Kitabı oku: «Le Chevalier de Maison-Rouge», sayfa 23
XLI
Le greffier du ministère de la guerre
Le patriote était sorti, mais ne s'était pas éloigné. À travers les vitres enfumées, il guettait le guichetier, pour voir s'il n'entrerait pas en communication avec quelques-uns de ces agents de la police républicaille, l'une des meilleures qui eût jamais existé, car la moitié de la société espionnait l'autre, moins encore pour la plus grande gloire du gouvernement que pour la plus grande sûreté de sa tête.
Mais rien de ce que craignait le patriote n'arriva; à neuf heures moins quelques minutes, le guichetier se leva, prit le menton de la cabaretière et sortit.
Le patriote le rejoignit sur le quai de la Conciergerie et tous deux entrèrent dans la prison.
Dès le soir même, le marché fut conclu: le père Richard accepta le guichetier Mardoche en remplacement du citoyen Gracchus.
Deux heures avant que cette affaire s'arrangeât dans la geôle, une scène se passait dans une autre partie de la prison qui, quoique sans intérêt apparent, avait une importance non moins grande pour les principaux personnages de cette histoire.
Le greffier de la Conciergerie, fatigué de sa journée, allait plier les registres et sortir, quand un homme, conduit par la citoyenne Richard, se présenta devant son bureau.
– Citoyen greffier, dit-elle, voici votre confrère du ministère de la guerre qui vient, de la part du citoyen ministre, pour relever quelques écrous militaires.
– Ah! citoyen, dit le greffier, vous arrivez un peu tard, je pliais bagage.
– Cher confrère, pardonnez-moi, répondit le nouvel arrivant, mais nous avons tant de besogne, que nos courses ne peuvent guère se faire qu'à nos moments perdus, et nos moments perdus, à nous, ne sont guère que ceux où les autres mangent et dorment.
– S'il en est ainsi, faites, mon cher confrère; mais hâtez-vous, car, ainsi que vous le dites, c'est l'heure du souper et j'ai faim. Avez-vous vos pouvoirs?
– Les voici, dit le greffier du ministère de la guerre en exhibant un portefeuille que son confrère, tout pressé qu'il était, examina avec une scrupuleuse attention.
– Oh! tout cela est en règle, dit la femme Richard, et mon mari a déjà passé l'inspection.
– N'importe, n'importe, dit le greffier en continuant son examen.
Le greffier de la guerre attendit patiemment et en homme qui s'était attendu au strict accomplissement de ces formalités.
– À merveille, dit le greffier de la Conciergerie, et vous pouvez maintenant commencer quand vous voudrez. Avez-vous beaucoup d'écrous à relever?
– Une centaine.
– Alors, vous en avez pour plusieurs jours?
– Aussi, cher confrère, est-ce une espèce de petit établissement que je viens fonder chez vous, si vous le permettez, toutefois.
– Comment l'entendez-vous? demanda le greffier de la Conciergerie.
– C'est ce que je vous expliquerai en vous emmenant souper ce soir avec moi; vous avez faim, vous l'avez dit.
– Et je ne m'en dédis pas.
– Eh bien, vous verrez ma femme: c'est une bonne cuisinière; puis vous ferez connaissance avec moi: je suis un bon garçon.
– Ma foi, oui, vous me faites cet effet-là; cependant, cher confrère…
– Oh! acceptez sans façon les huîtres que j'achèterai en passant sur la place du Châtelet, un poulet de chez notre rôtisseur, et deux ou trois petits plats que madame Durand fait dans la perfection.
– Vous me séduisez, cher confrère, dit le greffier de la Conciergerie, ébloui par ce menu, auquel n'était pas accoutumé un greffier payé par le tribunal révolutionnaire à raison de deux livres en assignats, lesquels valaient en réalité deux francs à peine.
– Ainsi, vous acceptez?
– J'accepte.
– En ce cas, à demain le travail; pour ce soir, partons.
– Partons.
– Venez-vous?
– À l'instant; laissez-moi seulement prévenir les gendarmes qui gardent l'Autrichienne.
