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Kitabı oku: «Le Chevalier de Maison-Rouge», sayfa 20

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XXXV
La salle des Pas-Perdus

Vers la fin de cette même journée où nous avons vu les municipaux visiter avec un soin si minutieux la prison de la reine, un homme, vêtu d'une carmagnole grise, la tête couverte d'épais cheveux noirs, et, par-dessus ces cheveux noirs, d'un de ces bonnets à poil qui distinguaient alors parmi le peuple les patriotes exagérés, se promenait dans la grande salle si philosophiquement appelée la salle des Pas-Perdus, et semblait fort attentif à regarder les allants et les venants qui forment la population ordinaire de cette salle, population fort augmentée à cette époque, où les procès avaient acquis une importance majeure et où l'on ne plaidait plus guère que pour disputer sa tête aux bourreaux et au citoyen Fouquier-Tinville, leur infatigable pourvoyeur.

C'était une attitude de fort bon goût que celle qu'avait prise l'homme dont nous venons d'esquisser le portrait. La société, à cette époque, était divisée en deux classes, les moutons et les loups; les uns devaient naturellement faire peur aux autres, puisque la moitié de la société dévorait l'autre moitié.

Notre farouche promeneur était de petite taille; il brandissait d'une main noire et sale un de ces gourdins qu'on appelait constitution; il est vrai que la main qui faisait voltiger cette arme terrible eût paru bien petite à quiconque se fût amusé à jouer vis-à-vis de l'étrange personnage le rôle d'inquisiteur qu'il s'était arrogé à l'égard des autres; mais personne n'eût osé contrôler, en quelque chose que ce fût, un homme d'un aspect aussi terrible.

En effet, ainsi posé, l'homme au gourdin causait une grave inquiétude à certains groupes de scribes à cahutes qui dissertaient sur la chose publique, laquelle, à cette époque, commençait à aller de mal en pis, ou de mieux en mieux, selon qu'on examinera la question au point de vue conservateur ou révolutionnaire. Ces braves gens examinaient du coin de l'œil sa longue barbe noire, son œil verdâtre enchâssé dans des sourcils touffus comme des brosses, et frémissaient à chaque fois que la promenade du terrible patriote, promenade qui comprenait la salle des Pas-Perdus dans toute sa longueur, le rapprochait d'eux.

Cette terreur leur était surtout venue de ce que, chaque fois qu'ils s'étaient avisés de s'approcher de lui ou même de le regarder trop attentivement, l'homme au gourdin avait fait retentir sur les dalles son arme pesante, qui arrachait aux pierres sur lesquelles elle retombait un son tantôt mat et sourd, tantôt éclatant et sonore. Mais ce n'étaient pas seulement les braves gens à cahutes dont nous avons parlé, et qu'on désigne généralement sous le nom de rats du Palais, qui éprouvaient cette formidable impression: c'étaient encore les différents individus qui entraient dans la salle des Pas-Perdus par sa large porte ou par quelqu'un de ses étroits vomitoires, et qui passaient avec précipitation en apercevant l'homme au gourdin, lequel continuait à faire obstinément son trajet d'un bout à l'autre de la salle, trouvant à chaque moment un prétexte de faire résonner son gourdin sur les dalles.

Si les écrivains eussent été moins effrayés et les promeneurs plus clairvoyants, ils eussent sans doute découvert que notre patriote, capricieux comme toutes les natures excentriques ou extrêmes, semblait avoir des préférences pour certaines dalles, celles, par exemple, qui, situées à peu de distance du mur de droite, et au milieu de la salle, à peu près, rendaient les sons les plus purs et les plus bruyants.

Il finit même par concentrer sa colère sur quelques dalles seulement, et c'était surtout sur les dalles du centre. Un instant même, il s'oublia jusqu'à s'arrêter pour mesurer de l'œil quelque chose comme une distance.

Il est vrai que cette absence dura peu, et qu'il reprit aussitôt la farouche expression de son regard, qu'un éclair de joie avait remplacée.

