Kitabı oku: «Le Chevalier de Maison-Rouge», sayfa 16
À ce moment, du pont au Change déboucha un détachement de gendarmes qui eut bientôt balayé le quai, quoique de la rue transversale où se tenaient les deux amis, on entendît pendant un instant une lutte acharnée.
Ils précédaient la charrette qui conduisait à la guillotine la pauvre Héloïse.
– Au galop! cria une voix; au galop! La charrette partit au galop. Lorin aperçut la malheureuse jeune fille, debout, le sourire sur les lèvres et l'œil fier. Mais il ne put même échanger un geste avec elle; elle passa sans le voir auprès d'un tourbillon de peuple qui criait:
– À mort, l'aristocrate! À mort! Et le bruit s'éloigna décroissant et gagnant les Tuileries.
En même temps, la petite porte par où étaient sortis Maurice et Lorin se rouvrit, et trois ou quatre muscadins, les habits déchirés et sanglants, sortirent. C'était probablement tout ce qui restait de la petite troupe.
Le jeune homme blond sortit le dernier.
– Hélas! dit-il, cette cause est donc maudite!
Et, jetant son sabre ébréché et sanglant, il s'élança vers la rue des Lavandières.
XXVIII
Le chevalier de Maison-Rouge
Maurice se hâta de rentrer à la section pour y porter plainte contre Simon.
Il est vrai qu'avant de se séparer de Maurice, Lorin avait trouvé un moyen plus expéditif: c'était de rassembler quelques Thermopyles, d'attendre Simon à sa première sortie du Temple, et de le tuer en bataille rangée.
Mais Maurice s'était formellement opposé à ce plan.
– Tu es perdu, lui dit-il, si tu en viens aux voies de fait. Écrasons Simon, mais écrasons-le par la légalité. Ce doit être chose facile à des légistes.
En conséquence, le lendemain matin, Maurice se rendit à la section et formula sa plainte.
Mais il fut bien étonné quand à la section le président fit la sourde oreille, se récusant, disant qu'il ne pouvait prendre parti entre deux bons citoyens animés tous deux de l'amour de la patrie.
– Bon! dit Maurice, je sais maintenant ce qu'il faut faire pour mériter la réputation de bon citoyen. Ah! ah! rassembler le peuple pour assassiner un homme qui vous déplaît, vous appelez cela être animé de l'amour de la patrie? Alors j'en reviens au sentiment de Lorin, que j'ai eu le tort de combattre. À partir d'aujourd'hui, je vais faire du patriotisme, comme vous l'entendez, et j'expérimenterai sur Simon.
– Citoyen Maurice, répondit le président, Simon a peut-être moins de torts que toi dans cette affaire; il a découvert une conspiration, sans y être appelé par ses fonctions, là où tu n'as rien vu, toi dont c'était le devoir de la découvrir; de plus, tu as des connivences de hasard ou d'intention, – lesquelles? nous n'en savons rien, – mais tu en as avec les ennemis de la nation.
– Moi! dit Maurice. Ah! voilà du nouveau, par exemple; et avec qui donc, citoyen président?
– Avec le citoyen Maison-Rouge.
– Moi? dit Maurice stupéfait; moi, j'ai des connivences avec le chevalier de Maison-Rouge? Je ne le connais pas, je ne l'ai jamais…
– On t'a vu lui parler.
– Moi?
– Lui serrer la main.
– Moi?
– Oui.
– Où cela? quand cela?.. Citoyen président, dit Maurice emporté par la conviction de son innocence, tu en as menti.
– Ton zèle pour la patrie t'emporte un peu loin, citoyen Maurice, dit le président, et tu seras fâché tout à l'heure de ce que tu viens de dire, quand je te donnerai la preuve que je n'ai avancé que la vérité. Voici trois rapports différents qui t'accusent.
– Allons donc! dit Maurice; est-ce que vous pensez que je suis assez niais pour croire à votre chevalier de Maison-Rouge?
– Et pourquoi n'y croirais-tu pas?