– Pourquoi faire les prévenez-vous?
– Afin qu'ils soient avertis que je sors et que, sachant, par conséquent, qu'il n'y a plus personne au greffe, tous les bruits leur deviennent suspects.
– Ah! fort bien; excellente précaution, ma foi?
– Vous comprenez, n'est-ce pas?
– À merveille. Allez.
Le greffier de la Conciergerie alla en effet heurter au guichet, et l'un des gendarmes ouvrit en disant:
– Qui est là?
– Moi! le greffier; vous savez, je pars. Bonsoir, citoyen Gilbert.
– Bonsoir, citoyen greffier. Et le guichet se referma. Le greffier de la guerre avait examiné toute cette scène avec la plus grande attention, et, quand la porte de la prison de la reine restait ouverte, son regard avait rapidement plongé jusqu'au fond du premier compartiment: il avait vu le gendarme Duchesne à table, et s'était, en conséquence, assuré que la reine n'avait que deux gardiens.
Il va sans dire que, lorsque le greffier de la Conciergerie se retourna, son confrère avait repris l'aspect le plus indifférent qu'il avait pu donner à sa physionomie.
Comme ils sortaient de la Conciergerie, deux hommes allaient y entrer. Ces deux hommes, qui allaient y entrer, étaient le citoyen Gracchus et son cousin Mardoche.
Le cousin Mardoche et le greffier de la guerre, chacun par un mouvement qui semblait émaner d'un sentiment pareil, enfoncèrent, en s'apercevant, l'un son bonnet à poils, l'autre son chapeau à larges bords sur les yeux.
– Quels sont ces hommes? demanda le greffier de la guerre.
– Je n'en connais qu'un: c'est un guichetier nommé Gracchus.
– Ah! fit l'autre avec une indifférence affectée, les guichetiers sortent donc à la Conciergerie?
– Ils ont leur jour. L'investigation ne fut pas poussée plus loin; les deux nouveaux amis prirent le pont au Change. Au coin de la place du Châtelet, le greffier de la guerre, selon le programme annoncé, acheta une cloyère de douze douzaines d'huîtres; puis on continua de s'avancer par le quai de Gèvres. La demeure du greffier du ministère de la guerre était fort simple: le citoyen Durand habitait trois petites pièces sur la place de Grève, dans une maison sans portier. Chaque locataire avait une clef de la porte de l'allée; et il était convenu que l'on s'avertirait quand on n'aurait pas pris cette clef avec soi, par un, deux ou trois coups de marteau, selon l'étage que l'on habitait: la personne qui en attendait une autre, et qui reconnaissait le signal, descendait alors et ouvrait la porte. Le citoyen Durand avait sa clef dans sa poche, il n'eut donc pas besoin de frapper.
Le greffier du Palais trouva madame la greffière de la guerre fort à son goût.
C'était une charmante femme, en effet, à laquelle une profonde expression de tristesse répandue sur sa physionomie, donnait à la première vue un puissant intérêt. Il est à remarquer que la tristesse est un des plus sûrs moyens de séduction des jolies femmes; la tristesse rend amoureux tous les hommes, sans exception, même les greffiers; car, quoi qu'on dise, les greffiers sont des hommes, et il n'est aucun amour-propre féroce ou aucun cœur sensible qui n'espère consoler une jolie femme affligée, et changer les roses blanches d'un teint pâle en des roses plus riantes, comme disait le citoyen Dorat.
Les deux greffiers soupèrent de fort bon appétit; il n'y a que madame Durand qui ne mangea point.
Les questions cependant marchaient de part et d'autre.
Le greffier de la guerre demandait à son confrère, avec une curiosité bien remarquable dans ces temps de drames quotidiens, quels étaient les usages du palais, les jours de jugement, les moyens de surveillance.
Le greffier du Palais, enchanté d'être écouté avec tant d'attention, répondait avec complaisance et disait les mœurs des geôliers, celles de Fouquier-Tinville, et enfin celles du citoyen Sanson, le principal acteur de cette tragédie qu'on jouait chaque soir sur la place de la Révolution.
