Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome III.», sayfa 32
Chapitre CXCIII – La méthode de Porthos
La multiplicité des personnages que nous avons introduits dans cette longue histoire fait que chacun est obligé de ne paraître qu'à son tour et selon les exigences du récit. Il en résulte que nos lecteurs n'ont pas eu l'occasion de se retrouver avec notre ami Porthos depuis son retour de Fontainebleau.
Les honneurs qu'il avait reçus du roi n'avaient point changé le caractère placide et affectueux du respectable seigneur; seulement, il redressait la tête plus que de coutume, et quelque chose de majestueux se révélait dans son maintien, depuis qu'il avait reçu la faveur de dîner à la table du roi. La salle à manger de Sa Majesté avait produit un certain effet sur Porthos. Le seigneur de Bracieux et de Pierrefonds aimait à se rappeler que, durant ce dîner mémorable, force serviteurs et bon nombre d'officiers, se trouvant derrière les convives, donnaient bon air au repas et meublaient la pièce.
Porthos se promit de conférer à M. Mouston une dignité quelconque, d'établir une hiérarchie dans le reste de ses gens, et de se créer une maison militaire; ce qui n'était pas insolite parmi les grands capitaines, attendu que, dans le précédent siècle, on remarquait ce luxe chez MM. de Tréville, de Schomberg, de La Vieuville, sans parler de MM. de Richelieu, de Condé, et de Bouillon-Turenne.
Lui, Porthos, ami du roi et de M. Fouquet baron, ingénieur, etc., pourquoi ne jouirait-il pas de tous les agréments attachés aux grands biens et aux grands mérites?
Un peu délaissé d'Aramis, lequel, nous le savons, s'occupait beaucoup de M. Fouquet, un peu négligé, à cause du service, par d'Artagnan, blasé sur Trüchen et sur Planchet, Porthos se surprit à rêver sans trop savoir pourquoi; mais à quiconque lui eût dit: «Est-ce qu'il vous manque quelque chose, Porthos?» il eût assurément répondu: «Oui.»
Après un de ces dîners pendant lesquels Porthos essayait de se rappeler tous les détails du dîner royal, demi-joyeux, grâce au bon vin, demi-triste, grâce aux idées ambitieuses, Porthos se laissait aller à un commencement de sieste, quand son valet de chambre vint l'avertir que M. de Bragelonne voulait lui parler.
Porthos passa dans la salle voisine, où il trouva son jeune ami dans les dispositions que nous connaissons.
Raoul vint serrer la main de Porthos, qui, surpris de sa gravité, lui offrit un siège.
– Cher monsieur du Vallon, dit Raoul, j'ai un service à vous demander.
– Cela tombe à merveille, mon jeune ami, répliqua Porthos. On m'a envoyé huit mille livres, ce matin, de Pierrefonds, et, si c'est d'argent que vous avez besoin…
– Non, ce n'est pas d'argent; merci, mon excellent ami.
– Tant pis! J'ai toujours entendu dire que c'est là le plus rare des services, mais le plus aisé à rendre. Ce mot m'a frappé; j'aime à citer les mots qui me frappent.
– Vous avez un coeur aussi bon que votre esprit est sain.
– Vous êtes trop bon. Vous dînerez bien, peut-être?
– Oh! non, je n'ai pas faim.
– Hein! Quel affreux pays que l'Angleterre?
– Pas trop; mais…
– Voyez-vous, si l'on n'y trouvait pas l'excellent poisson et la belle viande qu'il y a, ce ne serait pas supportable.
– Oui… je venais…
– Je vous écoute. Permettez seulement que je me rafraîchisse. On mange salé à Paris. Pouah!
Et Porthos se fit apporter une bouteille de vin de Champagne.
Puis, ayant rempli avant le sien le verre de Raoul, il but un large coup, et, satisfait, il reprit:
– Il me fallait cela pour vous entendre sans distraction. Me voici tout à vous. Que demandez-vous, cher Raoul? que désirez- vous?
– Dites-moi votre opinion sur les querelles, mon cher ami.
– Mon opinion?.. Voyons, développez un peu votre idée, répondit
Porthos en se grattant le front.
– Je veux dire: Êtes-vous d'un bon naturel quand il y a démêlé entre vos amis et des étrangers?
– Oh! d'un naturel excellent, comme toujours.
– Fort bien; mais que faites-vous alors?
– Quand mes amis ont des querelles, j'ai un principe.
– Lequel?
– C'est que le temps perdu est irréparable, et que l'on n'arrange jamais aussi bien une affaire que lorsque l'on a encore l'échauffement de la dispute.
– Ah! vraiment, voilà votre principe?
– Absolument. Aussi, dès que la querelle est engagée, je mets les parties en présence.
– Oui-da?
– Vous comprenez que, de cette façon, il est impossible qu'une affaire ne s'arrange pas.
– J'aurais cru, dit avec étonnement Raoul, que, prise ainsi, une affaire devait, au contraire…
– Pas le moins du monde. Songez que j'ai eu, dans ma vie, quelque chose comme cent quatre-vingts à cent quatre-vingt-dix duels réglés, sans compter les prises d'épées et les rencontres fortuites.
– C'est un beau chiffre, dit Raoul en souriant malgré lui.
– Oh! ce n'est rien; moi, je suis si doux!.. D'Artagnan compte ses duels par centaines. Il est vrai qu'il est dur et piquant, je le lui ai souvent répété.
– Ainsi, reprit Raoul, vous arrangez d'ordinaire les affaires que vos amis vous confient?
– Il n'y a pas d'exemple que je n'aie fini par en arranger une, dit Porthos avec mansuétude et une confiance qui firent bondir Raoul.
– Mais, dit-il, les arrangements sont-ils au moins honorables?
– Oh! je vous en réponds; et, à ce propos, je vais vous expliquer mon autre principe. Une fois que mon ami m'a remis sa querelle, voici comme je procède: je vais trouver son adversaire sur-le- champ; je m'arme d'une politesse et d'un sang-froid qui sont de rigueur en pareille circonstance.
– C'est à cela, dit Raoul avec amertume, que vous devez d'arranger si bien et si sûrement les affaires?
– Je le crois. Je vais donc trouver l'adversaire et je lui dis: «Monsieur, il est impossible que vous ne compreniez pas à quel point vous avez outragé mon ami.»
Raoul fronça le sourcil.
– Quelquefois, souvent même, poursuivit Porthos, mon ami n'a pas été offensé du tout; il a même offensé le premier: vous jugez si mon discours est adroit.
Et Porthos éclata de rire.
«Décidément, se disait Raoul pendant que retentissait le tonnerre formidable de cette hilarité, décidément j'ai du malheur. De Guiche me bat froid, d'Artagnan me raille, Porthos est mou: nul ne veut arranger cette affaire à ma façon. Et moi qui m'étais adressé à Porthos pour trouver une épée au lieu d'un raisonnement!.. Ah! quelle mauvaise chance!»
Porthos se remit, et continua:
– J'ai donc, par un seul mot, mis l'adversaire dans son tort.
– C'est selon, dit distraitement Raoul.
– Non pas, c'est sûr. Je l'ai mis dans son tort; c'est à ce moment que je déploie toute ma courtoisie, pour aboutir à l'heureuse issue de mon projet. Je m'avance donc d'une mine affable, et, prenant la main de l'adversaire…
– Oh! fit Raoul impatient.
– «Monsieur, lui dis-je, à présent que vous êtes convaincu de l'offense, nous sommes assurés de la réparation. Entre mon ami et vous, c'est désormais un échange de gracieux procédés. En conséquence, je suis chargé de vous donner la longueur de l'épée de mon ami.»
– Hein? fit Raoul.
– Attendez donc!.. «La longueur de l'épée de mon ami. J'ai un cheval en bas; mon ami est à tel endroit, qui attend impatiemment votre aimable présence; je vous emmène; nous prenons votre témoin en passant, l'affaire est arrangée.»
– Et, dit Raoul pâle de dépit, vous réconciliez les deux adversaires sur le terrain?
– Plaît-il? interrompit Porthos. Réconcilier? pour quoi faire?
– Vous dites que l'affaire est arrangée…
– Sans doute, puisque mon ami attend.
– Eh bien! quoi! s'il attend…
– Eh bien! s'il attend, c'est pour se délier les jambes. L'adversaire, au contraire, est encore tout roide du cheval; on s'aligne, et mon ami tue l'adversaire. C'est fini.
– Ah! il le tue? s'écria Raoul.
– Pardieu! dit Porthos, est-ce que je prends jamais pour amis des gens qui se font tuer? J'ai cent et un amis, à la tête desquels sont M. votre père, Aramis et d'Artagnan, tous gens fort vivants, je crois!
– Oh! mon cher baron, s'exclama Raoul dans l'excès de sa joie.
– Vous approuvez ma méthode, alors? fit le géant.
– Je l'approuve si bien, que j'y aurai recours aujourd'hui, sans retard, à l'instant même. Vous êtes l'homme que je cherchais.
– Bon! me voici; vous voulez vous battre?
– Absolument.
– C'est bien naturel… Avec qui?
– Avec M. de Saint-Aignan.
– Je le connais… un charmant gascon, qui a été fort poli avec moi le jour où j'eus l'honneur de dîner chez le roi. Certes, je lui rendrai sa politesse, même quand ce ne serait pas mon habitude. Ah çà! il vous a donc offensé?
– Mortellement.
– Diable! Je pourrai dire mortellement?
– Plus encore, si vous voulez.
– C'est bien commode.
– Voilà une affaire tout arrangée, n'est-ce pas? dit Raoul en souriant.
– Cela va de soi… Où l'attendez-vous?
– Ah! pardon, c'est délicat. M. de Saint-Aignan est fort ami du roi.
– Je l'ai ouï dire.
– Et si je le tue?
– Vous le tuerez certainement. C'est à vous de vous précautionner; mais, maintenant, ces choses-là ne souffrent pas de difficultés. Si vous eussiez vécu de notre temps, à la bonne heure!
– Cher ami vous ne m'avez pas compris. Je veux dire que, M. de Saint-Aignan étant un ami du roi, l'affaire sera plus difficile à engager, attendu que le roi peut savoir à l'avance…
– Eh! non pas! Ma méthode, vous savez bien: «Monsieur, vous avez offensé mon ami, et…»
– Oui, je le sais.
– Et puis: «Monsieur, le cheval est en bas.» Je l'emmène donc avant qu'il ait parlé à personne.
– Se laissera-t-il emmener comme cela?
– Pardieu! je voudrais bien voir! Il serait le premier. Il est vrai que les jeunes gens d'aujourd'hui… Mais bah! je l'enlèverai s'il le faut.
Et Porthos, joignant le geste à la parole, enleva Raoul et sa chaise.
– Très bien, dit le jeune homme en riant. Il nous reste à poser la question à M. de Saint-Aignan.
– Quelle question?
– Celle de l'offense.
– Eh bien! mais, c'est fait, ce me semble.
– Non, mon cher monsieur du Vallon, l'habitude chez nous autres gens d'aujourd'hui, comme vous dites, veut qu'on s'explique les causes de l'offense.
– Par votre nouvelle méthode, oui. Eh bien! alors, contez-moi votre affaire…
– C'est que…
– Ah dame! voilà l'ennui! Autrefois, nous n'avions jamais besoin de conter. On se battait parce qu'on se battait. Je ne connais pas de meilleure raison, moi.
– Vous êtes dans le vrai, mon ami.
– J'écoute vos motifs.
– J'en ai trop à raconter. Seulement, comme il faut préciser…
– Oui, oui, diable! avec la nouvelle méthode.
– Comme il faut, dis-je, préciser; comme, d'un autre côté l'affaire est pleine de difficultés et commande un secret absolu…
– Oh! oh!
– Vous aurez l'obligeance de dire seulement à M. de Saint-Aignan, et il le comprendra, qu'il m'a offensé: d'abord, en déménageant.
– En déménageant?.. Bien, fit Porthos, qui se mit à récapituler sur ses doigts. Après?
– Puis en faisant construire une trappe dans son nouveau logement.
– Je comprends, dit Porthos; une trappe. Peste! c'est grave! Je crois bien que vous devez être furieux de cela! Et pourquoi ce drôle ferait-il faire des trappes sans vous avoir consulté? Des trappes!.. mordioux!.. Je n'en ai pas, moi, si ce n'est mon oubliette de Bracieux!
– Vous ajouterez, dit Raoul, que mon dernier motif de me croire outragé, c'est le portrait que M. de Saint-Aignan sait bien.
– Eh! mais, encore un portrait?.. Quoi! un déménagement, une trappe et un portrait? Mais, mon ami, dit Porthos, avec l'un de ces griefs seulement, il y a de quoi faire s'entr'égorger toute la gentilhommerie de France et d'Espagne, ce qui n'est pas peu dire.
– Ainsi, cher, vous voilà suffisamment muni?
– J'emmène un deuxième cheval. Choisissez votre lieu de rendez- vous, et, pendant que vous attendrez, faites des plies et fendez- vous à fond, cela donne une élasticité rare.
– Merci! J'attendrai au bois de Vincennes, près des Minimes.
– Voilà qui va bien… Où trouve-t-on ce M. de Saint-Aignan?
– Au Palais-Royal.
Porthos agita une grosse sonnette. Son valet parut.
– Mon habit de cérémonie, dit-il; mon cheval et un cheval de main.
Le valet s'inclina et sortit.
– Votre père sait-il cela? dit Porthos.
– Non; je vais lui écrire.
– Et d'Artagnan?
– M. d'Artagnan non plus. Il est prudent, il m'aurait détourné.
– D'Artagnan est homme de bon conseil, cependant, dit Porthos étonné, dans sa modestie loyale qu'on eût songé à lui quand il y avait un d'Artagnan au monde.
– Cher monsieur du Vallon, répliqua Raoul, ne me questionnez plus, je vous en conjure. J'ai dit tout ce que j'avais à dire. C'est l'action que j'attends; je l'attends rude et décisive, comme vous savez les préparer. Voilà pourquoi je vous ai choisi.
– Vous serez content de moi, répliqua Porthos.
– Et songez, cher ami, que, hors nous, tout le monde doit ignorer cette rencontre.
– On s'aperçoit toujours de ces choses-là, dit Porthos quand on trouve un corps mort dans le bois. Ah! cher ami, je vous promets tout, hors de dissimuler le corps mort. Il est là, on le voit, c'est inévitable. J'ai pour principe de ne pas enterrer. Cela sent son assassin. Au risque de risque, comme dit le Normand.
– Brave et cher ami, à l'ouvrage!
– Reposez-vous sur moi, dit le géant en finissant la bouteille, tandis que son laquais étalait sur un meuble le somptueux habit et les dentelles.
Quant à Raoul, il sortit en se disant avec une joie.
«Oh! roi perfide! roi traître! je ne puis t'atteindre! Je ne le veux pas! Les rois sont des personnes sacrées; mais ton complice, ton complaisant, qui te représente, ce lâche va payer ton crime! Je le tuerai en ton nom, et, après, nous songerons à Louise!»
Chapitre CXCIV – Le déménagement, la trappe et le portrait
Porthos, chargé, à sa grande satisfaction, de cette mission qui le rajeunissait, économisa une demi-heure sur le temps qu'il mettait d'habitude à ses toilettes de cérémonie.
En homme qui s'est frotté au grand monde, il avait commencé par envoyer son laquais s'informer si M. de Saint-Aignan était chez lui.
On lui avait fait réponse que M. le comte de Saint-Aignan avait eu l'honneur d'accompagner le roi à Saint-Germain, ainsi que toute la Cour, mais que M. le comte venait de rentrer à l'instant même.
Sur cette réponse, Porthos se hâta et arriva au logis de de Saint-
Aignan, comme celui-ci venait de faire tirer ses bottes.
La promenade avait été superbe. Le roi, de plus en plus amoureux et de plus en plus heureux, se montrait de charmante humeur pour tout le monde; il avait des bontés à nulle autre pareilles, comme disaient les poètes du temps.
M. de Saint-Aignan, on se le rappelle, était poète, et pensait l'avoir prouvé en assez de circonstances mémorables pour qu'on ne lui contestât point ce titre.
Comme un infatigable croqueur de rimes, il avait, pendant toute la route, saupoudré de quatrains, de sixains et de madrigaux, le roi d'abord, La Vallière ensuite.
De son côté, le roi était en verve et avait fait un distique.
Quant à La Vallière, comme les femmes qui aiment elle avait fait deux sonnets.
Comme on le voit, la journée n'avait pas été mauvaise pour
Apollon.
Aussi, de retour à Paris, de Saint-Aignan, qui savait d'avance que ses vers iraient courir les ruelles, se préoccupait-il, un peu plus qu'il ne l'avait fait pendant la promenade, de la facture et de l'idée.
En conséquence, pareil à un tendre père qui est sur le point de produire ses enfants dans le monde, il se demandait si le public trouverait droits, corrects et gracieux ces fils de son imagination. Donc, pour en avoir le coeur net, M. de Saint-Aignan se récitait à lui-même le madrigal suivant, qu'il avait dit de mémoire au roi, et qu'il avait promis de lui donner écrit à son retour:
Iris, vos yeux malins ne disent pas toujours Ce que votre pensée à votre coeur confie; Iris, pourquoi faut-il que je passe ma vie À plus aimer vos yeux qui m'ont joué ces tours?