Presque au même instant, un autre patriote, – à cette époque chacun avait son opinion écrite sur son front, ou plutôt sur ses habits; – presque au même instant, disons-nous, un autre patriote entrait par la porte de la galerie, et, sans paraître partager le moins du monde l'impression générale de terreur qu'inspirait le premier occupant, venait croiser sa promenade d'un pas à peu près égal au sien; de sorte qu'à moitié de la salle, ils se rencontrèrent.

Le nouveau venu avait, comme l'autre, un bonnet à poil, une carmagnole grise, des mains sales et un gourdin; il avait, en outre, de plus que l'autre, un grand sabre qui lui battait les mollets; mais, ce qui faisait surtout le second plus à craindre que le premier, c'est qu'autant le premier avait l'air terrible, autant le second avait l'air faux, haineux et bas.

Aussi, quoique ces deux hommes parussent appartenir à la même cause et partager la même opinion, les assistants risquèrent-ils un œil pour voir ce qui résulterait, non pas de leur rencontre, car ils ne marchaient pas précisément sur la même ligne, mais de leur rapprochement. Au premier tour, leur attente fut déçue: les deux patriotes se contentèrent d'échanger un regard, et même ce regard fit légèrement pâlir le plus petit des deux; seulement, au mouvement involontaire de ses lèvres, il était visible que cette pâleur était occasionnée, non point par un sentiment de crainte, mais de dégoût.

Et cependant, au second tour, comme si le patriote eût fait un violent effort, sa figure, si rébarbative jusque-là, s'éclaircit; quelque chose comme un sourire qui essayait d'être gracieux passa sur ses lèvres, et il appuya légèrement sa promenade à gauche, dans le but évident d'arrêter le second patriote dans la sienne.

À peu près au centre, ils se joignirent.

– Eh pardieu! c'est le citoyen Simon! dit le premier patriote.

– Lui-même! Mais que lui veux-tu, au citoyen Simon? et qui es-tu, d'abord?

– Fais donc semblant de ne me pas reconnaître!

– Je ne te reconnais pas du tout, par une excellente raison, c'est que je ne t'ai jamais vu.

– Allons donc! tu ne reconnaîtrais pas celui qui a eu l'honneur de porter la tête de la Lamballe?

Et ces mots, prononcés avec une sourde fureur, s'élancèrent brûlants de la bouche du patriote à carmagnole. Simon tressaillit.

– Toi? fit-il; toi?

– Eh bien, cela t'étonne? Ah! citoyen, je te croyais plus connaisseur en ami, en fidèles!.. Tu me fais de la peine.

– C'est fort bien, ce que tu as fait, dit Simon; mais je ne te connaissais pas.

– Il y a plus d'avantage à garder le petit Capet, on est plus en vue; car, moi, je te connais, et je t'estime.

– Ah! merci.

– Il n'y a pas de quoi… Donc, tu te promènes?

– Oui, j'attends quelqu'un… Et toi?

– Moi aussi.

– Comment donc t'appelles-tu? Je parlerai de toi au club.

– Je m'appelle Théodore.

– Et puis?

– Et puis, c'est tout; ça ne te suffit pas?

– Oh! parfaitement… Qui attends-tu, citoyen Théodore?

– Un ami auquel je veux faire une bonne petite dénonciation.

– En vérité! Conte-moi cela.

– Une couvée d'aristocrates.

– Qui s'appellent?

– Non, vrai, je ne peux dire cela qu'à mon ami.

– Tu as tort; car voici le mien qui s'avance vers nous, et il me semble que celui-là connaît assez la procédure pour arranger tout de suite ton affaire, hein?

– Fouquier-Tinville! s'écria le premier patriote.

– Rien que cela, cher ami.

– Eh bien, c'est bon.

– Eh! oui, c'est bon… Bonjour, citoyen Fouquier. Fouquier-Tinville, pâle, calme, ouvrant, selon son habitude, des yeux noirs enfoncés sous d'épais sourcils, venait de déboucher d'une porte latérale de la salle, son registre à la main, ses liasses sous le bras.

– Bonjour, Simon, dit-il; quoi de nouveau?

– Beaucoup de choses. D'abord, une dénonciation du citoyen Théodore, qui a porté la tête de la Lamballe. Je te le présente.