Puis s'adressant à son collègue et à son hôte, il lui demandait à son tour des renseignements sur son ministère à lui.
– Oh! dit Durand, je suis moins bien renseigné que vous, étant un personnage infiniment moins important que vous, attendu que je suis plutôt secrétaire du greffier que titulaire de la place; je fais la besogne du greffier en chef. Obscur employé, à moi la peine, aux illustres le profit; c'est l'habitude de toutes les bureaucraties, même révolutionnaires. La terre et le ciel changeront peut-être un jour, mais les bureaux ne changeront pas.
– Eh bien, je vous aiderai, citoyen, dit le greffier du Palais, charmé du bon vin de son hôte, et surtout charmé des beaux yeux de madame Durand.
– Oh! merci, dit celui à qui cette offre gracieuse était faite; tout ce qui change les habitudes et les localités est une distraction pour un pauvre employé, et je crains plutôt de voir finir mon travail à la Conciergerie que de le voir traîner en longueur, et pourvu que chaque soir je puisse amener au greffe madame Durand, qui s'ennuierait ici…
– Je n'y vois pas d'inconvénient, dit le greffier du Palais, enchanté de l'aimable distraction que lui promettait son confrère.
– Elle me dictera les écrous, continua le citoyen Durand; et puis, de temps en temps, si vous n'avez pas trouvé le souper de ce soir trop mauvais, vous en reviendrez prendre un pareil.
– Oui; mais pas trop souvent, dit avec fatuité le greffier du Palais; car je vous avouerai que je serais grondé si je rentrais plus tard que d'habitude dans une certaine petite maison de la rue du Petit-Musc.
– Eh bien, voilà qui s'arrangera merveilleusement bien, dit Durand; n'est-ce pas, ma chère amie?
Madame Durand, fort pâle et fort triste toujours, leva les yeux sur son mari et répondit:
– Que votre volonté soit faite.
Onze heures sonnaient; il était temps de se retirer. Le greffier du Palais se leva, et prit congé de ses nouveaux amis, en leur exprimant tout le plaisir qu'il avait eu de faire connaissance avec eux et leur dîner.
Le citoyen Durand reconduisit son hôte jusque sur le palier; puis, rentrant dans la chambre:
– Allons, Geneviève, dit-il, couchez-vous. La jeune femme, sans répondre, se leva, prit une lampe et passa dans la chambre à droite. Durand, ou plutôt Dixmer, la regarda sortir, resta un instant pensif et le front sombre après son départ; puis, à son tour, il passa dans sa chambre, qui était du côté opposé.
XLII
Les deux billets
À partir de ce moment, le greffier du ministère de la guerre vint chaque soir travailler assidûment dans le bureau de son collègue du Palais; madame Durand relevait les écrous sur les registres préparés à l'avance, et Durand copiait avec ardeur.
Durand examinait tout sans paraître faire attention à rien. Il avait remarqué que chaque soir, à neuf heures, un panier de provisions apporté par Richard ou sa femme était déposé à la porte.
Au moment où le greffier disait au gendarme: «Je m'en vais, citoyen», le gendarme, soit Gilbert, soit Duchesne, sortait, prenait le panier et le portait chez Marie-Antoinette.
Pendant les trois soirées consécutives où Durand était resté plus tard à son poste, le panier aussi était resté plus tard au sien, puisque ce n'était qu'en ouvrant la porte pour dire adieu au greffier que le gendarme récoltait les provisions.
Un quart d'heure après avoir introduit le panier plein, un des deux gendarmes remettait à la porte un panier vide de la veille, le déposant à la même place où était l'autre.
Le soir du quatrième jour, c'était au commencement d'octobre, après la séance habituelle, quand le greffier du Palais se fut retiré, et quand Durand, ou plutôt Dixmer, fut resté seul avec sa femme, il laissa tomber sa plume, puis regarda autour de lui, et prêtant l'oreille avec la même attention que si sa vie en eût dépendu, il se leva vivement, et courant à pas étouffés vers la porte du guichet, il souleva la serviette qui recouvrait le panier et enfonça dans le pain tendre destiné à la prisonnière un petit étui d'argent.