– Parce que c'est un spectre de conspirateur avec lequel vous tenez toujours une conspiration prête pour englober vos ennemis.
– Lis les dénonciations.
– Je ne lirai rien, dit Maurice: je proteste que je n'ai jamais vu le chevalier de Maison-Rouge, et que je ne lui ai jamais parlé. Que celui qui ne croira pas à ma parole d'honneur vienne me le dire, je sais ce que j'aurais à lui répondre.
Le président haussa les épaules; Maurice, qui ne voulait être en reste avec personne, en fit autant.
Il y eut quelque chose de sombre et de réservé pendant le reste de la séance.
Après la séance, le président, qui était un brave patriote élevé au premier rang du district par le suffrage de ses concitoyens, s'approcha de Maurice et lui dit:
– Viens, Maurice, j'ai à te parler. Maurice suivit le président, qui le conduisit dans un petit cabinet attenant à la chambre des séances.
Arrivé là, il le regarda en face, et, lui posant la main sur l'épaule:
– Maurice, lui dit-il, j'ai connu, j'ai estimé ton père, ce qui fait que je t'estime et que je t'aime. Maurice, crois-moi, tu cours un grand danger en te laissant aller au manque de foi, première décadence d'un esprit vraiment révolutionnaire.
Maurice, mon ami, dès qu'on perd la foi, on perd la fidélité. Tu ne crois pas aux ennemis de la nation: de là vient que tu passes près d'eux sans les voir, et que tu deviens l'instrument de leurs complots sans t'en douter.
– Que diable! citoyen, dit Maurice, je me connais, je suis homme de cœur, zélé patriote; mais mon zèle ne me rend pas fanatique: voilà vingt conspirations prétendues que la République signe toutes du même nom. Je demande, une fois pour toutes, à voir l'éditeur responsable.
– Tu ne crois pas aux conspirateurs, Maurice, dit le président; eh bien, dis-moi, crois-tu à l'œillet rouge pour lequel on a guillotiné hier la fille Tison?
Maurice tressaillit.
– Crois-tu au souterrain pratiqué dans le jardin du Temple et communiquant de la cave de la citoyenne Plumeau à certaine maison de la rue de la Corderie?
– Non, dit Maurice.
– Alors, fais comme Thomas l'apôtre, va voir.
– Je ne suis pas de garde au Temple, et l'on ne me laissera pas entrer.
– Tout le monde peut entrer au Temple maintenant.
– Comment cela?
– Lis ce rapport; puisque tu es si incrédule, je ne procéderai plus que par pièces officielles.
– Comment! s'écria Maurice lisant le rapport, c'est à ce point?
– Continue.
– On transporte la reine à la Conciergerie?
– Eh bien? répondit le président.
– Ah! ah! fit Maurice.
– Crois-tu que ce soit sur un rêve, sur ce que tu appelles une imagination, sur une billevesée, que le comité de Salut public ait adopté une si grave mesure?
– Cette mesure a été adoptée, mais elle ne sera pas exécutée, comme une foule de mesures que j'ai vu prendre, et voilà tout…
– Lis donc jusqu'au bout, dit le président. Et il lui présenta un dernier papier.
– Le récépissé de Richard, le geôlier de la Conciergerie! s'écria Maurice.
– Elle y a été écrouée à deux heures. Cette fois, Maurice demeura pensif.
– La Commune, tu le sais, continua le président, agit dans des vues profondes. Elle s'est creusé un sillon large et droit; ses mesures ne sont pas des enfantillages, et elle a mis en exécution ce principe de Cromwell: «Il ne faut frapper les rois qu'à la tête.» Lis cette note secrète du ministre de la police.
Maurice lut: «Attendu que nous avons la certitude que le ci-devant chevalier de Maison-Rouge est à Paris; qu'il y a été vu en différents endroits; qu'il a laissé des traces de son passage en plusieurs complots heureusement déjoués, j'invite tous les chefs de section à redoubler de surveillance.»
– Eh bien? demanda le président.
