Читайте только на Литрес

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Les mille et un fantômes», sayfa 4

Yazı tipi:

La pauvre Marie-Antoinette, que j'ai vue vingt fois, et qui plus d'une fois m'a pris par les mains et embrassé lors de son arrivée en France, c'est-à-dire lorsque j'étais un enfant, Marie-Antoinette raffolait de lui. A son passage en 1777, Joseph II déclara qu'il n'avait rien vu de plus curieux que Comus.

Au milieu de tout cela, mon père s'occupait de l'éducation de mon frère et de la mienne, nous initiant à ce qu'il savait de sciences occultes, et à une foule de connaissances galvaniques, physiques, magnétiques, qui aujourd'hui sont du domaine public, mais qui à cette époque étaient des secrets, privilèges de quelques-uns seulement; le titre de physicien du roi fit, en 93, emprisonner mon père; mais, grâce à quelques amitiés que j'avais avec la Montagne, je parvins à le faire relâcher.

Mon père alors se retira dans cette même maison où je suis, et y mourut en 1807, âgé de soixante-seize ans.

Revenons à moi.

J'ai parlé de mes amitiés avec la Montagne. J'étais lié en effet avec Danton et Camille Desmoulins. J'avais connu Marat plutôt comme médecin que comme ami. Enfin, je l'avais connu. Il résulta de cette relation que j'eus avec lui, si courte qu'elle ait été, que, le jour où l'on conduisit mademoiselle de Corday à l'échafaud, je me résolus à assister à son supplice.

– J'allais justement, interrompis-je, vous venir en aide dans votre discussion avec M. le docteur Robert sur la persistance de la vie en racontant le fait que l'histoire a consigné relativement à Charlotte de Corday.

– Nous y arrivons, interrompit M. Ledru, laissez-moi dire. J'étais témoin; par conséquent à ce que je dirai vous pourrez croire.

Dès deux heures de l'après-midi j'avais pris mon poste près de la statue de la Liberté. C'était par une chaude matinée de juillet; le temps était lourd, le ciel était couvert et promettait un orage.

A quatre heures l'orage éclata; ce fut à ce moment-là même, à ce que l'on dit, que Charlotte monta sur la charrette.

On l'avait été prendre dans sa prison au moment où un jeune peintre était occupé à faire son portrait. La mort jalouse semblait vouloir que rien ne survécût de la jeune fille, pas même son image.

La tête était ébauchée sur la toile, et, chose étrange! au moment ou le bourreau entra, le peintre en était à cet endroit du cou que le fer de la guillotine allait trancher.

Les éclairs brillaient, la pluie tombait, le tonnerre grondait; mais rien n'avait pu disperser la populace curieuse; les quais, les ponts, les places. étaient encombrés; les rumeurs de la terre couvraient presque les rumeurs du ciel. Ces femmes, qu'on appelait du nom énergique de lécheuses de guillotine, la poursuivaient de malédictions. J'entendais ces rugissements venir à moi comme on entend ceux d'une cataracte. Longtemps avant que l'on pût rien apercevoir, la foule ondula; enfin, comme un navire fatal, la charrette apparut, labourant le flot, et je pus distinguer la condamnée, que je ne connaissais pas, que je n'avais jamais vue.