Puis, pâle et tremblant de l'émotion qui, même chez la plus puissante organisation, trouble l'homme qui vient d'accomplir un acte suprême, et dont le moment a été longuement préparé et est fortement attendu, il revint prendre sa place, appuyant une main sur son front, l'autre sur son cœur.
Geneviève le regardait faire, mais sans lui adresser la parole; ordinairement, depuis que son mari l'avait reprise chez Maurice, elle attendait toujours qu'il lui parlât le premier.
Cependant, cette fois, elle rompit le silence:
– Est-ce pour ce soir? demanda-t-elle.
– Non, c'est pour demain, répondit Dixmer. Et, se levant après avoir regardé et écouté de nouveau, il ferma les registres, et, se rapprochant du guichetier, il frappa à la porte.
– Hein? fit Gilbert.
– Citoyen, dit-il, je m'en vais.
– Bien, dit le gendarme du fond de la cellule. Bonsoir.
– Bonsoir, citoyen Gilbert.
Durand entendit le grincement des verrous, il comprit que le gendarme allait ouvrir la porte, il sortit.
Dans le couloir qui conduisait de l'appartement du père Richard à la cour, il heurta un guichetier coiffé d'un bonnet à poil, et brandissant un lourd trousseau de clefs.
La peur saisit Dixmer; cet homme, brutal comme les gens de son état, allait l'interpeller, le regarder, le reconnaître peut-être. Il enfonça son chapeau, tandis que Geneviève tirait sur ses yeux la garniture de son mantelet noir.
Il se trompait.
– Ah! pardon! dit seulement le guichetier, quoique ce fût lui qui eût été heurté.
Dixmer tressaillit au son de cette voix, qui était douce et polie. Mais le guichetier était pressé sans doute, il se glissa dans le couloir, ouvrit la porte du père Richard et disparut. Dixmer continua son chemin, entraînant Geneviève.
– C'est étrange, dit-il, lorsqu'il fut dehors, que la porte se fut refermée derrière lui, et que l'impression de l'air eut rafraîchi son front brûlant.
– Oh! oui, bien étrange, murmura Geneviève. Au temps de leur intimité, les deux époux se fussent communiqué l'un à l'autre la cause de leur étonnement. Mais Dixmer enferma ses pensées dans son esprit, les combattant comme une hallucination, tandis que Geneviève se contentait, en tournant l'angle du pont au Change, de jeter un dernier regard sur le sombre Palais, où quelque chose de pareil au fantôme d'un ami perdu venait de réveiller en elle tant de souvenirs doux et amers à la fois.
Tous deux arrivèrent à la Grève sans avoir prononcé une seule parole.
Pendant ce temps, le gendarme Gilbert était sorti et s'était emparé du panier de provisions destiné à la reine. Il contenait des fruits, un poulet froid, une bouteille de vin blanc, une carafe d'eau et la moitié d'un pain de deux livres.
Gilbert leva la serviette et reconnut la disposition ordinaire des objets placés dans le panier par la citoyenne Richard. Puis, dérangeant le paravent:
– Citoyenne, dit-il tout haut, voici le souper. Marie-Antoinette rompit le pain; mais à peine ses doigts s'y étaient-ils imprimés, qu'elle sentit le froid contact de l'argent, et qu'elle comprit que ce pain renfermait quelque chose d'extraordinaire. Alors elle regarda autour d'elle, mais le gendarme s'était déjà retiré. La reine resta un instant immobile; elle calculait son éloignement progressif. Quand elle crut être certaine qu'il était allé s'asseoir près de son camarade, elle tira l'étui du pain. L'étui contenait un billet. Elle le déplia et lut ce qui suit:
«Madame, tenez-vous prête demain à l'heure où vous recevrez ce billet; car demain, à cette heure, une femme sera introduite dans le cachot de Votre Majesté. Cette femme prendra vos habits et vous donnera les siens; puis vous sortirez de la Conciergerie au bras d'un de vos plus dévoués serviteurs.