Ce madrigal, tout gracieux qu'il était, ne paraissait pas parfait à de Saint-Aignan, du moment où il le passait de la tradition orale à la poésie manuscrite. Plusieurs l'avaient trouvé charmant, l'auteur tout le premier; mais à la seconde vue, ce n'était plus le même engouement. Aussi de Saint-Aignan, devant sa table, une jambe croisée sur l'autre et se grattant la tempe, répétait-il:
Iris, vos yeux malins ne disent pas toujours…
– Oh! quand à celui-là, murmura de Saint-Aignan, celui-là est irréprochable. J'ajouterais même qu'il a un petit air Ronsard ou Malherbe dont je suis content. Malheureusement, il n'en est pas de même du second. On a bien raison de dire que le vers le plus facile à faire est le premier.
Et il continua:
Ce que votre pensée à votre coeur confie…
– Ah! voilà la pensée qui confie au coeur! Pourquoi le coeur ne confierait-il pas aussi bien à la pensée? Ma foi, quant à moi, je n'y vois pas d'obstacle. Où diable ai-je été associer ces deux hémistiches? Par exemple, le troisième est bon:
Iris, pourquoi faut-il que je passe ma vie…
quoique la rime ne soit pas riche… vie et confie… Ma foi! l'abbé Boyer, qui est un grand poète, a fait rimer, comme moi, vie et confie dans la tragédie d'_Oropaste, ou le Faux Tonaxare, _sans compter que M. Corneille ne s'en gêne pas dans sa tragédie de Sophonisbe. Va donc pour vie et confie. Oui, mais le vers est impertinent. Je me rappelle que le roi s'est mordu l'ongle, à ce moment. En effet, il a l'air de dire à Mlle de La Vallière: «D'où vient que je suis ensorcelé de vous?» Il eût mieux valu dire, je crois:
Que bénis soient les dieux qui condamnent ma vie.
Condamnent! Ah bien! oui! voilà encore une politesse! Le roi condamné à La Vallière… Non!
Puis il répéta:
Mais bénis soient les dieux qui… destinent ma vie.
– Pas mal; quoique destinent ma vie soit faible; mais ma foi! tout ne peut pas être fort dans un quatrain. À plus aimer vos yeux… Plus aimer qui? quoi? obscurité… L'obscurité n'est rien; puisque La Vallière et le roi m'ont compris, tout le monde me comprendra. Oui, mais voilà le triste!.. c'est le dernier hémistiche: Qui m'ont joué ces tours. Le pluriel forcé pour la rime! et puis appeler la pudeur de La Vallière un tour! Ce n'est pas heureux. Je vais passer par la langue de tous les gratte- papier mes confrères. On appellera mes poésies des vers de grand seigneur; et, si le roi entend dire que je suis un mauvais poète, l'idée lui viendra de le croire.
Et, tout en confiant ces paroles à son coeur, et son coeur à ses pensées, le comte se déshabillait plus complètement. Il venait de quitter son habit et sa veste pour passer sa robe de chambre, lorsqu'on lui annonça la visite de M. le baron du Vallon de Bracieux de Pierrefonds.
– Eh! fit-il, qu'est-ce que cette grappe de noms? Je ne connais point cela.
– C'est, répondit le laquais, un gentilhomme qui a eu l'honneur de dîner avec M. le comte, à la table du roi, pendant le séjour de Sa Majesté à Fontainebleau.
– Chez le roi, à Fontainebleau? s'écria de Saint-Aignan. Eh! vite, vite, introduisez ce gentilhomme.
Le laquais se hâta d'obéir. Porthos entra.
M. de Saint-Aignan avait la mémoire des courtisans: à la première vue, il reconnut donc le seigneur de province, à la réputation bizarre, et que le roi avait si bien reçu à Fontainebleau, malgré quelques sourires des officiers présents. Il s'avança donc vers Porthos avec tous les signes d'une bienveillance que Porthos trouva toute naturelle, lui qui arborait, en entrant chez un adversaire, l'étendard de la politesse la plus raffinée.
De Saint-Aignan fit avancer un siège par le laquais qui avait annoncé Porthos. Ce dernier, qui ne voyait rien d'exagéré dans ces politesses, s'assit et toussa. Les politesses d'usage s'échangèrent entre les deux gentilshommes; puis, comme c'était le comte qui recevait la visite:
– Monsieur le baron, dit-il, à quelle heureuse rencontre dois-je la faveur de votre visite?
