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Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome I.», sayfa 14

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Chapitre XXIV – Le trésor

Le gentilhomme français que Spithead avait annoncé à Monck, et qui avait passé si bien enveloppé de son manteau près du pêcheur qui sortait de la tente du général cinq minutes avant qu'il y entrât, le gentilhomme français traversa les différents postes sans même jeter les yeux autour de lui, de peur de paraître indiscret. Comme l'ordre en avait été donné, on le conduisit à la tente du général. Le gentilhomme fut laissé seul dans l'antichambre qui précédait la tente, et il attendit Monck, qui ne tarda à paraître que le temps qu'il mit à entendre le rapport de ses gens et à étudier par la cloison de toile le visage de celui qui sollicitait un entretien. Sans doute le rapport de ceux qui avaient accompagné le gentilhomme français établissait la discrétion avec laquelle il s'était conduit, car la première impression que l'étranger reçut de l'accueil fait à lui par le général fut plus favorable qu'il n'avait à s'y attendre en un pareil moment, et de la part d'un homme si soupçonneux.

Néanmoins, selon son habitude, lorsque Monck se trouva en face de l'étranger, il attacha sur lui ses regards perçants, que, de son côté, l'étranger soutint sans être embarrassé ni soucieux. Au bout de quelques secondes, le général fit un geste de la main et de la tête en signe qu'il attendait.

– Milord, dit le gentilhomme en excellent anglais, j'ai fait demander une entrevue à Votre Honneur pour affaire de conséquence.

– Monsieur, répondit Monck en français, vous parlez purement notre langue pour un fils du continent. Je vous demande bien pardon, car sans doute la question est indiscrète, parlez-vous le français avec la même pureté?

– Il n'y a rien d'étonnant, milord, à ce que je parle anglais assez familièrement; j'ai, dans ma jeunesse, habité l'Angleterre, et depuis j'y ai fait deux voyages.

Ces mots furent dits en français et avec une pureté de langue qui décelait non seulement un Français, mais encore un Français des environs de Tours.

– Et quelle partie de l'Angleterre avez-vous habitée, monsieur?

– Dans ma jeunesse, Londres, milord; ensuite, vers 1635, j'ai fait un voyage de plaisir en Écosse; enfin, en 1648, j'ai habité quelque temps Newcastle, et particulièrement le couvent dont les jardins sont occupés par votre armée.

– Excusez-moi, monsieur, mais de ma part, vous comprenez ces questions, n'est-ce pas?

– Je m'étonnerais, milord, qu'elles ne fussent point faites.

– Maintenant, monsieur, que puis-je pour votre service, et que désirez-vous de moi?

– Voici, milord; mais, auparavant, sommes-nous seuls?

– Parfaitement seuls, monsieur, sauf toutefois le poste qui nous garde.

En disant ces mots, Monck écarta la tente de la main, et montra au gentilhomme que le factionnaire était placé à dix pas au plus, et qu'au premier appel on pouvait avoir main-forte en une seconde.

– En ce cas, milord, dit le gentilhomme d'un ton aussi calme que si depuis longtemps il eût été lié d'amitié avec son interlocuteur, je suis très décidé à parler à Votre Honneur, parce que je vous sais honnête homme. Au reste, la communication que je vais vous faire vous prouvera l'estime dans laquelle je vous tiens.

Monck, étonné de ce langage qui établissait entre lui et le gentilhomme français l'égalité au moins, releva son oeil perçant sur l'étranger, et avec une ironie sensible par la seule inflexion de sa voix, car pas un muscle de sa physionomie ne bougea:

– Je vous remercie, monsieur, dit-il; mais, d'abord, qui êtes- vous, je vous prie?

– J'ai déjà dit mon nom à votre sergent, milord.

– Excusez-le, monsieur; il est écossais, il a éprouvé de la difficulté à le retenir.

– Je m'appelle le comte de La Fère, monsieur, dit Athos en s'inclinant.

– Le comte de La Fère? dit Monck, cherchant à se souvenir.

Pardon, monsieur, mais il me semble que c'est la première fois que j'entends ce nom. Remplissez-vous quelque poste à la cour de

France?

– Aucun. Je suis simple gentilhomme.

