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Kitabı oku: «Le Collier de la Reine, Tome II», sayfa 11

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Chapitre LXIX
La nuit

Ce jour même, il était quatre heures du soir, lorsqu'un homme à cheval s'arrêta sur la lisière du parc, derrière les bains d'Apollon.

Le cavalier faisait une promenade d'agrément, au pas; pensif comme Hippolyte, beau comme lui, sa main laissait flotter les rênes sur le col du coursier.

Il s'arrêta, ainsi que nous l'avons dit, à l'endroit où monsieur de Rohan depuis trois jours faisait arrêter son cheval. Le sol était, à cet endroit, foulé par les fers, et les arbustes étaient broutés tout à l'entour du chêne au tronc duquel avait été attachée la monture.

Le cavalier mit pied à terre.

– Voici un endroit bien ravagé, dit-il.

Et il approcha du mur.

– Voici des traces d'escalade; voici une porte récemment ouverte. C'est bien ce que j'avais pensé.

«On n'a pas fait la guerre avec les Indiens des savanes sans se connaître en traces de chevaux et d'hommes. Or, depuis quinze jours, monsieur de Charny est revenu; depuis quinze jours monsieur de Charny ne s'est point montré. Voici la porte que monsieur de Charny a choisie pour entrer dans Versailles.

En disant ces mots, le cavalier soupira bruyamment comme s'il arrachait son âme avec ce soupir.

– Laissons au prochain son bonheur, murmura-t-il en regardant une à une les éloquentes traces du gazon et des murs. Ce que Dieu donne aux uns, il le refuse aux autres. Ce n'est pas pour rien que Dieu fait des heureux et des malheureux; sa volonté soit bénie!

«Il faudrait une preuve, cependant. À quel prix, par quel moyen l'acquérir?

«Oh! rien de plus simple. Dans les buissons, la nuit, un homme ne saurait être découvert, et, de sa cachette, il verrait ceux qui viennent. Ce soir, je serai dans les buissons.

Le cavalier ramassa les rênes de son cheval, se remit lentement en selle, et sans presser ni hâter le pas de son cheval, disparut à l'angle du mur.

Quant à Charny, obéissant aux ordres de la reine, il s'était renfermé chez lui, attendant un message de sa part.

La nuit vint, rien ne paraissait. Charny, au lieu de guetter à la fenêtre du pavillon qui donnait sur le parc, guettait dans la même chambre à la fenêtre qui donnait sur la petite rue. La reine avait dit: à la porte de la louveterie; mais fenêtre et porte dans ce pavillon c'était tout un, au rez-de-chaussée. Le principal était qu'on pût voir tout ce qui arriverait.

Il interrogeait la nuit profonde, espérant d'une minute à l'autre entendre le galop d'un cheval ou le pas précipité d'un courrier.

Dix heures et demie sonnèrent. Rien. La reine avait joué Charny. Elle avait fait une concession au premier mouvement de surprise. Honteuse, elle avait promis ce qu'il lui était impossible de tenir; et, chose affreuse à penser, elle avait promis sachant qu'elle ne tiendrait pas.

Charny, avec cette rapide facilité de soupçon qui caractérise les gens violemment épris, se reprochait déjà d'avoir été si crédule.

– Comment ai-je pu, s'écriait-il, moi qui ai vu, croire à des mensonges et sacrifier ma conviction, ma certitude, à un stupide espoir?

Il développait avec rage cette idée funeste, quand le bruit d'une poignée de sable lancée sur les vitres de l'autre fenêtre attira son attention et le fit courir du côté du parc.

Il vit alors, dans une large mante noire, en bas, sous la charmille du parc, une figure de femme qui levait vers lui un visage pâle et inquiet.

Il ne put retenir un cri de joie et de regret tout ensemble. La femme qui l'attendait, qui l'appelait, c'était la reine!

D'un bond il s'élança par la fenêtre et vint tomber près de Marie-Antoinette.

– Ah! vous voilà, monsieur? c'est bien heureux! dit à voix basse la reine tout émue; que faisiez-vous donc?