Fouquier attacha son regard intelligent sur le patriote, que cet examen troubla, malgré la tension courageuse de ses nerfs.

– Théodore, dit-il. Qui est ce Théodore?

– Moi, dit l'homme à la carmagnole.

– Tu as porté la tête de la Lamballe, toi? fit l'accusateur public avec une expression très prononcée de doute.

– Moi, rue Saint-Antoine.

– Mais j'en connais un qui s'en vante, dit Fouquier.

– Moi, j'en connais dix, reprit courageusement le citoyen Théodore; mais enfin, comme ceux-là demandent quelque chose, et que, moi, je ne demande rien, j'espère avoir la préférence.

Ce trait fit rire Simon et dérida Fouquier.

– Tu as raison, dit-il, et, si tu ne l'as pas fait, tu aurais dû le faire. Laisse-nous, je te prie; Simon a quelque chose à me dire.

Théodore s'éloigna, fort peu blessé de la franchise du citoyen accusateur public.

– Un moment, cria Simon, ne le renvoie pas comme cela; entends d'abord la dénonciation qu'il nous apporte.

– Ah! fit d'un air distrait Fouquier-Tinville, une dénonciation?

– Oui, une couvée, ajouta Simon.

– À la bonne heure, parle; de quoi s'agit-il?

– Oh! presque rien: le citoyen Maison-Rouge et quelques amis.

Fouquier fit un bond en arrière, Simon leva les bras au ciel.

– En vérité? dirent-ils tous deux ensemble.

– Pure vérité; voulez-vous les prendre?

– Tout de suite; où sont-ils?

– J'ai rencontré le Maison-Rouge rue de la Grande-Truanderie.

– Tu te trompes, il n'est pas à Paris, répliqua Fouquier.

– Je l'ai vu, te dis-je.

– Impossible. On a mis cent hommes à sa poursuite; ce n'est pas lui qui se montrerait dans les rues.

– Lui, lui, lui, fit le patriote, un grand brun, fort comme trois forts, et barbu comme un ours. Fouquier haussa les épaules avec dédain.

– Encore une sottise, dit-il; Maison-Rouge est petit, maigre, et n'a pas un poil de barbe. Le patriote laissa retomber ses bras d'un air consterné.

– N'importe, la bonne intention est réputée pour le fait. Eh bien, Simon, à nous deux; hâte-toi, l'on m'attend au greffe, voici l'heure des charrettes.

– Eh bien, rien de nouveau; l'enfant va bien.

Le patriote tournait le dos de façon à ne pas paraître indiscret, mais de façon à entendre.

– Je m'en vais si je vous gêne, dit-il.

– Adieu, dit Simon.

– Bonjour, fit Fouquier.

– Dis à ton ami que tu t'es trompé, ajouta Simon.

– Bien, je l'attends. Et Théodore s'écarta un peu et s'appuya sur son gourdin.

– Ah! le petit va bien, dit alors Fouquier; mais le moral?

– Je le pétris à volonté.

– Il parle donc?

– Quand je veux.

– Tu crois qu'il pourrait témoigner dans le procès d'Antoinette?

– Je ne le crois pas, j'en suis sûr. Théodore s'adossa au pilier, l'œil tourné vers les portes; mais cet œil était vague, tandis que les oreilles du citoyen venaient d'apparaître nues et dressées sous le vaste bonnet à poil. Peut-être ne voyait-il rien; mais, à coup sûr, il entendait quelque chose.

– Réfléchis bien, dit Fouquier, ne fais pas faire à la commission ce qu'on appelle un pas de clerc. Tu es sûr que Capet parlera?

– Il dira tout ce que je voudrai.

– Il t'a dit, à toi, ce que nous allons lui demander?

– Il me l'a dit.

– C'est important, citoyen Simon, ce que tu promets là. Cet aveu de l'enfant est mortel pour la mère.

– J'y compte, pardieu!

– On n'aura pas encore vu pareille chose, depuis les confidences que Néron faisait à Narcisse, murmura Fouquier d'une voix sombre. Encore une fois, réfléchis, Simon.