– Quelle dignité?

– Le roi Charles Ier m'a fait chevalier de la Jarretière, et la reine Anne d'Autriche m'a donné le cordon du Saint-Esprit. Voilà mes seules dignités, monsieur.

– La Jarretière! le Saint-Esprit! vous êtes chevalier de ces deux ordres, monsieur?

– Oui.

– Et à quelle occasion une pareille faveur vous a-t-elle été accordée?

– Pour services rendus à Leurs Majestés.

Monck regarda avec étonnement cet homme, qui lui paraissait si simple et si grand en même temps; puis, comme s'il eût renoncé à pénétrer ce mystère de simplicité et de grandeur, sur lequel l'étranger ne paraissait pas disposé à lui donner d'autres renseignements que ceux qu'il avait déjà reçus:

– C'est bien vous, dit-il, qui hier vous êtes présenté aux avant- postes?

– Et qu'on a renvoyé; oui, milord.

– Beaucoup d'officiers, monsieur, ne laissent entrer personne dans le camp, surtout à la veille d'une bataille probable; mais moi, je diffère de mes collègues et aime à ne rien laisser derrière moi. Tout avis m'est bon; tout danger m'est envoyé par Dieu, et je le pèse dans ma main avec l'énergie qu'il m'a donnée. Aussi n'avez-vous été congédié hier qu'à cause du conseil que je tenais. Aujourd'hui, je suis libre, parlez.

– Milord, vous avez d'autant mieux fait de me recevoir, qu'il ne s'agit en rien ni de la bataille que vous allez livrer au général Lambert, ni de votre camp, et la preuve, c'est que j'ai détourné la tête pour ne pas voir vos hommes, et fermé les yeux pour ne pas compter vos tentes. Non, je viens vous parler, milord, pour moi.

– Parlez donc, monsieur, dit Monck.

– Tout à l'heure, continua Athos, j'avais l'honneur de dire à

Votre Seigneurie que j'ai longtemps habité Newcastle: c'était au temps du roi Charles Ier et lorsque le feu roi fut livré à

M. Cromwell par les Écossais.

– Je sais, dit froidement Monck.

– J'avais en ce moment une forte somme en or, et à la veille de la bataille, par pressentiment peut-être de la façon dont les choses se devaient passer le lendemain, je la cachai dans la principale cave du couvent de Newcastle, dans la tour dont vous voyez d'ici le sommet argenté par la lune.

«Mon trésor a donc été enterré là, et je venais prier Votre Honneur de permettre que je le retire avant que, peut-être, la bataille portant de ce côté, une mine ou quelque autre jeu de guerre détruise le bâtiment et éparpille mon or, ou le rende apparent de telle façon que les soldats s'en emparent.

Monck se connaissait en hommes; il voyait sur la physionomie de celui-ci toute l'énergie, toute la raison, toute la circonspection possibles; il ne pouvait donc attribuer qu'à une magnanime confiance la révélation du gentilhomme français, et il s'en montra profondément touché.

– Monsieur, dit-il, vous avez en effet bien auguré de moi. Mais la somme vaut-elle la peine que vous vous exposiez? Croyez-vous même qu'elle soit encore à l'endroit où vous l'avez laissée?

– Elle y est, monsieur, n'en doutez pas.

– Voilà pour une question; mais pour l'autre?.. Je vous ai demandé si la somme était tellement forte que vous dussiez vous exposer ainsi.

– Elle est forte réellement, oui, milord, car c'est un million que j'ai renfermé dans deux barils.

– Un million! s'écria Monck, que cette fois à son tour Athos regardait fixement et longuement Monck s'en aperçut; alors sa défiance revint.

«Voilà, se dit-il, un homme qui me tend un piège…»

– Ainsi, monsieur, reprit-il, vous voudriez retirer cette somme, à ce que je comprends?

– S'il vous plaît, milord.

– Aujourd'hui?

– Ce soir même, et à cause des circonstances que je vous ai expliquées.

– Mais, monsieur, objecta Monck, le général Lambert est aussi près de l'abbaye où vous avez affaire que moi-même, pourquoi donc ne vous êtes-vous pas adressé à lui?

