Kitabı oku: «La fille du capitaine», sayfa 8

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XII
L'ORPHELINE

La kibitka s'arrêta devant le perron de la maison du commandant. Les habitants avaient reconnu la clochette de Pougatcheff et étaient accourus en foule. Chvabrine vint à la rencontre de l'usurpateur; il était vêtu en Cosaque et avait laissé croître sa barbe. Le traître aida Pougatcheff à sortir de voiture, en exprimant par des paroles obséquieuses son zèle et sa joie. À ma vue il se troubla; mais se remettant bientôt: «Tu es avec nous? dit-il; ce devrait être depuis longtemps».

Je détournai la tête sans lui répondre.

Mon coeur se serra quand nous entrâmes dans la petite chambre que je connaissais si bien, où se voyait encore, contre le mur, le diplôme du défunt commandant, comme une triste épitaphe. Pougatcheff s'assit sur ce même sofa où maintes fois Ivan Kouzmitch s'était assoupi au bruit des gronderies de sa femme. Chvabrine apporta lui-même de l'eau-de-vie à son chef. Pougatcheff en but un verre, et lui dit en me désignant: «Offres-en un autre à Sa Seigneurie».

Chvabrine s'approcha de moi avec son plateau; je me détournai pour la seconde fois. Il me semblait hors de lui-même. Avec sa finesse ordinaire, il avait deviné sans doute que Pougatcheff n'était pas content de lui. Il le regardait avec frayeur et moi avec méfiance. Pougatcheff lui fit quelques questions sur l'état de la forteresse, sur ce qu'on disait des troupes de l'impératrice et sur d'autres sujets pareils. Puis, tout à coup, et d'une manière inattendue:

«Dis-moi, mon frère, demanda-t-il, quelle est cette jeune fille que tu tiens sous ta garde? Montre-la-moi.»

Chvabrine devint pâle comme la mort. «Tsar, dit-il d'une voix tremblante, tsar… elle n'est pas sous ma garde, elle est au lit dans sa chambre.

–Mène-moi chez elle», dit l'usurpateur en se levant.

Il était impossible d'hésiter. Chvabrine conduisit Pougatcheff dans la chambre de Marie Ivanovna. Je les suivis.

Chvabrine s'arrêta dans l'escalier: «Tsar, dit-il, vous pouvez exiger de moi ce qu'il vous plaira; mais ne permettez pas qu'un étranger entre dans la chambre de ma femme.

–Tu es marié! m'écriai-je, prêt à le déchirer.

–Silence! interrompit Pougatcheff, c'est mon affaire. Et toi, continua-t-il en se tournant vers Chvabrine, ne fais pas l'important. Qu'elle soit ta femme ou non, j'amène qui je veux chez elle. Votre Seigneurie, suis-moi.»

À la porte de la chambre Chvabrine s'arrêta de nouveau et dit d'une voix entrecoupée: «Tsar, je vous préviens qu'elle a la fièvre, et depuis trois jours elle ne cesse de délirer.

–Ouvre!» dit Pougatcheff.

Chvabrine se mit à fouiller dans ses poches et finit par dire qu'il avait oublié la clef. Pougatcheff poussa la porte du pied; la serrure céda, la porte s'ouvrit et nous entrâmes.

Je jetai un rapide coup d'oeil dans la chambre et faillis m'évanouir. Sur le plancher et dans un grossier vêtement de paysanne, Marie était assise, pâle, maigre, les cheveux épars. Devant elle se trouvait une cruche d'eau recouverte d'un morceau de pain. À ma vue elle frémit et poussa un cri perçant. Je ne saurais dire ce que j'éprouvai.

Pougatcheff regarda Chvabrine de travers, et lui dit avec un amer sourire: «Ton hôpital est en ordre!»

Puis, s'approchant de Marie: «Dis-moi, ma petite colombe, pourquoi ton mari te punit-il ainsi?

–Mon mari! reprit-elle; il n'est pas mon mari; jamais je ne serai sa femme. Je suis résolue à mourir plutôt, et je mourrai si l'on ne me délivre pas.»