«Ne vous inquiétez pas du bruit qui se fera dans la première pièce; ne vous arrêtez ni aux cris ni aux gémissements; ne vous occupez que de passer promptement la robe et le mantelet de la femme qui doit prendre la place de Votre Majesté.»
– Un dévouement! murmura la reine; merci, mon Dieu! je ne suis donc pas, comme on le disait, un objet d'exécration pour tous.
Elle relut le billet. Alors le second paragraphe la frappa.
– » Ne vous arrêtez ni aux cris ni aux gémissements», murmura-t-elle. Oh! cela veut dire que l'on frappera mes deux gardiens, pauvres gens! qui m'ont montré tant de pitié; oh! jamais, jamais!
Elle déchira encore la seconde moitié du billet, qui était blanche, et, comme elle n'avait ni crayon ni plume pour répondre à l'ami inconnu qui s'occupait d'elle, elle prit l'épingle de son fichu et piqua dans le papier des lettres qui composèrent les mots suivants:
«Je ne puis ni ne dois accepter le sacrifice de la vie de personne en échange de la mienne. «M. – A.»
Puis elle replaça le papier dans l'étui, qu'elle enfouit dans la seconde partie du pain brisé.
Cette opération était achevée à peine, dix heures sonnaient, et la reine, tenant le morceau de pain à la main, comptait tristement les heures qui vibraient lentes et espacées, quand elle entendit à une des fenêtres, donnant sur la cour que l'on appelait la cour des femmes, un bruit strident pareil à celui que produirait un diamant grinçant sur le verre.
Ce bruit fut suivi d'un choc léger à la vitre, choc plusieurs fois répété et que couvrait avec intention la toux d'un homme. Puis, à l'angle de la vitre, apparut un petit papier roulé qui glissa lentement et tomba au pied de la muraille. Puis la reine entendit le bruit du trousseau de clefs sautillant les unes sur les autres et des pas qui s'éloignaient en retentissant sur le pavé.
Elle reconnut que la vitre venait d'être trouée à son angle, et que, par cet angle, l'homme qui s'éloignait avait glissé un papier, qui sans doute était un billet. Ce billet était à terre. La reine le couva des yeux, tout en écoutant si l'un de ses gardiens ne se rapprochait pas d'elle; mais elle les entendit qui parlaient à voix basse comme ils faisaient d'habitude, et par une espèce de convention tacite pour ne pas l'importuner. Alors elle se leva doucement, retenant son haleine, et alla ramasser le papier.
Un objet mince et dur en glissa comme d'un fourreau, et, en tombant sur la brique, résonna métalliquement. C'était une lime de la plus grande finesse, un bijou plutôt qu'un outil, un de ces ressorts d'acier avec lesquels une main, si faible et si inhabile qu'elle soit, peut couper en un quart d'heure le fer du plus épais barreau.
«Madame, disait le papier, demain à neuf heures et demie, un homme viendra causer avec les gendarmes qui vous gardent, par la fenêtre de la cour des femmes. Pendant ce temps, Votre Majesté sciera le troisième barreau de sa fenêtre, en allant de gauche à droite… Coupez en biaisant, un quart d'heure doit suffire à Votre Majesté; puis tenez-vous prête à passer par la fenêtre… L'avis vous vient d'un de vos plus dévoués et de vos plus fidèles sujets, lequel a consacré sa vie au service de Votre Majesté, et sera heureux de la sacrifier pour elle.»
– Oh! murmura la reine, est-ce un piège? Mais non, il me semble que je connais cette écriture; c'est la même qu'au Temple; c'est celle du chevalier de Maison-Rouge. Allons! Dieu veut peut-être que j'échappe.
Et la reine tomba à genoux et se réfugia dans la prière, ce baume souverain des prisonniers.