– Parce que, milord, quand on agit dans les circonstances importantes, il faut consulter son instinct avant toutes choses. Eh bien! le général Lambert ne m'inspire pas la confiance que vous m'inspirez.

– Soit, monsieur. Je vous ferai retrouver votre argent, si toutefois il y est encore, car, enfin, il peut n'y être plus. Depuis 1648, douze ans sont révolus, et bien des événements se sont passés.

Monck insistait sur ce point pour voir si le gentilhomme français saisirait l'échappatoire qui lui était ouverte; mais Athos ne sourcilla point.

– Je vous assure, milord, dit-il fermement, que ma conviction à l'endroit des deux barils est qu'ils n'ont changé ni de place ni de maître.

Cette réponse avait enlevé à Monck un soupçon, mais elle lui en avait suggéré un autre.

Sans doute ce Français était quelque émissaire envoyé pour induire en faute le protecteur du Parlement; l'or n'était qu'un leurre; sans doute encore, à l'aide de ce leurre, on voulait exciter la cupidité du général. Cet or ne devait pas exister. Il s'agissait, pour Monck, de prendre en flagrant délit de mensonge et de ruse le gentilhomme français, et de se tirer du mauvais pas même où ses ennemis voulaient l'engager, un triomphe pour sa renommée.

Monck, une fois fixé sur ce qu'il avait à faire:

– Monsieur, dit-il à Athos, sans doute vous me ferez l'honneur de partager mon souper ce soir!

– Oui, milord, répondit Athos en s'inclinant, car vous me faites un honneur dont je me sens digne par le penchant qui m'entraîne vers vous.

– C'est d'autant plus gracieux à vous d'accepter avec cette franchise, que mes cuisiniers sont peu nombreux et peu exercés, et que mes approvisionneurs sont rentrés ce soir les mains vides; si bien que, sans un pêcheur de votre nation qui s'est fourvoyé dans mon camp, le général Monck se couchait sans souper aujourd'hui. J'ai donc du poisson frais, à ce que m'a dit le vendeur.

– Milord, c'est principalement pour avoir l'honneur de passer quelques instants de plus avec vous.

Après cet échange de civilités, pendant lequel Monck n'avait rien perdu de sa circonspection, le souper, ou ce qui devait en tenir lieu, avait été servi sur une table de bois de sapin. Monck fit signe au comte de La Fère de s'asseoir à cette table et prit place en face de lui. Un seul plat, couvert de poisson bouilli, offert aux deux illustres convives, promettait plus aux estomacs affamés qu'aux palais difficiles.

Tout en soupant, c'est-à-dire en mangeant ce poisson arrosé de mauvaise ale, Monck se fit raconter les derniers événements de la Fronde, la réconciliation de M. de Condé avec le roi, le mariage probable de Sa Majesté avec l'infante Marie-Thérèse; mais il évita, comme Athos l'évitait lui-même, toute allusion aux intérêts politiques qui unissaient ou plutôt qui désunissaient en ce moment l'Angleterre, la France et la Hollande. Monck, dans cette conversation, se convainquit d'une chose, qu'il avait déjà remarquée aux premiers mots échangés, c'est qu'il avait affaire à un homme de haute distinction.

Celui-là ne pouvait être un assassin, et il répugnait à Monck de le croire un espion; mais il y avait assez de finesse et de fermeté à la fois dans Athos pour que Monck crût reconnaître en lui un conspirateur. Lorsqu'ils eurent quitté la table:

– Vous croyez donc à votre trésor, monsieur? demanda Monck.

– Oui, milord.

– Sérieusement?

– Très sérieusement.

– Et vous croyez retrouver la place à laquelle il a été enterré?

– À la première inspection.

– Eh bien! monsieur, dit Monck, par curiosité, je vous accompagnerai. Et il faut d'autant plus que je vous accompagne, que vous éprouveriez les plus grandes difficultés à circuler dans le camp sans moi ou l'un de mes lieutenants.

– Général, je ne souffrirais pas que vous vous dérangeassiez si je n'avais, en effet, besoin de votre compagnie; mais comme je reconnais que cette compagnie m'est non seulement honorable, mais nécessaire, j'accepte.

– Désirez-vous que nous emmenions du monde? demanda Monck à

Athos.