– Vous! vous! madame!.. vous-même! est-il possible? répliqua Charny en se prosternant.

– Est-ce ainsi que vous attendiez?

– J'attendais du côté de la rue, madame.

– Est-ce que je pouvais venir parla rue, voyons? quand il est si simple de venir par le parc?

– Je n'eusse osé espérer de vous voir, madame, dit Charny avec un accent de reconnaissance passionnée.

Elle l'interrompit.

– Ne restons pas ici, dit-elle, il y fait clair; avez-vous votre épée?

– Oui.

– Bien!.. Par où dites-vous que sont entrés les gens que vous avez vus?

– Par cette porte.

– Et à quelle heure?

– À minuit, chaque fois.

– Il n'y a pas de raison pour qu'ils ne viennent pas cette nuit encore. Vous n'avez parlé à personne?

– À qui que ce soit.

– Entrons dans le taillis et attendons.

– Oh! Votre Majesté…

La reine passa devant, et, d'un pas assez prompt, fit quelque chemin en sens inverse.

– Vous entendez bien, dit-elle tout à coup, comme pour aller au-devant de la pensée de Charny, que je ne me suis pas amusée à conter cette affaire au lieutenant de police. Depuis que je me suis plainte, monsieur de Crosne aurait dû déjà me faire justice. Si la créature qui usurpe mon nom après avoir usurpé ma ressemblance n'a pas encore été arrêtée, si tout ce mystère n'est pas éclairci, vous sentez qu'il y a deux motifs: ou l'incapacité de monsieur de Crosne – ce qui n'est rien – , ou sa connivence avec mes ennemis. Or, il me paraît difficile que chez moi, dans mon parc, on se permette l'ignoble comédie que vous m'avez signalée, sans être sûr d'un appui direct ou d'une tacite complicité. Voilà pourquoi ceux qui s'en sont rendus coupables me paraissent être assez dangereux pour que je ne m'en rapporte qu'à moi-même du soin de les démasquer. Qu'en pensez-vous?

– Je demande à Votre Majesté la permission de ne plus ouvrir la bouche. Je suis au désespoir; j'ai encore des craintes et je n'ai plus de soupçons.

– Au moins, vous êtes un honnête homme, vous, dit vivement la reine; vous savez dire les choses en face; c'est un mérite qui peut blesser quelquefois les innocents quand on se trompe à leur égard: mais une blessure se guérit.

– Oh! madame, voilà onze heures; je tremble.

– Assurez-vous qu'il n'y a personne ici, dit la reine pour éloigner son compagnon.

Charny obéit. Il courut les taillis jusqu'aux murs.

– Personne, fit-il en revenant.

– Où s'est passée la scène que vous racontiez?

– Madame, à l'instant même, en revenant de mon exploration, j'ai reçu un coup terrible dans le cœur. Je vous ai aperçue à l'endroit même où ces nuits dernières je vis… la fausse reine de France.

– Ici! s'écria la reine en s'éloignant avec dégoût de la place qu'elle occupait.

– Sous ce châtaignier, oui, madame.

– Mais alors, monsieur, dit Marie-Antoinette, ne restons pas ici, car s'ils y sont venus ils y reviendront.

Charny suivit la reine dans une autre allée. Son cœur battait si fort qu'il craignit de ne pas entendre le bruit de la porte qui allait s'ouvrir.

Elle, silencieuse et fière, attendait que la preuve vivante de son innocence apparût.

Minuit sonna. La porte ne s'ouvrit pas.

Une demi-heure s'écoula, pendant laquelle Marie-Antoinette demanda plus de dix fois à Charny si les imposteurs avaient été bien exacts à chacun de leurs rendez-vous.

Trois quarts après minuit sonnèrent à Saint-Louis de Versailles.

La reine frappa du pied avec impatience.

– Vous verrez qu'ils ne viendront pas aujourd'hui, dit-elle; ces sortes de malheurs n'arrivent qu'à moi!

Et en disant ces mots elle regardait Charny comme pour lui chercher querelle, si elle avait surpris en ses yeux le moindre éclat de triomphe ou d'ironie.

