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Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome III.», sayfa 7

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– Vous croyez?

– J'en suis sûr. Il en résulte qu'au lieu de rien laisser pénétrer d'étranger dans l'intérieur de la tête, votre boîte osseuse, qui est déjà trop pleine, profite des ouvertures qui s'y font pour laisser échapper ce trop-plein.

– Ah! fit Porthos, à qui cette explication paraissait plus claire que celle du médecin.

– Les cinq protubérances causées par les cinq ornements du lustre furent certainement des amas scientifiques, amenés extérieurement par la force des choses.

– En effet, dit Porthos, et la preuve, c'est que cela me faisait plus de mal dehors que dedans. Je vous avouerai même que, quand je mettais mon chapeau sur ma tête, en l'enfonçant du poing avec cette énergie gracieuse que nous possédons, nous autres gentilshommes d'épée, eh bien! si mon coup de poing n'était pas parfaitement mesuré, je ressentais des douleurs extrêmes.

– Porthos, je vous crois.

– Aussi, mon bon ami, dit le géant, M. Fouquet se décida-t-il, voyant le peu de solidité de la maison, à me donner un autre logis. On me mit en conséquence ici.

– C'est le parc réservé, n'est-ce pas?

– Oui.

– Celui des rendez-vous? celui qui est si célèbre dans les histoires mystérieuses du surintendant?

– Je ne sais pas: je n'y ai eu ni rendez-vous ni histoires mystérieuses; mais on m'autorise à y exercer mes muscles, et je profite de la permission en déracinant des arbres.

– Pour quoi faire?

– Pour m'entretenir la main, et puis pour y prendre des nids d'oiseaux: je trouve cela plus commode que de monter dessus.

– Vous êtes pastoral comme Tircis, mon cher Porthos.

– Oui, j'aime les petits oeufs; je les aime infiniment plus que les gros. Vous n'avez point idée comme c'est délicat, une omelette de quatre ou cinq cents oeufs de verdier, de pinson, de sansonnet, de merle et de grive.

– Mais cinq cents oeufs, c'est monstrueux!

– Cela tient dans un saladier, dit Porthos.

D'Artagnan admira cinq minutes Porthos, comme s'il le voyait pour la première fois.

Quant à Porthos, il s'épanouit joyeusement sous le regard de son ami.

Ils demeurèrent quelques instants ainsi, d'Artagnan regardant,

Porthos s'épanouissant.

D'Artagnan cherchait évidemment à donner un nouveau tour à la conversation.

– Vous divertissez-vous beaucoup ici, Porthos? demanda-t-il enfin, sans doute lorsqu'il eut trouvé ce qu'il cherchait.

– Pas toujours.

– Je conçois cela; mais, quand vous vous ennuierez par trop, que ferez vous?

– Oh! je ne suis pas ici pour longtemps. Aramis attend que ma dernière bosse ait disparu pour me présenter au roi, qui ne peut pas souffrir les bosses, à ce qu'on m'a dit.

– Aramis est donc toujours à Paris?

– Non.

– Et où est-il?

– À Fontainebleau.

– Seul?

– Avec M. Fouquet.

– Très bien. Mais savez-vous une chose?

– Non. Dites-la-moi et je la saurai.

– C'est que je crois qu'Aramis vous oublie.

– Vous croyez?

– Là-bas, voyez-vous, on rit, on danse, on festoie, on fait sauter les vins de M. de Mazarin. Savez-vous qu'il y a ballet tous les soirs, là-bas?

– Diable! diable!

– Je vous déclare donc que votre cher Aramis vous oublie.

– Cela se pourrait bien, et je l'ai pensé parfois.

– À moins qu'il ne vous trahisse, le sournois!

– Oh!

– Vous le savez, c'est un fin renard, qu'Aramis.

– Oui, mais me trahir…

– Écoutez; d'abord, il vous séquestre.

– Comment, il me séquestre! Je suis séquestré, moi?

– Pardieu!

– Je voudrais bien que vous me prouvassiez cela?

– Rien de plus facile. Sortez-vous?

– Jamais.

– Montez-vous à cheval?

– Jamais.

– Laisse-t-on parvenir vos amis jusqu'à vous?

– Jamais.