– On dirait, citoyen, que tu me prends pour une brute; tu me répètes toujours la même chose. Voyons, écoute cette comparaison; quand je mets un cuir dans l'eau, devient-il souple?

– Mais… je ne sais pas, répliqua Fouquier.

– Il devient souple. Eh bien, le petit Capet devient en mes mains aussi souple que le cuir le plus mou. J'ai mes procédés pour cela.

– Soit, balbutia Fouquier. Voilà tout ce que tu voulais dire?

– Tout… J'oubliais: voici une dénonciation.

– Toujours! tu veux donc me surcharger de besogne?

– Il faut servir la patrie. Et Simon présenta un morceau de papier aussi noir que l'un de ces cuirs dont il parlait tout à l'heure mais moins souple assurément. Fouquier le prit et le lut.

– Encore ton citoyen Lorin; tu hais donc bien cet homme?

– Je le trouve toujours en hostilité avec la loi. Il a dit: «Adieu madame», à une femme qui le saluait d'une fenêtre, hier au soir… Demain, j'espère te donner quelques mots sur un autre suspect: ce Maurice, qui était municipal au Temple lors de l'œillet rouge.

– Précise! précise! dit Fouquier en souriant à Simon.

Il lui tendit la main, et tourna le dos avec un empressement qui témoignait peu en faveur du cordonnier.

– Que diable veux-tu que je précise? On en a guillotiné qui en avaient fait moins.

– Eh! patience, répondit Fouquier avec tranquillité; on ne peut pas tout faire à la fois.

Et il rentra d'un pas rapide sous les guichets. Simon chercha des yeux son citoyen Théodore, pour se consoler avec lui. Il ne le vit plus dans la salle.

Il franchissait à peine la grille de l'ouest, que Théodore reparut à l'angle d'une cahute d'écrivain. L'habitant de la cahute l'accompagnait.

– À quelle heure ferme-t-on les grilles? dit Théodore à cet homme.

– À cinq heures.

– Et ensuite, que se fait-il ici?

– Rien; la salle est vide jusqu'au lendemain.

– Pas de rondes, pas de visites?

– Non, monsieur, nos baraques ferment à clef.

Ce mot de monsieur fit froncer le sourcil à Théodore, qui regarda aussitôt avec défiance autour de lui.

– La pince et les pistolets sont dans la baraque? dit-il.

– Oui, sous le tapis.

– Retourne chez nous… À propos, montre-moi encore la chambre de ce tribunal dont la fenêtre n'est pas grillée, et qui donne sur une cour près la place Dauphine.

– À gauche entre les piliers, sous la lanterne.

– Bien. Va-t'en et tiens les chevaux à l'endroit désigné!

– Oh! bonne chance, monsieur, bonne chance!.. Comptez sur moi!

– Voici le bon moment… personne ne regarde… ouvre ta baraque.

– C'est fait, monsieur; je prierai pour vous!

– Ce n'est pas pour moi qu'il faut prier! Adieu. Et le citoyen Théodore, après un éloquent regard, se glissa si adroitement sous le petit toit de la baraque, qu'il disparut comme eût fait l'ombre de l'écrivain qui fermait la porte. Ce digne scribe retira sa clef de la serrure, prit des papiers sous son bras, et sortit de la vaste salle avec les rares employés que le coup de cinq heures faisait sortir des greffes comme une arrière-garde d'abeilles attardées.

XXXVI
Le citoyen Théodore

La nuit avait enveloppé de son grand voile grisâtre cette salle immense dont les malheureux échos ont pour tâche de répéter l'aigre parole des avocats et les paroles suppliantes des plaideurs.

De loin en loin, au milieu de l'obscurité, droite et immobile, une colonne blanche semblait veiller au milieu de la salle comme un fantôme protecteur de ce lieu sacré.

Le seul bruit qui se fît entendre dans cette obscurité était le grignotement et le galop quadruple des rats qui rongeaient les paperasses renfermées dans les cahutes des écrivains après avoir commencé par en ronger le bois.

