Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.», sayfa 13
Chapitre CCXXI – Colbert
L'histoire nous dira ou plutôt l'histoire nous a dit les événements du lendemain, les fêtes splendides données par le surintendant à son roi. Deux grands écrivains ont constaté la grande dispute qu'il y eut entre _la Cascade et la Gerbe d'Eau, _la lutte engagée entre _la Fontaine de la Couronne et les Animaux, _pour savoir à qui plairait davantage. Il y eut donc le lendemain divertissement et joie; il y eut promenade, repas, comédie; comédie dans laquelle, à sa grande surprise, Porthos reconnut M. Coquelin de Volière, jouant dans la farce des Fâcheux. C'est ainsi qu'appelait ce divertissement M. de Bracieux de Pierrefonds.
La Fontaine n'en jugeait pas de même, sans doute, lui qui écrivait à son ami M. Maucrou:
C'est un ouvrage de Molière. Cet écrivain, par sa manière, Charme à présent toute la Cour. De la façon que son nom court, Il doit être par-delà Rome. J'en suis ravi, car c'est un homme.
On voit que La Fontaine avait profité de l'avis de Pélisson et avait soigné la rime.
Au reste, Porthos était de l'avis de La Fontaine, et il eût dit comme lui: «Pardieu! ce Molière est mon homme! mais seulement pour les habits.» À l'endroit du théâtre, nous l'avons dit, pour M. de Bracieux de Pierrefonds, Molière n'était qu'un farceur.
Mais préoccupé par la scène de la veille, mais cuvant le poison versé par Colbert, le roi, pendant toute cette journée si brillante, si accidentée, si imprévue, où toutes les merveilles des Mille et Une Nuits semblaient naître sous ses pas, le roi se montra froid, réservé, taciturne. Rien ne put le dérider; on sentait qu'un profond ressentiment venant de loin, accru peu à peu comme la source qui devient rivière, grâce aux mille filets d'eau qui l'alimentent, tremblait au plus profond de son âme. Vers midi seulement, il commença à reprendre un peu de sérénité. Sans doute, sa résolution était arrêtée.
Aramis, qui le suivait pas à pas, dans sa pensée comme dans sa marche, Aramis conclut que l'événement qu'il attendait ne se ferait pas attendre.
Cette fois, Colbert semblait marcher de concert avec l'évêque de Vannes, et, eût-il reçu pour chaque aiguille dont il piquait le coeur du roi un mot d'ordre d'Aramis, qu'il n'eût pas fait mieux.
Toute cette journée, le roi, qui avait sans doute besoin d'écarter une pensée sombre, le roi parut rechercher aussi activement la société de La Vallière qu'il mit d'empressement à fuir celle de M. Colbert ou celle de M. Fouquet.
Le soir vint. Le roi avait désiré ne se promener qu'après le jeu. Entre le souper et la promenade, on joua donc. Le roi gagna mille pistoles, et, les ayant gagnées, les mit dans sa poche, et se leva en disant:
– Allons, messieurs, au parc.
Il y trouva les dames. Le roi avait gagné mille pistoles et les avait empochées, avons-nous dit. Mais M. Fouquet avait su en perdre dix mille; de sorte que, parmi les courtisans, il y avait encore cent quatre-vingt-dix mille livres de bénéfice, circonstance qui faisait des visages des courtisans et des officiers de la maison du roi les visages les plus joyeux de la terre.
Il n'en était pas de même du visage du roi, sur lequel, malgré ce gain auquel il n'était pas insensible, demeurait toujours un lambeau de nuage. Au coin d'une allée, Colbert l'attendait. Sans doute, l'intendant se trouvait là en vertu d'un rendez-vous donné, car Louis XIV, qui l'avait évité, lui fit un signe et s'enfonça avec lui dans le parc.
Mais La Vallière aussi avait vu ce front sombre et ce regard flamboyant du roi, elle l'avait vu, et comme rien de ce qui couvait dans cette âme n'était impénétrable à son amour, elle avait compris que cette colère comprimée menaçait quelqu'un. Elle se tenait sur le chemin de vengeance comme l'ange de la miséricorde.
Toute triste, toute confuse, à demi folle d'avoir été si longtemps séparée de son amant, inquiète de cette émotion intérieure qu'elle avait devinée, elle se montra d'abord au roi avec un aspect embarrassé que, dans sa mauvaise disposition d'esprit, le roi interpréta défavorablement.
Alors, comme ils étaient seuls ou à peu près seuls, attendu que
Colbert, en apercevant la jeune fille, s'était respectueusement arrêté et se tenait à dix pas de distance, le roi s'approcha de La
Vallière et lui prit la main.
– Mademoiselle, lui dit-il, puis-je, sans indiscrétion, vous demander ce que vous avez? Votre poitrine paraît gonflée, vos yeux sont humides.
– Oh! Sire, si ma poitrine est gonflée, si mes yeux sont humides, si je suis triste enfin, c'est de la tristesse de Votre Majesté.
– Ma tristesse? oh! vous voyez mal, mademoiselle. Non, ce n'est point de la tristesse que j'éprouve.
– Et qu'éprouvez-vous, Sire?
– De l'humiliation.
– De l'humiliation? oh! que dites-vous là?
– Je dis, mademoiselle, que, là où je suis, nul autre ne devrait être le maître. Eh bien! regardez, si je ne m'éclipse pas, moi, le roi de France, devant le roi de ce domaine. Oh! continua-t-il en serrant les dents et le poing, oh!.. Et quand je pense que ce roi…
– Après? dit La Vallière effrayée.
– Que ce roi est un serviteur infidèle qui se fait orgueilleux avec mon bien volé! Aussi je vais lui changer, à cet impudent ministre, sa fête en deuil dont la nymphe de Vaux, comme disent ses poètes gardera longtemps le souvenir.
– Oh! Votre Majesté…
– Eh bien! mademoiselle, allez-vous prendre le parti de
M. Fouquet? fit Louis XIV avec impatience.
– Non, Sire, je vous demanderai seulement si vous êtes bien renseigné. Votre Majesté, plus d'une fois, a appris à connaître la valeur des accusations de cour.
Louis XIV fit signe à Colbert de s'approcher.
– Parlez, monsieur Colbert, dit le jeune prince; car, en vérité, je crois que voilà Mlle de La Vallière qui a besoin de votre parole pour croire à la parole du roi. Dites à Mademoiselle ce qu'a fait M. Fouquet. Et vous, mademoiselle, oh! ce ne sera pas long, ayez la bonté d'écouter, je vous prie.
Pourquoi Louis XIV insistait-il ainsi? Chose toute simple: son coeur n'était pas tranquille, son esprit n'était pas bien convaincu; il devinait quelque menée sombre, obscure, tortueuse, sous cette histoire des treize millions, et il eût voulu que le coeur pur de La Vallière, révolté à l'idée d'un vol, approuvât, d'un seul mot, cette résolution qu'il avait prise, et que néanmoins, il hésitait à mettre à exécution.
– Parlez, monsieur, dit La Vallière à Colbert qui s'était avancé; parlez, puisque le roi veut que je vous écoute. Voyons, dites, quel est le crime de M. Fouquet?
– Oh! pas bien grave, mademoiselle, dit le noir personnage; un simple abus de confiance…
– Dites, dites, Colbert, et quand vous aurez dit, laissez-nous et allez avertir M. d'Artagnan que j'ai des ordres à lui donner.
– M. d'Artagnan! s'écria La Vallière, et pourquoi faire avertir
M. d'Artagnan, Sire? Je vous supplie de me le dire.
– Pardieu! pour arrêter ce titan orgueilleux qui, fidèle à sa devise, menace d'escalader mon ciel.
– Arrêter M. Fouquet, dites-vous?
– Ah! cela vous étonne?
– Chez lui?
– Pourquoi pas? S'il est coupable, il est coupable chez lui comme ailleurs.
– M. Fouquet, qui se ruine en ce moment pour faire honneur à son roi?
– Je crois, en vérité, que vous défendez ce traître, mademoiselle.
Colbert se mit à rire tout bas. Le roi se retourna au sifflement de ce rire.
– Sire, dit La Vallière, ce n'est pas M. Fouquet que je défends, c'est vous même.
– Moi-même!.. Vous me défendez?
– Sire, vous vous déshonorez en donnant un pareil ordre.
– Me déshonorer? murmura le roi blêmissant de colère. En vérité, mademoiselle, vous mettez à ce que vous dites une étrange passion.
– Je mets de la passion, non pas à ce que je dis, Sire, mais à servir Votre Majesté, répondit la noble jeune fille. J'y mettrais, s'il le fallait, ma vie, et cela avec la même passion, Sire.
Colbert voulut grommeler. Alors La Vallière, ce doux agneau, se redressa contre lui et, d'un oeil enflammé, lui imposa silence.
– Monsieur, dit-elle, quand le roi agit bien, si le roi fait tort à moi ou aux miens, je me tais; mais, le roi me servît-il, moi ou ceux que j'aime, si le roi agit mal, je le lui dis.
– Mais, il me semble, mademoiselle, hasarda Colbert, que, moi aussi, j'aime le roi.
– Oui, monsieur, nous l'aimons tous deux, chacun à sa manière, répliqua La Vallière avec un tel accent, que le coeur du jeune roi en fut pénétré. Seulement je l'aime, moi, si fortement, que tout le monde le sait, si purement, que le roi lui-même ne doute pas de mon amour. Il est mon roi et mon maître, je suis son humble servante, mais quiconque touche à son honneur touche à ma vie. Or, je répète que ceux-là déshonorent le roi qui lui conseillent de faire arrêter M. Fouquet chez lui.
Colbert baissa la tête, car il se sentait abandonné par le roi.
Cependant, tout en baissant la tête, il murmura:
– Mademoiselle, je n'aurais qu'un mot à dire.
– Ne le dites pas, ce mot, monsieur, car ce mot, je ne l'écouterais point. Que me diriez-vous d'ailleurs? Que M. Fouquet a commis des crimes? Je le sais, parce que le roi l'a dit, et du moment que le roi a dit: «Je crois», je n'ai pas besoin qu'une autre bouche dise: «J'affirme.» Mais M. Fouquet, fût-il le dernier des hommes, je le dis hautement, M. Fouquet est sacré au roi, parce que le roi est son hôte. Sa maison fût-elle un repaire, Vaux fût-il une caverne de faux-monnayeurs ou de bandits, sa maison est sainte, son château est inviolable, puisqu'il y loge sa femme, et c'est un lieu d'asile que des bourreaux ne violeraient pas!
La Vallière se tut. Malgré lui, le roi l'admirait; il fut vaincu
par la chaleur de cette voix, par la noblesse de cette cause.
Colbert, lui, ployait, écrasé par l'inégalité de cette lutte.
Enfin, le roi respira, secoua la tête et tendit la main à La
Vallière.
– Mademoiselle, dit-il avec douceur, pourquoi parlez-vous contre moi? Savez-vous ce que fera ce misérable si je le laisse respirer?
– Eh! mon Dieu, n'est-ce pas une proie qui vous appartiendra toujours?
– Et s'il échappe, s'il fuit? s'écria Colbert.
– Eh bien! monsieur, ce sera la gloire éternelle du roi d'avoir laissé fuir M. Fouquet, et plus il aura été coupable, plus la gloire du roi sera grande, comparée à cette misère, à cette honte.
Louis baisa la main de La Vallière, tout en se laissant glisser à ses genoux.
«Je suis perdu», pensa Colbert.
Puis tout à coup sa figure s'éclaira:
«Oh! non, non, pas encore!» se dit-il.
Et, tandis que le roi, protégé par l'épaisseur d'un énorme tilleul, étreignait La Vallière avec toute l'ardeur d'un ineffable amour, Colbert fouilla tranquillement dans son garde-notes, d'où il tira un papier plié en forme de lettre, papier un peu jaune peut-être, mais qui devait être bien précieux, puisque l'intendant sourit en le regardant. Puis il reporta son regard haineux sur le groupe charmant que dessinaient dans l'ombre la jeune fille et le roi, groupe que venait éclairer la lueur des flambeaux qui s'approchaient.
Louis vit la lueur de ces flambeaux se refléter sur la robe blanche de La Vallière.
– Pars, Louise, lui dit-il, car voilà que l'on vient.
– Mademoiselle, mademoiselle, on vient, ajouta Colbert pour hâter le départ de la jeune fille.
Louise disparut rapidement entre les arbres. Puis, comme le roi, qui s'était mis aux genoux de la jeune fille, se relevait:
– Ah! Mlle de la Vallière a laissé tomber quelque chose, dit
Colbert.
– Quoi donc? demanda le roi.
– Un papier, une lettre, quelque chose de blanc, voyez, là, Sire.
Le roi se baissa vite, et ramassa la lettre en la froissant.
En ce moment, les flambeaux arrivèrent, inondant de jour cette scène obscure.
Chapitre CCXXII – Jalousie
Cette vraie lumière, cet empressement de tous, cette nouvelle ovation faite au roi par Fouquet, vinrent suspendre l'effet d'une résolution que La Vallière avait déjà bien ébranlée dans le coeur de Louis XIV.
Il regarda Fouquet avec une sorte de reconnaissance pour lui, de ce qu'il avait fourni à La Vallière l'occasion de se montrer si généreuse, si fort puissante sur son coeur.
C'était le moment des dernières merveilles. À peine Fouquet eut-il emmené le roi vers le château, qu'une masse de feu, s'échappant avec un grondement majestueux du dôme de Vaux, éblouissante aurore, vint éclairer jusqu'aux moindres détails des parterres.
Le feu d'artifice commençait. Colbert, à vingt pas du roi, que les maîtres de Vaux entouraient et fêtaient, cherchait par l'obstination de sa pensée funeste à ramener l'attention de Louis sur des idées que la magnificence du spectacle éloignait déjà trop.
Tout à coup, au moment de la tendre à Fouquet, le roi sentit dans sa main ce papier que, selon toute apparence, La Vallière, en fuyant, avait laissé tomber à ses pieds.
L'aimant le plus fort de la pensée d'amour entraînait le jeune prince vers le souvenir de sa maîtresse.
Aux lueurs de ce feu, toujours croissant en beauté, et qui faisait pousser des cris d'admiration dans les villages d'alentour, le roi lut le billet, qu'il supposait être une lettre d'amour destinée à lui par La Vallière.
À mesure qu'il lisait, la pâleur montait à son visage, et cette sourde colère, illuminée par ces feux de mille couleurs, faisait un spectacle terrible dont tout le monde eût frémi, si chacun avait pu lire dans ce coeur ravagé par les plus sinistres passions. Pour lui, plus de trêve dans la jalousie et la rage. À partir du moment où il eut découvert la sombre vérité, tout disparut, pitié douceur, religion de l'hospitalité.
Peu s'en fallut que, dans la douleur aiguë qui tordait son coeur, encore trop faible pour dissimuler la souffrance, peu s'en fallut qu'il ne poussât un cri d'alarme et qu'il n'appelât ses gardes autour de lui.
Cette lettre, jetée sur les pas du roi par Colbert on l'a déjà deviné, c'était celle qui avait disparu avec le grison Tobie à Fontainebleau, après la tentative faite par Fouquet sur le coeur de La Vallière.
Fouquet voyait la pâleur et ne devinait point le mal; Colbert voyait la colère et se réjouissait à l'approche de l'orage.
La voix de Fouquet tira le jeune prince de sa farouche rêverie.
– Qu'avez-vous, Sire? demanda gracieusement le surintendant.
Louis fit un effort sur lui-même, un violent effort.
– Rien, dit-il.
– J'ai peur que Votre Majesté ne souffre.
– Je souffre, en effet, je vous l'ai déjà dit, monsieur, mais ce n'est rien.
Et le roi, sans attendre la fin du feu d'artifice, se dirigea vers le château.
Fouquet accompagna le roi. Tout le monde suivit derrière eux.
Les dernières fusées brûlèrent tristement pour elles seules.
Le surintendant essaya de questionner encore Louis XIV, mais n'obtint aucune réponse. Il supposa qu'il y avait eu querelle entre Louis et La Vallière dans le parc; que brouille en était résultée; que le roi, peu boudeur de sa nature, mais tout dévoué à sa rage d'amour, prenait le monde en haine depuis que sa maîtresse le boudait. Cette idée suffit à le rassurer; il eut même un sourire amical et consolant pour le jeune roi, quand celui-ci lui souhaita le bonsoir.
Ce n'était pas tout pour le roi. Il fallait subir le service. Ce service du soir se devait faire en grande étiquette. Le lendemain était le jour du départ. Il fallait bien que les hôtes remerciassent leur hôte et lui donnassent une politesse pour ses douze millions.
La seule chose que Louis trouva d'aimable pour Fouquet en le congédiant, ce furent ces paroles:
– Monsieur Fouquet, vous saurez de mes nouvelles; faites, je vous prie, venir ici M. d'Artagnan.
Et le sang de Louis XIII, qui avait tant dissimulé, bouillait alors dans ses veines, et il était tout prêt à faire égorger Fouquet, comme son prédécesseur avait fait assassiner le maréchal d'Ancre. Aussi déguisa-t-il l'affreuse résolution sous un de ces sourires royaux qui sont les éclairs des coups d'État.
Fouquet prit la main du roi et la baisa. Louis frissonna de tout son corps, mais laissa toucher sa main aux lèvres de M. Fouquet.
Cinq minutes après, d'Artagnan, auquel on avait transmis l'ordre royal, entrait dans la chambre de Louis XIV.
Aramis et Philippe étaient dans la leur, toujours attentifs, toujours écoutant.
Le roi ne laissa pas au capitaine de ses mousquetaires le temps d'arriver jusqu'à son fauteuil.
Il courut à lui.
– Ayez soin, s'écria-t-il, que nul n'entre ici.
– Bien, Sire, répliqua le soldat, dont le coup d'oeil avait, depuis longtemps, analysé les ravages de cette physionomie.
Et il donna l'ordre à la porte, puis revenant vers le roi:
– Il y a du nouveau chez Votre Majesté? dit-il.
– Combien avez-vous d'hommes ici? demanda le roi sans répondre autrement à la question qui lui était faite.
– Pour quoi faire, Sire?
– Combien avez-vous d'hommes? répéta le roi en frappant du pied.
– J'ai les mousquetaires.
– Après?
– J'ai vingt gardes et treize Suisses.
– Combien faut-il de gens pour…
– Pour?.. dit le mousquetaire avec ses grands yeux calmes.
– Pour arrêter M. Fouquet.
D'Artagnan fit un pas en arrière.
– Arrêter M. Fouquet! dit-il avec éclat.
– Allez-vous dire aussi que c'est impossible? s'écria le roi avec une rage froide et haineuse.
– Je ne dis jamais qu'une chose soit impossible répliqua d'Artagnan blessé au vif.
– Eh bien! faites!
D'Artagnan tourna sur ses talons sans mesure et se dirigea vers la porte.
L'espace à parcourir était court: il le franchit en six pas. Là, s'arrêtant:
– Pardon, Sire, dit-il.
– Quoi? dit le roi.
– Pour faire cette arrestation, je voudrais un ordre écrit.
– À quel propos? et depuis quand la parole du roi ne vous suffit- elle pas?
– Parce qu'une parole de roi, issue d'un sentiment de colère, peut changer quand le sentiment change.
– Pas de phrases, monsieur! vous avez une autre pensée.
– Oh! j'ai toujours des pensées, moi, et des pensées que les autres n'ont malheureusement pas, répliqua impertinemment d'Artagnan.
Le roi, dans la fougue de son emportement, plia devant cet homme, comme le cheval plie les jarrets sous la main robuste du dompteur.
– Votre pensée? s'écria-t-il.
– La voici, Sire, répondit d'Artagnan. Vous faites arrêter un homme lorsque vous êtes encore chez lui: c'est de la colère. Quand vous ne serez plus en colère, vous vous repentirez. Alors, je veux pouvoir vous montrer votre signature. Si cela ne répare rien, au moins cela nous montrera-t-il que le roi a tort de se mettre en colère.
– À tort de se mettre en colère! hurla le roi avec frénésie. Est- ce que le roi mon père, est-ce que mon aïeul ne s'y mettaient pas, corps du Christ?
– Le roi votre père, le roi votre aïeul ne se mettaient jamais en colère que chez eux.
– Le roi est maître partout comme chez lui.
– C'est une phrase de flatteur, et qui doit venir de M. Colbert, mais ce n'est pas une vérité. Le roi est chez lui dans toute maison, quand il en a chassé le propriétaire.
Louis se mordit les lèvres.
– Comment! dit d'Artagnan, voilà un homme qui se ruine pour vous plaire, et vous voulez le faire arrêter? Mordioux! Sire, si je m'appelais Fouquet et que l'on me fît cela, j'avalerais d'un coup dix fusées d'artifice, et j'y mettrais le feu pour me faire sauter, moi et tout le reste. C'est égal, vous le voulez, j'y vais.
– Allez! fit le roi. Mais avez-vous assez de monde?
– Croyez-vous, Sire, que je vais emmener un anspessade avec moi?
Arrêter M. Fouquet, mais c'est si facile, qu'un enfant le ferait.
M. Fouquet à arrêter, c'est un verre d'absinthe à boire. On fait la grimace, et c'est tout.
– S'il se défend?..
– Lui? Allons donc! se défendre, quand une rigueur comme celle-là le fait roi et martyr! Tenez, s'il lui reste un million, ce dont je doute, je gage qu'il le donnerait pour avoir cette fin-là. Allons, Sire, j'y vais.
– Attendez! dit le roi.
– Ah! qu'y a-t-il?
– Ne rendez pas son arrestation publique.
– C'est plus difficile, cela.
– Pourquoi?
– Parce que rien n'est plus simple que d'aller, au milieu des mille personnes enthousiastes qui l'entourent, dire à M. Fouquet: «Au nom du roi, monsieur, je vous arrête!» Mais aller à lui, le tourner, le retourner, le coller dans quelque coin de l'échiquier, de façon qu'il ne s'en échappe pas; le voler à tous ses convives, et vous le garder prisonnier, sans qu'un de ses hélas! ait été entendu, voilà une difficulté réelle, véritable, suprême, et je la donne en cent aux plus habiles.
– Dites encore: «C'est impossible!» et vous aurez plus vite fait. Ah! mon Dieu, mon Dieu! ne serais-je entouré que de gens qui m'empêchent de faire ce que je veux!
– Moi, je ne vous empêche de rien faire. Est-ce dit?
– Gardez-moi M. Fouquet jusqu'à ce que, demain, j'aie pris une résolution.
– Ce sera fait, Sire.
– Et revenez à mon lever pour prendre mes nouveaux ordres.
– Je reviendrai.
– Maintenant, qu'on me laisse seul.
– Vous n'avez pas même besoin de M. Colbert? dit le mousquetaire envoyant sa dernière flèche au moment du départ.
Le roi tressaillit. Tout entier à la vengeance, il avait oublié le corps du délit.
– Non, personne, dit-il, personne ici! Laissez-moi!
D'Artagnan partit. Le roi ferma sa porte lui-même, et commença une furieuse course dans sa chambre, comme le taureau blessé qui traîne après lui ses banderilles et les fers des hameçons. Enfin, il se mit à se soulager par des cris.
– Ah! le misérable! non seulement il me vole mes finances, mais, avec cet or, il me corrompt secrétaires, amis, généraux, artistes, il me prend jusqu'à ma maîtresse! Ah! voilà pourquoi cette perfide l'a si bravement défendu!.. C'était de la reconnaissance!.. Qui sait?.. peut-être même de l'amour.
Il s'abîma un instant dans ces réflexions douloureuses.
«Un satyre! pensa-t-il avec cette haine profonde que la grande jeunesse porte aux hommes mûrs qui songent encore à l'amour; un faune qui court la galanterie et qui n'a jamais trouvé de rebelles! un homme à femmelettes, qui donne des fleurettes d'or et de diamant, et qui a des peintres pour faire le portrait de ses maîtresses en costume de déesses!»
Le roi frémit de désespoir.
– Il me souille tout! continua-t-il. Il me ruine tout! Il me tuera! Cet homme est trop pour moi! Il est mon mortel ennemi! Cet homme tombera! Je le hais!.. je le hais!.. je le hais!..
Et, en disant ces mots, il frappait à coups redoublés sur les bras du fauteuil dans lequel il s'asseyait et duquel il se levait comme un épileptique.
– Demain! demain!.. Oh! le beau jour! murmura-t-il, quand le soleil se lèvera, n'ayant que moi pour rival, cet homme tombera si bas, qu'en voyant les ruines que ma colère aura faites, on avouera enfin que je suis plus grand que lui!
Le roi, incapable de se maîtriser plus longtemps, renversa d'un coup de poing une table placée près de son lit, et, dans la douleur qu'il ressentit, pleurant presque, suffoquant, il alla se précipiter sur ses draps, tout habillé qu'il était, pour les mordre et pour y trouver le repos du corps.
Le lit gémit sous ce poids, et, à part quelques soupirs échappés de la poitrine haletante du roi, on n'entendit plus rien dans la chambre de Morphée.