C'était une belle jeune fille de vingt-sept ans, avec des yeux magnifiques, un nez d'un dessin parfait, des lèvres d'une régularité suprême. Elle se tenait debout, la tête levée, moins pour paraître dominer cette foule, que parce que ses mains liées derrière le dos la forçaient de tenir sa tête ainsi. La pluie avait cessé; mais, comme elle avait supporté la pluie pendant les trois quarts du chemin, l'eau qui avait coulé sur elle dessinait sur la laine humide les contours de son corps charmant; on eût dit qu'elle sortait du bain. La chemise rouge dont l'avait revêtue le bourreau donnait un aspect étrange, une splendeur sinistre, à cette tête si fière et si énergique. Au moment où elle arrivait sur la place, la pluie cessa, et un rayon de soleil, glissant entre deux nuages, vint se jouer dans ses cheveux, qu'il fit rayonner comme une auréole. En vérité, je vous le jure, quoiqu'il y eût derrière cette jeune fille un meurtre, action terrible, même lorsqu'elle venge l'humanité, quoique je détestasse ce meurtre, je n'aurais su dire si ce que je voyais était une apothéose ou un supplice. En apercevant l'échafaud, elle pâlit; et cette pâleur fut sensible, surtout à cause de cette chemise rouge, qui montait jusqu'à son cou; mais presque aussitôt elle fit un effort, et acheva de se tourner vers l'échafaud, qu'elle regarda en souriant.

La charrette s'arrêta; Charlotte sauta à terre sans vouloir permettre qu'on l'aidât à descendre, puis elle monta les marches de l'échafaud, rendues glissantes par la pluie qui venait de tomber, aussi vite que le lui permettait la longueur de sa chemise traînante et la gêne de ses mains liées. En sentant la main de l'exécuteur se poser sur son épaule pour arracher le mouchoir qui couvrait son cou, elle pâlit une seconde fois, mais, à l'instant même, un dernier sourire vint démentir cette pâleur, et d'elle-même, sans qu'on l'attachât à l'infâme bascule, dans un élan sublime et presque joyeux, elle passa sa tête par la hideuse ouverture. Le couperet glissa, la tête détachée du tronc tomba sur la plate-forme et rebondit. Ce fut alors, écoutez bien ceci, docteur, écoutez bien ceci, poète, ce fut alors qu'un des valets du bourreau, nommé Legros, saisit cette tête par les cheveux, et, par une vile adulation à la multitude, lui donna un soufflet. Eh bien! je vous dis qu'à ce soufflet la tête rougit; je l'ai vue, la tête, non pas la joue, entendez-vous bien? non pas la joue touchée seulement, mais les deux joues, et cela d'une rougeur égale, car le sentiment vivait dans cette tête, et elle s'indignait d'avoir souffert une honte qui n'était point portée à l'arrêt.

Le peuple aussi vit cette rougeur, et il prit le parti de la morte contre le vivant, de la suppliciée contre le bourreau. Il demanda, séance tenante, vengeance de cette indignité, et, séance tenante, le misérable fut remis aux gendarmes et conduit en prison.

Attendez, dit M. Ledru, qui vit que le docteur voulait parler, attendez, ce n'est pas tout.

Je voulais savoir quel sentiment avait pu porter cet homme à l'acte infâme qu'il avait commis. Je m'informai du lieu où il était; je demandai une permission pour le visiter à l'Abbaye, où on l'avait enfermé, je l'obtins et j'allai le voir.

Un arrêt du tribunal révolutionnaire venait de le condamner à trois mois de prison. Il ne comprenait pas qu'il eût été condamné pour une chose si naturelle que celle qu'il avait faite.

Je lui demandai ce qui avait pu le porter à cette action.

– Tiens, dit-il, la belle question! Je suis maratiste, moi; je venais de la punir pour le compte de la loi, j'ai voulu la punir pour mon compte.

– Mais, lui dis-je, vous n'avez donc pas compris qu'il y a presque un crime dans cette violation du respect dû à la mort?

– Ah ça! me dit Legros en me regardant fixement, vous croyez donc qu'ils sont morts, parce qu'on les a guillotinés, vous?

– Sans doute.

– Eh bien! on voit que vous ne regardez pas dans le panier quand ils sont là tous ensemble; que vous ne leur voyez pas tordre, les yeux et grincer des dents pendant cinq minutes encore après l'exécution. Nous sommes obligés de changer de panier tous les trois mois, tant ils en saccagent le fond avec les dents. C'est un tas de têtes d'aristocrates, voyez-vous, qui ne veulent pas se décider à mourir, et je ne serais pas étonné qu'un jour quelqu'une d'elles se mit à crier: Vive le roi!