Pougatcheff lança un regard furieux sur Chvabrine: «Tu as osé me tromper, s'écria-t-il; sais-tu, coquin, ce que tu mérites?»

Chvabrine tomba à genoux.

Alors le mépris étouffa en moi tout sentiment de haine et de vengeance. Je regardai avec dégoût un gentilhomme se traîner aux pieds d'un déserteur cosaque. Pougatcheff se laissa fléchir.

«Je te pardonne pour cette fois, dit-il à Chvabrine; mais sache bien qu'à ta première faute je me rappellerai celle-là.»

Puis, s'adressant à Marie, il lui dit avec douceur: «Sors, jolie fille, je suis le tsar».

Marie Ivanovna lui jeta un coup d'oeil rapide, et devina que c'était l'assassin de ses parents qu'elle avait devant les yeux. Elle se cacha le visage des deux mains, et tomba sans connaissance. Je me précipitais pour la secourir, lorsque ma vieille connaissance Palachka entra fort hardiment dans la chambre et s'empressa autour de sa maîtresse. Pougatcheff sortit, et nous descendîmes tous trois dans la pièce de réception.

«Eh! Votre Seigneurie, me dit Pougatcheff en riant, nous avons délivré la jolie fille; qu'en dis-tu? ne faudrait-il pas envoyer chercher le pope, et lui faire marier sa nièce. Si tu veux, je serai ton père assis, Chvabrine le garçon de noce, puis nous nous mettrons à boire, et nous fermerons les portes…»

Ce que je redoutais arriva. Dès qu'il entendit la proposition de Pougatcheff, Chvabrine perdit la tête.

«Tsar, dit-il en fureur, je suis coupable, je vous ai menti; mais Grineff aussi vous trompe. Cette jeune fille n'est pas la nièce du pope: elle est la fille d'Ivan Mironoff, qui a été supplicié à la prise de cette forteresse.»

Pougatcheff darda sur moi ses yeux flamboyants.

«Qu'est-ce que cela veut dire? s'écria-t-il avec la surprise de l'indignation.

–Chvabrine t'a dit vrai, répondis-je avec fermeté.

–Tu ne m'avais pas dit cela! reprit Pougatcheff dont le visage s'assombrit tout à coup.

–Mais sois-en le juge, lui répondis-je; pouvais-je déclarer devant tes gens qu'elle était la fille de Mironoff? Ils l'eussent déchirée à belles dents; rien n'aurait pu la sauver.

–Tu as pourtant raison, dit Pougatcheff, mes ivrognes n'auraient pas épargné cette pauvre fille; ma commère la femme du pope a bien fait de les tromper.

–Écoute, continuai-je en voyant sa bonne disposition; je ne sais comment t'appeler, et ne veux pas le savoir. Mais Dieu voit que je serais prêt à te payer de ma vie ce que tu as fait pour moi. Seulement, ne me demande rien qui soit contraire à mon honneur et à ma conscience de chrétien. Tu es mon bienfaiteur; finis comme tu as commencé. Laisse-moi aller avec la pauvre orpheline là où Dieu nous amènera. Et nous, quoi qu'il t'arrive, et où que tu sois, nous prierons Dieu chaque jour pour qu'il veille au salut de ton âme…»

Je parus avoir touché le coeur farouche de Pougatcheff.

«Qu'il soit fait comme tu le désires, dit-il; il faut punir jusqu'au bout, ou pardonner jusqu'au bout; c'est là ma coutume. Prends ta fiancée, emmène-la où tu veux, et que Dieu vous donne bonheur et raison.»

Il se tourna vers Chvabrine, et lui commanda de m'écrire un sauf-conduit pour toutes les barrières et forteresses soumises à son pouvoir. Chvabrine se tenait immobile et comme pétrifié. Pougatcheff alla faire l'inspection de la forteresse; Chvabrine le suivit, et moi je restai, prétextant les préparatifs de voyage.