– Général, c'est inutile, je crois, si vous-même n'en voyez pas la nécessité. Deux hommes et un cheval suffiront pour transporter les deux barils sur la felouque qui m'a amené.

– Mais il faudra piocher, creuser, remuer la terre, fendre des pierres, et vous ne comptez pas faire cette besogne vous-même, n'est-ce pas?

– Général, il ne faut ni creuser, ni piocher. Le trésor est enfoui dans le caveau des sépultures du couvent; sous une pierre, dans laquelle est scellé un gros anneau de fer, s'ouvre un petit degré de quatre marches. Les deux barils sont là, bout à bout, recouverts d'un enduit de plâtre ayant la forme d'une bière. Il y a en outre une inscription qui doit me servir à reconnaître la pierre; et comme je ne veux pas, dans une affaire de délicatesse et de confiance, garder de secrets pour Votre Honneur, voici cette inscription:

Hic jacet venerabilis Petrus Guillelmus Scott, Canon. Honorab. Conventus Novi Castelli. Obiit quarta et decima die. Feb. ann. Dom., MCCVIII. Requiescat in pace.

Monck ne perdait pas une parole. Il s'étonnait, soit de la duplicité merveilleuse de cet homme et de la façon supérieure dont il jouait son rôle, soit de la bonne foi loyale avec laquelle il présentait sa requête, dans une situation où il s'agissait d'un million aventuré contre un coup de poignard, au milieu d'une armée qui eût regardé le vol comme une restitution.

– C'est bien, dit-il, je vous accompagne, et l'aventure me paraît si merveilleuse, que je veux porter moi-même le flambeau. Et en disant ces mots, il ceignit une courte épée, plaça un pistolet à sa ceinture, découvrant, dans ce mouvement, qui fit entrouvrir son pourpoint, les fins anneaux d'une cotte de mailles destinée à le mettre à l'abri du premier coup de poignard d'un assassin. Après quoi, il passa un dirk écossais dans sa main gauche; puis, se tournant vers Athos:

– Êtes-vous prêt, monsieur? dit-il. Je le suis.

Athos, au contraire de ce que venait de faire Monck, détacha son poignard, qu'il posa sur la table, dégrafa le ceinturon de son épée, qu'il coucha près de son poignard, et sans affectation, ouvrant les agrafes de son pourpoint comme pour y chercher son mouchoir, montra sous sa fine chemise de batiste sa poitrine nue et sans armes offensives ni défensives.

«Voilà, en vérité, un singulier homme, se dit Monck, il est sans arme aucune; il a donc une embuscade placée là-bas?»

– Général, dit Athos, comme s'il eût deviné la pensée de Monck, vous voulez que nous soyons seuls, c'est fort bien; mais un grand capitaine ne doit jamais s'exposer avec témérité: il fait nuit, le passage du marais peut offrir des dangers, faites-vous accompagner.

– Vous avez raison, dit Monck.

Et appelant:

– Digby!

L'aide de camp parut.

– Cinquante hommes avec l'épée et le mousquet, dit-il.

Et il regardait Athos.

– C'est bien peu, dit Athos, s'il y a du danger; c'est trop, s'il n'y en a pas.

– J'irai seul, dit Monck. Digby, je n'ai besoin de personne.

Venez, monsieur.

Chapitre XXV – Le marais

Athos et Monck traversèrent, allant du camp vers la Tweed, cette partie de terrain que Digby avait fait traverser aux pêcheurs venant de la Tweed au camp. L'aspect de ce lieu, l'aspect des changements qu'y avaient apportés les hommes, était de nature à produire le plus grand effet sur une imagination délicate et vive comme celle d'Athos. Athos ne regardait que ces lieux désolés; Monck ne regardait qu'Athos, Athos qui, les yeux tantôt vers le ciel, tantôt vers la terre, cherchait, pensait, soupirait.