– Eh bien! mon ami, ne sortir jamais, ne jamais monter à cheval, ne jamais voir ses amis, cela s'appelle être séquestré.

– Et pourquoi Aramis me séquestrerait-il? demanda Porthos.

– Voyons, dit d'Artagnan, soyez franc, Porthos.

– Comme l'or.

– C'est Aramis qui a fait le plan des fortifications de Belle-

Île, n'est-ce pas?

Porthos rougit.

– Oui, dit-il, mais voilà tout ce qu'il a fait.

– Justement, et mon avis est que ce n'est pas une très grande affaire.

– C'est le mien aussi.

– Bien; je suis enchanté que nous soyons du même avis.

– Il n'est même jamais venu à Belle-Île, dit Porthos.

– Vous voyez bien.

– C'est moi qui allais à Vannes, comme vous avez pu le voir.

– Dites comme je l'ai vu. Eh bien! voilà justement l'affaire, mon cher Porthos, Aramis, qui n'a fait que les plans, voudrait passer pour l'ingénieur; tandis que, vous qui avez bâti pierre à pierre la muraille, la citadelle et les bastions, il voudrait vous reléguer au rang de constructeur.

– De constructeur, c'est-à-dire de maçon?

– De maçon, c'est cela.

– De gâcheur de mortier?

– Justement.

– De manoeuvre?

– Vous y êtes.

– Oh! oh! cher Aramis, vous vous croyez toujours vingt-cinq ans, à ce qu'il paraît?

– Ce n'est pas le tout: il vous en croit cinquante.

– J'aurais bien voulu le voir à la besogne.

– Oui.

– Un gaillard qui a la goutte.

– Oui.

– La gravelle.

– Oui.

– À qui il manque trois dents.

– Quatre.

– Tandis que moi, regardez!

Et Porthos, écartant ses grosses lèvres, exhiba deux rangées de dents un peu moins blanches que la neige, mais aussi nettes, aussi dures et aussi saines que l'ivoire.

– Vous ne vous figurez pas, Porthos, dit d'Artagnan, combien le roi tient aux dents. Les vôtres me décident; je vous présenterai au roi.

– Vous?

– Pourquoi pas? Croyez-vous que je sois plus mal en cour qu'Aramis?

– Oh! non.

– Croyez-vous que j'aie la moindre prétention sur les fortifications de Belle-Île?

– Oh! certes non.

– C'est donc votre intérêt seul qui peut me faire agir.

– Je n'en doute pas.

– Eh bien! je suis intime ami du roi, et la preuve, c'est que, lorsqu'il y a quelque chose de désagréable à lui dire, c'est moi qui m'en charge.

– Mais, cher ami, si vous me présentez…

– Après?

– Aramis se fâchera.

– Contre moi?

– Non, contre moi.

– Bah! que ce soit lui ou que ce soit moi qui vous présente, puisque vous deviez être présenté, c'est la même chose.

– On devait me faire faire des habits.

– Les vôtres sont splendides.

– Oh! ceux que j'avais commandés étaient bien plus beaux.

– Prenez garde, le roi aime la simplicité.

– Alors je serai simple. Mais que dira M. Fouquet de me savoir parti?

– Êtes-vous donc prisonnier sur parole?

– Non, pas tout à fait. Mais je lui avais promis de ne pas m'éloigner sans le prévenir.

– Attendez, nous allons revenir à cela. Avez-vous quelque chose à faire ici?

– Moi? Rien de bien important, du moins.

– À moins cependant que vous ne soyez l'intermédiaire d'Aramis pour quelque chose de grave.

– Ma foi, non.

– Ce que je vous en dis, vous comprenez, c'est par intérêt pour vous. Je suppose, par exemple, que vous êtes chargé d'envoyer à Aramis des messages, des lettres.

– Ah! des lettres, oui. Je lui envoie de certaines lettres.

– Où cela?

– À Fontainebleau.

– Et avez-vous de ces lettres?

– Mais…

– Laissez-moi dire. Et avez-vous de ces lettres?

– Je viens justement d'en recevoir une.

– Intéressante?

– Je le suppose.

– Vous ne les lisez donc pas?

– Je ne suis pas curieux.

Et Porthos tira de sa poche la lettre du soldat que Porthos n'avait pas lue, mais que d'Artagnan avait lue, lui.

– Savez-vous ce qu'il faut faire? dit d'Artagnan.

– Parbleu! ce que je fais toujours, l'envoyer.

– Non pas.

– Comment cela, la garder?

– Non, pas encore. Ne vous a-t-on pas dit que cette lettre était importante.

– Très importante.

– Eh bien! il faut la porter vous-même à Fontainebleau.

– À Aramis.

– Oui.

– C'est juste.

– Et puisque le roi y est…

– Vous profiterez de cela?..

– Je profiterai de cela pour vous présenter au roi.

– Ah! corne de boeuf! d'Artagnan, il n'y a en vérité que vous pour trouver des expédients.

– Donc, au lieu d'envoyer à notre ami des messages plus ou moins fidèles, c'est nous-mêmes qui lui portons la lettre.

– Je n'y avais même pas songé, c'est bien simple cependant.

– C'est pourquoi il est urgent, mon cher Porthos, que nous partions tout de suite.

– En effet, dit Porthos, plus tôt nous partirons, moins la lettre d'Aramis éprouvera de retard.

– Porthos, vous raisonnez toujours puissamment, et chez vous la logique seconde l'imagination.

– Vous trouvez? dit Porthos.

– C'est le résultat des études solides, répondit d'Artagnan.

Allons, venez.

– Mais, dit Porthos, ma promesse à M. Fouquet?

– Laquelle?

– De ne point quitter Saint-Mandé sans le prévenir?

– Ah! mon cher Porthos, dit d'Artagnan, que vous êtes jeune!

– Comment cela!

– Vous arrivez à Fontainebleau, n'est-ce pas?

– Oui.

– Vous y trouverez M. Fouquet?

– Oui.

– Chez le roi probablement?

– Chez le roi, répéta majestueusement Porthos.

– Et vous l'abordez en lui disant: «Monsieur Fouquet, j'ai l'honneur de vous prévenir que je viens de quitter Saint-Mandé.»

– Et, dit Porthos avec la même majesté, me voyant à Fontainebleau chez le roi, M. Fouquet ne pourra pas dire que je mens.

– Mon cher Porthos, j'ouvrais la bouche pour vous le dire; vous me devancez en tout. Oh! Porthos! quelle heureuse nature vous êtes! l'âge n'a pas mordu sur vous.

– Pas trop.

– Alors tout est dit.

– Je crois que oui.

– Vous n'avez plus de scrupules?

– Je crois que non.

– Alors je vous emmène.

– Parfaitement; je vais faire seller mes chevaux.

– Vous avez des chevaux ici?

– J'en ai cinq.

– Que vous avez fait venir de Pierrefonds?

– Que M. Fouquet m'a donnés.

– Mon cher Porthos, nous n'avons pas besoin de cinq chevaux pour deux; d'ailleurs, j'en ai déjà trois à Paris, cela ferait huit; ce serait trop.

– Ce ne serait pas trop si j'avais mes gens ici; mais, hélas! je ne les ai pas.

– Vous regrettez vos gens?

– Je regrette Mousqueton, Mousqueton me manque.

– Excellent coeur! dit d'Artagnan; mais, croyez-moi, laissez vos chevaux ici comme vous avez laissé Mousqueton là-bas.

– Pourquoi cela?

– Parce que, plus tard…

– Eh bien?

– Eh bien! plus tard, peut-être sera-t-il bien que M. Fouquet ne vous ait rien donné du tout.

– Je ne comprends pas, dit Porthos.

– Il est inutile que vous compreniez.

– Cependant…

– Je vous expliquerai cela plus tard, Porthos.

– C'est de la politique, je parie.

– Et de la plus subtile.

Porthos baissa la tête sur ce mot de politique; puis, après un moment de rêverie, il ajouta:

– Je vous avouerai, d'Artagnan, que je ne suis pas politique.

– Je le sais, pardieu! bien.

– Oh! nul ne sait cela; vous me l'avez dit vous-même, vous, le brave des braves.

– Que vous ai-je dit, Porthos?

– Que l'on avait ses jours. Vous me l'avez dit et je l'ai éprouvé. Il y a des jours où l'on éprouve moins de plaisir que dans d'autres à recevoir des coups d'épée.

– C'est ma pensée.

– C'est la mienne aussi, quoique je ne croie guère aux coups qui tuent.

– Diable! vous avez tué, cependant?

– Oui, mais je n'ai jamais été tué.

– La raison est bonne.

– Donc, je ne crois pas mourir jamais de la lame d'une épée ou de la balle d'un fusil.

– Alors, vous n'avez peur de rien?.. Ah! de l'eau, peut-être?

– Non, je nage comme une loutre.

– De la fièvre quartaine?

– Je ne l'ai jamais eue, et ne crois point l'avoir jamais; mais je vous avouerai une chose…

Et Porthos baissa la voix.

– Laquelle? demanda d'Artagnan en se mettant au diapason de

Porthos.

– Je vous avouerai, répéta Porthos, que j'ai une horrible peur de la politique.

– Ah! bah! s'écria d'Artagnan.

– Tout beau! dit Porthos d'une voix de stentor. J'ai vu Son Éminence M. le cardinal de Richelieu et Son Éminence M. le cardinal de Mazarin; l'un avait une politique rouge, l'autre une politique noire. Je n'ai jamais été beaucoup plus content de l'une que de l'autre: la première a fait couper le cou à M. de Marcillac, à M. de Thou, à M. de Cinq-Mars, à M. de Chalais, à M. de Boutteville, à M. de Montmorency; la seconde a fait écharper une foule de frondeurs, dont nous étions, mon cher.

– Dont, au contraire, nous n'étions pas, dit d'Artagnan.

– Oh! si fait; car si je dégainais pour le cardinal moi, je frappais pour le roi.

– Cher Porthos!

– J'achève. Ma peur de la politique est donc telle, que, s'il y a de la politique là-dessous, j'aime mieux retourner à Pierrefonds.

– Vous auriez raison, si cela était; mais avec moi, cher Porthos, jamais de politique, c'est net. Vous avez travaillé à fortifier Belle-Île; le roi a voulu savoir le nom de l'habile ingénieur qui avait fait les travaux; vous êtes timide comme tous les hommes d'un vrai mérite; peut-être Aramis veut-il vous mettre sous le boisseau. Moi, je vous prends; moi, je vous déclare; moi, je vous produis; le roi vous récompense et voilà toute ma politique.

– C'est la mienne, morbleu! dit Porthos en tendant la main à d'Artagnan.

Mais d'Artagnan connaissait la main de Porthos; il savait qu'une fois emprisonnée entre les cinq doigts du baron, une main ordinaire n'en sortait pas sans foulure. Il tendit donc, non pas la main, mais le poing à son ami. Porthos ne s'en aperçut même pas. Après quoi ils sortirent tous deux de Saint-Mandé.

Les gardiens chuchotèrent bien un peu et se dirent à l'oreille quelques paroles que d'Artagnan comprit, mais qu'il se garda bien de faire comprendre à Porthos.

«Notre ami, dit-il, était bel et bien prisonnier d'Aramis. Voyons ce qu'il va résulter de la mise en liberté de ce conspirateur.»

Chapitre CXLIII – Le rat et le fromage

D'Artagnan et Porthos revinrent à pied comme d'Artagnan était venu.

Lorsque d'Artagnan, entrant le premier dans la boutique du Pilon d'Or, eut annoncé à Planchet que M. du Vallon serait un des voyageurs privilégiés; lorsque Porthos, en entrant dans la boutique, eu fait cliqueter avec son plumet les chandelles de bois suspendues à l'auvent, quelque chose comme un pressentiment douloureux troubla la joie que Planchet se promettait pour le lendemain.

Mais c'était un coeur d'or que notre épicier, relique précieuse du bon temps, qui est toujours et a toujours été pour ceux qui vieillissent le temps de leur jeunesse, et pour ceux qui sont jeunes la vieillesse de leurs ancêtres.

Planchet, malgré ce frémissement intérieur aussitôt réprimé que ressenti, accueillit donc Porthos avec un respect de tendre cordialité.

Porthos, un peu roide d'abord, à cause de la distance sociale qui existait à cette époque entre un baron et un épicier, Porthos finit par s'humaniser en voyant chez Planchet tant de bon vouloir et de prévenances.

Il fut surtout sensible à la liberté qui lui fut donnée ou plutôt offerte, de plonger ses larges mains dans les caisses de fruits secs et confits, dans les sacs d'amandes et de noisettes, dans les tiroirs pleins de sucrerie.

Aussi, malgré les invitations que lui fit Planchet de monter à l'entresol, choisit-il pour habitation favorite, pendant la soirée qu'il avait à passer chez Planchet, la boutique, où ses doigts rencontraient toujours ce que son nez avait senti et vu.

Les belles figues de Provence, les avelines du Forest, les prunes de la Touraine, devinrent pour Porthos l'objet d'une distraction qu'il savoura pendant cinq heures sans interruption.

Sous ses dents, comme sous des meules, se broyaient les noyaux, dont les débris jonchaient le plancher et criaient sous les semelles de ceux qui allaient et venaient; Porthos égrenait dans ses lèvres, d'un seul coup, les riches grappes de muscat sec, aux violettes couleurs, dont une demi-livre passait ainsi d'un seul coup de sa bouche dans son estomac.

Dans un coin du magasin, les garçons, tapis avec épouvante, s'entre regardaient sans oser se parler.

Ils ignoraient Porthos, ils ne l'avaient jamais vu. La race de ces Titans qui avaient porté les dernières cuirasses d'Hugues Capet, de Philippe-Auguste et de François Ier commençait à disparaître. Ils se demandaient donc mentalement si ce n'était point là l'ogre des contes de fées, qui allait faire disparaître dans son insatiable estomac le magasin tout entier de Planchet, et cela sans opérer le moindre déménagement des tonnes et des caisses.

Croquant, mâchant, cassant, grignotant, suçant et avalant, Porthos disait de temps en temps à l'épicier:

– Vous avez là un joli commerce, ami Planchet.

– Il n'en aura bientôt plus si cela continue, grommela le premier garçon, qui avait parole de Planchet pour lui succéder.

Et, dans son désespoir, il s'approcha de Porthos, qui tenait toute la place du passage qui conduisait de l'arrière-boutique à la boutique. Il espérait que Porthos se lèverait, et que ce mouvement le distrairait de ses idées dévorantes.

– Que désirez-vous, mon ami? demanda Porthos d'un air affable.

– Je désirerais passer, monsieur, si cela ne vous gênait pas trop.

– C'est trop juste, dit Porthos, et cela ne me gêne pas du tout.

Et en même temps il prit le garçon par la ceinture, l'enleva de terre, et le posa doucement de l'autre côté.

Le tout en souriant toujours avec le même air affable.

Les jambes manquèrent au garçon épouvanté au moment où Porthos le posait à terre, si bien qu'il tomba le derrière sur des lièges.

Cependant, voyant la douceur de ce géant, il se hasarda de nouveau.

– Ah! monsieur, dit-il, prenez garde.

– À quoi, mon ami? demanda Porthos.

– Vous allez vous mettre le feu dans le corps.

– Comment cela, mon bon ami? fit Porthos.

– Ce sont tous aliments qui échauffent, monsieur.

– Lesquels?

– Les raisins, les noisettes, les amandes.

– Oui, mais, si les amandes, les noisettes et les raisins échauffent…

– C'est incontestable, monsieur.

– Le miel rafraîchit.

Et allongeant la main vers un petit baril de miel ouvert, dans lequel plongeait la spatule à l'aide de laquelle on le sert aux pratiques, Porthos en avala une bonne demi-livre.

– Mon ami, dit Porthos, je vous demanderai de l'eau maintenant.

– Dans un seau, monsieur? demanda naïvement le garçon.

– Non, dans une carafe; une carafe suffira, répondit Porthos avec bonhomie.

Et, portant la carafe à sa bouche, comme un sonneur fait de sa trompe, il vida la carafe d'un seul coup.

Planchet tressaillait dans tous les sentiments qui correspondent aux fibres de la propriété et de l'amour-propre.

Cependant, hôte digne de l'hospitalité antique, il feignait de causer très attentivement avec d'Artagnan, et lui répétait sans cesse:

– Ah! monsieur, quelle joie!.. ah! monsieur, quel honneur!

– À quelle heure souperons-nous, Planchet? demanda Porthos; j'ai appétit.

Le premier garçon joignit les mains.

Les deux autres se coulèrent sous les comptoirs, craignant que

Porthos ne sentît la chair fraîche.

– Nous prendrons seulement ici un léger goûter, dit d'Artagnan, et, une fois à la campagne de Planchet, nous souperons.

– Ah! c'est à votre campagne que nous allons Planchet? dit

Porthos. Tant mieux.

– Vous me comblez, monsieur le baron.

Monsieur le baron fit grand effet sur les garçons, qui virent un homme de la plus haute qualité dans un appétit de cette espèce.

D'ailleurs, ce titre les rassura. Jamais ils n'avaient entendu dire qu'un ogre eût été appelé monsieur le baron.

– Je prendrai quelques biscuits pour ma route, dit nonchalamment

Porthos.

Et, ce disant, il vida tout un bocal de biscuits anisés dans la vaste poche de son pourpoint.

– Ma boutique est sauvée, s'écria Planchet.

– Oui, comme le fromage, dit le premier garçon.

– Quel fromage?

– Ce fromage de Hollande dans lequel était entré un rat et dont nous ne trouvâmes plus que la croûte.

Planchet regarda sa boutique, et, à la vue de ce qui avait échappé à la dent de Porthos, il trouva la comparaison exagérée.

Le premier garçon s'aperçut de ce qui se passait dans l'esprit de son maître.

– Gare au retour! lui dit-il.

– Vous avez des fruits chez vous? dit Porthos en montant l'entresol, où l'on venait d'annoncer que la collation était servie.

«Hélas!» pensa l'épicier en adressant à d'Artagnan un regard plein de prières, que celui-ci comprit à moitié.

Après la collation, on se mit en route.

Il était tard lorsque les trois cavaliers, partis de Paris vers six heures, arrivèrent sur le pavé de Fontainebleau.

La route s'était faite gaiement. Porthos prenait goût à la société de Planchet, parce que celui-ci lui témoignait beaucoup de respect et l'entretenait avec amour de ses prés, de ses bois et de ses garennes.

Porthos avait les goûts et l'orgueil du propriétaire.

D'Artagnan, lorsqu'il eut vu aux prises les deux compagnons, prit les bas-côtés de la route, et, laissant la bride flotter sur le cou de sa monture, il s'isola du monde entier comme de Porthos et de Planchet.

La lune glissait doucement à travers le feuillage bleuâtre de la forêt. Les senteurs de la plaine montaient, embaumées, aux narines des chevaux, qui soufflaient avec de grands bonds de joie.

Porthos et Planchet se mirent à parler foins.

Planchet avoua à Porthos que, dans l'âge mûr de sa vie, il avait, en effet, négligé l'agriculture pour le commerce, mais que son enfance s'était écoulée en Picardie, dans les belles luzernes qui lui montaient jusqu'aux genoux et sous les pommiers verts aux pommes rouges; aussi s'était-il juré, aussitôt sa fortune faite, de retourner à la nature, et de finir ses jours comme il les avait commencés, le plus près possible de la terre, où tous les hommes s'en vont.

– Eh! eh! dit Porthos, alors, mon cher monsieur Planchet, votre retraite est proche?

– Comment cela?

– Oui, vous me paraissez en train de faire une petite fortune.

– Mais oui, répondit Planchet, on boulotte.

– Voyons, combien ambitionnez-vous et à quel chiffre comptez-vous vous retirer?

– Monsieur, dit Planchet sans répondre à la question, si intéressante qu'elle fût, monsieur, une chose me fait beaucoup de peine.

– Quelle chose? demanda Porthos en regardant derrière lui comme pour chercher cette chose qui inquiétait Planchet et l'en délivrer.

– Autrefois, dit l'épicier, vous m'appeliez Planchet tout court et vous m'eussiez dit: «Combien ambitionnes-tu, Planchet, et à quel chiffre comptes-tu te retirer?»

– Certainement, certainement, autrefois j'eusse dit cela, répliqua l'honnête Porthos avec un embarras plein de délicatesse; mais autrefois…

– Autrefois, j'étais le laquais de M. d'Artagnan, n'est-ce pas cela que vous voulez dire?

– Oui.

– Eh bien! si je ne suis plus tout à fait son laquais, je suis encore son serviteur; et, de plus, depuis ce temps-là…

– Eh bien! Planchet?

– Depuis ce temps-là, j'ai eu l'honneur d'être son associé.

– Oh! oh! fit Porthos. Quoi! d'Artagnan s'est mis dans l'épicerie?

– Non, non, dit d'Artagnan, que ces paroles tirèrent de sa rêverie et qui mit son esprit à la conversation avec l'habileté et la rapidité qui distinguaient chaque opération de son esprit et de son corps. Ce n'est pas d'Artagnan qui s'est mis dans l'épicerie, c'est Planchet qui s'est mis dans la politique. Voilà!

– Oui, dit Planchet avec orgueil et satisfaction à la fois, nous avons fait ensemble une petite opération qui m'a rapporté, à moi, cent mille livres, à M. d'Artagnan deux cent mille.

– Oh! oh! fit Porthos avec admiration.

– En sorte, monsieur le baron, continua l'épicier, que je vous prie de nouveau de m'appeler Planchet comme par le passé et de me tutoyer toujours. Vous ne sauriez croire le plaisir que cela me procurera.

– Je le veux, s'il en est ainsi, mon cher Planchet, répliqua

Porthos.

Et, comme il se trouvait près de Planchet, il leva la main pour lui frapper sur l'épaule en signe de cordiale amitié.

Mais un mouvement providentiel du cheval dérangea le geste du cavalier, de sorte que sa main tomba sur la croupe du cheval de Planchet.

L'animal plia les reins.

D'Artagnan se mit à rire et à penser tout haut.

– Prends garde, Planchet; car, si Porthos t'aime trop, il te caressera, et, s'il te caresse, il t'aplatira: Porthos est toujours très fort, vois-tu.

– Oh! dit Planchet, Mousqueton n'en est pas mort, et cependant

M. le baron l'aime bien.

– Certainement, dit Porthos avec un soupir qui fit simultanément cabrer les trois chevaux, et je disais encore ce matin à d'Artagnan combien je le regrettais: mais, dis-moi, Planchet?

– Merci, monsieur le baron, merci.

– Brave garçon, va! Combien as-tu d'arpents de parc, toi?

– De parc?

– Oui. Nous compterons les prés ensuite, puis les bois après.

– Où cela, monsieur.

– À ton château.

– Mais, monsieur le baron, je n'ai ni château, ni parc, ni prés, ni bois.

– Qu'as-tu donc, demanda Porthos, et pourquoi nommes-tu cela une campagne, alors?

– Je n'ai point dit une campagne, monsieur le baron, répliqua

Planchet un peu humilié, mais un simple pied-à-terre.

– Ah! ah! fit Porthos, je comprends; tu te réserves.

– Non, monsieur le baron, je dis la bonne vérité: j'ai deux chambres d'amis, voilà tout.

– Mais alors, dans quoi se promènent-ils, tes amis?

– D'abord, dans la forêt du roi, qui est fort belle.

– Le fait est que la forêt est belle, dit Porthos, presque aussi belle que ma forêt du Berri.

Planchet ouvrit de grands yeux.

– Vous avez une forêt dans le genre de la forêt de Fontainebleau, monsieur le baron? balbutia-t-il.

– Oui, j'en ai même deux; mais celle du Berri est ma favorite.

– Pourquoi cela? demanda gracieusement Planchet.

– Mais, d'abord, parce que je n'en connais pas la fin; et, ensuite, parce qu'elle est pleine de braconniers.

– Et comment cette profusion de braconniers peut-elle vous rendre cette forêt si agréable?

– En ce qu'ils chassent mon gibier et que, moi, je les chasse, ce qui, en temps de paix, est en petit, pour moi, une image de la guerre.

On en était à ce moment de la conversation, lorsque Planchet, levant le nez, aperçut les premières maisons de Fontainebleau qui se dessinaient en vigueur sur le ciel, tandis qu'au-dessus de la masse compacte et informe s'élançaient les toits aigus du château, dont les ardoises reluisaient à la lune comme les écailles d'un immense poisson.

– Messieurs, dit Planchet, j'ai l'honneur de vous annoncer que nous sommes arrivés à Fontainebleau.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
560 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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