonnet rouge de dessus sa tête, et, lorsqu'elle eut achevé, la salua en disant:

– Soyez tranquille, madame, on demandera au citoyen général la permission que vous désirez.

Puis, en se retirant, comme pour se convaincre lui-même qu'il cédait à l'équité et non à la faiblesse:

– C'est juste, répéta-t-il; au bout du compte, c'est juste.

– Qu'est-ce qui est juste? demanda l'autre municipal.

– Que cette femme promène sa fille qui est malade.

– Après?.. que demande-t-elle?

– Elle demande à descendre et à se promener une heure dans le jardin.

– Bah! dit l'autre, qu'elle demande à aller à pied du Temple à la place de la Révolution, ça la promènera.

La reine entendit ces mots et pâlit; mais elle puisa dans ces mots un nouveau courage pour le grand événement qui se préparait.

Le municipal acheva son déjeuner et descendit. De son côté, la reine demanda à faire le sien dans la chambre de sa fille, ce qui lui fut accordé.

Madame Royale, pour confirmer le bruit de sa maladie, resta couchée, et Madame Élisabeth et la reine demeurèrent près de son lit.

À onze heures, Santerre arriva. Son arrivée fut, comme à l'ordinaire, annoncée par les tambours qui battirent aux champs, et par l'entrée du nouveau bataillon et des nouveaux municipaux qui venaient relever ceux dont la garde finissait.

Quand Santerre eut inspecté le bataillon sortant et le bataillon entrant, lorsqu'il eut fait parader son lourd cheval aux membres trapus dans la cour du Temple, il s'arrêta un instant: c'était le moment où ceux qui avaient à lui parler lui adressaient leurs réclamations, leur dénonciations ou leurs demandes.

Le municipal profita de cette halte pour s'approcher de lui.

– Que veux-tu? lui dit brusquement Santerre.

– Citoyen, dit le municipal, je viens te dire de la part de la reine…

– Qu'est-ce que cela, la reine? demanda Santerre.

– Ah! c'est vrai, dit le municipal, étonné lui-même de s'être laissé entraîner.

– Qu'est-ce que je dis donc là, moi? Est-ce que je suis fou? Je viens te dire de la part de madame Veto…

– À la bonne heure, dit Santerre, comme cela je comprends. Eh bien, que viens-tu me dire? Voyons.

– Je viens te dire que la petite Veto est malade, à ce qu'il paraît, faute d'air et de mouvement.

– Eh bien, faut-il encore s'en prendre de cela à la nation? La nation lui avait permis la promenade dans le jardin, elle l'a refusée; bonsoir!

– C'est justement cela, elle se repent maintenant, et elle demande si tu veux permettre qu'elle descende.

– Il n'y a pas de difficulté à cela. Vous entendez, vous autres, dit Santerre en s'adressant à tout le bataillon, la veuve Capet va descendre pour se promener dans le jardin. La chose lui est accordée par la nation; mais prenez garde qu'elle ne se sauve par-dessus les murs, car, si cela arrive, je vous fais couper la tête à tous.

Un éclat de rire homérique accueillit la plaisanterie du citoyen général.

– Et maintenant que vous voilà prévenus, dit Santerre, adieu. Je vais à la Commune. Il paraît qu'on vient de rejoindre Roland et Barbaroux, et qu'il s'agit de leur délivrer un passeport pour l'autre monde.

C'était cette nouvelle qui mettait le citoyen général de si plaisante humeur.

Santerre partit au galop.

Le bataillon qui descendait la garde sortait derrière lui.

Enfin, les municipaux cédèrent la place aux nouveaux venus, lesquels avaient reçu les instructions de Santerre relativement à la reine.

L'un des municipaux monta près de Marie-Antoinette, et lui annonça que le général faisait droit à sa demande.

«Oh! pensa-t-elle en regardant le ciel à travers sa fenêtre, votre colère se reposerait-elle, Seigneur, et votre droite terrible serait-elle lasse de s'appesantir sur nous?»

– Merci, monsieur, dit-elle au municipal avec ce charmant sourire qui perdit Barnave et rendit tant d'hommes insensés, merci!

Puis, se retournant vers son petit chien, qui sautait après elle tout en marchant sur les pattes de derrière, car il comprenait aux regards de sa maîtresse qu'il se passait quelque chose d'extraordinaire:

– Allons, Black, dit-elle, nous allons nous promener. Le petit chien se mit à japper et à bondir, et, après avoir bien regardé le municipal, comprenant sans doute que c'était de cet homme que venait la nouvelle qui rendait sa maîtresse joyeuse, il s'approcha de lui tout en rampant, en faisant frétiller sa longue queue soyeuse, et se hasarda jusqu'à le caresser.

Cet homme, qui, peut-être, fût resté insensible aux prières de la reine, se sentit tout ému aux caresses du chien.

– Rien que pour cette petite bête, citoyenne Capet, vous eussiez dû sortir plus souvent, dit-il. L'humanité commande que l'on ait soin de toutes les créatures.

– À quelle heure sortirons-nous, monsieur? demanda la reine. Ne pensez-vous pas que le grand soleil nous ferait du bien?

– Vous sortirez quand vous voudrez, dit le municipal; il n'y a pas de recommandation particulière à ce sujet. Cependant, si vous voulez sortir à midi, comme c'est le moment où l'on change les factionnaires, cela fera moins de mouvement dans la tour.

– Eh bien, à midi, soit, dit la reine en appuyant la main sur son cœur pour en comprimer les battements.

Et elle regarda cet homme qui semblait moins dur que ses confrères, et qui, peut-être, pour prix de sa condescendance aux désirs de la prisonnière, allait perdre la vie dans la lutte que méditaient les conjurés.

Mais aussi, en ce moment où une certaine compassion allait amollir le cœur de la femme, l'âme de la reine se réveilla. Elle songea au 10 août et aux cadavres de ses amis jonchant les tapis de son palais; elle songea au 2 septembre et à la tête de la princesse de Lamballe surgissant au bout d'une pique devant ses fenêtres; elle songea au 21 janvier et à son mari mourant sur un échafaud, au bruit des tambours qui éteignaient sa voix; enfin, elle songea à son fils, pauvre enfant dont plus d'une fois elle avait, sans pouvoir lui porter secours, entendu de sa chambre les cris de douleur, et son cœur s'endurcit.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
500 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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