Digby, que le dernier ordre du général, et surtout l'accent avec lequel il avait été donné, avait un peu ému d'abord, Digby suivit les nocturnes promeneurs pendant une vingtaine de pas; mais le général s'étant retourné, comme s'il s'étonnait que l'on n'exécutât point ses ordres, l'aide de camp comprit qu'il était indiscret et rentra dans sa tente. Il supposait que le général voulait faire incognito dans son camp une de ces revues de vigilance que tout capitaine expérimenté ne manque jamais de faire à la veille d'un engagement décisif, il s'expliquait en ce cas la présence d'Athos, comme un inférieur s'explique tout ce qui est mystérieux de la part du chef, Athos pouvait être, et même aux yeux de Digby devait être un espion dont les renseignements allaient éclairer le général. Au bout de dix minutes de marche à peu près parmi les tentes et les postes, plus serrés aux environs du quartier général, Monck s'engagea sur une petite chaussée qui divergeait en trois branches. Celle de gauche conduisait à la rivière, celle du milieu à l'abbaye de Newcastle sur le marais, celle de droite traversait les premières lignes du camp de Monck, c'est-à-dire les lignes les plus rapprochées de l'armée de Lambert.

Au-delà de la rivière était un poste avancé appartenant à l'armée de Monck et qui surveillait l'ennemi; il était composé de cent cinquante Écossais. Ils avaient passé la Tweed à la nage en donnant l'alarme; mais comme il n'y avait pas de pont en cet endroit, et que les soldats de Lambert n'étaient pas aussi prompts à se mettre à l'eau que les soldats de Monck, celui-ci ne paraissait pas avoir de grandes inquiétudes de ce côté.

En deçà de la rivière, à cinq cents pas à peu près de la vieille abbaye, les pêcheurs avaient leur domicile au milieu d'une fourmilière de petites tentes élevées par les soldats des clans voisins, qui avaient avec eux leurs femmes et leurs enfants.

Tout ce pêle-mêle aux rayons de la lune offrait un coup d'oeil saisissant; la pénombre ennoblissait chaque détail, et la lumière, cette flatteuse qui ne s'attache qu'au côté poli des choses, sollicitait sur chaque mousquet rouillé le point encore intact, sur tout haillon de toile, la partie la plus blanche et la moins souillée.

Monck arriva donc avec Athos, traversant ce paysage sombre éclairé d'une double lueur, la lueur argentée de la lune, la lueur rougeâtre des feux mourants au carrefour des trois chaussées. Là il s'arrêta, et s'adressant à son compagnon:

– Monsieur, lui dit-il, reconnaîtrez-vous votre chemin?

– Général, si je ne me trompe, la chaussée du milieu conduit droit à l'abbaye.

– C'est cela même; mais nous aurions besoin de lumière pour nous guider dans le souterrain.

Monck se retourna.

– Ah! Digby nous a suivis, à ce qu'il paraît, dit-il; tant mieux, il va nous procurer ce qu'il nous faut.

– Oui, général, il y a effectivement là-bas un homme qui depuis quelque temps marche derrière nous.

– Digby! cria Monck, Digby! venez, je vous prie.

Mais, au lieu d'obéir, l'ombre fit un mouvement de surprise, et, reculant au lieu d'avancer, elle se courba et disparut le long de la jetée de gauche, se dirigeant vers le logement qui avait été donné aux pêcheurs.

– Il paraît que ce n'était pas Digby, dit Monck.

Tous deux avaient suivi l'ombre qui s'était évanouie; mais ce n'est pas chose assez rare qu'un homme rôdant à onze heures du soir dans un camp où sont couchés dix à douze mille hommes pour qu'Athos et Monck s'inquiétassent de cette disparition.

– En attendant, comme il nous faut un falot, une lanterne, une torche quelconque pour voir où mettre nos pieds, cherchons ce falot, dit Monck.

– Général, le premier soldat venu nous éclairera.

– Non, dit Monck, pour voir s'il n'y aurait pas quelque connivence entre le comte de La Fère et les pêcheurs; non, j'aimerais mieux quelqu'un de ces matelots français qui sont venus ce soir me vendre du poisson. Ils partent demain, et le secret sera mieux gardé par eux. Tandis que si le bruit se répand dans l'armée écossaise que l'on trouve des trésors dans l'abbaye de Newcastle, mes highlanders croiront qu'il y a un million sous chaque dalle, et ils ne laisseront pas pierre sur pierre dans le bâtiment.