– Il faut que je te croie, citoyen président, s'écria Maurice. Et il continua:
«Signalement du chevalier de Maison-Rouge: cinq pieds trois pouces, cheveux blonds, yeux bleus, nez droit, barbe châtaine, menton rond, voix douce, mains de femme.
«Trente-cinq à trente-six ans.»
Au signalement, une lueur étrange passa à travers l'esprit de Maurice; il songea à ce jeune homme qui commandait la troupe de muscadins qui les avait sauvés la veille, Lorin et lui, et qui frappait si résolument sur les Marseillais avec son sabre de sapeur.
– Mordieu! murmura Maurice, serait-ce lui? En ce cas, la dénonciation qui dit qu'on m'a vu lui parler ne serait point fausse. Seulement, je ne me rappelle pas lui avoir serré la main.
– Eh bien, Maurice, demanda le président, que dites-vous de cela maintenant, mon ami?
– Je dis que je vous crois, répondit Maurice en méditant avec tristesse, car, depuis quelque temps, sans savoir quelle mauvaise influence attristait sa vie, il voyait toutes choses s'assombrir autour de lui.
– Ne joue pas ainsi ta popularité, Maurice, continua le président. La popularité, aujourd'hui, c'est la vie; l'impopularité, prends-y garde, c'est le soupçon de trahison, et le citoyen Lindey ne peut pas être soupçonné d'être un traître.
Maurice n'avait rien à répondre à une doctrine qu'il sentait bien être la sienne. Il remercia son vieil ami et quitta la section.
– Ah! murmura-t-il, respirons un peu; c'est trop de soupçons et de luttes. Allons droit au repos, à l'innocence et à la joie; allons à Geneviève.
Et Maurice prit le chemin de la vieille rue Saint-Jacques.
Lorsqu'il arriva chez le maître tanneur, Dixmer et Morand soutenaient Geneviève, en proie à une violente attaque de nerfs.
Aussi, au lieu de lui laisser l'entrée libre, comme d'habitude, un domestique lui barra-t-il le passage.
– Annonce-moi toujours, dit Maurice inquiet, et si Dixmer ne peut pas me recevoir en ce moment, je me retirerai. Le domestique entra dans le petit pavillon, tandis que lui, Maurice, demeurait dans le jardin.
Il lui sembla qu'il se passait quelque chose d'étrange dans la maison. Les ouvriers tanneurs n'étaient point à leur ouvrage, et traversaient le jardin d'un air inquiet.
Dixmer revint lui-même jusqu'à la porte.
– Entrez, dit-il, cher Maurice, entrez; vous n'êtes pas de ceux pour qui la porte est fermée.
– Mais qu'y a-t-il donc? demanda le jeune homme.
– Geneviève est souffrante, dit Dixmer; plus que souffrante, car elle délire.
– Ah! mon Dieu! s'écria le jeune homme, ému de retrouver là encore le trouble et la souffrance. Qu'a-t-elle donc?
– Vous savez, mon cher, reprit Dixmer, aux maladies des femmes, personne ne connaît rien, et surtout le mari.
Geneviève était renversée sur une espèce de chaise longue. Près d'elle était Morand, qui lui faisait respirer des sels.
– Eh bien? demanda Dixmer.
– Toujours la même chose, reprit Morand.
– Héloïse! Héloïse! murmura la jeune femme à travers ses lèvres blanches et ses dents serrées.
– Héloïse! répéta Maurice avec étonnement.
– Eh! mon Dieu, oui, reprit vivement Dixmer, Geneviève a eu le malheur de sortir hier et de voir passer cette malheureuse charrette avec une pauvre fille, nommée Héloïse, que l'on conduisait à la guillotine. Depuis ce moment-là, elle a eu cinq ou six attaques de nerfs, et ne fait que répéter ce nom.
– Ce qui l'a frappée surtout, c'est qu'elle a reconnu dans cette fille la bouquetière qui lui a vendu les œillets que vous savez.