XLIII
Les préparatifs de Dixmer
Ce lendemain, préparé par une nuit d'insomnie, vint enfin, terrible, et, l'on peut dire sans exagération, couleur de sang.
Chaque jour, en effet, à cette époque et dans cette année, le plus beau soleil avait ses taches livides.
La reine dormit à peine et d'un sommeil sans repos; à peine avait-elle les yeux fermés, qu'il lui semblait voir du sang, qu'il lui semblait entendre pousser des cris.
Elle s'était endormie, sa lime dans sa main. Une partie de la journée fut donnée par elle à la prière. Ses gardiens la voyaient prier si souvent, qu'ils ne prirent aucune inquiétude de ce surcroît de dévotion.
De temps en temps, la prisonnière tirait de son sein la lime qui lui avait été transmise par un de ses sauveurs, et elle comparait la faiblesse de l'instrument à la force des barreaux.
Heureusement, ces barreaux n'étaient scellés dans le mur que d'un côté, c'est-à-dire par en bas.
La partie supérieure s'emboîtait dans un barreau transversal; la partie inférieure sciée, on n'avait donc qu'à tirer le barreau, et le barreau venait.
Mais ce n'étaient pas les difficultés physiques qui arrêtaient la reine: elle comprenait parfaitement que la chose était possible, et c'est cette possibilité même qui faisait de l'espérance une flamme sanglante qui éblouissait ses yeux.
Elle sentait que, pour arriver à elle, il faudrait que ses amis tuassent les hommes qui la gardaient, et elle n'eût consenti leur mort à aucun prix; ces hommes étaient les seuls qui depuis longtemps lui eussent montré quelque pitié.
D'un autre côté, au delà de ces barreaux qu'on lui disait de scier, de l'autre côté du corps de ces deux hommes qui devaient succomber en empêchant ses sauveurs d'arriver jusqu'à elle, étaient la vie, la liberté, et peut-être la vengeance, trois choses si douces, pour une femme surtout, qu'elle demandait à Dieu pardon de les désirer si ardemment.
Elle crut, au reste, remarquer que nul soupçon n'agitait ses gardiens et qu'ils n'avaient pas même la conscience du piège où l'on voulait faire tomber leur prisonnière, en supposant que le complot fût un piège.
Ces hommes simples se fussent trahis à des yeux aussi exercés que l'étaient ceux d'une femme habituée à deviner le mal à force de l'avoir souffert.
La reine renonçait donc presque entièrement à la portion de ses idées qui lui faisait examiner la double ouverture qui lui avait été faite comme un piège; mais, à mesure que la honte d'être prise dans ce piège la quittait, elle tombait dans l'appréhension plus grande encore de voir couler sous ses yeux un sang versé pour elle.
– Bizarre destinée, et sublime spectacle! murmurait-elle; deux conspirations se réunissent pour sauver une pauvre reine ou plutôt une pauvre femme prisonnière, qui n'a rien fait pour séduire ou encourager les conspirateurs, et elles vont éclater en même temps.
«Qui sait! elles ne font qu'une, peut-être. Peut-être est-ce une double mine qui doit aboutir à un seul point.
«Si je voulais, je serais donc sauvée!
«Mais une pauvre femme sacrifiée à ma place!
«Mais deux hommes tués pour que cette femme arrive jusqu'à moi!
«Dieu et l'avenir ne me pardonneraient pas.
«Impossible! impossible!..»
Mais alors passaient et repassaient dans son esprit ces grandes idées de dévouement des serviteurs pour les maîtres, et ces antiques traditions du droit des maîtres sur la vie des serviteurs; fantômes presque effacés de la royauté mourante.
– Anne d'Autriche eût accepté, se disait-elle; Anne d'Autriche eût mis au-dessus de toutes choses ce grand principe du salut des personnes royales.
«Anne d'Autriche était du même sang que moi, et presque dans la même situation que moi.
«Folie d'être venue poursuivre la royauté d'Anne d'Autriche en France!
«Aussi n'est-ce point moi qui suis venue; deux rois ont dit:
« – Il est important que deux enfants royaux qui ne se sont jamais vus, qui ne s'aimaient pas, qui ne s'aimeront peut-être jamais, soient mariés au même autel, pour aller mourir sur le même échafaud.
«Et puis, ma mort n'entraînera-t-elle pas celle du pauvre enfant qui, aux yeux de mes rares amis, est encore roi de France?
«Et, quand mon fils sera mort comme est mort mon mari, leurs deux ombres ne souriront-elles pas de pitié en me voyant, pour ménager quelques gouttes de sang vulgaire, tacher de mon sang les débris du trône de saint Louis?»
Ce fut dans ces angoisses toujours croissantes, dans cette fièvre du doute, dont les pulsations vont sans cesse redoublant, dans l'horreur de ces craintes, enfin, que la reine atteignit le soir.
Plusieurs fois elle avait examiné ses deux gardiens; jamais ils n'avaient eu l'air plus calme.
Jamais non plus les petites attentions de ces hommes grossiers mais bons ne l'avaient frappée davantage.
Quand les ténèbres se firent dans le cachot, quand retentit le pas des rondes, quand le bruit des armes et le hurlement des chiens alla éveiller l'écho des sombres voûtes, quand enfin toute la prison se révéla effrayante et sans espérances, Marie-Antoinette, domptée par la faiblesse inhérente à la nature de la femme, se leva épouvantée.
– Oh! je fuirai, dit-elle; oui, oui, je fuirai. Quand on viendra, quand on parlera, je scierai un barreau, et j'attendrai ce que Dieu et mes libérateurs ordonneront de moi. Je me dois à mes enfants, on ne les tuera pas, ou, si on les tue et que je sois libre, oh! alors au moins…
Elle n'acheva pas, ses yeux se fermèrent, sa bouche étouffa sa voix. Ce fut un rêve effrayant que celui de cette pauvre reine dans une chambre fermée de verrous et de grilles. Mais bientôt, dans son rêve toujours, grilles et verrous tombèrent; elle se vit au milieu d'une armée sombre, impitoyable; elle ordonnait à la flamme de briller, au fer de sortir du fourreau; elle se vengeait d'un peuple qui, au bout du compte, n'était pas le sien.
Pendant ce temps, Gilbert et Duchesne causaient tranquillement et préparaient leur repas du soir.
Pendant ce temps aussi, Dixmer et Geneviève entraient à la Conciergerie, et, comme d'habitude, s'installaient dans le greffe. Au bout d'une heure de cette installation, comme d'habitude encore, le greffier du Palais achevait sa tâche et les laissait seuls.
Dès que la porte se fut refermée sur son collègue, Dixmer se précipita vers le panier vide déposé à la porte en échange du panier du soir.
Il saisit le morceau de pain, le brisa et retrouva l'étui.
Le mot de la reine y était renfermé; il le lut en pâlissant.
Et comme Geneviève l'observait, il déchira le papier en mille morceaux qu'il vint jeter dans la gueule enflammée du poêle.
– C'est bien, dit-il; tout est convenu. Puis, se retournant vers Geneviève:
– Venez, madame, dit-il.
– Moi?
– Oui, il faut que je vous parle bas.
Geneviève, immobile et froide comme le marbre, fit un geste de résignation et s'approcha.
– Voici l'heure venue, madame, dit Dixmer; écoutez-moi.
– Oui, monsieur.
– Vous préférez une mort utile à votre cause, une mort qui vous fasse bénir de tout un parti et plaindre de tout un peuple, à une mort ignominieuse et toute de vengeance, n'est-ce pas?
– Oui, monsieur.
– J'eusse pu vous tuer sur place lorsque je vous ai rencontrée chez votre amant; mais un homme qui a, comme moi, consacré sa vie à une œuvre honorable et sainte, doit savoir tirer parti de ses propres malheurs en les consacrant à cette cause, c'est ce que j'ai fait, ou plutôt ce que je compte faire. Je me suis, comme vous l'avez vu, refusé le plaisir de me faire justice. J'ai aussi épargné votre amant.