Mais lui, pâlissant à mesure que ses soupçons revenaient, gardait une attitude tellement grave et mélancolique, que certainement son visage reflétait en ce moment la sereine patience des martyrs et des anges.

La reine lui prit le bras et le ramena au châtaignier sous lequel ils avaient fait leur première station.

– Vous dites, murmura-t-elle, que c'est ici que vous avez vu.

– Ici même, madame.

– Ici, que la femme a donné une rose à l'homme.

– Oui, Votre Majesté.

Et la reine était si faible, si fatiguée du long séjour fait dans ce parc humide, qu'elle s'adossa au tronc de l'arbre, et pencha sa tête sur sa poitrine.

Insensiblement, ses jambes fléchirent; Charny ne lui donnait pas le bras, elle tomba plutôt qu'elle ne s'assit sur l'herbe et la mousse.

Lui, demeurait immobile et sombre.

Elle appuya ses deux mains sur son visage, et Charny ne put voir une larme de cette reine glisser entre ses doigts longs et blancs.

Soudain, relevant sa tête:

– Monsieur, dit-elle, vous avez raison: je suis condamnée. J'avais promis de prouver aujourd'hui que vous m'aviez calomniée: Dieu ne le veut pas, je m'incline.

– Madame… murmura Charny.

– J'ai fait, continua-t-elle, ce qu'aucune femme n'eût fait à ma place. Je ne parle pas des reines. Oh! monsieur, qu'est-ce qu'une reine, quand elle ne peut régner même sur un cœur? Qu'est-ce qu'une reine quand elle n'obtient pas même l'estime d'un honnête homme? Voyons, monsieur, aidez-moi au moins à me relever, pour que je parte; ne me méprisez pas au point de me refuser votre main.

Charny se précipita comme un insensé à ses genoux.

– Madame, dit-il en frappant son front sur la terre, si je n'étais un malheureux qui vous aime, vous me pardonneriez, n'est-ce pas?

– Vous! s'écria la reine avec un rire amer; vous! vous m'aimez, et vous me croyez infâme!..

– Oh!.. madame.

– Vous!.. vous, qui devriez avoir une mémoire, vous m'accusez d'avoir donné une fleur ici, là-bas, un baiser, là-bas, mon amour à un autre homme… monsieur, pas de mensonge, vous ne m'aimez pas!

– Madame, ce fantôme était là, ce fantôme de reine amoureuse. Là aussi où je suis, était le fantôme de l'amant. Arrachez-moi le cœur, puisque ces deux infernales images vivent dans mon cœur et le dévorent.

Elle lui prit la main et l'attira vers elle avec un geste exalté.

– Vous avez vu!.. vous avez entendu… C'était bien moi, n'est-ce pas? dit-elle d'une voix étouffée… Oh! c'était moi, ne cherchez pas autre chose. Eh bien! si à cette même place, sous ce même châtaignier, assise comme j'étais, vous à mes pieds comme était l'autre, si je vous serre les mains, si je vous approche de ma poitrine, si je vous prends dans mes bras, si je vous dis: Moi qui ai fait tout cela à l'autre, n'est-ce pas? moi qui ai dit la même chose à l'autre, n'est-ce pas? Si je vous dis: Monsieur de Charny, je n'aimais, je n'aime, je n'aimerai qu'un être au monde… et c'est vous!.. Mon Dieu! mon Dieu! cela suffira-t-il pour vous convaincre qu'on n'est pas une infâme quand on a dans le cœur, avec le sang des impératrices, le feu divin d'un amour comme celui-là?

Charny poussa un gémissement pareil à celui d'un homme qui expire. La reine en lui parlant l'avait enivré de son souffle; il l'avait sentie parler, sa main avait brûlé son épaule, sa poitrine avait brûlé son cœur, l'haleine avait dévoré ses lèvres.

– Laissez-moi remercier Dieu, murmura-t-il. Oh! si je ne pensais à Dieu, je penserais trop à vous.