– Certainement que je sais, puisqu'ils ont failli me faire couper le cou.
– Oui, nous avons su tout cela, cher Maurice, et croyez bien que nous avons été on ne peut plus effrayés; mais Morand était à la séance, et il vous a vu sortir en liberté.
– Silence! dit Maurice; la voilà qui parle encore, je crois.
– Oh! des mots entrecoupés, inintelligibles, reprit Dixmer.
– Maurice! murmura Geneviève; ils vont tuer Maurice. À lui! chevalier, à lui! Un silence profond succéda à ces paroles.
– Maison-Rouge, murmura encore Geneviève; Maison-Rouge!
Maurice sentit comme un éclair de soupçon; mais ce n'était qu'un éclair. D'ailleurs, il était trop ému de la souffrance de Geneviève pour commenter ces quelques paroles.
– Avez-vous appelé un médecin? demanda-t-il.
– Oh! ce ne sera rien, reprit Dixmer; un peu de délire, voilà tout.
Et il serra si violemment le bras de sa femme, que Geneviève revint à elle et ouvrit, en jetant un léger cri, ses yeux qu'elle avait constamment tenus fermés jusque-là.
– Ah! vous voilà tous, dit-elle, et Maurice avec vous. Oh! je suis heureuse de vous voir, mon ami; si vous saviez comme j'ai…
Elle se reprit:
– … Comme nous avons souffert depuis deux jours!
– Oui, dit Maurice, nous voilà tous; rassurez-vous donc et ne vous faites plus de terreurs pareilles. Il y a surtout un nom, voyez-vous, qu'il faudrait vous déshabituer de prononcer, attendu qu'en ce moment il n'est pas en odeur de sainteté.
– Et lequel? demanda vivement Geneviève.
– C'est celui du chevalier de Maison-Rouge.
– J'ai nommé le chevalier de Maison-Rouge, moi? dit Geneviève épouvantée.
– Sans doute, répondit Dixmer avec un rire forcé; mais, vous comprenez, Maurice, il n'y a rien là d'étonnant, puisqu'on dit publiquement qu'il était complice de la fille Tison, et que c'est lui qui a dirigé la tentative d'enlèvement qui, par bonheur, a échoué hier.
– Je ne dis pas qu'il y a quelque chose d'étonnant à cela, répondit Maurice; je dis seulement qu'il n'a qu'à se bien cacher.
– Qui? demanda Dixmer.
– Le chevalier de Maison-Rouge, parbleu! La Commune le cherche, et ses limiers ont le nez fin.
– Pourvu qu'on l'arrête, dit Morand, avant qu'il accomplisse quelque nouvelle entreprise qui réussira mieux que la dernière.
– En tout cas, dit Maurice, ce ne sera pas en faveur de la reine.
– Et pourquoi cela? demanda Morand.
– Parce que la reine est désormais à l'abri de ses coups de main.
– Et où est-elle donc? demanda Dixmer.
– À la Conciergerie, répondit Maurice; on l'y a transférée cette nuit.
Dixmer, Morand et Geneviève poussèrent un cri que Maurice prit pour une exclamation de surprise.
– Ainsi, vous voyez, continua-t-il, adieu les plans du chevalier de la reine! La Conciergerie est plus sûre que le Temple.
Morand et Dixmer échangèrent un regard qui échappa à Maurice.
– Ah! mon Dieu! s'écria-t-il, voilà encore madame Dixmer qui pâlit.
– Geneviève, dit Dixmer à sa femme, il faut te mettre au lit, mon enfant; tu souffres. Maurice comprit qu'on le congédiait; il baisa la main de Geneviève et sortit. Morand sortit avec lui et l'accompagna jusqu'à la vieille rue Saint-Jacques.
Là, il le quitta pour aller dire quelques mots à une espèce de domestique qui tenait un cheval tout sellé.
Maurice était si préoccupé, qu'il ne demanda pas même à Morand, auquel d'ailleurs il n'avait pas adressé un mot depuis qu'ils étaient sortis ensemble de la maison, qui était cet homme et que faisait là ce cheval.
Il prit la rue des Fossés-Saint-Victor et gagna les quais.
– C'est étrange, se disait-il tout en marchant. Est-ce mon esprit qui s'affaiblit? sont-ce les événements qui prennent de la gravité? mais tout m'apparaît grossi comme à travers un microscope.
Et, pour retrouver un peu de calme, Maurice présenta son front à la brise du soir, et s'appuya sur le parapet du pont.
XXIX
La patrouille
Comme il achevait en lui-même cette réflexion, tout en regardant l'eau couler avec cette attention mélancolique dont on retrouve les symptômes chez tout Parisien pur, Maurice, appuyé au parapet du pont, entendit une petite troupe qui venait à lui d'un pas égal, comme pourrait être celui d'une patrouille.
Il se retourna; c'était une compagnie de la garde nationale qui arrivait par l'autre extrémité. Au milieu de l'obscurité, Maurice crut reconnaître Lorin.
C'était lui, en effet. Dès qu'il l'aperçut, il courut à lui les bras ouverts:
– Enfin, s'écria Lorin, c'est toi. Morbleu! ce n'est pas sans peine que l'on te rejoint;
Mais, puisque je retrouve un ami si fidèle,
Ma fortune va prendre une face nouvelle.
Cette fois, tu ne te plaindras pas, j'espère; je te donne du Racine au lieu de te donner du Lorin.
– Que viens-tu donc faire par ici en patrouille? demanda Maurice que tout inquiétait.
– Je suis chef d'expédition, mon ami; il s'agit de rétablir sur sa base primitive notre réputation ébranlée. Puis, se retournant vers sa compagnie:
– Portez armes! présentez armes! haut les armes! dit-il. Là, mes enfants, il ne fait pas encore nuit assez noire. Causez de vos petites affaires, nous allons causer des nôtres.
Puis, revenant à Maurice:
– J'ai appris aujourd'hui à la section deux grandes nouvelles, continua Lorin.
– Lesquelles?
– La première, c'est que nous commençons à être suspects, toi et moi.
– Je le sais. Après?
– Ah! tu le sais?
– Oui.
– La seconde, c'est que toute la conspiration à l'œillet a été conduite par le chevalier de Maison-Rouge.
– Je le sais encore.
– Mais ce que tu ne sais pas, c'est que la conspiration de l'œillet rouge et celle du souterrain ne faisaient qu'une seule conspiration.
– Je le sais encore.
– Alors passons à une troisième nouvelle; tu ne la sais pas, celle-là, j'en suis sûr. Nous allons prendre ce soir le chevalier de Maison-Rouge.
– Prendre le chevalier de Maison-Rouge?
– Oui.
– Tu t'es donc fait gendarme?
– Non; mais je suis patriote. Un patriote se doit à sa patrie. Or, ma patrie est abominablement ravagée par ce chevalier de Maison-Rouge, qui fait complots sur complots. Or, la patrie m'ordonne, à moi qui suis un patriote, de la débarrasser du susdit chevalier de Maison-Rouge qui la gêne horriblement, et j'obéis à la patrie.
– C'est égal, dit Maurice, il est singulier que tu te charges d'une pareille commission.
– Je ne m'en suis pas chargé, on m'en a chargé; mais, d'ailleurs, je dois dire que je l'eusse briguée, la commission. Il nous faut un coup éclatant pour nous réhabiliter, attendu que notre réhabilitation, c'est non seulement la sécurité de notre existence, mais encore le droit de mettre à la première occasion six pouces de lame dans le ventre de cet affreux Simon.
– Mais comment a-t-on su que c'était le chevalier de Maison-Rouge qui était à la tête de la conspiration du souterrain?
– Ce n'est pas encore bien sûr, mais on le présume.
– Ah! vous procédez par induction?
– Nous procédons par certitude.
– Comment arranges-tu tout cela? Voyons; car enfin…
– Écoute bien.
– Je t'écoute.
– À peine ai-je entendu crier: «Grande conspiration découverte par le citoyen Simon…» (cette canaille de Simon! il est partout, ce misérable!), que j'ai voulu juger de la vérité par moi-même. Or, on parlait d'un souterrain.
– Existe-t-il?
– Oh! il existe, je l'ai vu. —Vu, de mes deux yeux vu, ce qui s'appelle vu.– Tiens, pourquoi ne siffles-tu pas?
– Parce que c'est du Molière, et que, je te l'avoue d'ailleurs, les circonstances me paraissent un peu graves pour plaisanter.
– Eh bien, de quoi plaisantera-t-on, alors, si l'on ne plaisante pas des choses graves?
– Tu dis donc que tu as vu…
– Le souterrain… Je répète que j'ai vu le souterrain, que je l'ai parcouru, et qu'il correspondait de la cave de la citoyenne Plumeau à une maison de la rue de la Corderie, à la maison n° 12 ou 14, je ne me le rappelle plus bien.
– Vrai! Lorin, tu l'as parcouru?..
– Dans toute sa longueur, et, ma foi! je t'assure que c'était un boyau fort joliment taillé; de plus, il était coupé par trois grilles en fer, que l'on a été obligé de déchausser les unes après les autres; mais qui, dans le cas où les conjurés auraient réussi, leur eussent donné tout le temps, en sacrifiant trois ou quatre des leurs, de mettre madame veuve Capet en lieu de sûreté. Heureusement, il n'en est pas ainsi, et cet affreux Simon a encore découvert celle-là.
– Mais il me semble, dit Maurice, que ceux qu'on aurait dû arrêter d'abord étaient les habitants de cette maison de la rue de la Corderie.
– C'est ce que l'on aurait fait aussi si l'on n'eût pas trouvé la maison parfaitement dénuée de locataires.
– Mais enfin, cette maison appartient à quelqu'un?
– Oui, à un nouveau propriétaire, mais personne ne le connaissait; on savait que la maison avait changé de maître depuis quinze jours ou trois semaines, voilà tout. Les voisins avaient bien entendu du bruit; mais, comme la maison était vieille, ils avaient cru qu'on travaillait aux réparations. Quant à l'autre propriétaire, il avait quitté Paris. J'arrivai sur ces entrefaites.
« – Pour Dieu! dis-je à Santerre en le tirant à part, vous êtes tous bien embarrassés.
« – C'est vrai, répondit-il, nous le sommes.
« – Cette maison a été vendue, n'est-ce pas?
« – Oui.
« – Il y a quinze jours?
« – Quinze jours ou trois semaines.
« – Vendue par-devant notaire?
« – Oui.
« – Eh bien, il faut chercher chez tous les notaires de Paris, savoir lequel a vendu cette maison et se faire communiquer l'acte. On verra dessus le nom et le domicile de l'acheteur.
« – À la bonne heure! c'est un conseil cela, dit Santerre; et voilà pourtant un homme qu'on accuse d'être un mauvais patriote. Lorin, Lorin! je te réhabiliterai, ou le diable me brûle.
«Bref, continua Lorin, ce qui fut dit fut fait. On chercha le notaire, on retrouva l'acte, et, sur l'acte, le nom et le domicile du coupable. Alors Santerre m'a tenu parole, il m'a désigné pour l'arrêter.
– Et cet homme, c'était le chevalier de Maison-Rouge?
– Non pas, son complice seulement, c'est-à-dire probablement.
– Mais alors comment dis-tu que vous allez arrêter le chevalier de Maison-Rouge?
– Nous allons les arrêter tous ensemble.
– D'abord, connais-tu ce chevalier de Maison-Rouge?
– À merveille.
– Tu as donc son signalement?
– Parbleu! Santerre me l'a donné. Cinq pieds deux ou trois pouces, cheveux blonds, yeux bleus, nez droit, barbe châtaine; d'ailleurs, je l'ai vu.
– Quand?
– Aujourd'hui même.
– Tu l'as vu?
– Et toi aussi. Maurice tressaillit.