Je savais tout ce que je voulais savoir; je sortis, poursuivi par une idée: c'est qu'en effet ces têtes vivaient encore, et je résolus de m'en assurer.

VI
SOLANGE

Pendant le récit de M. Ledru, la nuit était tout à fait venue. Les habitants du salon n'apparaissaient plus que comme des ombres, ombres non-seulement muettes, mais encore immobiles, tant on craignait que M. Ledru ne s'arrêtât; car on comprenait que, derrière le récit terrible qu'il venait de faire, il y avait un récit plus terrible encore.

On n'entendait donc pas un souffle. Le docteur seul ouvrait la bouche. Je lui saisis la main pour l'empêcher de parler, et, en effet, il se tut.

Au bout de quelques secondes, M. Ledru continua.

– Je venais de sortir de l'Abbaye, et je traversais la place Taranne pour me rendre à la rue de Tournon, que j'habitais, lorsque j'entendis une voix de femme appelant au secours.

Ce ne pouvaient être des malfaiteurs: il était dix heures du soir à peine. Je courus vers l'angle de la place où j'avais entendu le cri, et je vis, à la lueur de la lune sortant d'un nuage, une femme qui se débattait au milieu d'une patrouille de sans-culottes.

Cette femme, de son côté, m'aperçut, et, remarquant à mon costume que je n'étais pas tout à fait un homme du peuple, elle s'élança vers moi en s'écriant:

– Eh! tenez, justement voici M. Albert que je connais; il vous dira que je suis bien la fille de la mère Ledieu, la blanchisseuse.

Et en même temps la pauvre femme, toute pâle et toute tremblante, me saisit le bras, se cramponnant à moi comme le naufragé à la planche de son salut.

– La fille de la mère Ledieu tant que tu voudras; mais tu n'as pas de carte de civisme, la belle fille, et tu vas nous suivre au corps de garde!

La jeune femme me serra le bras; je sentis tout ce qu'il y avait de terreur et de prière dans cette pression. J'avais compris.

Comme elle m'avait appelé du premier nom qui s'était offert à son esprit, je l'appelai, moi, du premier nom qui se présenta au mien.

– Comment! c'est vous, ma pauvre Solange! lui dis-je, que vous arrive-t-il donc?

– Là, voyez-vous, messieurs, reprit-elle.

– Il me semble que tu pourrais bien dire: citoyens.

– Écoutez, monsieur le sergent, ce n'est point ma faute si je parle comme cela, dit la jeune fille, ma mère avait des pratiques dans le grand monde, elle m'avait habituée à être polie, de sorte que c'est une mauvaise habitude que j'ai prise, je le sais bien, une habitude d'aristocrate; mais, que voulez-vous, monsieur le sergent, je ne puis pas m'en défaire.

Et il y avait dans cette réponse, faite d'une voix tremblante, une imperceptible raillerie que seul je reconnus. Je me demandais quelle pouvait être cette femme. Le problème était impossible à résoudre. Tout ce dont j'étais sûr, c'est qu'elle n'était point la fille d'une blanchisseuse.

– Ce qui m'arrive? reprit-elle, citoyen Albert, voilà ce qui m'arrive. Imaginez-vous que je suis allée reporter du linge; que la maîtresse de la maison était sortie; que j'ai attendu, pour recevoir mon argent, qu'elle rentrât. Dame! par le temps qui court, chacun a besoin de son argent, La nuit est venue; je croyais rentrer au jour, Je n'avais pas pris ma carte de civisme, je suis tombée au milieu de ces messieurs, pardon, je veux dire de ces citoyens; ils m'ont demandé ma carte, je leur ai dit que je n'en avais pas; ils ont voulu me conduire au corps de garde. J'ai crié, vous êtes accouru, justement une connaissance; alors, j'ai été rassurée. Je me suis dit: puisque M. Albert sait que je m'appelle Solange; puisqu'il sait que je suis la fille de la mère Ledieu, il répondra de moi, n'est-ce pas, monsieur Albert?