On entendait bien parfois aussi le bruit d'une voiture pénétrant jusqu'à ce sanctuaire de Thémis, comme dirait un académicien, et de vagues cliquetis de clefs qui semblaient sortir de dessous terre; mais tout cela bruissait dans le lointain, et rien ne fait ressortir comme un bruit éloigné l'opacité du silence, de même que rien ne fait ressortir l'obscurité comme l'apparition d'une lumière lointaine.

Certes, il eût été saisi d'une vertigineuse terreur, celui qui, à cette heure, se fût hasardé dans la vaste salle du Palais, dont les murs étaient encore à l'extérieur rouges du sang des victimes de Septembre, dont les escaliers avaient vu, le jour même, passer vingt-cinq condamnés à mort, et dont une épaisseur de quelques pieds seulement séparait les dalles des cachots de la Conciergerie peuplés de squelettes blanchis.

Cependant, au milieu de cette nuit effrayante, au milieu de ce silence presque solennel, un faible grincement se fit entendre: la porte d'une cahute d'écrivain roula sur ses gonds criards, et une ombre, plus noire que l'ombre de la nuit, se glissa avec précaution hors de la baraque.

Alors ce patriote enragé, qu'on appelait tout bas monsieur, et qui prétendait bien haut se nommer Théodore, frôla d'un pas léger les dalles raboteuses.

Il tenait à la main droite une lourde pince de fer, et, de la gauche, il assurait dans sa ceinture un pistolet à deux coups.

– J'ai compté douze dalles à partir de l'échoppe, murmura-t-il; voyons, voici l'extrémité de la première.

Et, tout en calculant, il tâtait de la pointe du pied cette fente que le temps rend plus sensible entre chaque jointure de pierre.

– Voyons, murmura-t-il en s'arrêtant, ai-je bien pris mes mesures? serai-je assez fort, et elle, aura-t-elle assez de courage? Oh! oui, car son courage m'est assez connu. Oh! mon Dieu! quand je prendrai sa main, quand je lui dirai: «Madame, vous êtes sauvée!..»

Il s'arrêta comme écrasé sous le poids d'une pareille espérance.

– Oh! reprit-il, projet téméraire, insensé! diront les autres en s'enfonçant sous leurs couvertures, ou en se contentant d'aller rôder vêtus en laquais autour de la Conciergerie; mais c'est qu'ils n'ont pas ce que j'ai pour oser, c'est que je veux sauver non seulement la reine, mais encore et surtout la femme.

«Allons, à l'œuvre, et récapitulons.

«Lever la dalle, ce n'est rien; la laisser ouverte, là est le danger, car une ronde peut venir… Mais jamais il ne vient de rondes. On n'a pas de soupçons, car je n'ai pas de complices, et puis que faut-il de temps à une ardeur comme la mienne pour franchir le couloir sombre? En trois minutes je suis sous sa chambre; en cinq autres minutes, je lève la pierre qui sert de foyer à la cheminée; elle m'entendra travailler, mais elle a tant de fermeté, qu'elle ne s'effrayera point! au contraire, elle comprendra que c'est un libérateur qui s'avance… Elle est gardée par deux hommes; sans doute ces deux hommes accourront…

«Eh bien, après tout, deux hommes, dit le patriote avec un sombre sourire et regardant tour à tour l'arme qu'il avait à sa ceinture et celle qu'il tenait à sa main, deux hommes, c'est un double coup de ce pistolet, ou deux coups de cette barre de fer. Pauvres gens!.. Oh! il en est mort bien d'autres, et qui n'étaient pas plus coupables.

«Allons!»

Et le citoyen Théodore appuya résolument sa pince entre la jointure des deux dalles.

Au même moment, une vive lumière glissa comme un sillon d'or sur les dalles, et un bruit répété par l'écho de la voûte fit tourner la tête au conspirateur, qui, d'un seul bond, revint se tapir dans l'échoppe.

Bientôt, des voix, affaiblies par l'éloignement, affaiblies par l'émotion que tous les hommes ressentent la nuit dans un vaste édifice, arrivèrent à l'oreille de Théodore.