– C'est justement ce que je vais avoir l'honneur de vous expliquer, monsieur le comte, répliqua Porthos; mais, pardon…
– Qu'y a-t-il, monsieur? demanda de Saint-Aignan.
– Je m'aperçois que je casse votre chaise.
– Nullement, monsieur, dit de Saint-Aignan, nullement.
– Si fait, monsieur le comte, si fait, je la romps; et si bien même, que, si je tarde, je vais choir, position tout à fait inconvenante dans le rôle grave que je viens jouer auprès de vous.
Porthos se leva. Il était temps, la chaise s'était déjà affaissée sur elle-même de quelques pouces. De Saint-Aignan chercha des yeux un plus solide récipient pour son hôte.
– Les meubles modernes, dit Porthos tandis que le comte se livrait à cette recherche, les meubles modernes sont devenus d'une légèreté ridicule. Dans ma jeunesse, époque où je m'asseyais avec bien plus d'énergie encore qu'aujourd'hui, je ne me rappelle point avoir jamais rompu un siège, sinon dans les auberges avec mes bras.
De Saint-Aignan sourit agréablement à la plaisanterie.
– Mais, dit Porthos en s'installant sur un lit de repos qui gémit, mais qui résista, ce n'est point de cela qu'il s'agit, malheureusement.
– Comment, malheureusement? Est-ce que vous seriez porteur d'un message de mauvais augure, monsieur le baron?
– De mauvais augure pour un gentilhomme? oh! non, monsieur le comte, répliqua noblement Porthos. Je viens seulement vous annoncer que vous avez offensé bien cruellement un de mes amis.
– Moi, monsieur! s'écria de Saint-Aignan; moi, j'ai offensé un de vos amis? Et lequel, je vous prie?
– M. Raoul de Bragelonne.
– J'ai offensé M. de Bragelonne, moi? s'écria de Saint-Aignan. Ah! mais, en vérité, monsieur, cela m'est impossible; car M. de Bragelonne, que je connais peu, je dirai même que je ne connais point, est en Angleterre: ne l'ayant point vu depuis fort longtemps, je ne saurais l'avoir offensé.
– M. de Bragelonne est à Paris, monsieur le comte, dit Porthos impassible; et, quant à l'avoir offensé, je vous réponds que c'est vrai, puisqu'il me l'a dit lui-même. Oui, monsieur le comte, vous l'avez cruellement, mortellement offensé, je répète le mot.
– Mais impossible, monsieur le baron, je vous jure, impossible.
– D'ailleurs, ajouta Porthos, vous ne pouvez ignorer cette circonstance, attendu que M. de Bragelonne m'a déclaré vous avoir prévenu par un billet.
– Je n'ai reçu aucun billet, monsieur, je vous en donne ma parole.
– Voilà qui est extraordinaire! répondit Porthos; et ce que dit
Raoul…
– Je vais vous convaincre que je n'ai rien reçu dit de Saint-
Aignan.
Et il sonna.
– Basque, dit-il, combien de lettres ou de billets sont venus ici en mon absence.
– Trois, monsieur le comte.
– Qui sont?..
– Le billet de M. de Fiesque, celui de Mme de La Ferté, et la lettre de M. de Las Fuentès.
– Voilà tout?
– Tout, monsieur le comte.
– Dis la vérité devant Monsieur, la vérité, entends-tu bien? Je réponds de toi.
– Monsieur, il y avait encore le billet de…
– De?.. Dis vite, voyons.
– De Mlle de La Val…
– Cela suffit, interrompit discrètement Porthos. Fort bien, je vous crois, monsieur le comte.
De Saint-Aignan congédia le valet et alla lui-même fermer la porte; mais, comme il revenait, regardant devant lui par hasard, il vit sortir de la serrure de la chambre voisine ce fameux papier que Bragelonne y avait glissé en partant.
– Qu'est-ce que cela? dit-il.
Porthos, adossé à cette chambre, se retourna.
– Oh! oh! fit Porthos.
– Un billet dans la serrure! s'écria de Saint-Aignan.
– Ce pourrait bien être le nôtre, monsieur le comte, dit Porthos.
Voyez.
De Saint-Aignan prit le papier.
– Un billet de M. de Bragelonne! s'écria-t-il.
– Voyez-vous, j'avais raison. Oh! quand je dis une chose, moi…
– Apporté ici par M. de Bragelonne lui-même, murmura le comte en pâlissant. Mais c'est indigne! Comment donc a-t-il pénétré ici?
De Saint-Aignan sonna encore. Basque reparut.
– Qui est venu ici, pendant que j'étais à la promenade avec le roi?
– Personne, monsieur.
– C'est impossible! il faut qu'il soit venu quelqu'un!
– Mais, monsieur, personne n'a pu entrer, puisque j'avais les clefs dans ma poche.
– Cependant, ce billet qui était dans la serrure. Quelqu'un l'y a mis; il n'est pas venu seul.
Basque ouvrit les bras en signe d'ignorance absolue.
– C'est probablement M. de Bragelonne qui l'y aura mis? dit
Porthos.
– Alors, il serait entré ici?
– Sans doute, monsieur.
– Mais, enfin, puisque j'avais la clef dans ma poche, reprit
Basque avec persévérance.
De Saint-Aignan froissa le billet après l'avoir lu.
– Il y a quelque chose là-dessous, murmura-t-il absorbé.
Porthos le laissa un instant à ses réflexions.
Puis il revint à son message.
– Vous plairait-il que nous en revinssions à notre affaire? demanda-t-il en s'adressant à de Saint-Aignan quand le laquais eut disparu.
– Mais je crois la comprendre par ce billet si étrangement arrivé. M. de Bragelonne m'annonce un ami…
– Je suis son ami; c'est donc moi qu'il vous annonce.
– Pour m'adresser une provocation?
– Précisément.
– Et il se plaint que je l'ai offensé?
– Cruellement, mortellement!
– De quelle façon, s'il vous plaît? Car sa démarche est trop mystérieuse pour que je n'y cherche pas au moins un sens.
– Monsieur, répondit Porthos, mon ami doit avoir raison, et, quant à sa démarche, si elle est mystérieuse comme vous dites, n'en accusez que vous.
Porthos prononça ces dernières paroles avec une confiance qui, pour un homme peu habitué à sa façon, devait révéler une infinité de sens.
– Mystère, soit! Voyons le mystère, dit de Saint-Aignan.
Mais Porthos s'inclina.
– Vous trouverez bon que je n'y entre point, monsieur, dit-il, et pour d'excellentes raisons.
– Que je comprends à merveille. Oui, monsieur, effleurons alors.
Voyons, monsieur je vous écoute.
– Il y a d'abord, monsieur, dit Porthos, que vous avez déménagé?
– C'est vrai, j'ai déménagé, dit de Saint-Aignan.
– Vous l'avouez? dit Porthos d'un air de satisfaction visible.
– Si je l'avoue? Mais oui, je l'avoue. Pourquoi donc voulez-vous que je ne l'avoue pas?
– Vous avez avoué. Bien, nota Porthos en levant seulement un doigt en l'air.
– Ah çà! monsieur, comment mon déménagement peut-il avoir causé dommage à M. de Bragelonne? Répondez, voyons. Car je ne comprends absolument rien à ce que vous me dites.
Porthos l'arrêta.
– Monsieur, dit-il gravement, ce grief est le premier de ceux que M. de Bragelonne articule contre vous. S'il l'articule, c'est qu'il s'est senti blessé.
De Saint-Aignan battit du pied le parquet avec impatience.
– Cela ressemble à une mauvaise querelle, dit-il.
– On ne saurait avoir une mauvaise querelle avec un aussi galant homme que le vicomte de Bragelonne, repartit Porthos; mais, enfin, vous n'avez rien à ajouter au sujet du déménagement, n'est-ce pas?
– Non. Après?
– Ah! après? Mais remarquez bien, monsieur, que voilà déjà un grief abominable auquel vous ne répondez pas, ou plutôt auquel vous répondez mal. Comment, monsieur, vous déménagez, cela offense M. de Bragelonne, et vous ne vous excusez pas? Très bien!
– Quoi! s'écria de Saint-Aignan, qui s'irritait du flegme de ce personnage; quoi! j'ai besoin de consulter M. de Bragelonne sur le sujet de déménager ou non? Allons donc, monsieur!
– Obligatoire, monsieur, obligatoire. Toutefois, vous m'avouerez que cela n'est rien en comparaison du second grief.
Porthos prit un air sévère.
– Et cette trappe, monsieur, dit-il, et cette trappe?