Elle se leva lentement; elle arrêta sur lui deux yeux dont les pleurs noyaient la flamme.

– Voulez-vous ma vie? dit-il éperdu.

Elle se tut un moment sans cesser de le regarder.

– Donnez-moi votre bras, dit-elle, et menez-moi partout où les autres sont allés. D'abord ici, ici où fut donnée une rose…

Elle tira de sa robe une rose chaude encore du feu qui avait brûlé sa poitrine.

– Prenez! dit-elle.

Il respira l'odeur embaumée de la fleur, et la serra dans sa poitrine.

– Ici, reprit-elle, l'autre a donné sa main à baiser?

– Ses deux mains! dit Charny chancelant et ivre au moment où son visage se trouva enfermé dans les mains brûlantes de la reine.

– Voilà une place purifiée, dit la reine avec un adorable sourire. Maintenant, ne sont-ils pas allés aux bains d'Apollon?

Charny, comme si le ciel fût tombé sur sa tête, s'arrêta stupéfait, à demi-mort.

– C'est un endroit, dit gaiement la reine, où jamais je n'entre que le jour. Allons voir ensemble la porte par où s'enfuyait cet amant de la reine.

Joyeuse, légère, suspendue au bras de l'homme le plus heureux que Dieu eût jamais béni, elle traversa presque en courant les pelouses qui séparaient le taillis du mur de ronde. Ils arrivèrent ainsi à la porte derrière laquelle se voyaient les traces des pieds de chevaux.

– C'est ici, au-dehors, dit Charny.

– J'ai toutes les clefs, répondit la reine. Ouvrez, monsieur de Charny; instruisons-nous.

Ils sortirent et se penchèrent pour voir: la lune sortit d'un nuage comme pour les aider dans leurs investigations.

Le blanc rayon s'attacha tendrement au beau visage de la reine, qui s'appuyait sur le bras de Charny en écoutant et en regardant les buissons d'alentour.

Lorsqu'elle se fut bien convaincue, elle fit rentrer le gentilhomme, en l'attirant à elle par une douce pression.

La porte se referma sur eux.

Deux heures sonnaient.

– Adieu, dit-elle. Rentrez chez vous. À demain.

Elle lui serra la main, et, sans un mot de plus, s'éloigna rapidement sous les charmilles, dans la direction du château.

Au-delà de cette porte qu'ils venaient de refermer, un homme se leva du milieu des buissons, et disparut dans les bois qui bordent la route.

Cet homme emportait en s'en allant le secret de la reine.

Chapitre LXX
Le congé

La reine sortit le lendemain toute souriante et toute belle pour aller à la messe.

Ses gardes avaient ordre de laisser venir à elle tout le monde. C'était un dimanche, et Sa Majesté s'éveillant avait dit:

– Voilà un beau jour; il fait bon vivre aujourd'hui.

Elle parut respirer avec plus de plaisir qu'à l'ordinaire le parfum de ses fleurs favorites; elle se montra plus magnifique dans les dons qu'elle accorda; elle s'empressa davantage d'aller mettre son âme auprès de Dieu.

Elle entendit la messe sans une distraction. Elle n'avait jamais courbé si bas sa tête majestueuse.

Tandis qu'elle priait avec ferveur, la foule s'amassait comme les autres dimanches sur le passage des appartements à la chapelle, et les degrés même des escaliers étaient remplis de gentilshommes et de dames.

Parmi ces dernières brillait modestement, mais élégamment vêtue, madame de La Motte.

Et dans la haie double, formée par les gentilshommes, on voyait à droite monsieur de Charny, complimenté par beaucoup de ses amis sur sa guérison, sur son retour, et surtout sur son visage radieux.

La faveur est un subtil parfum, elle se divise avec une telle facilité dans l'air, que bien longtemps avant l'ouverture de la cassolette l'arôme est défini, reconnu et apprécié par les connaisseurs. Olivier n'était ami de la reine que depuis six heures, mais déjà tout le monde se disait l'ami d'Olivier.