– Ce petit jeune homme blond qui nous a délivrés ce matin, tu sais, celui qui commandait la troupe des muscadins, qui tapait si dur.
– C'était donc lui? demanda Maurice.
– Lui-même. On l'a suivi et on l'a perdu dans les environs du domicile de notre propriétaire de la rue de la Corderie; de sorte qu'on présume qu'ils logent ensemble.
– En effet, c'est probable.
– C'est sûr.
– Mais il me semble, Lorin, ajouta Maurice, que, si tu arrêtes ce soir celui qui nous a sauvés ce matin, tu manques quelque peu de reconnaissance.
– Allons donc! dit Lorin. Est-ce que tu crois qu'il nous a sauvés pour nous sauver?
– Et pourquoi donc?
– Pas du tout. Ils étaient embusqués là pour enlever la pauvre Héloïse Tison quand elle passerait. Nos égorgeurs les gênaient, ils sont tombés sur nos égorgeurs. Nous avons été sauvés par contrecoup. Or, comme tout est dans l'intention, et que l'intention n'y était pas, je n'ai pas à me reprocher la plus petite ingratitude. D'ailleurs, vois-tu, Maurice, le point capital c'est la nécessité; et il y a nécessité à ce que nous nous réhabilitions par un coup d'éclat. J'ai répondu de toi.
– À qui?
– À Santerre; il sait que tu commandes l'expédition.
– Comment cela? « – Es-tu sûr d'arrêter les coupables? a-t-il dit. « – Oui, ai-je répondu, si Maurice en est. « – Mais es-tu sûr de Maurice? Depuis quelque temps il tiédit. « – Ceux qui disent cela se trompent. Maurice ne tiédit pas plus que moi. « – Et tu en réponds? « – Comme de moi-même. «Alors j'ai passé chez toi, mais je ne t'ai pas trouvé; j'ai pris ensuite ce chemin, d'abord parce que c'était le mien, et ensuite parce que c'était celui que tu prends d'ordinaire; enfin, je t'ai rencontré, te voilà: en avant, marche!
La victoire en chantant
Nous ouvre la barrière…
– Mon cher Lorin, j'en suis désespéré, mais je ne me sens pas le moindre goût pour cette expédition; tu diras que tu ne m'as pas rencontré.
– Impossible! tous nos hommes t'ont vu.
– Eh bien, tu diras que tu m'as rencontré et que je n'ai pas voulu être des vôtres.
– Impossible encore.
– Et pourquoi cela?
– Parce que, cette fois, tu ne seras pas un tiède, mais un suspect… Et tu sais ce qu'on en fait, des suspects: on les conduit sur la place de la Révolution et on les invite à saluer la statue de la Liberté; seulement, au lieu de saluer avec le chapeau, ils saluent avec la tête.
– Eh bien, Lorin, il arrivera ce qu'il pourra; mais en vérité, cela te paraîtra sans doute étrange, ce que je vais te dire là?
Lorin ouvrit de grands yeux et regarda Maurice.
– Eh bien, reprit Maurice, je suis dégoûté de la vie… Lorin éclata de rire.
– Bon! dit-il; nous sommes en bisbille avec notre bien-aimée, et cela nous donne des idées mélancoliques. Allons, bel Amadis! redevenons un homme, et de là nous passerons au citoyen; moi, au contraire, je ne suis jamais meilleur patriote que lorsque je suis en brouille avec Arthémise. À propos, Sa Divinité la déesse Raison te dit des millions de choses gracieuses.
– Tu la remercieras de ma part. Adieu, Lorin.
– Comment, adieu?
– Oui, je m'en vais.
– Où vas-tu?
– Chez moi, parbleu!
– Maurice, tu te perds.
– Je m'en moque.
– Maurice, réfléchis, ami, réfléchis.
– C'est fait.
– Je ne t'ai pas tout répété…
– Tout, quoi?
– Tout ce que m'avait dit Santerre.
– Que t'a-t-il dit?
