Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome III.», sayfa 17
Chapitre CLXIV – Désespoir
Après le départ du roi, La Vallière s'était soulevée, les bras étendus, comme pour le suivre, comme pour l'arrêter; puis, lorsque, les portes refermées par lui, le bruit de ses pas s'était perdu dans l'éloignement, elle n'avait plus eu que tout juste assez de force pour aller tomber aux pieds de son crucifix.
Elle demeura là, brisée, écrasée, engloutie dans sa douleur, sans se rendre compte d'autre chose que de sa douleur même, douleur qu'elle ne comprenait, d'ailleurs, que par l'instinct et la sensation.
Au milieu de ce tumulte de ses pensées, La Vallière entendit rouvrir sa porte; elle tressaillit. Elle se retourna, croyant que c'était le roi qui revenait.
Elle se trompait, c'était Madame.
Que lui importait Madame! Elle retomba, la tête sur son prie-Dieu. C'était Madame, émue, irritée, menaçante. Mais qu'était-ce que cela?
– Mademoiselle, dit la princesse s'arrêtant devant La Vallière, c'est fort beau, j'en conviens, de s'agenouiller, de prier, de jouer la religion; mais, si soumise que vous soyez au roi du Ciel, il convient que vous fassiez un peu la volonté des princes de la terre.
La Vallière souleva péniblement sa tête en signe de respect.
– Tout à l'heure, continua Madame, il vous a été fait une recommandation, ce me semble?
L'oeil à la fois fixe et égaré de La Vallière montra son ignorance et son oubli.
– La reine vous a recommandé, continua Madame, de vous ménager assez pour que nul ne pût répandre de bruits sur votre compte.
Le regard de La Vallière devint interrogateur.
– Eh bien! continua Madame, il sort de chez vous quelqu'un dont la présence est une accusation.
La Vallière resta muette.
– Il ne faut pas, continua Madame, que ma maison, qui est celle de la première princesse du sang, donne un mauvais exemple à la Cour; vous seriez la cause de ce mauvais exemple. Je vous déclare donc, mademoiselle, hors de la présence de tout témoin, car je ne veux pas vous humilier, je vous déclare donc que vous êtes libre de partir de ce moment, et que vous pouvez retourner chez Mme votre mère, à Blois.
La Vallière ne pouvait tomber plus bas; La Vallière ne pouvait souffrir plus qu'elle n'avait souffert.
Sa contenance ne changea point; ses mains demeurèrent jointes sur ses genoux comme celles de la divine Madeleine.
– Vous m'avez entendue? dit Madame.
Un simple frissonnement qui parcourut tout le corps de La Vallière répondit pour elle.
Et, comme la victime ne donnait pas d'autre signe d'existence,
Madame sortit.
Alors, à son coeur suspendu, à son sang figé en quelque sorte dans ses veines, La Vallière sentit peu à peu se succéder des pulsations plus rapides aux poignets, au cou et aux tempes. Ces pulsations, en s'augmentant progressivement, se changèrent bientôt en une fièvre vertigineuse, dans le délire de laquelle elle vit tourbillonner toutes les figures de ses amis luttant contre ses ennemis.
Elle entendait s'entrechoquer à la fois dans ses oreilles assourdies des mots menaçants et des mots d'amour; elle ne se souvenait plus d'être elle-même; elle était soulevée hors de sa première existence comme par les ailes d'une puissante tempête, et, à l'horizon du chemin dans lequel le vertige la poussait, elle voyait la pierre du tombeau se soulevant et lui montrant l'intérieur formidable et sombre de l'éternelle nuit.
Mais cette douloureuse obsession de rêves finit par se calmer, pour faire place à la résignation habituelle de son caractère.
Un rayon d'espoir se glissa dans son coeur comme un rayon de jour dans le cachot d'un pauvre prisonnier.
Elle se reporta sur la route de Fontainebleau, elle vit le roi à cheval à la portière de son carrosse, lui disant qu'il l'aimait, lui demandant son amour, lui faisant jurer et jurant que jamais une soirée ne passerait sur une brouille sans qu'une visite, une lettre, un signe vint substituer le repos de la nuit au trouble du soir. C'était le roi qui avait trouvé cela, qui avait fait jurer cela, qui lui-même avait juré cela. Il était donc impossible que le roi manquât à la promesse qu'il avait lui-même exigée, à moins que le roi ne fût un despote qui commandât l'amour comme il commandait l'obéissance, à moins que le roi ne fût un indifférent que le premier obstacle suffit pour arrêter en chemin.