– Certainement, je répondrai de vous, et j'en réponds.

– Bon! dit le chef de la patrouille, et qui me répondra de toi, monsieur le muscadin?

– Danton. Cela te va-t-il? est-ce un bon patriote, celui-là?

– Ah! si Danton répond de toi, il n'y a rien à dire.

– Eh bien! c'est jour de séance aux Cordeliers; allons jusque-là.

– Allons jusque-là, dit le sergent. Citoyens sans-culottes, en avant, marche!

Le club des Cordeliers se tenait dans l'ancien couvent des Cordeliers, rue de l'Observance; nous y fûmes en un instant. Arrivé à la porte, je déchirai une page de mon portefeuille; j'écrivis quelques mots au crayon, et je les remis au sergent en l'invitant à les porter à Danton, tandis que nous resterions aux mains du caporal et de la patrouille.

Le sergent entra dans le club, et revint avec Danton.

– Comment! me dit-il, c'est toi qu'on arrête, toi! toi, mon ami, toi, l'ami de Camille! toi, un des meilleurs républicains qui existent! Allons donc! Citoyen sergent, ajouta-t-il en se retournant vers le chef des sans-culottes, je te réponds de lui. Cela te suffit-il?

– Tu réponds de lui; mais réponds-tu d'elle? reprit l'obstiné sergent.

– D'elle? De qui parles-tu?

– De cette femme, pardieu!

– De lui, d'elle, de tout ce qui l'entoure; es-tu content?

– Oui, je suis content, dit le sergent, surtout de t'avoir vu.

– Ah! pardieu! ce plaisir-là, tu peux te le donner gratis; regarde-moi tout à ton aise pendant que tu me tiens.

– Merci, continue de soutenir comme tu le fais les intérêts du peuple, et, sois tranquille, le peuple te sera reconnaissant.

– Oh! oui, avec cela que je compte là-dessus! dit Danton.

– Veux tu me donner une poignée de main? continua le sergent.

– Pourquoi pas?

Et Danton lui donna la main.

– Vive Danton! cria le sergent.

– Vive Danton! répéta toute la patrouille.

Et elle s'éloigna, conduite par son chef, qui, à dix pas, se retourna, et, agitant son bonnet rouge, cria encore une fois: Vive Danton! cri qui fut répété par ses hommes.

J'allais remercier Danton lorsque son nom, plusieurs fois répété dans l'intérieur du club, parvint jusqu'à nous. Danton! Danton! criaient plusieurs voix, à la tribune! – Pardon, mon cher, me dit-il, tu entends, une poignée de main, et laisse-moi rentrer. J'ai donné la droite au sergent, je te donne la gauche. Qui sait? le digne patriote avait peut-être la gale.

Et se retournant: – Me voilà! dit-il de cette voix puissante qui soulevait et calmait les orages de la rue, me voilà, attendez-moi.

Et il se rejeta dans l'intérieur du club.

Je restai seul à la porte avec mon inconnue.

– Maintenant, madame, lui dis-je, où faut-il que je vous conduise? je suis à vos ordres.

– Dame! chez la mère Ledieu, me répondit-elle en riant, vous savez bien que c'est ma mère.

– Mais où demeure la mère Ledieu?

– Rue Férou, n° 24.

– Allons chez la mère Ledieu, rue Férou, n° 24. Nous redescendîmes la rye des Fossés-Monsieur-le-Prince jusqu'à la rue des Fossés-Saint-Germain, puis la rue du Petit-Lion, puis nous remontâmes la place Saint-Sulpice, puis la rue Férou.

Tout ce chemin s'était fait sans que nous eussions échangé une parole.

Seulement, aux rayons de la lune, qui brillait dans toute sa splendeur, j'avais pu l'examiner à mon aise.