Tandis qu'il acceptait toutes ces félicitations avec la bonne mine d'un homme véritablement heureux, et que pour lui témoigner plus d'honneur et plus d'amitié, toute la gauche de la haie passait à droite, Olivier, forcé de laisser courir ses regards sur le groupe qui s'éparpillait autour de lui, aperçut seule, en face, une figure dont la sombre pâleur et l'immobilité le frappèrent au milieu de son enivrement.

Il reconnut Philippe de Taverney serré dans son uniforme et la main sur la poignée de son épée.

Depuis les visites de politesse faites par ce dernier à l'antichambre de son adversaire après leur duel, depuis la séquestration de Charny par le docteur Louis, aucune relation n'avait existé entre les deux rivaux.

Charny, en voyant Philippe qui le regardait tranquillement, sans bienveillance ni menace, commença par un salut que Philippe lui rendit de loin.

Puis, fendant avec sa main le groupe qui l'entourait:

– Pardon, messieurs, dit Olivier; mais laissez-moi remplir un devoir de politesse.

Et traversant l'espace compris entre la haie de droite et la haie de gauche, il vint droit à Philippe qui ne bougeait pas.

– Monsieur de Taverney, dit-il en le saluant avec plus de civilité que la première fois, je devais vous remercier de l'intérêt que vous avez bien voulu prendre à ma santé, mais j'arrive seulement depuis hier.

Philippe rougit et le regarda, puis il baissa les yeux.

– J'aurai l'honneur, monsieur, continua Charny, de vous rendre visite dès demain, et j'espère que vous ne m'aurez pas gardé rancune.

– Nullement, monsieur, répliqua Philippe.

Charny allait tendre sa main pour que Philippe y dépose la sienne, lorsque le tambour annonça l'arrivée de la reine.

– Voici la reine, monsieur, dit lentement Philippe, sans avoir répondu au geste amical de Charny.

Et il ponctua cette phrase par une révérence plus mélancolique que froide.

Charny, un peu surpris, se hâta de rejoindre ses amis dans la haie à droite.

Philippe demeura de son côté, comme s'il eût été en faction.

La reine approchait, on la vit sourire à plusieurs, prendre ou faire prendre des places, car de loin elle avait aperçu Charny, et, ne le quittant pas du regard, avec cette téméraire bravoure qu'elle mettait dans ses amitiés, et que ses ennemis appelaient de l'impudeur, elle prononça tout haut ces paroles:

– Demandez aujourd'hui, messieurs, demandez, je ne saurais rien refuser aujourd'hui.

Charny fut pénétré jusqu'au fond du cœur par l'accent et par le sens de ces mots magiques. Il tressaillit de plaisir, ce fut là son remerciement à la reine.

Soudain, celle-ci fut tirée de sa douce mais dangereuse contemplation par le bruit d'un pas, par le son d'une voix étrangère.

Le pas criait à sa gauche sur la dalle, la voix émue mais grave, disait:

– Madame!..

La reine aperçut Philippe; elle ne put réprimer un premier mouvement de surprise en se voyant placée entre ces deux hommes, dont elle se reprochait peut-être d'aimer trop l'un et pas assez l'autre.

– Vous! monsieur de Taverney, s'écria-t-elle en se remettant; vous! vous avez quelque chose à me demander? Oh! parlez.

– Dix minutes d'audience au loisir de Votre Majesté, dit Philippe en s'inclinant sans avoir désarmé la sévère pâleur de son front.

– À l'instant même, monsieur, répliqua la reine en jetant un regard furtif sur Charny, qu'elle redoutait involontairement de voir si près de son ancien adversaire; suivez-moi.

Et elle passa plus rapidement lorsqu'elle entendit le pas de Philippe derrière le sien, et eut laissé Charny à sa place.

Elle continua cependant de faire sa moisson de lettres, de placets et de suppliques, donna quelques ordres, et rentra chez elle.

Un quart d'heure après, Philippe était introduit dans la bibliothèque où Sa Majesté recevait le dimanche.

