Kitabı oku: «Les Quarante-Cinq — Tome 1», sayfa 7
X
L'HOMME AUX CUIRASSES
Pertinax avait bien raison de regretter sa cuirasse absente, car à cette heure justement, par l'intermédiaire de ce singulier laquais que nous avons vu parler si familièrement à son maître, il venait de s'en défaire à tout jamais.
En effet, sur ces mots magiques prononcés par madame Fournichon: dix écus, le valet de Pertinax avait couru après le marchand.
Comme il faisait déjà nuit et que sans doute le marchand de ferraille était pressé, ce dernier avait déjà fait une trentaine de pas lorsque Samuel sortit de l'hôtel.
Celui-ci fut donc obligé d'appeler le marchand de ferraille.
Celui-ci s'arrêta avec crainte et jeta un coup d'oeil perçant sur l'homme qui venait à lui; mais le voyant chargé de marchandises, il s'arrêta.
— Que voulez-vous, mon ami? lui dit-il.
— Eh! pardieu! dit le laquais d'un air fin, ce que je veux, c'est faire affaire avec vous.
— Eh bien, alors faisons vite.
— Vous êtes pressé?
— Oui.
— Oh! vous me donnerez bien le temps de souffler, que diable!
— Sans doute, mais soufflez vite, on m'attend.
Il était évident que le marchand conservait une certaine défiance à l'endroit du laquais.
— Quand vous aurez vu ce que je vous apporte, dit ce dernier, comme vous me paraissez amateur, vous prendrez votre temps.
— Et que m'apportez-vous?
— Une magnifique pièce, un ouvrage dont... Mais vous ne m'écoutez pas.
— Non, je regarde.
— Quoi?
— Vous ne savez donc pas, mon ami, dit l'homme aux cuirasses, que le commerce des armes est défendu par un édit du roi?
Et il jetait autour de lui des regards inquiets.
Le laquais jugea qu'il était bon de paraître ignorer.
— Je ne sais rien, moi, dit-il; j'arrive de Mont-de-Marsan.
— Ah! c'est différent alors, dit l'homme aux cuirasses, que cette réponse parut rassurer un peu; mais quoique vous-arriviez de Mont-de-Marsan, continua-t-il, vous savez cependant déjà que j'achète des armes?
— Oui, je le sais.
— Et qui vous a dit cela?
— Sangdioux! nul n'a eu besoin de me le dire, et vous l'avez crié assez fort tout à l'heure.
— Où cela?
— A la porte de l'hôtellerie de l'Épée du fier Chevalier.
— Vous y étiez donc?
— Oui.
— Avec qui?
— Avec une foule d'amis.
— Avec une foule d'amis? Il n'y a jamais personne d'ordinaire à cette hôtellerie.
— Alors, vous avez dû la trouver bien changée?
— En effet. Mais d'où venaient tous ces amis?
— De Gascogne, comme moi.
— Êtes-vous au roi de Navarre?
— Allons donc! nous sommes Français de coeur et de sang.
— Oui, mais huguenots?
— Catholiques comme notre saint père le pape, Dieu merci, dit Samuel en ôtant son bonnet; mais ce n'est point de cela qu'il s'agit, il s'agit de cette cuirasse.
— Rapprochons-nous un peu des murs, s'il vous plaît; nous sommes par trop à découvert en pleine rue.
Et ils remontèrent de quelques pas jusqu'à une maison de bourgeoise apparence, aux vitraux de laquelle on n'apercevait aucune lumière.
Cette maison avait sa porte sous une sorte d'auvent formant balcon. Un banc de pierre accompagnait sa façade, dont il faisait le seul ornement.
C'était en même temps l'utile et l'agréable, car il servait d'étriers aux passants pour monter sur leurs mules ou sur leurs chevaux.
— Voyons cette cuirasse, dit le marchand, quand ils furent arrivés sous l'auvent.
— Tenez.
— Attendez; on remue, je crois, dans la maison.
— Non, c'est en face.
Le marchand se retourna.
En effet, en face il y avait une maison à deux étages, dont le second s'éclairait parfois fugitivement.
— Faisons vite, dit le marchand en palpant la cuirasse.
— Hein! comme elle est lourde! dit Samuel.
— Vieille, massive, hors de mode.
— Objet d'art.
— Six écus, voulez-vous?
— Comment! six écus! et vous en avez donné dix là-bas pour un vieux débris de corselet!
— Six écus, oui ou non, répéta le marchand.
— Mais considérez donc les ciselures?
— Pour revendre au poids, qu'importent les ciselures?
— Oh! oh! vous marchandez ici, dit Samuel, et là-bas vous avez donné tout ce qu'on a voulu.
— Je mettrai un écu de plus, dit le marchand avec impatience.
— Il y a pour quatorze écus, rien que de dorures.
— Allons, faisons vite, dit le marchand, ou ne faisons pas.
— Bon, dit Samuel, vous êtes un drôle de marchand: vous vous cachez pour faire votre commerce; vous êtes en contravention avec les édits du roi, et vous marchandez les honnêtes gens.
— Voyons, voyons, ne criez pas comme cela.
— Oh! je n'ai pas peur, dit Samuel en haussant la voix; je ne fais pas un commerce illicite, et rien ne m'oblige à me cacher.
— Voyons, voyons, prenez dix écus et taisez-vous.
— Dix écus? Je vous dis que l'or seul le vaut; ah! vous voulez vous sauver?
— Mais non; quel enragé!
— Ah! c'est que si vous vous sauvez, voyez-vous, je crie à la garde, moi!
En disant ces mots, Samuel avait tellement haussé la voix qu'autant eût valu qu'il eût effectué sa menace sans la faire.
A ce bruit, une petite fenêtre s'était ouverte au balcon de la maison contre laquelle le marché se faisait; et le grincement qu'avait produit cette fenêtre en s'ouvrant, le marchand l'avait entendu avec terreur.
— Allons, allons, dit-il, je vois bien qu'il faut faire tout ce que vous voulez; voilà quinze écus, et allez-vous-en.
— A la bonne heure, dit Samuel en empochant les quinze écus.
— C'est bien heureux.
— Mais ces quinze écus sont pour mon maître, continua Samuel, et il me faut bien aussi quelque chose pour moi.
Le marchand jeta les yeux autour de lui en tirant à demi sa dague du fourreau. Évidemment il avait l'intention de faire à la peau de Samuel un accroc qui l'eût dispensé à tout jamais de racheter une cuirasse pour remplacer celle qu'il venait de vendre; mais Samuel avait l'oeil alerte comme un moineau qui vendange, et il recula en disant:
— Oui, oui, bon marchand, je vois ta dague; mais je vois encore autre chose: cette figure au balcon qui te voit aussi.
Le marchand, blême de frayeur, regarda dans la direction indiquée par Samuel, et vit en effet au balcon une longue et fantastique créature, enveloppée dans une robe de chambre en fourrures de peaux de chat: cet argus n'avait perdu ni une syllabe ni un geste de la dernière scène.
— Allons, allons, vous faites de moi ce que vous voulez, dit le marchand avec un rire pareil à celui du chacal qui montre ses dents, voilà un écus en plus. Et que le diable vous étrangle! ajouta-t-il tout bas. — Merci, dit Samuel; bon négoce!
Et saluant l'homme aux cuirasses, il disparut en ricanant.
Le marchand, demeuré seul dans la rue, se mit à ramasser la cuirasse de Pertinax et à l'enchâsser dans celle de Fournichon.
Le bourgeois regardait toujours, puis quand il vit le marchand bien empêché:
— Il paraît, monsieur, lui dit-il, que vous achetez des armures?
— Mais non, monsieur, répondit le malheureux marchand; c'est par hasard et parce que l'occasion s'en est présentée ainsi.
— Alors, le hasard me sert à merveille.
— En quoi, monsieur? demanda le marchand.
— Imaginez-vous que j'ai justement là, à la portée de ma main, un tas de vieilles ferrailles qui me gênent.
— Je ne vous dis pas non; mais pour le moment, vous le voyez, j'en ai tout ce que j'en puis porter.
— Je vais toujours vous les montrer.
— Inutile, je n'ai plus d'argent.
— Qu'à cela ne tienne, je vous ferai crédit; vous m'avez l'air d'un parfait honnête homme.
— Merci, mais on m'attend. — C'est étrange comme il me semble que je vous connais! fit le bourgeois.
— Moi? dit le marchand essayant inutilement de réprimer un frisson.
— Regardez donc cette salade, dit le bourgeois amenant avec son long pied l'objet annoncé, car il ne voulait point quitter la fenêtre de peur que le marchand ne se dérobât.
Et il déposa la salade dans la main du marchand.
— Vous me connaissez, dit celui-ci, c'est-à-dire que vous croyez me connaître?
— C'est-à-dire que je vous connais. N'êtes-vous point...
Le bourgeois sembla chercher; le marchand resta immobile et attendant.
— N'êtes-vous pas Nicolas?
La figure du marchand se décomposa, on voyait le casque trembler dans sa main.
— Nicolas? répéta-t-il.
— Nicolas Truchou, marchand quincaillier, rue de la Cossonnerie.
— Non, non, répliqua le marchand qui sourit et respira en homme quatre fois heureux.
— N'importe, vous avez une bonne figure; il s'agit donc de m'acheter l'armure complète, cuirasse, brassards et épée.
— Faites attention que c'est commerce défendu, monsieur.
— Je le sais, votre vendeur vous l'a crié assez haut tout à l'heure.
— Vous avez entendu?
— Parfaitement; vous avez même été large en affaire: c'est ce qui m'a donné l'idée de me mettre en relations avec vous; mais, soyez tranquille, je n'abuserai pas, moi; je sais ce que c'est que le commerce: j'ai été négociant aussi.
— Ah! et que vendiez-vous?
— Ce que je vendais?
— Oui.
— De la faveur.
— Bon commerce, monsieur.
— Aussi j'y ai fait fortune, et vous me voyez bourgeois.
— Je vous en fais mon compliment.
— Il en résulte que j'aime mes aises, et que je vends toute ma ferraille parce qu'elle me gêne.
— Je comprends cela.
— Il y a encore là les cuissards; ah! et puis les gants.
— Mais je n'ai pas besoin de tout cela.
— Ni moi non plus.
— Je prendrai seulement la cuirasse.
— Vous n'achetez donc que des cuirasses?
— Oui.
— C'est drôle, car enfin vous achetez pour revendre au poids; vous l'avez dit du moins, et du fer est du fer.
— C'est vrai, mais, voyez-vous, de préférence...
— Comme il vous plaira: achetez la cuirasse, ou plutôt, vous avez raison, allez, n'achetez rien du tout.
— Que voulez-vous dire?
— Je veux dire que, dans des temps comme ceux où nous vivons, chacun a besoin de ses armes.
— Quoi! en pleine paix?
— Mon cher ami, si nous étions en pleine paix, il ne se ferait pas un tel commerce de cuirasses, ventre de biche! Ce n'est point à moi qu'on dit de ces choses-là.
— Monsieur?
— Et si clandestin surtout.
Le marchand fit un mouvement pour s'éloigner.
— Mais, en vérité, plus je vous regarde, dit le bourgeois, plus je suis sûr que je vous connais; non, vous n'êtes pas Nicolas Truchou, mais je vous connais tout de même.
— Silence.
— Et si vous achetez des cuirasses.
— Eh bien?
— Eh bien, je suis sûr que c'est pour accomplir une oeuvre agréable à Dieu.
— Taisez-vous!
— Vous m'enchantez, dit le bourgeois en tendant par le balcon un immense bras dont la main alla s'emmancher à la main du marchand.
— Mais qui diable êtes-vous? demanda celui-ci qui sentit sa main prise comme dans un étau.
— Je suis Robert Briquet, surnommé la terreur du schisme, ami de l'Union, et catholique enragé; maintenant je vous reconnais positivement.
Le marchand devint blême.
— Vous êtes Nicolas... Grimbelot, corroyeur à la Vache sans os.
— Non, vous vous trompez. Adieu, maître Robert Briquet; enchanté d'avoir fait votre connaissance.
Et le marchand tourna le dos au balcon.
— Comment, vous vous en allez?
— Vous le voyez bien.
— Sans me prendre ma ferraille?
— Je n'ai pas d'argent sur moi, je vous l'ai dit.
— Mon valet vous suivra.
— Impossible.
— Alors, comment faire?
— Dame! restons comme nous sommes.
— Ventre de biche! je m'en garderais bien, j'ai trop grande envie de cultiver votre connaissance.
— Et moi de fuir la vôtre, répliqua le marchand qui, cette fois, se résignant à abandonner ses cuirasses et à tout perdre plutôt que d'être reconnu, prit ses jambes à son cou et s'enfuit.
Mais Robert Briquet n'était pas homme à se laisser battre ainsi; il enfourcha son balcon, descendit dans la rue sans avoir presque besoin de sauter, et en cinq ou six enjambées il atteignit le marchand.
— Êtes-vous fou, mon ami? dit-il en posant sa large main sur l'épaule du pauvre diable; si j'étais votre ennemi, si je voulais vous faire arrêter, je n'aurais qu'à crier: le guet passe à cette heure dans la rue des Augustins; mais non, vous êtes mon ami, ou le diable m'emporte! et la preuve, c'est que maintenant je me rappelle positivement votre nom.
Cette fois le marchand se mit à rire.
Robert Briquet se plaça en face de lui.
— Vous vous nommez Nicolas Poulain, dit-il, vous êtes lieutenant de la prévôté de Paris; je me souvenais bien qu'il y avait du Nicolas là- dessous.
— Je suis perdu! balbutia le marchand.
— Au contraire, vous êtes sauvé; ventre de biche! vous ne ferez jamais pour la bonne cause ce que j'ai intention de faire, moi.
Nicolas Poulain laissa échapper un gémissement.
— Voyons, voyons, du courage, dit Robert Briquet; remettez-vous; vous avez trouvé un frère, frère Briquet; prenez une cuirasse, je prendrai les deux autres: je vous fais cadeau de mes brassards, de mes cuissards et de mes gants par dessus le marché; allons, en route, et vive l'Union!
— Vous m'accompagnez?
— Je vous aide à porter ces armes qui doivent vaincre les Philistins: montrez-moi la route, je vous suis.
Il y eut dans l'âme du malheureux lieutenant de la prévôté un éclair de soupçon bien naturel, mais qui s'évanouit aussitôt qu'il eut brillé.
— S'il voulait me perdre, se murmura-t-il à lui-même, eût-il avoué qu'il me connaissait?
Puis tout haut:
— Allons, puisque vous le voulez absolument, venez avec moi, dit-il.
— A la vie, à la mort! cria Robert Briquet en serrant d'une main la main de son allié, tandis que de l'autre il levait triomphalement en l'air sa charge de ferraille.
Tous deux se mirent en route.
Après vingt minutes de marche, Nicolas Poulain arriva dans le Marais; il était tout en sueur, tant à cause de la rapidité de la marche que du feu de leur conversation politique.
— Quelle recrue j'ai faite! murmura Nicolas Poulain en s'arrêtant à peu de distance de l'hôtel de Guise.
— Je me doutais que mon armure allait de ce côté, pensa Briquet.
— Ami, dit Nicolas Poulain en se retournant avec un geste tragique vers Briquet, tout confit en airs innocents, avant d'entrer dans le repaire du lion, je vous laisse une dernière minute de réflexion; il est temps de vous retirer si vous n'êtes pas fort de votre conscience.
— Bah! dit Briquet, j'en ai vu bien d'autres: Et non intremuit medulla mea, déclama-t-il; ah! pardon, vous ne savez peut-être pas le latin?
— Vous le savez, vous?
— Comme vous voyez.
— Lettré, hardi, vigoureux, riche, quelle trouvaille! se dit Poulain; allons, entrons.
Et il conduisit Briquet à la gigantesque porte de l'hôtel de Guise, qui s'ouvrit au troisième coup du heurtoir de bronze.
La cour était pleine de gardes et d'hommes enveloppés de manteaux qui la parcouraient comme des fantômes.
Il n'y avait pas une seule lumière dans l'hôtel.
Huit chevaux sellés et bridés attendaient dans un coin.
Le bruit du marteau fit retourner la plupart de ces hommes, lesquels formèrent une espèce de haie pour recevoir les nouveaux venus.
Alors Nicolas Poulain, se penchant à l'oreille d'une sorte de concierge qui tenait le guichet entrebâillé, lui déclina son nom.
— Et j'amène un bon compagnon, ajouta-t-il.
— Passez, messires, dit le concierge.
— Portez ceci aux magasins, fit alors Poulain en remettant à un garde les trois cuirasses, plus la ferraille de Robert Briquet.
— Bon! il y a un magasin, se dit celui-ci; de mieux en mieux: pesté! quel organisateur vous faites, messire prévôt?
— Oui, oui, l'on a du jugement, répondit Poulain en souriant avec orgueil; mais venez que je vous présente.
— Prenez garde, dit le bourgeois, je suis excessivement timide. Qu'on me tolère, c'est tout ce que je veux; quand j'aurai fait mes preuves, je me présenterai tout seul, comme dit le Grec, par mes faits.
— Comme il vous plaira, répondit le lieutenant de la prévôté; attendez- moi donc ici.
Et il alla serrer la main de la plupart des promeneurs.
— Qu'attendons-nous donc encore? demanda une voix.
— Le maître, répondit une autre voix.
En ce moment, un homme de haute taille venait d'entrer dans l'hôtel; il avait entendu les derniers mots échangés entre les mystérieux promeneurs.
— Messieurs, dit-il, je viens en son nom.
— Ah! c'est monsieur de Mayneville! s'écria Poulain.
— Eh! mais me voilà en pays de connaissance, se dit Briquet à lui-même, et en étudiant une grimace qui le défigura complètement.
— Messieurs, nous voilà au complet; délibérons, reprit la voix qui s'était fait entendre la première.
— Ah! bon, dit Briquet, et de deux; celui-ci c'est mon procureur, maître Marteau.
Et il changea de grimace avec une facilité qui prouvait combien les études physionomiques lui étaient familières.
— Montons, messieurs, fit Poulain.
M. de Mayneville passa le premier, Nicolas Poulain le suivit; les hommes à manteaux vinrent après Nicolas Poulain, et Robert Briquet après les hommes à manteaux.
Tous montèrent les degrés d'un escalier extérieur aboutissant à une voûte.
Robert Briquet montait comme les autres, tout en murmurant:
— Mais le page, ou donc est ce diable de page?
XI
ENCORE LA LIGUE
Au moment où Robert Briquet montait l'escalier à la suite de tout le monde, en se donnant un air assez décent de conspirateur, il s'aperçut que Nicolas Poulain, après avoir parlé à plusieurs de ses mystérieux collègues, attendait à la porte de la voûte.
— Ce doit être pour moi, se dit Briquet.
En effet, le lieutenant de la prévôté arrêta son nouvel ami au moment même où il allait franchir le redoutable seuil.
— Vous ne m'en voudrez point, lui dit-il: mais la plupart de nos amis ne vous connaissent point et désirent prendre des informations sur vous avant de vous admettre au conseil.
— C'est trop juste, répliqua Briquet, et vous savez que ma modestie naturelle avait déjà prévu cette objection.
— Je vous rends justice, répliqua Poulain, vous êtes un homme accompli.
— Je me retire donc, poursuivit Briquet, bien heureux d'avoir vu en un soir tant de braves défenseurs de l'Union catholique.
— Voulez-vous que je vous reconduise? demanda Poulain.
— Non, merci, ce n'est point la peine.
— C'est que l'on peut vous faire des difficultés à la porte; cependant d'un autre côté, on m'attend.
— N'avez-vous pas un mot d'ordre pour sortir? Je ne vous reconnaîtrais point là, maître Nicolas; ce ne serait pas prudent.
— Si fait.
— Et bien! donnez-le-moi.
— Au fait! puisque vous êtes entré...
— Et que nous sommes amis.
— Soit; vous n'avez qu'à dire: Parme et Lorraine.
— Et le portier m'ouvrira?
— A l'instant même.
— Très bien, merci. Allez à vos affaires, je retourne aux miennes.
Nicolas Poulain se sépara de son compagnon et alla rejoindre ses collègues.
Briquet fit quelques pas comme s'il allait redescendre dans la cour, mais arrivé à la première marche de l'escalier, il s'arrêta pour explorer les localités.
Le résultat de ses observations fut que la voûte s'allongeait parallèlement au mur extérieur, qu'elle abritait par un large auvent. Il était évident que cette voûte aboutissait à quelque salle basse, propre à cette mystérieuse réunion à laquelle Briquet n'avait pas eu l'honneur d'être admis.
Ce qui le confirma dans cette supposition, qui devint bientôt une certitude, c'est qu'il vit apparaître une lumière à une fenêtre grillée, percée dans ce mur, et défendue par une espèce d'entonnoir en bois, comme on en met aujourd'hui aux fenêtres des prisons ou des couvents, pour intercepter la vue du dehors et ne laisser que l'air et l'aspect du ciel.
Briquet pensa bien que cette fenêtre était celle de la salle des réunions, et que si l'on pouvait arriver jusqu'à elle, l'endroit serait favorable à l'observation, et que, placé à cet observatoire, l'oeil pouvait facilement suppléer aux autres sens.
Seulement la difficulté était d'arriver à cet observatoire et d'y prendre place pour voir sans être vu.
Briquet regarda autour de lui.
Il y avait dans la cour les pages avec leurs chevaux, les soldats avec leurs hallebardes, et le portier avec ses clefs; en somme, tous gens alertes et clairvoyants.
Par bonheur, la cour était fort grande et la nuit fort noire.
D'ailleurs, pages et soldats, ayant vu disparaître les affidés sous la voûte, ne s'occupaient plus de rien, et le portier, sachant les portes bien closes et l'impossibilité où l'on était de sortir sans le mot de passe, ne s'occupait plus que de préparer son lit pour la nuit et de soigner un beau coquemar de vin épicé qui tiédissait devant le feu.
Il y a dans la curiosité des stimulants aussi énergiques que dans les élans de toute passion. Ce désir de savoir est si grand qu'il a dévoré la vie de plus d'un curieux.
Briquet avait été trop bien renseigné jusque-là pour ne point désirer de compléter ses renseignements. Il jeta un second regard autour de lui, et, fasciné par la lumière que renvoyait cette fenêtre sur les barreaux de fer, il crut voir dans ce signal d'appel, et dans ces barreaux si reluisants, quelque provocation pour ses robustes poignets.
En conséquence, résolu d'atteindre son entonnoir, Briquet se glissa le long de la corniche qui, du perron qu'elle semblait continuer comme ornement, aboutissait à cette fenêtre, et suivit le mur comme aurait pu le faire un chat ou un singe marchant appuyé des mains et des pieds aux ornements sculptés dans la muraille même.
Si les pages et les soldats eussent pu distinguer dans l'ombre cette silhouette fantastique glissant sur le milieu du mur sans support apparent, ils n'eussent certes pas manqué de crier à la magie, et plus d'un, parmi les plus braves, eût senti hérisser ses cheveux.
Mais Robert Briquet, ne leur laissa point le temps de voir ses sorcelleries.
En quatre enjambées, il toucha les barreaux, s'y cramponna, se tapit entre ces barreaux et l'entonnoir, de telle façon que du dehors il ne pût être aperçu, et que du dedans il fût à peu près masqué par le grillage.
Briquet ne s'était pas trompé, et il fut dédommagé amplement de ses peines et de son audace, lorsqu'une fois il en fut arrivé là.
En effet, son regard embrassait une grande salle éclairée par une lampe de fer à quatre becs, et remplie d'armures de toute espèce, parmi lesquelles, en cherchant bien, il eût pu certainement reconnaître ses brassards et son gorgerin.
Ce qu'il y avait là de piques, d'estocs, de hallebardes et de mousquets rangés en pile ou en faisceaux, eût suffi à armer quatre bons régiments.
Briquet donna cependant moins d'attention à la superbe ordonnance de ces armes qu'à l'assemblée chargée de les mettre en usage ou de les distribuer. Ses yeux ardents perçaient la vitre épaisse et enduite d'une couche grasse de fumée et de poussière, pour deviner les visages de connaissance sous les visières ou les capuchons.
— Oh! oh! dit-il, voici maître Crucé, notre révolutionnaire; voici notre petit Brigard, l'épicier au coin de la rue des Lombards; voici maître Leclerc, qui se fait appeler Bussy, et qui, n'eût certes pas osé commettre un tel sacrilège du temps que le vrai Bussy vivait. Il faudra quelque jour que je demande à cet ancien maître, en fait d'armes, s'il connaît la botte secrète dont un certain David de ma connaissance est mort à Lyon. Peste! la bourgeoisie est grandement représentée, mais la noblesse... ah! M. de Mayneville; Dieu me pardonne! il serre la main de Nicolas Poulain: c'est touchant, on fraternise. Ah! ah! ce M. de Mayneville est donc orateur? il se pose, ce me semble, pour prononcer une harangue; il a le geste agréable et roule des yeux persuasifs.
Et, en effet, M. de Mayneville avait commencé un discours.
Robert Briquet secouait la tête, tandis que M. de Mayneville parlait, non pas qu'il pût entendre un seul mot de la harangue; mais il interprétait ses gestes et ceux de l'assemblée.
— Il ne semble guère persuader son auditoire. Crucé lui fait la grimace, Lachapelle-Marteau lui tourne le dos, et Bussy-Leclerc hausse les épaules. Allons, allons, monsieur de Mayneville, parlez, suez, soufflez, soyez éloquent, ventre de biche! Oh! à la bonne heure, voici les gens de l'auditoire qui se raniment. Oh! oh! on se rapproche, on lui serre la main, on jette en l'air les chapeaux; diable!
Briquet, comme nous l'avons dit, voyait et ne pouvait entendre; mais nous qui assistons en esprit aux délibérations de l'orageuse assemblée, nous allons dire au lecteur ce qui venait de s'y passer.
D'abord Crucé, Marteau et Bussy s'étaient plaints à M. de Mayneville de l'inaction du duc de Guise.
Marteau, en sa qualité de procureur, avait pris la parole.
— Monsieur de Mayneville, avait-il dit, vous venez de la part du duc Henri de Guise? — Merci. — Et nous vous acceptons comme ambassadeur; mais la présence du duc lui-même nous est indispensable. Après la mort de son glorieux père, à l'âge de dix-huit ans, il a fait adopter à tous les bons Français le projet de l'Union et nous a enrôlés tous sous cette bannière. Selon notre serment, nous avons exposé nos personnes et sacrifié notre fortune pour le triomphe de cette sainte cause; et voilà que, malgré nos sacrifices, rien ne progresse, rien ne se décide. Prenez garde, monsieur de Mayneville, les Parisiens se lasseront; or, Paris une fois las, que fera-t-on en France? M. le duc devrait y songer.
Cet exorde obtint l'assentiment de tous les ligueurs, et Nicolas Poulain surtout se distingua par son zèle à l'applaudir.
M. de Mayneville répondit avec simplicité.
— Messieurs, si rien ne se décide, c'est que rien n'est mûr encore. Examinez la situation, je vous prie. M. le duc et son frère, M. le cardinal, sont à Nancy en observation: l'un met sur pied une armée destinée à contenir les huguenots de Flandre, que M. le duc d'Anjou veut jeter sur nous pour nous occuper; l'autre expédie courrier sur courrier à tout le clergé de France, et au pape, pour faire adopter l'Union. M. le duc de Guise sait ce que vous ne savez pas, messieurs, c'est que cette vieille alliance, mal rompue entre le duc d'Anjou et le Béarnais, est prête à se renouer. Il s'agit d'occuper l'Espagne du côté de la Navarre, et de l'empêcher de nous envoyer des armes et de l'argent. Or, M. le duc veut être, avant de rien faire et surtout avant de venir à Paris, en état de combattre l'hérésie et l'usurpation. Mais, à défaut de M. de Guise, nous avons M. de Mayenne qui se multiplie comme général et comme conseiller, et que j'attends d'un moment à l'autre.
— C'est-à-dire, interrompit Bussy, et ce fut à ce moment qu'il haussa les épaules, c'est-à-dire que vos princes sont partout où nous ne sommes pas, et jamais où nous avons besoin qu'ils soient. Que fait madame de Montpensier, par exemple?
— Monsieur, madame de Montpensier est entrée ce matin à Paris.
— Et personne ne l'a vue?
— Si fait, monsieur.
— Et quelle est cette personne?
— Salcède.
— Oh! oh! fit toute l'assemblée.
— Mais, dit Crucé, elle s'est donc rendue invisible?
— Pas tout à fait, mais insaisissable, je l'espère.
— Et comment sait-on qu'elle est ici? demanda Nicolas Poulain; je ne présume pas que ce soit Salcède qui vous l'ait dit.
— Je sais qu'elle est ici, répondit Mayneville, parce que je l'ai accompagnée jusqu'à la porte Saint-Antoine.
— J'ai entendu dire qu'on avait fermé les portes, interrompit Marteau qui convoitait l'occasion de placer un second discours.
— Oui, monsieur, répondit Mayneville avec son éternelle politesse dont aucune attaque ne pouvait le faire sortir.
— Comment se les est-elle fait ouvrir alors?
— A sa façon.
— Et elle a le pouvoir de se faire ouvrir les portes de Paris? dirent les ligueurs, jaloux et soupçonneux comme sont toujours les petits lorsqu'ils s'allient aux grands.
— Messieurs, dit Mayneville, il se passait ce matin aux portes de Paris une chose que vous paraissez ignorer ou du moins ne savoir que vaguement. La consigne avait été donnée de ne laisser franchir la barrière qu'à ceux qui seraient porteurs d'une carte d'admission: de qui devait être signée cette carte? je l'ignore. Or, devant nous, à la porte Saint-Antoine, cinq ou six hommes dont quatre assez pauvrement vêtus et d'assez mauvaise mine, six hommes sont venus; ils étaient porteurs de ces cartes obligées et nous ont passé devant la face. Quelques-uns d'entre eux avaient l'insolente bouffonnerie des gens qui se croient en pays conquis. — Quels sont ces hommes, quelles sont ces cartes? répondez-nous, messieurs de Paris, vous qui avez charge de ne rien ignorer touchant les affaires de votre ville.
Ainsi, Mayneville, d'accusé, s'était fait accusateur, ce qui est le grand art de l'art oratoire.
— Des cartes, des gens insolents, des admissions exceptionnelles aux portes de Paris; oh! oh! que veut dire cela? demanda Nicolas Poulain tout rêveur.
— Si vous ne savez pas ces choses, vous qui vivez ici, comment les saurions-nous, nous qui vivons en Lorraine, passant tout notre temps à courir sur les routes pour joindre les deux bouts de ce cercle qu'on appelle l'Union?
— Et ces gens, enfin, comment venaient-ils?
— Les uns à pied, les autres à cheval; les uns seuls, d'autres avec des laquais.