– Faites comme vous voudrez, général, répondit Athos d'un ton de voix si naturel, qu'il était évident que, soldat ou pêcheur, tout lui était égal et qu'il n'éprouvait aucune préférence.

Monck s'approcha de la chaussée, derrière laquelle avait disparu celui que le général avait pris pour Digby, et rencontra une patrouille qui, faisant le tour des tentes, se dirigeait vers le quartier général; il fut arrêté avec son compagnon, donna le mot de passe et poursuivit son chemin. Un soldat, réveillé par le bruit, se souleva dans son plaid pour voir ce qui se passait.

– Demandez-lui, dit Monck à Athos, où sont les pêcheurs; si je lui faisais cette question, il me reconnaîtrait.

Athos s'approcha du soldat, lequel lui indiqua la tente; aussitôt

Monck et Athos se dirigèrent de ce côté.

Il sembla au général qu'au moment où il s'approchait une ombre, pareille à celle qu'il avait déjà vue, se glissait dans cette tente; mais en s'approchant, il reconnut qu'il devait s'être trompé, car tout le monde dormait pêle-mêle, et l'on ne voyait que jambes et que bras entrelacés. Athos, craignant qu'on ne le soupçonnât de connivence avec quelqu'un de ses compatriotes, resta en dehors de la tente.

– Holà! dit Monck en français, qu'on s'éveille ici.

Deux ou trois dormeurs se soulevèrent.

– J'ai besoin d'un homme pour m'éclairer, continua Monck. Tout le monde fit un mouvement, les uns se soulevant, les autres se levant tout à fait. Le chef s'était levé le premier.

– Votre Honneur peut compter sur nous, dit-il d'une voix qui fit tressaillir Athos. Où s'agit-il d'aller?

– Vous le verrez. Un falot! Allons, vite!

– Oui, Votre Honneur. Plaît-il à Votre Honneur que ce soit moi qui l'accompagne?

– Toi ou un autre, peu m'importe, pourvu que quelqu'un m'éclaire.

«C'est étrange, pensa Athos, quelle voix singulière a ce pêcheur!»

– Du feu, vous autres! cria le pêcheur; allons dépêchons!

Puis tout bas, s'adressant à celui de ses compagnons qui était le plus près de lui:

– Éclaire, toi, Menneville, dit-il, et tiens-toi prêt à tout.

Un des pêcheurs fit jaillir du feu d'une pierre, embrasa un morceau d'amadou, et à l'aide d'une allumette éclaira une lanterne. La lumière envahit aussitôt la tente.

– Êtes-vous prêt, monsieur? dit Monck à Athos, qui se détournait pour ne pas exposer son visage à la clarté.

– Oui, général, répliqua-t-il.

– Ah! le gentilhomme français! fit tout bas le chef des pêcheurs.

Peste! j'ai eu bonne idée de te charger de la commission,

Menneville, il n'aurait qu'à me reconnaître, moi. Éclaire, éclaire!

Ce dialogue fut prononcé au fond de la tente, et si bas que Monck n'en put entendre une syllabe; il causait d'ailleurs avec Athos. Menneville s'apprêtait pendant ce temps-là, ou plutôt recevait les ordres de son chef.

– Eh bien? dit Monck.

– Me voici, mon général, dit le pêcheur.

Monck, Athos et le pêcheur quittèrent la tente.

«C'était impossible, pensa Athos. Quelle rêverie avais-je donc été me mettre dans la cervelle!»

– Va devant, suis la chaussée du milieu et allonge les jambes, dit Monck au pêcheur.

Ils n'étaient pas à vingt pas, que la même ombre qui avait paru rentrer dans la tente sortait, rampait jusqu'aux pilotis, et, protégée par cette espèce de parapet posé aux alentours de la chaussée, observait curieusement la marche du général.

Tous trois disparurent dans la brume. Ils marchaient vers Newcastle, dont on apercevait déjà les pierres blanches comme des sépulcres. Après une station de quelques secondes sous le porche, ils pénétrèrent dans l'intérieur. La porte était brisée à coups de hache. Un poste de quatre hommes dormait en sûreté dans un enfoncement, tant on avait la certitude que l'attaque ne pouvait avoir lieu de ce côté.

– Ces hommes ne vous gêneront point? dit Monck à Athos.

– Au contraire, monsieur, ils aideront à rouler les barils, si

Votre Honneur le permet.

– Vous avez raison.

Le poste, tout endormi qu'il était, se réveilla cependant aux premiers pas des deux visiteurs au milieu des ronces et des herbes qui envahissaient le porche. Monck donna le mot de passe et pénétra dans l'intérieur du couvent, précédé toujours de son falot. Il marchait le dernier, surveillant jusqu'au moindre mouvement d'Athos, son dirk tout nu dans sa manche, et prêt à le plonger dans les reins du gentilhomme au premier geste suspect qu'il verrait faire à celui-ci. Mais Athos d'un pas ferme et sûr traversa les salles et les cours.

Plus une porte, plus une fenêtre dans ce bâtiment. Les portes avaient été brûlées, quelques-unes sur place, et les charbons en étaient dentelés encore par l'action du feu, qui s'était éteint tout seul, impuissant sans doute à mordre jusqu'au bout ces massives jointures de chêne assemblées par des clous de fer. Quant aux fenêtres, toutes les vitres ayant été brisées, on voyait s'enfuir par les trous des oiseaux de ténèbres que la lueur du falot effarouchait. En même temps des chauves-souris gigantesques se mirent à tracer autour des deux importuns leurs vastes cercles silencieux, tandis qu'à la lumière projetée sur les hautes parois de pierre on voyait trembloter leur ombre. Ce spectacle était rassurant pour des raisonneurs. Monck conclut qu'il n'y avait aucun homme dans le couvent, puisque les farouches bêtes y étaient encore et s'envolaient à son approche. Après avoir franchi les décombres et arraché plus d'un lierre qui s'était posé comme gardien de la solitude, Athos arriva aux caveaux situés sous la grande salle, mais dont l'entrée donnait dans la chapelle. Là il s'arrêta.

– Nous y voilà, général, dit-il.

– Voici donc la dalle?

– Oui.

– En effet, je reconnais l'anneau; mais l'anneau est scellé à plat.

– Il nous faudrait un levier.

– C'est chose facile à se procurer.

En regardant autour d'eux, Athos et Monck aperçurent un petit frêne de trois pouces de diamètre qui avait poussé dans un angle du mur, montant jusqu'à une fenêtre que ses branches avaient aveuglée.

– As-tu un couteau? dit Monck au pêcheur.

– Oui, monsieur.

– Coupe cet arbre, alors.

Le pêcheur obéit, mais non sans que son coutelas en fût ébréché. Lorsque le frêne fut arraché, façonné en forme de levier, les trois hommes pénétrèrent dans le souterrain.

– Arrête-toi là, dit Monck au pêcheur en lui désignant un coin du caveau; nous avons de la poudre à déterrer, et ton falot serait dangereux.

L'homme se recula avec une sorte de terreur et garda fidèlement le poste qu'on lui avait assigné, tandis que Monck et Athos tournaient derrière une colonne au pied de laquelle, par un soupirail, pénétrait un rayon de lune reflété précisément par la pierre que le comte de La Fère venait chercher de si loin.

– Nous y voici, dit Athos en montrant au général l'inscription latine.

– Oui, dit Monck.

Puis, comme il voulait encore laisser au Français un moyen évasif:

– Ne remarquez-vous pas, continua-t-il, que l'on a déjà pénétré dans ce caveau, et que plusieurs statues ont été brisées?

– Milord, vous avez sans doute entendu dire que le respect religieux de vos Écossais aime à donner en garde aux statues des morts les objets précieux qu'ils ont pu posséder pendant leur vie. Ainsi les soldats ont dû penser que sous le piédestal des statues qui ornaient la plupart de ces tombes un trésor était enfoui; ils ont donc brisé piédestal et statue. Mais la tombe du vénérable chanoine à qui nous avons affaire ne se distingue par aucun monument; elle est simple, puis elle a été protégée par la crainte superstitieuse que vos puritains ont toujours eue du sacrilège; pas un morceau de cette tombe n'a été écaillé.

– C'est vrai, dit Monck.

Athos saisit le levier.

– Voulez-vous que je vous aide? dit Monck.

– Merci, milord, je ne veux pas que Votre Honneur mette la main à une oeuvre dont peut-être elle ne voudrait pas prendre la responsabilité si elle en connaissait les conséquences probables. Monck leva la tête.

– Que voulez-vous dire, monsieur? demanda-t-il.

– Je veux dire… Mais cet homme…

– Attendez, dit Monck, je comprends ce que vous craignez et vais faire une épreuve.

Monck se retourna vers le pêcheur, dont on apercevait la silhouette éclairée par le falot.

– Come here, friend, dit-il avec le ton du commandement.

Le pêcheur ne bougea pas.

– C'est bien, continua-t-il, il ne sait pas l'anglais. Parlez-moi donc anglais, s'il vous plaît, monsieur.

– Milord, répondit Athos, j'ai souvent vu des hommes, dans certaines circonstances, avoir sur eux-mêmes cette puissance de ne point répondre à une question faite dans une langue qu'ils comprennent. Le pêcheur est peut-être plus savant que nous le croyons. Veuillez le congédier, milord, je vous prie.

«Décidément, pensa Monck, il désire me tenir seul dans ce caveau. N'importe, allons jusqu'au bout, un homme vaut un homme, et nous sommes seuls…»

– Mon ami, dit Monck au pêcheur, remonte cet escalier que nous venons de descendre, et veille à ce que personne ne nous vienne troubler.

Le pêcheur fit un mouvement pour obéir.

– Laisse ton falot, dit Monck, il trahirait ta présence et pourrait te valoir quelque coup de mousquet effarouché.

Le pêcheur parut apprécier le conseil, déposa le falot à terre et disparut sous la voûte de l'escalier.

Monck alla prendre le falot, qu'il apporta au pied de la colonne.

– Ah çà! dit-il, c'est bien de l'argent qui est caché dans cette tombe?

– Oui, milord, et dans cinq minutes vous n'en douterez plus.

En même temps, Athos frappait un coup violent sur le plâtre, qui se fendait en présentant une gerçure au bec du levier. Athos introduisit la pince dans cette gerçure, et bientôt des morceaux tout entiers de plâtre cédèrent, se soulevant comme des dalles arrondies. Alors le comte de La Fère saisit les pierres et les écarta avec des ébranlements dont on n'aurait pas cru capables des mains aussi délicates que les siennes.

– Milord, dit Athos, voici bien la maçonnerie dont j'ai parlé à

Votre Honneur.

– Oui, mais je ne vois pas encore les barils, dit Monck.

– Si j'avais un poignard, dit Athos en regardant autour de lui, vous les verriez bientôt, monsieur. Malheureusement, j'ai oublié le mien dans la tente de Votre Honneur.

– Je vous offrirais bien le mien, dit Monck, mais la lame me semble trop frêle pour la besogne à laquelle vous la destinez.

Athos parut chercher autour de lui un objet quelconque qui pût remplacer l'arme qu'il désirait. Monck ne perdait pas un des mouvements de ses mains, une des expressions de ses yeux.

– Que ne demandez-vous le coutelas du pêcheur? dit Monck. Il avait un coutelas.

– Ah! c'est juste, dit Athos, puisqu'il s'en est servi pour couper cet arbre.

Et il s'avança vers l'escalier.

– Mon ami, dit-il au pêcheur, jetez-moi votre coutelas, je vous prie, j'en ai besoin.

Le bruit de l'arme retentit sur les marches.

– Prenez, dit Monck, c'est un instrument solide, à ce que j'ai vu, et dont une main ferme peut tirer bon parti.

Athos ne parut accorder aux paroles de Monck que le sens naturel et simple sous lequel elles devaient être entendues et comprises. Il ne remarqua pas non plus, ou du moins il ne parut pas remarquer, que, lorsqu'il revint à Monck, Monck s'écarta en portant la main gauche à la crosse de son pistolet; de la droite il tenait déjà son dirk. Il se mit donc à l'oeuvre, tournant le dos à Monck et lui livrant sa vie sans défense possible. Alors il frappa pendant quelques secondes si adroitement et si nettement sur le plâtre intermédiaire, qu'il le sépara en deux parties, et que Monck alors put voir deux barils placés bout à bout et que leur poids maintenait immobiles dans leur enveloppe crayeuse.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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