– Ah! monsieur de Taverney, entrez, dit-elle en prenant le ton enjoué, entrez et faites-moi de suite bon visage. Il faut vous le confesser, j'ai une inquiétude chaque fois qu'un Taverney désire me parler. Vous êtes de mauvais augure dans votre famille. Rassurez-moi vite, monsieur de Taverney, en me disant que vous ne venez pas m'annoncer un malheur.

Philippe, plus pâle encore après ce préambule qu'il ne l'avait été pendant la scène avec Charny, se contenta de répliquer, voyant combien la reine mettait peu d'affection dans son langage:

– Madame, j'ai l'honneur d'affirmer à Votre Majesté que je ne lui apporte cette fois qu'une bonne nouvelle.

– Ah! c'est une nouvelle! dit la reine.

– Hélas! oui, Votre Majesté.

– Ah! mon Dieu! répliqua-t-elle en reprenant cet air gai qui rendait Philippe si malheureux, voilà que vous avez dit hélas! Pauvre que je suis! dirait un Espagnol. Monsieur de Taverney a dit hélas!

– Madame, reprit gravement Philippe, deux mots vont rassurer si pleinement Votre Majesté, que non seulement son noble front ne se voilera pas aujourd'hui à l'approche d'un Taverney, mais ne se voilera jamais par la faute d'un Taverney Maison-Rouge. À dater d'aujourd'hui, madame, le dernier de cette famille à qui Votre Majesté avait daigné accorder quelque faveur, va disparaître pour ne plus revenir à la cour de France.

La reine, quittant soudain l'air enjoué qu'elle avait pris comme ressource contre les émotions présumées de cette entrevue:

– Vous partez! s'écria-t-elle.

– Oui, Votre Majesté.

– Vous… aussi!

Philippe s'inclina.

– Ma sœur, madame, a déjà eu le regret de quitter Votre Majesté, dit-il; moi, j'étais bien autrement inutile à la reine, et je pars.

La reine s'assit toute troublée en réfléchissant qu'Andrée avait demandé ce congé éternel le lendemain d'une entrevue chez Louis, où monsieur de Charny avait eu le premier indice de la sympathie qu'on ressentait pour lui.

– Étrange! murmura-t-elle rêveuse, et elle n'ajouta plus un mot.

Philippe restait debout comme une statue de marbre, attendant le geste qui congédie.

La reine sortant tout à coup de sa léthargie:

– Où allez-vous? dit-elle.

– Je veux aller rejoindre monsieur de La Pérouse, dit Philippe.

– Monsieur de La Pérouse est à Terre-Neuve en ce moment.

– J'ai tout préparé pour le rejoindre.

– Vous savez qu'on lui prédit une mort affreuse?

– Affreuse, je ne sais, dit Philippe, mais prompte, je le sais.

– Et vous partez?

Il sourit avec sa beauté si noble et si douce.

– C'est pour cela que je veux aller rejoindre La Pérouse, dit-il.

La reine retomba encore une fois dans son inquiet silence.

Philippe, encore une fois, attendit respectueusement.

Cette nature si noble et si brave de Marie-Antoinette se réveilla plus téméraire que jamais.

Elle se leva, s'approcha du jeune homme, et lui dit en croisant ses bras blancs sur sa poitrine:

– Pourquoi partez-vous?

– Parce que je suis très curieux de voyager, répondit-il doucement.

– Mais vous avez déjà fait le tour du monde, reprit la reine, dupe un instant de ce calme héroïque.

– Du Nouveau Monde, oui, madame, continua Philippe, mais pas de l'ancien et du nouveau ensemble.

La reine fit un geste de dépit et répéta ce qu'elle avait dit à Andrée.

– Race de fer, cœurs d'acier que ces Taverney. Votre sœur et vous, vous êtes deux terribles gens, des amis qu'on finit par haïr. Vous partez, non pas pour voyager, vous en êtes las, mais pour me quitter. Votre sœur était, disait-elle, appelée par la religion, elle cache un cœur de feu sous de la cendre. Enfin, elle a voulu partir, elle est partie. Dieu la fasse heureuse! Vous! vous qui pourriez être heureux; vous! vous voilà parti aussi. Quand je vous disais tout à l'heure que les Taverney me portent malheur!