De Saint-Aignan devint excessivement pâle. Il recula sa chaise si brusquement, que Porthos, tout naïf qu'il était, s'aperçut que le coup avait porté avant.
– La trappe, murmura de Saint-Aignan.
– Oui, monsieur, expliquez-la si vous pouvez, dit Porthos en secouant la tête.
De Saint-Aignan baissa le front.
– Oh! je suis trahi, murmura-t-il; on sait tout!
– On sait toujours tout, répliqua Porthos, qui ne savait rien.
– Vous m'en voyez accablé, poursuivit de Saint-Aignan, accablé à ce point que j'en perds la tête!
– Conscience coupable, monsieur. Oh! votre affaire n'est pas bonne.
– Monsieur!
– Et quand le public sera instruit, et qu'il se fera juge…
– Oh! monsieur, s'écria vivement le comte, un pareil secret doit être ignoré, même du confesseur!
– Nous aviserons, dit Porthos, et le secret n'ira pas loin, en effet.
– Mais, monsieur, reprit de Saint-Aignan, M. de Bragelonne, en pénétrant ce secret, se rend-il compte du danger qu'il court, et qu'il fait courir?
– M. de Bragelonne ne court aucun danger, monsieur, n'en craint aucun, et vous l'expérimenterez bientôt, avec l'aide de Dieu.
«Cet homme est un enragé, pensa de Saint-Aignan. Que me veut-il?»
Puis il reprit tout haut:
– Voyons, monsieur, assoupissons cette affaire.
– Vous oubliez le portrait? dit Porthos avec une voix de tonnerre qui glaça le sang du comte.
Comme le portrait était celui de La Vallière, et qu'il n'y avait plus à s'y méprendre, de Saint-Aignan sentit ses yeux se dessiller tout à fait.
– Ah! s'écria-t-il, ah! monsieur, je me souviens que
M. de Bragelonne était son fiancé.
Porthos prit un air imposant, la majesté de l'ignorance.
– Il ne m'importe en rien, ni à vous non plus, dit-il, que mon ami soit ou non le fiancé de qui vous dites. Je suis même surpris que vous ayez prononcé cette parole indiscrète. Elle pourra faire tort à votre cause, monsieur.
– Monsieur, vous êtes l'esprit, la délicatesse et la loyauté en une personne. Je vois tout ce dont il s'agit.
– Tant mieux! dit Porthos.
– Et, poursuivit de Saint-Aignan, vous me l'avez fait entendre de la façon la plus ingénieuse et la plus exquise. Merci, monsieur, merci!
Porthos se rengorgea.
– Seulement, à présent que je sais tout, souffrez que je vous explique…
Porthos secoua la tête en homme qui ne veut pas entendre; mais de
Saint Aignan continua:
– Je suis au désespoir, voyez-vous, de tout ce qui arrive; mais qu'eussiez-vous fait à ma place? Voyons, entre nous, dites-moi ce que vous eussiez fait?
Porthos leva la tête.
– Il ne s'agit point de ce que j'eusse fait, jeune homme; vous avez, dit-il, connaissance des trois griefs, n'est-ce pas?
– Pour le premier, pour le déménagement, monsieur, et ici, c'est à l'homme d'esprit et d'honneur que je m'adresse, quand une auguste volonté elle-même me conviait à déménager, devais-je, pouvais-je désobéir?
Porthos fit un mouvement que de Saint-Aignan ne lui donna pas le temps d'achever.
– Ah! ma franchise vous touche, dit-il, interprétant le mouvement à sa manière. Vous sentez que j'ai raison.
Porthos ne répliqua rien.
– Je passe à cette malheureuse trappe, poursuivit de Saint-Aignan en appuyant sa main sur le bras de Porthos; cette trappe, cause du mal, moyen du mal; cette trappe construite pour ce que vous savez. Eh bien! en bonne foi, supposez-vous que ce soit moi qui, de mon plein gré, dans un endroit pareil, aie fait ouvrir une trappe destinée… Oh! non, vous ne le croyez pas, et, ici encore, vous sentez, vous devinez, vous comprenez, une volonté au-dessus de la mienne. Vous appréciez l'entraînement, je ne parle pas de l'amour, cette folie irrésistible… Mon Dieu!.. heureusement, j'ai affaire à un homme plein de coeur de sensibilité; sans quoi, que de malheur et de scandale sur elle, pauvre enfant!.. et sur celui… que je ne veux pas nommer!