Le roi, ce doux protecteur, qui, d'un mot, d'un seul mot, pouvait faire cesser toutes ses peines, le roi se joignait donc à ses persécuteurs.
Oh! sa colère ne pouvait durer. Maintenant qu'il était seul, il devait souffrir tout ce qu'elle souffrait elle-même. Mais lui, lui n'était pas enchaîné comme elle; lui pouvait agir, se mouvoir, venir; elle, elle, elle ne pouvait rien qu'attendre.
Et elle attendait de toute son âme, la pauvre enfant; car il était impossible que le roi ne vînt pas.
Il était dix heures et demie à peine.
Il allait ou venir, ou lui écrire, ou lui faire dire une bonne parole par M. de Saint-Aignan.
S'il venait, oh! comme elle allait s'élancer au-devant de lui! comme elle allait repousser cette délicatesse qu'elle trouvait maintenant mal entendue! comme elle allait lui dire: «Ce n'est pas moi qui ne vous aime pas; ce sont elles qui ne veulent pas que je vous aime.»
Et alors, il faut le dire, en y réfléchissant, et au fur et à mesure qu'elle y réfléchissait, elle trouvait Louis moins coupable. En effet, il ignorait tout. Qu'avait-il dû penser de son obstination à garder le silence? Impatient, irritable, comme on connaissait le roi, il était extraordinaire qu'il eût même conservé si longtemps son sang-froid. Oh! sans doute elle n'eût pas agi ainsi, elle: elle eût tout compris, tout deviné. Mais elle était une pauvre fille et non pas un grand roi.
Oh! s'il venait! s'il venait!.. comme elle lui pardonnerait tout ce qu'il venait de lui faire souffrir! comme elle l'aimerait davantage pour avoir souffert!
Et sa tête tendue vers la porte, ses lèvres entrouvertes, attendaient, Dieu lui pardonne cette idée profane! le baiser que les lèvres du roi distillaient si suavement le matin quand il prononçait le mot amour.
Si le roi ne venait pas, au moins écrirait-il; c'était la seconde chance, chance moins douce, moins heureuse que l'autre, mais qui prouverait tout autant d'amour, et seulement un amour plus craintif. Oh! comme elle dévorerait cette lettre! comme elle se hâterait d'y répondre! comme, une fois le messager parti, elle baiserait, relirait, presserait sur son coeur le bienheureux papier qui devait lui apporter le repos, la tranquillité, le bonheur!
Enfin, le roi ne venait pas; si le roi n'écrivait pas, il était au moins impossible qu'il n'envoyât pas de Saint-Aignan ou que de Saint-Aignan ne vint pas de lui-même. À un tiers, comme elle dirait tout! La majesté royale ne serait plus là pour glacer ses paroles sur ses lèvres, et alors aucun doute ne pourrait demeurer dans le coeur du roi.
Tout, chez La Vallière, coeur et regard, matière et esprit, se tourna donc vers l'attente.
Elle se dit qu'elle avait encore une heure d'espoir; que, jusqu'à minuit, le roi pouvait venir, écrire ou envoyer; qu'à minuit seulement, toute attente serait inutile, tout espoir serait perdu.
Tant qu'il y eut quelque bruit dans le palais, la pauvre enfant crut être la cause de ce bruit; tant qu'il passa des gens dans la cour, elle crut que ces gens étaient des messagers du roi venant chez elle.
Onze heures sonnèrent; puis onze heures un quart; puis onze heures et demie.
Les minutes coulaient lentement dans cette anxiété, et pourtant elles fuyaient encore trop vite.
Les trois quarts sonnèrent.
Minuit! minuit! la dernière, la suprême espérance vint à son tour.
Avec le dernier tintement de l'horloge, la dernière lumière s'éteignit; avec la dernière lumière, le dernier espoir.
Ainsi, le roi lui-même l'avait trompée; le premier, il mentait au serment qu'il avait fait le jour même; douze heures entre le serment et le parjure! Ce n'était pas avoir gardé longtemps l'illusion.
Donc, non seulement le roi n'aimait pas, mais encore il méprisait celle que tout le monde accablait; il la méprisait au point de l'abandonner à la honte d'une expulsion qui équivalait à une sentence ignominieuse; et cependant, c'était lui, lui, le roi, qui était la cause première de cette ignominie.
Un sourire amer, le seul symptôme de colère qui, pendant cette longue lutte, eût passé sur la figure angélique de la victime, un sourire amer apparut sur ses lèvres.
En effet, pour elle, que restait-il sur la terre après le roi?
Rien. Seulement, Dieu restait au ciel.
Elle pensa à Dieu.
– Mon Dieu! dit-elle, vous me dicterez vous-même ce que j'ai à faire. C'est de vous que j'attends tout, de vous que je dois tout attendre.
Et elle regarda son crucifix, dont elle baisa les pieds avec amour.
– Voilà, dit-elle, un maître qui n'oublie et n'abandonne jamais ceux qui ne l'abandonnent et qui ne l'oublient pas; c'est à celui- là seul qu'il faut se sacrifier.
Alors, il eût été visible, si quelqu'un eût pu plonger son regard dans cette chambre, il eût été visible, disons-nous, que la pauvre désespérée prenait une résolution dernière, arrêtait un plan suprême dans son esprit, montait enfin cette grande échelle de Jacob qui conduit les âmes de la terre au ciel.
Alors, et comme ses genoux n'avaient plus la force de la soutenir, elle se laissa peu à peu aller sur les marches du prie-Dieu, la tête adossée au bois de la croix, et, l'oeil fixe, la respiration haletante, elle guetta sur les vitres les premières heures du jour.
Deux heures du matin la trouvèrent dans cet égarement ou, plutôt, dans cette extase. Elle ne s'appartenait déjà plus.
Aussi, lorsqu'elle vit la teinte violette du matin descendre sur les toits du palais et dessiner vaguement les contours du christ d'ivoire qu'elle tenait embrassé, elle se leva avec une certaine force, baisa les pieds du divin martyr, descendit l'escalier de sa chambre, et s'enveloppa la tête d'une mante tout en descendant.
Elle arriva au guichet juste au moment où la ronde de mousquetaires en ouvrait la porte pour admettre le premier poste des Suisses.
Alors, se glissant derrière les hommes de garde, elle gagna la rue avant que le chef de la patrouille eût même songé à se demander quelle était cette jeune femme qui s'échappait si matin du palais.
Chapitre CLXV – La fuite
La Vallière sortit derrière la patrouille.
La patrouille se dirigea à droite par la rue Saint-Honoré, machinalement La Vallière tourna à gauche.
Sa résolution était prise, son dessein arrêté; elle voulait se rendre aux Carmélites de Chaillot, dont la supérieure avait une réputation de sévérité qui faisait frémir les mondaines de la Cour.
La Vallière n'avait jamais vu Paris, elle n'était jamais sortie à pied, elle n'eût pas trouvé son chemin, même dans une disposition d'esprit plus calme. Cela explique comment elle remontait la rue Saint-Honoré au lieu de la descendre.
Elle avait hâte de s'éloigner du Palais-Royal, et elle s'en éloignait.
Elle avait ouï dire seulement que Chaillot regardait la Seine; elle se dirigeait donc vers la Seine.
Elle prit la rue du Coq, et, ne pouvant traverser le Louvre, appuya vers l'église Saint-Germain-l'Auxerrois longeant l'emplacement où Perrault bâtit depuis sa colonnade.
Bientôt elle atteignit les quais.
Sa marche était rapide et agitée. À peine sentait-elle cette faiblesse qui, de temps en temps, lui rappelait, en la forçant de boiter légèrement, cette entorse qu'elle s'était donnée dans sa jeunesse.
À une autre heure de la journée, sa contenance eût appelé les soupçons des gens les moins clairvoyants, attiré les regards des passants les moins curieux.
Mais, à deux heures et demie du matin, les rues de Paris sont désertes ou à peu près, et il ne s'y trouve guère que les artisans laborieux qui vont gagner le pain du jour, ou bien les oisifs dangereux qui regagnent leur domicile après une nuit d'agitation et de débauches.
Pour les premiers, le jour commence, pour les autres, le jour finit.
La Vallière eut peur de tous ces visages sur lesquels son ignorance des types parisiens ne lui permettait pas de distinguer le type de la probité de celui du cynisme. Pour elle, la misère était un épouvantail; et tous ces gens qu'elle rencontrait semblaient être des misérables.
Sa toilette, qui était celle de la veille, était recherchée, même dans sa négligence, car c'était la même avec laquelle elle s'était rendue chez la reine mère; en outre, sous sa mante relevée pour qu'elle pût voir à se conduire, sa pâleur et ses beaux yeux parlaient un langage inconnu à ces hommes du peuple, et, sans le savoir, la pauvre fugitive sollicitait la brutalité des uns, la pitié des autres.
La Vallière marcha ainsi d'une seule course, haletante, précipitée, jusqu'à la hauteur de la place de Grève.
De temps en temps, elle s'arrêtait, appuyait sa main sur son coeur, s'adossait à une maison, reprenait haleine et continuait sa course plus rapidement qu'auparavant.
Arrivée à la place de Grève, La Vallière se trouva en face d'un groupe de trois hommes débraillés, chancelants, avinés, qui sortaient d'un bateau amarré sur le port.
Ce bateau était chargé de vins, et l'on voyait qu'ils avaient fait honneur à la marchandise.
Ils chantaient leurs exploits bachiques sur trois tons différents, quand, en arrivant à l'extrémité de la rampe donnant sur le quai, ils se trouvèrent faire tout à coup obstacle à la marche de la jeune fille.
La Vallière s'arrêta.
Eux, de leur côté, à l'aspect de cette femme aux vêtements de Cour, firent une halte, et, d'un commun accord, se prirent par les mains et entourèrent La Vallière en lui chantant:
Vous qui vous ennuyez seulette, Venez, venez rire avec nous.
La Vallière comprit alors que ces hommes s'adressaient à elle et voulaient l'empêcher de passer; elle tenta plusieurs efforts pour fuir, mais ils furent inutiles.
Ses jambes faillirent, elle comprit qu'elle allait tomber, et poussa un cri de terreur.
Mais, au même instant, le cercle qui l'entourait s'ouvrit sous l'effort d'une puissante pression.
L'un des insulteurs fut culbuté à gauche, l'autre alla rouler à droite jusqu'au bord de l'eau, le troisième vacilla sur ses jambes.
Un officier de mousquetaires se trouva en face de la jeune fille le sourcil froncé, la menace à la bouche, la main levée pour continuer la menace.
Les ivrognes s'esquivèrent à la vue de l'uniforme, et surtout devant la preuve de force que venait de donner celui qui le portait.
– Mordioux! s'écria l'officier, mais c'est Mlle de La Vallière!
La Vallière, étourdie de ce qui venait de se passer, stupéfaite d'entendre prononcer son nom, La Vallière leva les yeux et reconnut d'Artagnan.
– Oui, monsieur, dit-elle, c'est moi, c'est bien moi.
Et, en même temps, elle se soutenait à son bras.
– Vous me protégerez, n'est-ce pas, monsieur d'Artagnan? ajouta- t-elle et une voix suppliante.
– Certainement que je vous protégerai; mais où allez-vous, mon
Dieu, à cette heure?
– Je vais à Chaillot.
– Vous allez à Chaillot par la Rapée? Mais, en vérité, mademoiselle, vous lui tournez le dos.
– Alors, monsieur, soyez assez bon pour me remettre dans mon chemin et pour me conduire pendant quelques pas.
– Oh! volontiers.
– Mais comment se fait-il donc que je vous trouve là? Par quelle faveur du Ciel étiez-vous à portée de venir à mon secours? Il me semble, en vérité, que je rêve; il me semble que je deviens folle.
– Je me trouvais là, mademoiselle, parce que j'ai une maison place de Grève, à l'Image-de-Notre-Dame; que j'ai été toucher les loyers hier, et que j'y ai passé la nuit. Aussi désirai-je être de bonne heure au palais pour y inspecter mes postes.
– Merci! dit La Vallière.
«Voilà ce que je faisais, oui, se dit d'Artagnan, mais elle, que faisait-elle, et pourquoi va-t-elle à Chaillot à une pareille heure?»
Et il lui offrit son bras.
La Vallière le prit et se mit à marcher avec précipitation.
Cependant cette précipitation cachait une grande faiblesse. D'Artagnan le sentit, il proposa à La Vallière de se reposer; elle refusa.
– C'est que vous ignorez sans doute où est Chaillot? demanda d'Artagnan.
– Oui, je l'ignore.
– C'est très loin.
– Peu importe!
– Il y a une lieue au moins.
– Je ferai cette lieue.
D'Artagnan ne répliqua point; il connaissait, au simple accent, les résolutions réelles.
Il porta plutôt qu'il n'accompagna La Vallière.
Enfin ils aperçurent les hauteurs.
– Dans quelle maison vous rendez-vous, mademoiselle? demanda d'Artagnan.
– Aux Carmélites, monsieur.
– Aux Carmélites! répéta d'Artagnan étonné.
– Oui; et, puisque Dieu vous a envoyé vers moi pour me soutenir dans ma route, recevez et mes remerciements et mes adieux.
– Aux Carmélites! vos adieux! Mais vous entrez donc en religion? s'écria d'Artagnan.
– Oui, monsieur.
– Vous!!!
Il y avait dans ce vous, que nous avons accompagné de trois points d'exclamation pour le rendre aussi expressif que possible, il y avait dans ce vous tout un poème; il rappelait à La Vallière et ses souvenirs anciens de Blois et ses nouveaux souvenirs de Fontainebleau; il lui disait: «Vous qui pourriez être heureuse avec Raoul, vous qui pourriez être puissante avec Louis, vous allez entrer en religion, vous!»
– Oui, monsieur, dit-elle, moi. Je me rends la servante du
Seigneur; je renonce à tout ce monde.
– Mais ne vous trompez-vous pas à votre vocation? ne vous trompez-vous pas à la volonté de Dieu?
– Non, puisque c'est Dieu qui a permis que je vous rencontrasse.
Sans vous, je succombais certainement à la fatigue, et, puisque
Dieu vous envoyait sur ma route, c'est qu'il voulait que je pusse en atteindre le but.
– Oh! fit d'Artagnan avec doute, cela me semble un peu bien subtil.
– Quoi qu'il en soit, reprit la jeune fille, vous voilà instruit de ma démarche et de ma résolution. Maintenant, j'ai une dernière grâce à vous demander, tout en vous adressant les remerciements.
– Dites, mademoiselle.
– Le roi ignore ma fuite du Palais-Royal.
D'Artagnan fit un mouvement.
– Le roi, continua La Vallière, ignore ce que je vais faire.
– Le roi ignore?.. s'écria d'Artagnan. Mais, mademoiselle, prenez garde; vous ne calculez pas la portée de votre action. Nul ne doit rien faire que le roi ignore, surtout les personnes de la Cour.
– Je ne suis plus de la Cour, monsieur.
D'Artagnan regarda la jeune fille avec un étonnement croissant.
– Oh! ne vous inquiétez pas, monsieur, continua-t-elle, tout est calculé, et, tout ne le fût-il pas, il serait trop tard maintenant pour revenir sur ma résolution; l'action est accomplie.
– Et bien! voyons, mademoiselle, que désirez-vous?
– Monsieur, par la pitié que l'on doit au malheur, par la générosité de votre âme, par votre foi de gentilhomme, je vous adjure de me faire un serment.
– Un serment?
– Oui.
– Lequel?
– Jurez-moi, monsieur d'Artagnan, que vous ne direz pas au roi que vous m'avez vue et que je suis aux Carmélites.
D'Artagnan secoua la tête.
– Je ne jurerai point cela, dit-il.
– Et pourquoi?
– Parce que je connais le roi, parce que je vous connais, parce que je me connais moi-même, parce que je connais tout le genre humain; non, je ne jurerai point cela.
– Alors, s'écria La Vallière avec une énergie dont on l'eût crue incapable, au lieu des bénédictions dont je vous eusse comblé jusqu'à la fin de mes jours, soyez maudit! car vous me rendez la plus misérable de toutes les créatures!
Nous avons dit que d'Artagnan connaissait tous les accents qui venaient du coeur, il ne put résister à celui-là.
Il vit la dégradation de ces traits; il vit le tremblement de ces membres; il vit chanceler tout ce corps frêle et délicat ébranlé par secousses; il comprit qu'une résistance la tuerait.
– Qu'il soit donc fait comme vous le voulez, dit-il. Soyez tranquille, mademoiselle, je ne dirai rien au roi.
– Oh! merci, merci! s'écria La Vallière; vous êtes le plus généreux des hommes.
Et, dans le transport de sa joie, elle saisit les mains de d'Artagnan et les serra entre les siennes.
Celui-ci se sentait attendri.
– Mordioux! dit-il, en voilà une qui commence par où les autres finissent: c'est touchant.
Alors La Vallière, qui, au moment du paroxysme de sa douleur, était tombée assise sur une pierre, se leva et marcha vers le couvent des Carmélites, que l'on voyait se dresser dans la lumière naissante. D'Artagnan la suivait de loin.
La porte du parloir était entrouverte; elle s'y glissa comme une ombre pâle, et, remerciant d'Artagnan d'un seul signe de la main, elle disparut à ses yeux.
Quand d'Artagnan se trouva tout à fait seul, il réfléchit profondément à ce qui venait de se passer.
– Voilà, par ma foi! dit-il, ce qu'on appelle une fausse position… Conserver un secret pareil, c'est garder dans sa poche un charbon ardent et espérer qu'il ne brûlera pas l'étoffe. Ne pas garder le secret, quand on a juré qu'on le garderait, c'est d'un homme sans honneur. Ordinairement, les bonnes idées me viennent en courant; mais, cette fois, ou je me trompe fort, ou il faut que je coure beaucoup pour trouver la solution de cette affaire… Où courir?.. Ma foi! au bout du compte, du côté de Paris; c'est le bon côté… Seulement, courons vite… Mais pour courir vite, mieux valent quatre jambes que deux. Malheureusement, pour le moment, je n'ai que mes deux jambes… Un cheval! comme j'ai entendu dire au théâtre de Londres; ma couronne pour un cheval!.. J'y songe, cela ne me coûtera point aussi cher que cela… Il y a un poste de mousquetaires à la barrière de la Conférence, et, pour un cheval qu'il me faut, j'en trouverai dix.
En vertu de cette résolution, prise avec sa rapidité habituelle, d'Artagnan descendit soudain les hauteurs, gagna le poste, y prit le meilleur coursier qu'il y put trouver, et fut rendu au palais en dix minutes.
Cinq heures sonnaient à l'horloge du Palais-Royal.
D'Artagnan s'informa du roi.
Le roi s'était couché à son heure ordinaire, après avoir travaillé avec M. Colbert, et dormait encore, selon toute probabilité.
– Allons, dit-il, elle m'avait dit vrai, le roi ignore tout; s'il savait seulement la moitié de ce qui s'est passé, le Palais-Royal serait, à cette heure, sens dessus dessous.
Encore ému de la querelle qu'il venait d'avoir avec La Vallière, il errait dans son cabinet, fort désireux de trouver une occasion de faire un éclat, après s'être retenu si longtemps.
Colbert, en voyant le roi, jugea d'un coup d'oeil la situation, et comprit les intentions du monarque. Il louvoya.
Quand le maître demanda compte de ce qu'il fallait dire le lendemain, le sous-intendant commença par trouver étrange que Sa Majesté n'eût pas été mise au courant par M. Fouquet.
– M. Fouquet, dit-il, sait toute cette affaire de la Hollande: il reçoit directement toutes les correspondances.
Le roi, accoutumé à entendre M. Colbert piller M. Fouquet, laissa passer cette boutade sans répliquer; seulement il écouta.
Colbert vit l'effet produit et se hâta de revenir sur ses pas en disant que M. Fouquet n'était pas toutefois aussi coupable qu'il paraissait l'être au premier abord, attendu qu'il avait dans ce moment de grandes préoccupations. Le roi leva la tête.
– Quelle préoccupations? dit-il.
– Sire, les hommes ne sont que des hommes, et M. Fouquet a ses défauts avec ses grandes qualités.
– Ah! des défauts, qui n'en a pas, monsieur Colbert?..
– Votre Majesté en a bien, dit hardiment Colbert, qui savait lancer une sourde flatterie dans un léger blâme, comme la flèche qui fend l'air malgré son poids, grâce à de faibles plumes qui la soutiennent.
Le roi sourit.
– Quel défaut a donc M. Fouquet? dit-il.
– Toujours le même, Sire; on le dit amoureux.
– Amoureux, de qui?