– Épargnez-nous, madame; si Votre Majesté daignait chercher mieux dans nos cœurs, elle n'y verrait qu'un dévouement sans limites.

– Écoutez! s'écria la reine avec colère, vous êtes, vous, un quaker, elle, une philosophe, des créatures impossibles; elle se figure le monde comme un paradis, où l'on n'entre qu'à la condition d'être des saints; vous, vous prenez le monde pour l'enfer, où n'entrent que les diables; et tous deux vous avez fui le monde: l'un, parce que vous y trouvez ce que vous ne cherchez pas; l'autre, parce que vous n'y trouvez pas ce que vous cherchez. Ai-je raison? Eh! mon cher monsieur de Taverney, laissez les humains être imparfaits, ne demandez aux familles royales que d'être les moins imparfaites des races humaines; soyez tolérant, ou plutôt ne soyez pas égoïste.

Elle accentua ces mots avec trop de passion. Philippe eut l'avantage.

– Madame, dit-il, l'égoïsme est une vertu, quand on s'en sert pour rehausser ses adorations.

Elle rougit.

– Tout ce que je sais, dit-elle, c'est que j'aimais Andrée, et qu'elle m'a quittée. C'est que je tenais à vous, et que vous me quittez. Il est humiliant pour moi de voir deux personnes aussi parfaites, je ne plaisante pas, monsieur, abandonner ma maison.

– Rien ne peut humilier une personne auguste comme vous, madame, dit froidement Taverney; la honte n'atteint pas les fronts élevés comme est le vôtre.

– Je cherche avec attention, poursuivit la reine, quelle chose a pu vous blesser.

– Rien ne m'a blessé, madame, reprit vivement Philippe.

– Votre grade a été confirmé; votre fortune est en bon train; je vous distinguais…

– Je répète à Votre Majesté que rien ne me plaît à la cour.

– Et si je vous disais de rester… si je vous l'ordonnais?..

– J'aurais la douleur de répondre par un refus à Votre Majesté.

La reine, une troisième fois, se plongea dans cette silencieuse réserve qui était à sa logique ce que l'action de rompre est au ferrailleur fatigué.

Et comme elle sortait toujours de ce repos par un coup d'éclat:

– Il y a peut-être quelqu'un qui vous déplaît ici? Vous êtes ombrageux, dit-elle en attachant son regard clair sur Philippe.

– Personne ne me déplaît.

– Je vous croyais mal… avec un gentilhomme… monsieur de Charny… que vous avez blessé en duel… fit la reine en s'animant par degrés. Et comme il est simple que l'on fuie les gens qu'on n'aime pas, dès que vous avez vu monsieur de Charny revenu, vous auriez désiré quitter la cour.

Philippe ne répondit rien.

La reine, se trompant sur le compte de cet homme si loyal et si brave, crut n'avoir affaire qu'à un jaloux ordinaire. Elle le poursuivit sans ménagement.

– Vous savez d'aujourd'hui seulement, continua-t-elle, que monsieur de Charny est de retour. Je dis d'aujourd'hui! et c'est aujourd'hui que vous me demandez votre congé?

Philippe devint plus livide que pâle. Ainsi attaqué, ainsi foulé aux pieds, il se releva cruellement.

– Madame, dit-il, c'est seulement d'aujourd'hui que je sais le retour de monsieur de Charny, c'est vrai; seulement il y a plus longtemps que Votre Majesté ne pense, car j'ai rencontré monsieur de Charny vers deux heures du matin à la porte du parc correspondante aux bains d'Apollon.

La reine pâlit à son tour; et, après avoir regardé avec une admiration mêlée de terreur la parfaite courtoisie que le gentilhomme conservait dans sa colère:

– Bien! murmura-t-elle d'une voix éteinte; allez, monsieur, je ne vous retiens plus.

Philippe salua pour la dernière fois et partit à pas lents.

La reine tomba foudroyée sur son fauteuil en disant:

– France! pays des nobles cœurs!

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
420 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain