Kitabı oku: «Le Collier de la Reine, Tome II», sayfa 16
Chapitre LXXVIII
L'arrestation
À peine le roi parut-il au seuil du cabinet que la reine l'interpella avec une volubilité extraordinaire.
– Sire, dit-elle, voici monsieur le cardinal de Rohan qui dit des choses bien incroyables; veuillez donc le prier de vous les répéter.
À ces paroles inattendues, à cette apostrophe soudaine, le cardinal pâlit. En effet, la position était si étrange, que le prélat cessait de comprendre. Pouvait-il répéter à son roi, le prétendu amant, pouvait-il déclarer au mari, le sujet respectueux, tout ce qu'il croyait avoir de droits sur la reine et sur la femme?
Mais le roi se retournant vers le cardinal, absorbé dans ses réflexions:
– À propos d'un certain collier, n'est-ce pas, monsieur, dit-il, vous avez des choses incroyables à me dire, et moi des choses incroyables à entendre? Parlez donc, j'écoute.
Monsieur de Rohan prit sur-le-champ son parti: des deux difficultés il choisirait la moindre; des deux attaques, il subirait la plus honorable pour le roi et la reine; et si, imprudemment, on le jetait dans le second péril, eh bien! il en sortirait comme un brave homme et comme un chevalier.
– À propos du collier, oui, sire, murmura-t-il.
– Mais, monsieur, dit le roi, vous avez donc acheté le collier?
– Sire…
– Oui ou non?
Le cardinal regarda la reine et ne répondit pas.
– Oui ou non? répéta-t-elle. La vérité, monsieur, la vérité; on ne vous demande pas autre chose.
Monsieur de Rohan détourna la tête et ne répliqua point.
– Puisque monsieur de Rohan ne veut pas répondre, répondez, vous, madame, dit le roi; vous devez savoir quelque chose de tout cela. Avez-vous acheté, oui ou non, ce collier?
– Non! dit la reine avec force.
Monsieur de Rohan tressaillit.
– Voici une parole de reine! s'écria le roi avec solennité; prenez-y garde, monsieur le cardinal.
Monsieur de Rohan laissa glisser sur ses lèvres un sourire de mépris.
– Vous ne dites rien? fit le roi.
– De quoi m'accuse-t-on, sire?
– Les joailliers disent avoir vendu un collier, à vous ou à la reine. Ils montrent un reçu de Sa Majesté.
– Le reçu est faux! dit la reine.
– Les joailliers, continua le roi, disent qu'à défaut de la reine, ils sont garantis par des engagements que vous avez pris, monsieur le cardinal.
– Je ne refuse pas de payer, sire, dit monsieur de Rohan. Il faut bien que ce soit la vérité, puisque la reine le laisse dire.
Et un second regard, plus méprisant que le premier, termina sa phrase et sa pensée.
La reine frissonna. Ce mépris du cardinal n'était pas pour elle une insulte, puisqu'elle ne la méritait pas, mais ce devait être la vengeance d'un honnête homme, elle s'effraya.
– Monsieur le cardinal, reprit le roi, il ne reste pas moins dans cette affaire un faux qui a compromis la signature de la reine de France.
– Un autre faux, s'écria la reine, et celui-là peut-il être imputé à un gentilhomme, c'est celui qui prétend que les joailliers ont repris le collier.
– Libre à la reine, dit monsieur de Rohan du même ton, de m'attribuer les deux faux; en avoir fait un, en avoir fabriqué deux, où est la différence?
La reine faillit éclater d'indignation, le roi la retint d'un geste.
– Prenez garde, dit-il encore au cardinal, vous aggravez votre position, monsieur. Je vous dis: Justifiez-vous, et vous avez l'air d'accuser.
Le cardinal réfléchit un moment; puis, comme s'il succombait sous le poids de cette mystérieuse calomnie qui étreignait son honneur:
– Me justifier, dit-il, impossible!
– Monsieur, il y a là des gens qui disent qu'un collier leur a été volé; en proposant de le payer vous avouez que vous êtes coupable.
– Qui le croira? dit le cardinal avec un superbe dédain.
– Alors, monsieur, si vous ne supposez pas qu'on le croie, on croira donc.
Et un frissonnement de colère bouleversa le visage ordinairement si placide du roi…
– Sire, je ne sais rien de ce qui s'est dit, reprit le cardinal, je ne sais rien de ce qui s'est fait; tout ce que je puis affirmer, c'est que je n'ai pas eu le collier; tout ce que je puis affirmer, c'est que les diamants sont au pouvoir de quelqu'un qui devrait se nommer, qui ne le veut pas, et me force ainsi à lui dire cette parole de l'Écriture: Le mal retombe sur la tête de celui qui l'a commis.
À ces mots, la reine fit un mouvement pour prendre le bras du roi, qui lui dit:
– Le débat est entre vous et lui, madame. Une dernière fois, avez-vous ce collier?
– Non! sur l'honneur de ma mère, sur la vie de mon fils! répondit la reine.
Le roi, plein de joie après cette déclaration, se tourna vers le cardinal:
– Alors, c'est une affaire entre la justice et vous, monsieur, dit-il; à moins que vous ne préfériez vous en rapporter à ma clémence.
– La clémence des rois est faite pour les coupables, sire, répondit le cardinal; je lui préfère la justice des hommes.
– Vous ne voulez rien avouer?
– Je n'ai rien à dire.
– Mais enfin, monsieur! s'écria la reine, votre silence laisse mon honneur en jeu!
Le cardinal se tut.
– Eh bien! moi, je ne me tairai pas, continua la reine; ce silence me brûle, il atteste une générosité dont je ne veux pas. Apprenez, sire, que tout le crime de monsieur le cardinal n'est pas dans la vente ou dans le vol du collier.
Monsieur de Rohan releva la tête et pâlit.
– Qu'est-ce à dire? fit le roi inquiet.
– Madame!.. murmura le cardinal épouvanté.
– Oh! nulle raison, nulle crainte, nulle faiblesse ne me fermera la bouche; j'ai là, dans mon cœur, des motifs qui me pousseraient à crier mon innocence sur une place publique.
– Votre innocence! dit le roi. Eh! madame, qui serait assez téméraire ou assez lâche pour obliger Votre Majesté à prononcer ce mot!
– Je vous supplie, madame, dit le cardinal.
– Ah! vous commencez à trembler. J'avais donc deviné juste; vos complots aiment l'ombre! À moi le grand jour! Sire, sommez monsieur le cardinal de vous dire ce qu'il m'a dit tout à l'heure, ici, à cette place.
– Madame! madame! fit monsieur de Rohan, prenez garde; vous passez les bornes.
– Plaît-il? fit le roi avec hauteur. Qui donc parle ainsi à la reine? Ce n'est pas moi, je suppose?
– Voilà justement, sire, dit Marie-Antoinette. Monsieur le cardinal parle ainsi à la reine, parce qu'il prétend en avoir le droit.
– Vous, monsieur! murmura le roi devenu livide.
– Lui! s'écria la reine avec mépris, lui!
– Monsieur le cardinal a des preuves? reprit le roi en faisant un pas vers le prince.
– Monsieur de Rohan a des lettres, à ce qu'il dit! fit la reine.
– Voyons, monsieur! insista le roi.
– Ces lettres! cria la reine avec emportement, ces lettres!
Le cardinal passa la main sur son front glacé par la sueur, et sembla demander à Dieu comment il avait pu former dans la créature tant d'audace et de perfidie. Mais il se tut.
– Oh! ce n'est pas tout, poursuivit la reine, qui s'animait peu à peu sous l'influence de sa générosité même, monsieur le cardinal a obtenu des rendez-vous.
– Madame! par pitié! fit le roi.
– Par pudeur! dit le cardinal.
– Enfin! monsieur, reprit la reine, si vous n'êtes pas le dernier des hommes, si vous tenez quelque chose pour sacré en ce monde, vous avez des preuves, fournissez-les.
Monsieur de Rohan releva lentement la tête et répliqua:
– Non! madame, je n'en ai pas.
– Vous n'ajouterez pas ce crime aux autres, continua la reine, vous n'entasserez pas sur moi opprobre après opprobre. Vous avez une aide, une complice, un témoin dans tout ceci: nommez-le, ou nommez-la.
– Qui donc? s'écria le roi.
– Madame de La Motte, sire, fit la reine.
– Ah! dit le roi, triomphant de voir enfin que ses préventions contre Jeanne se trouvaient justifiées; allons donc! Eh bien! qu'on la voie, cette femme, qu'on l'interroge.
– Ah! bien oui! s'écria la reine, elle a disparu. Demandez à monsieur ce qu'il en a fait. Il avait trop d'intérêt à ce qu'elle ne fût pas en cause.
– D'autres l'auront fait disparaître, répliqua le cardinal, qui avaient encore plus intérêt que moi. C'est ce qui fait qu'on ne la retrouvera point.
– Mais, monsieur, puisque vous êtes innocent, dit la reine avec fureur, aidez-nous donc à trouver les coupables.
Mais le cardinal de Rohan, après avoir lancé un dernier regard, tourna le dos et croisa ses bras.
– Monsieur! dit le roi offensé, vous allez vous rendre à la Bastille.
Le cardinal s'inclina, puis, d'un ton assuré:
– Ainsi vêtu? dit-il, dans mes habits pontificaux? devant toute la cour? Veuillez y réfléchir, sire, le scandale est immense. Il n'en sera que plus lourd pour la tête sur laquelle il retombera.
– Je le veux ainsi, fit le roi fort agité.
– C'est une douleur injuste que vous faites prématurément subir à un prélat, sire, et la torture avant l'accusation, ce n'est pas légal.
– Il faut qu'il en soit ainsi, répondit le roi en ouvrant la porte de la chambre, pour chercher des yeux quelqu'un à qui transmettre son ordre.
Monsieur de Breteuil était là; ses yeux dévorants avaient deviné dans l'exaltation de la reine, dans l'agitation du roi, dans l'attitude du cardinal, la ruine d'un ennemi.
Le roi n'avait pas achevé de lui parler bas, que le garde des Sceaux, usurpant les fonctions du capitaine des gardes, cria d'une voix éclatante, qui retentit jusqu'au fond des galeries:
– Arrêtez monsieur le cardinal!
Monsieur de Rohan tressaillit. Les murmures qu'il entendit sous les voûtes, l'agitation des courtisans, l'arrivée subite des gardes du corps donnaient à cette scène un caractère de sinistre augure.
Le cardinal passa devant la reine sans la saluer, ce qui fit bouillir le sang de la fière princesse. Il s'inclina très humblement en passant devant le roi, et prit en passant près de monsieur de Breteuil une expression de pitié si habilement nuancée, que le baron dut croire qu'il ne s'était pas assez vengé.
Un lieutenant des gardes s'approcha timidement et sembla demander au cardinal lui-même la confirmation de l'ordre qu'il venait d'entendre.
– Oui, monsieur, lui dit monsieur de Rohan; oui, c'est bien moi qui suis arrêté.
– Vous conduirez monsieur à son appartement, en attendant ce que j'aurai décidé pendant la messe, dit le roi au milieu d'un silence de mort.
Le roi demeura seul chez la reine, portes ouvertes, tandis que le cardinal s'éloignait lentement par la galerie, précédé du lieutenant des gardes, le chapeau à la main.
– Madame, dit le roi haletant, parce qu'il s'était contenu à grand-peine, vous savez que cela aboutit à un jugement public, c'est-à-dire à un scandale, sous lequel tombera l'honneur des coupables?
– Merci! s'écria la reine en serrant avec effusion les mains du roi, vous avez choisi le seul moyen de me justifier.
– Vous me remerciez.
– De toute mon âme. Vous avez agi en roi! moi, en reine! croyez-le bien.
– C'est bien, répondit le roi, comblé d'une vive joie, nous aurons raison enfin de toutes ces bassesses. Quand le serpent aura été une fois pour toutes écrasé par vous et par moi, nous vivrons tranquilles, j'espère.
Il baisa la reine au front et rentra chez lui.
Cependant, à l'extrémité de la galerie, monsieur de Rohan avait trouvé Bœhmer et Bossange à moitié évanouis dans les bras l'un de l'autre.
Puis, à quelque pas de là, le cardinal aperçut son coureur qui, effaré de ce désastre, guettait un regard de son maître.
– Monsieur, dit le cardinal à l'officier qui le guidait, en passant toute cette journée ici, je vais inquiéter bien du monde; est-ce que je ne puis annoncer chez moi que je suis arrêté?
– Oh! monseigneur, pourvu que nul ne vous voie, dit le jeune officier.
Le cardinal remercia; puis, adressant la parole en allemand à son coureur, il écrivit quelques mots sur une page de son missel, qu'il déchira.
Et derrière l'officier, qui guettait pour ne pas être surpris, le cardinal roula cette feuille et la laissa tomber.
– Je vous suis, monsieur, dit-il à l'officier.
En effet, ils disparurent tous deux.
Le coureur fondit sur ce papier comme un vautour sur sa proie, s'élança hors du château, enfourcha son cheval et s'enfuit vers Paris.
Le cardinal put le voir aux champs, par une des fenêtres de l'escalier qu'il descendait avec son guide.
– Elle me perd, murmura-t-il; je la sauve! C'est pour vous, mon roi, que j'agis; c'est pour vous, mon Dieu! qui commandez le pardon des injures; c'est pour vous que je pardonne aux autres… Pardonnez-moi!
Chapitre LXXIX
Les procès-verbaux
À peine le roi était-il rentré heureux dans son appartement, signait-il l'ordre de conduire monsieur de Rohan à la Bastille, que parut monsieur le comte de Provence, lequel entra dans le cabinet en faisant à monsieur de Breteuil des signes que celui-ci, malgré tout son respect et sa bonne volonté, ne put comprendre.
Mais ce n'était pas au garde des Sceaux que s'adressaient ces signes, le prince les multipliait ainsi à dessein d'attirer l'attention du roi qui regardait dans une glace tout en rédigeant son ordre.
Cette affectation ne manqua pas son but: le roi aperçut ces signes, et après avoir congédié monsieur de Breteuil:
– Pourquoi faisiez-vous signe à Breteuil? dit-il à son frère.
– Oh! sire…
– Cette vivacité de gestes, cet air préoccupé signifient quelque chose?
– Sans doute, mais…
– Libre à vous de ne pas parler, mon frère, dit le roi d'un air piqué.
– Sire, c'est que je viens d'apprendre l'arrestation de monsieur le cardinal de Rohan.
– Eh bien! en quoi cette nouvelle, mon frère, peut-elle causer chez vous cette agitation? Est-ce que monsieur de Rohan ne vous paraît pas coupable? Est-ce que j'ai tort de frapper même le puissant?
– Tort? non pas, mon frère. Vous n'avez pas tort. Ce n'est pas cela que je veux dire.
– Il m'eût fort surpris, monsieur le comte de Provence, que vous donnassiez gain de cause, contre la reine, à l'homme qui cherche à la déshonorer. Je viens de voir la reine, mon frère, un mot d'elle a suffi…
– Oh! sire, à Dieu ne plaise que j'accuse la reine! vous le savez bien. Sa Majesté… ma sœur, n'a pas d'ami plus dévoué que moi. Combien de fois ne m'est-il pas arrivé de la défendre, au contraire, et ceci soit dit sans reproche, même contre vous?
– En vérité, mon frère, on l'accuse donc bien souvent?
– J'ai du malheur, sire; vous m'attaquez sur chacune de mes paroles… Je voulais dire que la reine ne me croirait pas elle-même si je paraissais douter de son innocence.
– Alors, vous vous applaudissez avec moi de l'humiliation que je fais subir au cardinal, du procès qui va en résulter, du scandale qui va mettre un terme à toutes les calomnies qu'on n'oserait se permettre contre une simple femme de la cour, et dont chacun ose se faire l'écho, parce que la reine, dit-on, est au-dessus de ces misères?
– Oui, sire, j'approuve complètement la conduite de Votre Majesté, et je dis que tout est pour le mieux, quant à l'affaire du collier.
– Pardieu! mon frère, dit-il, rien de plus clair. Ne voit-on pas d'ici monsieur de Rohan se faisant gloire de la familière amitié de la reine, concluant, en son nom, un marché pour des diamants qu'elle a refusés, et laissant dire que ces diamants ont été pris par la reine ou chez la reine, c'est monstrueux, et, comme elle le disait: Que croirait-on, si j'avais eu monsieur de Rohan pour compère dans ce trafic mystérieux?
– Sire…
– Et puis, vous ignorez, mon frère, que jamais une calomnie ne s'arrête à moitié chemin, que la légèreté de monsieur de Rohan compromet la reine, mais que le récit de ces légèretés la déshonore.
– Oh! oui, mon frère, oui, je le répète, vous avez eu bien raison quant à ce qui concerne l'affaire du collier.
– Eh bien! mais, dit le roi surpris, est-ce qu'il y a encore une autre affaire?
– Mais, sire… la reine a dû vous dire…
– Me dire… quoi donc?
– Sire, vous voulez m'embarrasser. Il est impossible que la reine ne vous ait pas dit…
– Quoi donc, monsieur? quoi donc?
– Sire…
– Ah! les fanfaronnades de monsieur de Rohan, ses réticences, ses prétendues correspondances?
– Non, sire, non.
– Quoi donc, alors? les entretiens que la reine aurait accordés à monsieur de Rohan pour l'affaire du collier en question…
– Non, sire, ce n'est pas cela.
– Tout ce que je sais, reprit le roi, c'est que j'ai en la reine une confiance absolue, qu'elle mérite par la noblesse de son caractère. Il était facile à Sa Majesté de ne rien dire de tout ce qui se passe. Il était facile à elle de payer ou de laisser payer à d'autres, de payer ou de laisser dire; la reine, en arrêtant court ces mystères qui devenaient des scandales, m'a prouvé qu'elle en appelait à moi avant d'en appeler à tout le public. C'est moi que la reine a fait appeler, c'est à moi qu'elle a voulu confier le soin de venger son honneur. Elle m'a pris pour confesseur, pour juge, la reine m'a donc tout dit.
– Eh bien! répliqua le comte de Provence, moins embarrassé qu'il n'eût dû l'être, parce qu'il sentait la conviction du roi moins solide qu'on ne voulait le lui faire voir, voilà que vous faites encore le procès à mon amitié, à mon respect pour la reine, ma sœur. Si vous procédez contre moi avec cette susceptibilité, je ne vous dirai rien, craignant toujours, moi qui défends, de passer pour un ennemi ou un accusateur. Et, cependant, voyez combien, en ceci, vous manquez de logique. Les aveux de la reine vous ont déjà conduit à trouver une vérité qui justifie ma sœur. Pourquoi ne voudriez-vous pas qu'on fît luire à vos yeux d'autres clartés, plus propres encore à révéler toute l'innocence de notre reine?
– C'est que… dit le roi gêné, vous commencez toujours, mon frère, par des circuits dans lesquels je me perds.
– Précautions oratoires, sire, défaut de chaleur. Hélas! j'en demande pardon à Sa Majesté; c'est mon vice d'éducation. Cicéron m'a gâté.
– Mon frère, Cicéron n'est jamais louche que quand il défend une mauvaise cause; vous en tenez une bonne, soyez clair, pour l'amour de Dieu!
– Me critiquer dans ma façon de parler, c'est me réduire au silence.
– Allons, voilà l'irritabile genus rhetorum qui prend la mouche, s'écria le roi dupe de cette rouerie du comte de Provence. Au fait, avocat, au fait: que savez-vous de plus que ce que m'a dit la reine?
– Mon Dieu! sire, rien et tout. Précisons d'abord ce que vous a dit la reine.
– La reine m'a dit qu'elle n'avait pas le collier.
– Bon.
– Elle m'a dit qu'elle n'avait pas signé le reçu des joailliers.
– Bien!
– Elle m'a dit que tout ce qui avait rapport à un arrangement avec monsieur de Rohan était une fausseté inventée par ses ennemis.
– Très bien, sire!
– Elle a dit enfin que jamais elle n'avait donné à monsieur de Rohan le droit de croire qu'il fût plus qu'un de ses sujets, plus qu'un indifférent, plus qu'un inconnu.
– Ah!.. elle a dit cela…
– Et d'un ton qui n'admettait pas de réplique, car le cardinal n'a pas répliqué.
– Alors, sire, puisque le cardinal n'a rien répliqué, c'est qu'il s'avoue menteur, et il donne par ce désaveu raison aux autres bruits qui courent sur certaines préférences accordées par la reine à certaines personnes.
– Eh! mon Dieu! quoi encore? dit le roi avec découragement.
– Rien que de très absurde, comme vous l'allez voir. Du moment où il a été constant que monsieur de Rohan ne s'était pas promené avec la reine…
– Comment! s'écria le roi, monsieur de Rohan, disait-on, s'était promené avec la reine?
– Ce qui est bien démenti par la reine elle-même, sire, et par le désaveu de monsieur de Rohan; mais enfin, du moment où cela est constaté, vous comprenez qu'on a dû chercher – la malignité ne s'en est pas abstenue – comment il se faisait que la reine se promenât la nuit dans le parc de Versailles.
– La nuit, dans le parc de Versailles! La reine!..
– Et avec qui elle se promenait, continua froidement le comte de Provence.
– Avec qui?.. murmura le roi.
– Sans doute!.. Est-ce que tous les yeux ne s'attachent pas à ce que fait une reine? Est-ce que ces yeux, que jamais n'éblouit l'éclat du jour ou l'éclat de la majesté, ne sont pas plus clairvoyants encore quand il s'agit de voir la nuit?
– Mais, mon frère, vous dites là des choses infâmes, prenez-y garde.
– Sire, je répète, et je répète avec une telle indignation que je pousserai Votre Majesté, j'en suis sûr, à découvrir la vérité.
– Comment, monsieur! on dit que la reine s'est promenée la nuit, en compagnie… dans le parc de Versailles!
– Pas en compagnie, sire, en tête à tête… Oh! si l'on ne disait que compagnie, la chose ne vaudrait pas la peine que nous y prissions garde.
Le roi, éclatant tout à coup:
– Vous m'allez prouver que vous répétez, dit-il, et, pour cela, prouvez qu'on a dit.
– Oh! facilement, trop facilement, répondit monsieur de Provence. Il y a quatre témoignages: le premier est celui de mon capitaine des chasses, qui a vu la reine deux jours de suite, ou plutôt deux nuits de suite, sortir du parc de Versailles par la porte de la louveterie. Voici le titre: il est revêtu de sa signature. Lisez.
Le roi prit en tremblant le papier, le lut et le rendit à son frère.
– Vous en verrez, sire, un plus curieux; il est du garde de nuit qui veille à Trianon. Il déclare que la nuit a été bonne, qu'un coup de feu a été tiré, par des braconniers sans doute, dans le bois de Satory; que, quant aux parcs, ils ont été calmes, excepté le jour où Sa Majesté la reine y a fait une promenade avec un gentilhomme à qui elle donnait le bras. Voyez, le procès-verbal est explicite.
Le roi lut encore, frissonna et laissa tomber ses bras à son côté.
– Le troisième, continua imperturbablement monsieur le comte de Provence, est du suisse de la porte de l'Est. Cet homme a vu et reconnu la reine au moment où elle sortait par la porte de la louveterie. Il dit comment la reine était vêtue; voyez, sire; il dit aussi que de loin il n'a pu reconnaître le gentilhomme que Sa Majesté quittait, c'est écrit; mais qu'à sa tournure il l'a pris pour un officier. Ce procès-verbal est signé. Il ajoute une chose curieuse, à savoir, que la présence de la reine ne peut être révoquée en doute, parce que Sa Majesté était accompagnée de madame de La Motte, amie de la reine.
– Amie de la reine! s'écria le roi furieux. Oui, il y a cela: amie de la reine!
– Ne veuillez pas de mal à cet honnête serviteur, sire; il ne peut être coupable que d'un excès de zèle. Il est chargé de garder, il garde; de veiller, il veille.
– Le dernier, continua le comte de Provence, me paraît le plus clair de tous. Il est du maître serrurier chargé de vérifier si toutes les portes sont fermées après la retraite battue. Cet homme, Votre Majesté le connaît, il certifie avoir vu entrer la reine avec un gentilhomme dans les bains d'Apollon.
Le roi, pâle et étouffant son ressentiment, arracha le papier des mains du comte et le lut.
Monsieur de Provence continua néanmoins pendant cette lecture:
– Il est vrai que madame de La Motte était dehors, à une vingtaine de pas, et que la reine ne demeura qu'une heure environ dans cette salle.
– Mais le nom du gentilhomme? s'écria le roi.
– Sire, ce n'est pas dans le rapport qu'on le nomme, il faut pour cela que Sa Majesté prenne la peine de parcourir un dernier certificat que voici. Il est d'un garde forestier qui se tenait à l'affût derrière le mur d'enceinte, près des bains d'Apollon.
– Daté du lendemain, fit le roi.
– Oui, sire, et qui a vu la reine sortir du parc par la petite porte, et regarder au-dehors: elle tenait le bras de monsieur de Charny!
– Monsieur de Charny!.. s'écria le roi à demi fou de colère et de honte; bien… bien… Attendez-moi ici, comte, nous allons enfin savoir la vérité.
Et le roi s'élança hors de son cabinet.