Il se baissa, et, par une ouverture de l'échoppe, il aperçut d'abord un homme en costume militaire dont le grand sabre, résonnant sur les dalles, était un des bruits qui avaient attiré son attention; puis un homme en habit pistache, tenant une règle à la main et des rouleaux de papier sous le bras; puis un troisième, en grosse veste de ratine et en bonnet fourré; puis enfin un quatrième, en sabots et en carmagnole.

La grille des Merciers grinça sur ses gonds, sonores, et vint claquer sur la chaîne de fer destinée à la tenir ouverte le jour.

Les quatre hommes entrèrent.

– Une ronde, murmura Théodore. Dieu soit béni! dix minutes plus tard, j'étais perdu. Puis, avec une attention profonde, il s'appliqua à reconnaître les personnes qui composaient cette ronde.

Il en reconnut trois en effet. Celui qui marchait en tête, vêtu d'un costume de général, était Santerre; l'homme à la veste de ratine et au bonnet fourré était le concierge Richard; l'homme en sabots et en carmagnole était probablement le guichetier.

Mais il n'avait jamais vu l'homme à l'habit pistache, qui tenait une règle à la main et des papiers sous son bras.

Quel pouvait être cet homme, et que venaient faire à dix heures du soir, dans la salle des Pas-Perdus, le général de la Commune, le gardien de la Conciergerie, un guichetier et cet homme inconnu?

Le citoyen Théodore s'appuya sur un genou, tenant d'une main son pistolet tout armé, et, de l'autre, arrangeant son bonnet sur ses cheveux, que le mouvement précipité qu'il venait de faire avait beaucoup trop dérangés à leur base pour qu'ils fussent naturels.

Jusque-là, les quatre visiteurs nocturnes avaient gardé le silence, ou, du moins, les paroles qu'ils avaient prononcées n'étaient parvenues aux oreilles du conspirateur que comme un vain bruit.

Mais, à dix pas de la cachette, Santerre parla, et sa voix arriva distincte jusqu'au citoyen Théodore.

– Voyons, dit-il, nous voici dans la salle des Pas-Perdus. C'est à toi de nous guider maintenant, citoyen architecte, et de tâcher surtout que ta révélation ne soit pas une baliverne; car, vois-tu, la Révolution a fait justice de toutes ces bêtises là, et nous ne croyons pas plus aux souterrains qu'aux esprits. Qu'en dis-tu, citoyen Richard? ajouta Santerre en se tournant vers l'homme au bonnet fourré et à la veste de ratine.

– Je n'ai jamais dit qu'il n'y eût point de souterrain sous la Conciergerie, répondit celui-ci; et voici Gracchus, qui est guichetier depuis dix ans, qui, par conséquent, connaît la Conciergerie comme sa poche, et qui cependant ignore l'existence du souterrain dont parle le citoyen Giraud; cependant, comme le citoyen Giraud est architecte de la ville, il doit savoir ça mieux que nous, puisque c'est son état.

Théodore frissonna des pieds à la tête en entendant ces paroles.

– Heureusement, murmura-t-il, la salle est grande, et, avant de trouver ce qu'ils cherchent, ils chercheront deux jours au moins.

Mais l'architecte ouvrit son grand rouleau de papier, mit ses lunettes et s'agenouilla devant un plan qu'il examina aux tremblotantes clartés de la lanterne que tenait Gracchus.

– J'ai peur, dit Santerre en goguenardant, que le citoyen Giraud n'ait rêvé.

– Tu vas voir, citoyen général, dit l'architecte, tu vas voir si je suis un rêveur; attends, attends.

– Tu vois, nous attendons, dit Santerre.

– Bien, dit l'architecte. Puis calculant:

– Douze et quatre font seize, dit-il, et huit vingt-quatre, qui, divisés par six, donnent quatre; après quoi, il nous reste une demie; c'est cela, je tiens mon endroit, et, si je me trompe d'un pied, dites que je suis un ignare.

L'architecte prononça ces paroles avec une assurance qui glaça de terreur le citoyen Théodore. Santerre regardait le plan avec une sorte de respect; on voyait qu'il admirait d'autant plus qu'il ne comprenait rien.

– Suivez bien ce que je vais dire.

– Où cela? demanda Santerre.

– Sur cette carte que j'ai dressée, pardieu! Y êtes-vous? À treize pieds du mur, une dalle mobile, je l'ai marquée A. La voyez-vous?