C'était une charmante personne de vingt à vingt-deux ans, brune, avec de grands yeux bleus, plus spirituels que mélancoliques, un nez fin et droit, des lèvres railleuses, des dents comme des perles, des mains de reine, des pieds d'enfant, tout cela ayant, sous le costume vulgaire de la fille de la mère Ledieu, conservé une allure aristocratique qui avait, à bon droit, éveillé la susceptibilité du brave sergent et de sa belliqueuse patrouille.

En arrivant à la porte, nous nous arrêtâmes, et nous nous regardâmes un instant en silence.

– Eh bien! que me voulez-vous, mon cher monsieur Albert? me dit mon inconnue en souriant.

– Je voulais vous dire, ma chère demoiselle Solange, que ce n'était point la peine de nous rencontrer pour nous quitter si vite.

– Mais je vous demande un million de pardons. Je trouve que c'est tout à fait la peine, au contraire, attendu que, si je ne vous eusse pas rencontré, on m'eût conduite au corps de garde; on m'eût reconnue pour n'être pas la fille de la mère Ledieu; on eût découvert que j'étais une aristocrate, et l'on m'eût très-probablement coupé le cou.

– Vous avouez donc que vous êtes une aristocrate?

– Moi, je n'avoue rien.

– Voyons, dites-moi au moins votre nom?

– Solange.

– Vous savez bien que ce nom, que je vous ai donné à tout hasard, n'est pas le vôtre.

– N'importe! je l'aime et je le garde, pour vous, du moins.

– Quel besoin avez-vous de le garder pour moi, si je ne dois pas vous revoir?

– Je ne dis pas cela. Je dis seulement que, si nous nous revoyons, il est aussi inutile que vous sachiez comment je m'appelle que moi comment vous vous appelez. Je vous ai nommé Albert, gardez ce nom d'Albert, comme je garde le nom de Solange.

– Eh bien! soit; mais écoutez, Solange, lui dis-je.

– Je vous écoute, Albert, répondit-elle.

– Vous êtes une aristocrate, vous l'avouez?

– Quand je ne l'avouerais point, vous le devineriez, n'est-ce pas? Ainsi, mon aveu perd beaucoup de son mérite.

– Et en votre qualité d'aristocrate, vous êtes poursuivie?

– Il y a bien quelque chose comme cela.

– Et vous vous cachez pour éviter les poursuites?

– Rue Férou, 24, chez la mère Ledieu, dont le mari a été cocher de mon père. Vous voyez que je n'ai pas de secrets pour vous.

– Et votre père?

– Je n'ai pas de secrets pour vous, mon cher monsieur Albert, en tant que ces secrets sont à moi; mais les secrets de mon père ne sont pas les miens. Mon père se cache de son côté en attendant une occasion d'émigrer. Voilà tout ce que je puis vous dire.

– Et vous, que comptez-vous faire?

– Partir avec mon père, si c'est possible; si c'est impossible, le laisser partir seul et aller le rejoindre.

– Et ce soir, quand vous avez été arrêtée, vous reveniez de voir votre père?

– J'en revenais.

– Écoutez-moi, chère Solange!

– Je vous écoute.

– Vous avez vu ce qui s'est passé ce soir?

– Oui, et cela m'a donné la mesure de votre crédit.

– Oh! mon crédit n'est pas grand, par malheur. Cependant, j'ai quelques amis.

– J'ai fait connaissance ce soir avec l'un d'entre eux.

– Et, vous le savez, celui-là n'est pas un des hommes les moins puissants de l'époque.

– Vous comptez employer son influence pour aider à la fuite de mon père?

– Non, je la réserve pour vous.

– Et pour mon père?

– Pour votre père, j'ai un autre moyen

– Vous avez un autre moyen! s'écria Solange, en s'emparant de mes mains, et en me regardant avec anxiété.

– Si je sauve votre père, garderez-vous un bon souvenir de moi?

– Oh! je vous serai reconnaissante toute ma vie. Et elle prononça ces mots avec une adorable expression de reconnaissance anticipée.

Puis, me regardant avec un ton suppliant:

– Mais cela vous suffira-t-il? demanda-t-elle.

– Oui, répondis-je.

– Allons! je ne m'étais pas trompée, vous êtes un noble coeur. Je vous remercie au nom de mon père et au mien, et, quand vous ne réussiriez pas dans l'avenir, je n'en suis pas moins votre redevable pour le passé.

– Quand nous reverrons-nous, Solange?

– Quand avez-vous besoin de me revoir?

– Demain, j'espère avoir quelque chose de bon à vous apprendre.

– Eh bien! revoyons-nous demain.

– Où cela?

– Ici, si vous voulez.

– Ici, dans la rue?

– Eh! mon Dieu! vous voyez que c'est encore le plus sûr; depuis une demi-heure que nous causons à cette porte, il n'est point passé une seule personne.

– Pourquoi ne monterais-je pas chez vous, ou pourquoi ne viendriez-vous pas chez moi?

– Parce que, venant chez moi, vous compromettez les braves gens qui m'ont donné asile; parce qu'en allant chez vous, je vous compromets.

– Oh bien! soit; je prendrai la carte d'une de mes parentes, et je vous la donnerai.

– Oui, pour qu'on guillotine votre parente si, par hasard, je suis arrêtée.

– Vous avez raison, je vous apporterai une carte au nom de Solange.

– À merveille! vous verrez que Solange finira par être mon seul et véritable nom.

– Votre heure?

– La même où nous nous sommes rencontrés aujourd'hui. Dix heures, si vous voulez.

– Soit, dix heures.

– Et comment nous rencontrerons-nous?

– Oh! ce n'est pas bien difficile. À dix heures moins cinq minutes, vous serez à la porte; à dix heures, je descendrai.

– Donc, demain, à dix heures, chère Solange.

– Demain, à dix heures, cher Albert.

Je voulus lui baiser la main, elle me présenta le front.

Le lendemain soir, à neuf heures et demie, j'étais dans la rue.

À dix heures moins un quart, Solange ouvrait la porte.

Chacun de nous avait devancé l'heure. Je ne fis qu'un bond jusqu'à elle.

– Je vois que vous avez de bonnes nouvelles, dit-elle en souriant.

– D'excellentes; d'abord, voici votre carte.

– D'abord, mon père. Et elle repoussa ma main.

– Votre père est sauvé, s'il le veut.

– S'il le veut? dites-vous; que faut-il qu'il fasse?

– Il faut qu'il ait confiance en moi.

– C'est déjà chose faite

– Vous l'avez vu?

– Oui

– Vous vous êtes exposée.

– Que voulez-vous? il le faut; mais Dieu est là!

– Et vous lui avez tout dit, à votre père?

– Je lui ai dit que vous m'aviez sauvé la vie hier, et que vous lui sauveriez peut-être la vie demain.

– Demain, oui, justement; demain, s'il veut, je lui sauve la vie.

– Comment cela? dites; voyons, parlez. Quelle admirable rencontre aurais-je faite si tout cela réussissait!

– Seulement… dis-je en hésitant.

– Eh bien?

– Vous ne pourrez point partir avec lui.

– Quant à cela, ne vous ai-je point dit que ma résolution était prise?

– D'ailleurs, plus tard, je suis sûr de vous avoir un passe-port.

– Parlons de mon père d'abord, nous parlerons de moi après.

– Eh bien! je vous ai dit que j'avais des amis, n'est-ce pas?

– Oui.

– J'en ai été voir un aujourd'hui.

– Après?

– Un homme que vous connaissez de nom, et dont le nom est un garant de courage, de loyauté et d'honneur.

– Et ce nom, c'est…

– Marceau.

– Le général Marceau?

– Justement.

– Vous avez raison; si celui-là a promis, il tiendra.

– Eh bien! il a promis.

– Mon Dieu! que vous me faites heureuse! Voyons, qu'a-t-il promis? dites.

– Il a promis de nous servir

– Comment cela?

– Ah! d'une manière bien simple. Kléber vient de le faire nommer général en chef de l'armée de l'Ouest. Il part demain soir.

– Demain soir? Mais nous n'aurons le temps de rien préparer.

– Nous n'avons rien à préparer.

– Je ne comprends pas.

– Il emmène votre père.

– Mon père!

– Oui, en qualité de secrétaire. Arrivé en Vendée, votre père engage à Marceau sa parole de ne pas servir contre la France, et, une nuit, il gagne un camp vendéen: de la Vendée, il passe en Bretagne, en Angleterre. Quand il est installé à Londres, il vous donne de ses nouvelles; je vous procure un passe-port, et vous allez le rejoindre à Londres.

– Demain! s'écria Solange. Mon père partirait demain!

– Mais il n'y a pas de temps à perdre.

– Mon père n'est pas prévenu.

– Prévenez-le.

– Ce soir?

– Ce soir.

– Mais comment, à cette heure?

– Vous avez une carte et mon bras.

– Vous avez raison. Ma carte.

Je la lui donnai; elle la mit dans sa poitrine.

– Maintenant, votre bras.

Je lui donnai mon bras, et nous partîmes.

Nous descendîmes jusqu'à la place Taranne, c'est-à-dire jusqu'à l'endroit où je l'avais rencontrée la veille.

– Attendez-moi ici, me dit-elle. Je m'inclinai et j'attendis.

Elle disparut au coin de l'ancien hôtel Matignon; puis, au bout d'un quart d'heure, elle reparut.

– Venez, dit-elle, mon père veut vous voir et vous remercier.

Elle reprit mon bras et me conduisit rue Saint-Guillaume, en face de l'hôtel Mortemart.

Arrivée là, elle tira une clef de sa poche, ouvrit une petite porte bâtarde, me prit par la main, me guida jusqu'au deuxième étage, et frappa d'une façon particulière.

Un homme de quarante-huit à cinquante ans ouvrit la porte. Il était vêtu en ouvrier, et paraissait exercer l'état de relieur de livres.

Mais, aux premiers mots qu'il me dit, aux premiers remercîments qu'il m'adressa, le grand seigneur s'était trahi.

– Monsieur, me dit-il, la Providence vous a envoyé à nous, et je vous reçois comme un envoyé de la Providence. Est-il vrai que vous pouvez me sauver, et surtout que vous voulez me sauver?

Je lui racontai tout, je lui dis comment Marceau se chargeait de l'emmener en qualité de secrétaire, et ne lui demandait rien autre chose que la promesse de ne point porter les armes contre la France.

– Cette promesse, je vous la fais de bon coeur, et je la lui renouvellerai.

– Je vous en remercie en son nom et au mien.

– Mais quand Marceau part-il?

– Demain.

– Dois-je me rendre chez lui cette nuit?

– Quand vous voudrez; il vous attendra toujours. Le père et la fille se regardèrent.

– Je crois qu'il serait plus prudent de vous y rendre dès ce soir, mon père, dit Solange.

– Soit. Mais si l'on m'arrête, je n'ai pas de carte de civisme.

– Voici la mienne.

– Mais, vous?

– Oh! moi, je suis connu.

– Où demeure Marceau?

– Rue de l'Université, n° 40, chez sa soeur, mademoiselle Desgraviers-Marceau.

– M'y accompagnez-vous?

– Je vous suivrai par derrière, pour pouvoir ramener mademoiselle, quand vous serez entré.

– Et comment Marceau saura t-il que je suis l'homme dont vous lui avez parlé?

– Vous lui remettrez cette cocarde tricolore, c'est le signe de reconnaissance.

– Que ferai-je pour mon libérateur?

– Vous me chargerez du salut de votre fille, comme elle m'a chargé du vôtre.

– Allons.

Il mit son chapeau et éteignit les lumières.

Nous descendîmes à la lueur d'un rayon de lune, qui filtrait par les fenêtres de l'escalier.

A la porte, il prit le bras de sa fille, appuya à droite, et, par la rue des Saints-Pères, gagna la rue de l'Université. Je les suivais toujours à dix pas. On arriva au n° 40, sans avoir rencontré personne. Je m'approchai d'eux.

– C'est de bon augure, dis-je; maintenant, voulez-vous que j'attende ou que je monte avec vous?

– Non, ne vous compromettez pas davantage; attendez ma fille ici.

Je m'inclinai.

– Encore une fois, merci et adieu, me dit-il, me tendant la main. La langue n'a point de mots pour traduire les sentiments que je vous ai voués. J'espère que Dieu un jour me mettra à même de vous exprimer toute ma reconnaissance.

Je lui répondis par un simple serrement de main. Il entra. Solange le suivit. Mais elle aussi, avant d'entrer, me serra la main.

Au bout de dix minutes, la porte se rouvrit.

– Eh bien? lui dis-je.

– Eh bien! reprit-elle, votre ami est bien digne d'être votre ami, c'est-à-dire qu'il a toutes les délicatesses. Il comprend que je serai heureuse de rester avec mon père jusqu'au moment du départ. Sa soeur me fait dresser un lit dans sa chambre. Demain, à trois heures de l'après-midi, mon père sera hors de tout danger. Demain, à dix heures du soir, comme aujourd'hui, si vous croyez que le remercîment d'une fille qui vous devra son père vaille la peine de vous déranger, venez le chercher rue Férou.

– Oh! certes, j'irai. Votre père ne vous a rien dit pour moi?

– Il vous remercie de votre carte, que voici, et vous prie de me renvoyer à lui le plus tôt qu'il vous sera possible.

– Ce sera quand vous voudrez, Solange, répondis-je le coeur serré.

– Faut-il au moins que je sache où rejoindre mon père, dit-elle. Oh! vous n'êtes pas encore débarrassé de moi.

Je pris sa main et la serrai contre mon coeur.

Mais elle, me présentant son front comme la veille: – A demain! dit-elle.

Et, appuyant mes lèvres contre son front, ce ne fut plus seulement sa main que je serrai contre mon coeur, mais sa poitrine frémissante, mais son coeur bondissant.

Je rentrai chez moi joyeux d'âme comme jamais je ne l'avais été. Était-ce la conscience de la bonne action que j'avais faite, était-ce que déjà j'aimais l'adorable créature?

Je ne sais si je dormis ou si je veillai; je sais que toutes les harmonies de la nature chantaient en moi; je sais que la nuit me parut sans fin, le jour immense; je sais que, tout en poussant le temps devant moi, j'eusse voulu le retenir pour ne pas perdre une minute des jours que j'avais encore à vivre.

Le lendemain, j'étais à neuf heures dans la nie Férou. A neuf heures et demie, Solange parut.

Elle vint à moi et me jeta les bras autour du cou.

– Sauvé, dit-elle, mon père est sauvé, et c'est à vous que je dois son salut! Oh! que je vous aime!

Quinze jours après, Solange reçut une lettre qui lui annonçait que son père était en Angleterre.

Le lendemain, je lui apportai un passe-port.

En le recevant, Solange fondit en larmes.

– Vous ne m'aimez donc pas? dit-elle.

– Je vous aime plus que ma vie, répondis-je; mais j'ai engagé ma parole à votre père, et, avant tout, je dois tenir ma parole.

– Alors, dit-elle, c'est moi qui manquerai à la mienne. Si tu as le courage de me laisser partir, Albert, moi, je n'ai pas le courage de te quitter.

Hélas! elle resta.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
200 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin PDF
Средний рейтинг 5 на основе 1 оценок
Metin
Средний рейтинг 3,8 на основе 4 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin PDF
Средний рейтинг 5 на основе 1 оценок
Metin PDF
Средний рейтинг 5 на основе 1 оценок