Je courus à la chambre de Marie; la porte était fermée. Je frappai:

«Qui est là?» demanda Palachka.

Je me nommai. La douce voix de Marie se fit entendre derrière la porte.

«Attendez, Piôtr Andréitch, dit-elle, je change d'habillement. Allez chez Akoulina Pamphilovna; je m'y rends à l'instant même.»

J'obéis et gagnai la maison du père Garasim. Le pope et sa femme accoururent à ma rencontre. Savéliitch les avait déjà prévenus de tout ce qui s'était passé.

«Bonjour, Piôtr Andréitch, me dit la femme du pope. Voilà que Dieu a fait de telle sorte que nous nous revoyons encore. Comment allez-vous? Nous avons parlé de vous chaque jour. Et Marie Ivanovna, que n'a-t-elle pas souffert sans vous, ma petite colombe! Mais dites-moi, mon père, comment vous en êtes-vous tiré avec Pougatcheff? Comment ne vous a-t-il pas tué? Eh bien! pour cela merci au scélérat!

–Finis, vieille, interrompit le père Garasim! ne radote pas sur tout ce que tu sais; à trop parler, point de salut. Entrez, Piôtr Andréitch, et soyez le bienvenu. Il y a longtemps que nous ne nous sommes vus.»

La femme du pope me fit honneur de tout ce qu'elle avait sous la main, sans cesser un instant de parler. Elle me raconta comment Chvabrine les avait contraints à lui livrer Marie Ivanovna; comment la pauvre fille pleurait et ne voulait pas se séparer d'eux; comment elle avait eu avec eux des relations continuelles par l'entremise de Palachka, fille adroite et résolue, qui faisait, comme on dit, danser l'ouriadnik lui-même au son de son flageolet; comment elle avait conseillé à Marie Ivanovna de m'écrire une lettre, etc. De mon côté, je lui racontai en peu de mots mon histoire. Le pope et sa femme firent des signes de croix quand ils entendirent que Pougatcheff savait qu'ils l'avaient trompé.

«Que la puissance de la croix soit avec nous! disait Akoulina Pamphilovna; que Dieu détourne ce nuage! Bien, Alexéi Ivanitch! bien, fin renard!»

En ce moment, la porte s'ouvrit, et Marie Ivanovna parut, avec un sourire sur son pâle visage. Elle avait quitté son vêtement de paysanne, et venait habillée comme de coutume, avec simplicité et bienséance.

Je saisis sa main, et ne pus pendant longtemps prononcer une seule parole. Nous gardions tous deux le silence par plénitude de coeur. Nos hôtes sentirent que nous avions autre chose à faire qu'à causer avec eux; ils nous quittèrent. Nous restâmes seuls. Marie ose raconta tout ce qui lui était arrivé depuis la prise de la forteresse, me dépeignit toute l'horreur de sa situation, tous les tourments que lui avait fait souffrir l'infâme Chvabrine. Nous rappelâmes notre heureux passé, en versant tous deux des larmes. Enfin je pus lui communiquer mes projets. Il lui était impossible de demeurer dans une forteresse soumise à Pougatcheff et commandée par Chvabrine. Je ne pouvais pas non plus penser à me réfugier avec elle dans Orenbourg, qui souffrait en ce moment toutes les calamités d'un siège. Marie n'avait plus un seul parent dans le monde. Je lui proposai donc de se rendre à la maison de campagne de mes parents. Elle fut toute surprise d'une telle proposition. La mauvaise disposition qu'avait montrée mon père à son égard lui faisait peur. Je la tranquillisai. Je savais que mon père tiendrait à devoir et à honneur de recevoir chez lui la fille d'un vétéran mort pour sa patrie.

«Chère Marie, lui dis-je enfin, je te regarde comme ma femme. Ces événements étranges nous ont réunis irrévocablement. Rien au monde ne saurait plus nous séparer.»

Marie Ivanovna m'écoutait dans un silence digne, sans feinte timidité, sans minauderies déplacées. Elle sentait, aussi bien que moi, que sa destinée était irrévocablement liée à la mienne; mais elle répéta qu'elle ne serait ma femme que de l'aveu de mes parents. Je ne trouvai rien à répliquer. Mon projet devint notre commune résolution.

Une heure après, l'ouriadnik m'apporta mon sauf-conduit avec le griffonnage qui servait de signature à Pougatcheff, et m'annonça que le tsar m'attendait chez lui. Je le trouvai prêt à se mettre en route. Comment exprimer ce que je ressentais en présence de cet homme, terrible et cruel pour tous excepté pour moi seul? Et pourquoi ne pas dire l'entière vérité? Je sentais en ce moment une forte sympathie m'entraîner vers lui. Je désirais vivement l'arracher à la horde de bandits dont il était le chef et sauver sa tête avant qu'il fût trop tard. La présence de Chvabrine et la foule qui s'empressait autour de nous m'empêchèrent de lui exprimer tous les sentiments dont mon coeur était plein.

Nous nous séparâmes en amis. Pougatcheff aperçut dans la foule Akoulina Pamphilovna, et la menaça amicalement du doigt en clignant de l'oeil d'une manière significative. Puis il s'assit dans sa kibitka, en donnant l'ordre de retourner à Berd, et lorsque les chevaux prirent leur élan, il se pencha hors de la voiture et me cria:

«Adieu, Votre Seigneurie; peut-être que nous nous reverrons encore.»

En effet, nous nous sommes revus une autre fois; mais dans quelles circonstances!

Pougatcheff partit. Je regardai longtemps la steppe sur laquelle glissait rapidement sa kibitka. La foule se dissipa, Chvabrine disparut. Je regagnai la maison du pope, où tout se préparait pour notre départ. Notre petit bagage avait été mis dans le vieil équipage du commandant. En un instant les chevaux furent attelés. Marie alla dire un dernier adieu au tombeau de ses parents, enterrés derrière l'église. Je voulais l'y conduire; mais elle me pria de la laisser aller seule, et revint bientôt après en versant des larmes silencieuses. Le père Garasim et sa femme sortirent sur le perron pour nous reconduire. Nous nous rangeâmes à trois dans l'intérieur de la kibitka, Marie, Palachka et moi, et Savéliitch se jucha de nouveau sur le devant.

«Adieu, Marie Ivanovna, notre chère colombe; adieu, Piôtr Andréitch, notre beau faucon, nous disait la bonne femme du pope; bon voyage, et que Dieu vous comble tous de bonheur!»

Nous partîmes. Derrière la fenêtre du commandant, j'aperçus Chvabrine qui se tenait debout, et dont la figure respirait une sombre haine. Je ne voulus pas triompher lâchement d'un ennemi humilié, et détournai les yeux.

Enfin, nous franchîmes la barrière principale, et quittâmes pour toujours la forteresse de Bélogorsk.

XIII
L'ARRESTATION

Réuni d'une façon si merveilleuse à la jeune fille qui me causait le matin même tant d'inquiétude douloureuse, je ne pouvais croire à mon bonheur, et je m'imaginais que tout ce qui m'était arrivé n'était qu'un songe. Marie regardait d'un air pensif, tantôt moi, tantôt la route, et ne semblait pas, elle non plus, avoir repris tous ses sens. Nous gardions le silence; nos coeurs étaient trop fatigués d'émotions. Au bout de deux heures, nous étions déjà rendus dans la forteresse voisine, qui appartenait aussi à Pougatcheff. Nous y changeâmes de chevaux. À voir la célérité qu'on mettait à nous servir et le zèle empressé du Cosaque barbu dont Pougatcheff avait fait le commandant, je m'aperçus que grâce au babil du postillon qui nous avait amenés, on me prenait pour un favori du maître.

Quand nous nous remîmes en route, il commençait à faire sombre. Nous nous approchâmes d'une petite ville où, d'après le commandant barbu, devait se trouver un fort détachement qui était en marche pour se réunir à l'usurpateur. Les sentinelles nous arrêtèrent, et au cri de: «Qui vive?» notre postillon répondit à haute voix:

«Le compère du tsar, qui voyage avec sa bourgeoise.»