– Quand je t'ai demandé comme chef de l'expédition, il m'a dit: « – Prends garde!
« – À qui? « – À Maurice.
– À moi?
– Oui. «Maurice, a-t-il ajouté, va bien souvent dans ce quartier-là.»
– Dans quel quartier?
– Dans celui de Maison-Rouge.
– Comment! s'écria Maurice, c'est par ici qu'il se cache?
– On le présume, du moins, puisque c'est par ici que loge son complice présumé, l'acheteur de la maison de la rue de la Corderie.
– Faubourg Victor? demanda Maurice.
– Oui, faubourg Victor.
– Et dans quelle rue du faubourg?
– Dans la vieille rue Saint-Jacques.
– Ah! mon Dieu! murmura Maurice ébloui comme par un éclair. Et il porta sa main à ses yeux.
Puis, au bout d'un instant, et comme si pendant cet instant il avait appelé tout son courage:
– Son état? dit-il.
– Maître tanneur.
– Et son nom?
– Dixmer.
– Tu as raison, Lorin, dit Maurice comprimant jusqu'à l'apparence de l'émotion par la force de sa volonté; je vais avec vous.
– Et tu fais bien. Es-tu armé?
– J'ai mon sabre, comme toujours.
– Prends encore ces deux pistolets.
– Et toi?
– Moi, j'ai ma carabine. Portez armes! armes bras! en avant, marche!
La patrouille se remit en marche, accompagnée de Maurice, qui marchait près de Lorin, et précédée d'un homme vêtu de gris qui la dirigeait; c'était l'homme de la police.
De temps en temps on voyait se détacher des angles des rues ou des portes des maisons une espèce d'ombre qui venait échanger quelques paroles avec l'homme vêtu de gris; c'étaient des surveillants.
On arriva à la ruelle. L'homme gris n'hésita pas un seul instant; il était bien renseigné: il prit la ruelle.
Devant la porte du jardin par laquelle on avait fait entrer Maurice garrotté, il s'arrêta.
– C'est ici, dit-il.
– C'est ici, quoi? demanda Lorin.
– C'est ici que nous trouverons les deux chefs.
Maurice s'appuya au mur; il lui sembla qu'il allait tomber à la renverse.
– Maintenant, dit l'homme gris, il y a trois entrées: l'entrée principale, celle-ci, et une entrée qui donne dans un pavillon. J'entrerai avec six ou huit hommes par l'entrée principale; gardez cette entrée-ci avec quatre ou cinq hommes, et mettez trois hommes sûrs à la sortie du pavillon.
– Moi, dit Maurice, je vais passer par-dessus le mur et je veillerai dans le jardin.
– À merveille, dit Lorin, d'autant plus que, de l'intérieur, tu nous ouvriras la porte.
– Volontiers, dit Maurice. Mais n'allez pas dégarnir le passage et venir sans que je vous appelle. Tout ce qui se passera dans l'intérieur, je le verrai du jardin.
– Tu connais donc la maison? demanda Lorin.
– Autrefois, j'ai voulu l'acheter.
Lorin embusqua ses hommes dans les angles des haies, dans les encoignures des portes, tandis que l'agent de police s'éloignait avec huit ou dix gardes nationaux pour forcer, comme il l'avait dit, l'entrée principale.
Au bout d'un instant, le bruit de leurs pas s'était éteint sans avoir, dans ce désert, éveillé la moindre attention.
Les hommes de Maurice étaient à leur poste et s'effaçaient de leur mieux. On eût juré que tout était tranquille et qu'il ne se passait rien d'extraordinaire dans la vieille rue Saint-Jacques.
Maurice commença donc d'enjamber le mur.
– Attends, dit Lorin.
– Quoi?
– Et le mot d'ordre.
– C'est juste.
– Oeillet et souterrain. Arrête tous ceux qui ne te diront pas ces deux mots. Laisse passer tous ceux qui te les diront. Voilà la consigne.
– Merci, dit Maurice. Et il sauta du haut du mur dans le jardin.