Quelque chose comme un sourire fugitif mais terrible passa sur les lèvres décolorées de Geneviève.
– Mais, quant à votre amant, vous devez comprendre, vous qui me connaissez, que je n'ai attendu que pour trouver mieux.
– Monsieur, dit Geneviève, je suis prête; pourquoi donc alors ce préambule?
– Vous êtes prête?
– Oui, vous me tuez. Vous avez raison, j'attends. Dixmer regarda Geneviève et tressaillit malgré lui; elle était sublime en ce moment: une auréole l'éclairait, la plus brillante de toutes, celle qui vient de l'amour.
– Je continue, reprit Dixmer. J'ai prévenu la reine; elle attend; cependant, selon toute probabilité, elle fera quelques objections, mais vous la forcerez.
– Bien, monsieur; donnez vos ordres, et je les exécuterai.
– Tout à l'heure, continua Dixmer, je vais heurter à la porte, Gilbert va ouvrir; avec ce poignard (Dixmer ouvrit son habit et montra, en le tirant à moitié du fourreau, un poignard à double tranchant); – avec ce poignard, je le tuerai. Geneviève frissonna malgré elle. Dixmer fit un signe de la main pour lui imposer l'attention.
– Au moment où je le frappe, continua-t-il, vous vous élancez dans la seconde chambre, dans celle où est la reine. Il n'y a pas de porte, vous le savez, seulement un paravent, et vous changez d'habits avec elle, tandis que je tue le second soldat. Alors je prends le bras de la reine, et je passe le guichet avec elle.
– Fort bien, dit froidement Geneviève.
– Vous comprenez? continua Dixmer; chaque soir on vous voit avec ce mantelet de taffetas noir qui cache ce visage. Mettez votre mantelet à Sa Majesté, et drapez-le comme vous avez l'habitude de le draper vous-même.
– Je le ferai ainsi que vous le dites, monsieur.
– Il me reste maintenant à vous pardonner et à vous remercier, madame, dit Dixmer. Geneviève secoua la tête avec un froid sourire.
– Je n'ai pas besoin de votre pardon, ni de votre merci, monsieur, dit-elle en étendant la main; ce que je fais, ou plutôt ce que je vais faire, effacerait un crime, et je n'ai commis qu'une faiblesse; et encore cette faiblesse, rappelez-vous votre conduite, monsieur, vous m'avez presque forcée à la commettre. Je m'éloignais de lui, et vous me repoussiez dans ses bras; de sorte que vous êtes l'instigateur, le juge et le vengeur. C'est donc à moi de vous pardonner ma mort, et je vous la pardonne. C'est donc à moi de vous remercier, monsieur, de m'ôter la vie, puisque la vie m'eût été insupportable séparée de l'homme que j'aime uniquement, depuis cette heure surtout où vous avez brisé par votre féroce vengeance tous les liens qui m'attachaient à lui.
Dixmer s'enfonçait les ongles dans la poitrine; il voulut répondre, la voix lui manqua.
Il fit quelques pas dans le greffe.
– L'heure passerait, dit-il enfin; toute seconde a son utilité. Allons, madame, êtes-vous prête?
– Je vous l'ai dit, monsieur, répondit Geneviève avec le calme des martyrs, j'attends!
Dixmer rassembla tous ses papiers, alla voir si les portes étaient bien closes, si personne ne pouvait entrer dans le greffe; puis il voulut réitérer ses instructions à sa femme.
– Inutile, monsieur, dit Geneviève, je sais parfaitement ce que j'ai à faire.
– Alors, adieu! Et Dixmer lui tendit la main, comme si, à ce moment suprême, toute récrimination devait s'effacer devant la grandeur de la situation et la sublimité du sacrifice.
Geneviève, en frémissant, toucha du bout des doigts la main de son mari.
– Placez-vous près de moi, madame, dit Dixmer, et, aussitôt que j'aurai frappé Gilbert, passez.
– Je suis prête.
Alors, Dixmer serra dans sa main droite son large poignard, et, de la gauche, il heurta à la porte.