– Certainement je vois un A, dit Santerre. Est-ce que tu crois que je ne sais pas lire?

– Sous cette dalle est un escalier, continua l'architecte; voyez, je l'ai marqué B.

– B, répéta Santerre. Je vois le B, mais je ne vois pas l'escalier. Et le général se mit à rire bruyamment de la facétie.

– Une fois la dalle levée, une fois le pied sur la dernière marche, reprit l'architecte, comptez cinquante pas de trois pieds et regardez en l'air, vous vous trouverez juste au greffe, où ce souterrain aboutit en passant sous le cachot de la reine.

– De la veuve Capet, tu veux dire, citoyen Giraud, riposta Santerre en fronçant le sourcil.

– Eh! oui, de la veuve Capet.

– C'est que tu avais dit de la reine.

– Vieille habitude.

– Et vous dites donc qu'on se trouvera sous le greffe? demanda Richard.

– Non seulement sous le greffe, mais je vous dirai dans quelle partie du greffe on se trouvera: sous le poêle.

– Tiens, c'est curieux, dit Gracchus; en effet, chaque fois que je laisse tomber une bûche en cet endroit-là, la pierre résonne.

– En vérité, si nous trouvons ce que tu dis là, citoyen architecte, j'avouerai que la géométrie est une belle chose.

– Eh bien, avoue, citoyen Santerre, car je vais te conduire à l'endroit désigné par la lettre A. Le citoyen Théodore s'enfonçait les ongles dans la chair.

– Quand j'aurai vu, quand j'aurai vu, dit Santerre; je suis comme saint Thomas, moi.

– Ah! tu dis saint Thomas?

– Ma foi, oui, comme tu as dit la reine, par habitude; mais on ne m'accusera pas de conspirer pour saint Thomas.

– Ni moi pour la reine.

Et, sur cette réponse, l'architecte prit délicatement sa règle, compta les toises, et, une fois arrêté, après qu'il parut avoir bien calculé toutes ses distances, il frappa sur une dalle.

Cette dalle était précisément la même qu'avait frappée le citoyen Théodore, dans sa furieuse colère.

– C'est ici, citoyen général, dit l'architecte.

– Tu crois, citoyen Giraud? Le patriote de l'échoppe s'oublia jusqu'à frapper violemment sa cuisse de son poing fermé, en poussant un sourd rugissement.

– J'en suis sûr, reprit Giraud; et votre expertise, combinée avec mon rapport, prouvera à la Convention que je ne me trompais pas. Oui, citoyen général, continua l'architecte avec emphase, cette dalle ouvre sur un souterrain qui aboutit au greffe, en passant sous le cachot de la veuve Capet. Levons cette dalle, descendez dans le souterrain avec moi, et je vous prouverai que deux hommes, qu'un seul même, pouvait en une nuit l'enlever, sans que personne s'en doutât.

Un murmure de frayeur et d'admiration arraché par les paroles de l'architecte parcourut tout le groupe, et vint mourir à l'oreille du citoyen Théodore, qui semblait changé en statue.

– Voilà le danger que nous courions, reprit Giraud. Eh bien, maintenant, avec une grille que je place dans le couloir souterrain, et qui le coupe par la moitié, avant qu'il arrive au cachot de la veuve Capet, je sauve la patrie.

– Oh! fit Santerre, citoyen Giraud, tu as eu là une idée sublime.

– Que l'enfer te confonde, triple sot! grommela le patriote avec un redoublement de fureur.

– Maintenant, lève la dalle, dit l'architecte au citoyen Gracchus, qui, outre sa lanterne, portait encore une pince. Le citoyen Gracchus se mit à l'œuvre, et au bout d'un instant la dalle fut levée.

Alors le souterrain apparut béant, avec l'escalier qui se perdait dans ses profondeurs, et une bouffée d'air moisi s'en échappa, épaisse comme une vapeur.

– Encore une tentative avortée! murmura le citoyen Théodore. Oh! le ciel ne veut donc pas qu'elle en échappe, et sa cause est donc une cause maudite!

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
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