Aussitôt un détachement de hussards russes nous entoura avec d'affreux jurements.

«Sors, compère du diable, me dit un maréchal des logis aux épaisses moustaches. Nous allons te mener au bain, toi et ta bourgeoise.»

Je sortis de la kibitka et demandai qu'on me conduisît devant l'autorité. En voyant un officier, les soldats cessèrent leurs imprécations, et le maréchal des logis me conduisit chez le major. Savéliitch me suivait en grommelant:

«En voilà un, de compère du tsar! nous tombons du feu dans la flamme. Ô Seigneur Dieu, comment cela finira-t-il?»

La kibitka venait au pas derrière nous.

En cinq minutes, nous arrivâmes à une maisonnette très éclairée. Le maréchal des logis me laissa sous bonne garde, et entra pour annoncer sa capture. Il revint à l'instant même et me déclara que Sa Haute Seigneurie60 n'avait pas le temps de me recevoir, qu'elle lui avait donné l'ordre de me conduire en prison et de lui amener ma bourgeoise.

«Qu'est-ce que cela veut dire? m'écriai-je furieux; est-il devenu fou?

–Je ne puis le savoir, Votre Seigneurie, répondit le maréchal des logis; seulement Sa Haute Seigneurie a ordonné de conduire Votre Seigneurie en prison, et d'amener Sa Seigneurie à Sa Haute Seigneurie, Votre Seigneurie.»

Je m'élançai sur le perron! les sentinelles n'eurent pas le temps de me retenir, et j'entrai tout droit dans la chambre où six officiers de hussards jouaient au pharaon. Le major tenait la banque. Quelle fut ma surprise, lorsqu'après l'avoir un moment envisagé je reconnus en lui cet Ivan Ivanovitch Zourine qui m'avait si bien dévalisé dans l'hôtellerie de Simbisrk!

«Est-ce possible! m'écriai-je; Ivan Ivanovitch, est-ce toi?

–Ah bah! Piôtr Andréitch! Par quel hasard? D'où viens-tu? Bonjour, frère; ne veux-tu pas ponter une carte?

–Merci; fais-moi plutôt donner un logement.

–Quel logement te faut-il? Reste chez moi.

–Je ne le puis, je ne suis pas seul.

–Eh bien, amène aussi ton camarade.

–Je ne suis pas avec un camarade; je suis… avec une dame.

–Avec une dame! où l'as-tu pêchée, frère?»

Après avoir dit ces mots, Zourine siffla d'un ton si railleur que tous les autres se mirent à rire, et je demeurai tout confus.

«Eh bien, continua Zourine, il n'y a rien à faire; je te donnerai un logement. Mais c'est dommage; nous aurions fait nos bamboches comme l'autre fois. Holà! garçon, pourquoi n'amène-t-on pas la commère de Pougatcheff? Est-ce qu'elle ferait l'obstinée? Dis-lui qu'elle n'a rien à craindre, que le monsieur qui l'appelle est très bon, qu'il ne l'offensera d'aucune manière, et en même temps pousse-la ferme par les épaules.

–Que fais-tu là? dis-je à Zourine; de quelle commère de Pougatcheff parles-tu? c'est la fille du défunt capitaine Mironoff. Je l'ai délivrée de sa captivité et je l'emmène maintenant à la maison de mon père, où je la laisserai.

–Comment! c'est donc toi qu'on est venu m'annoncer tout à l'heure? Au nom du ciel, qu'est-ce que cela veut dire?

–Je te raconterai tout cela plus tard. Mais à présent, je t'en supplie, rassure la pauvre fille, que les hussards ont horriblement effrayée.»

Zourine fit à l'instant toutes ses dispositions. Il sortit lui-même dans la rue pour s'excuser auprès de Marie du malentendu involontaire qu'il avait commis, et donna l'ordre au maréchal des logis de la conduire au meilleur logement de la ville. Je restai à coucher chez lui.

Nous soupâmes ensemble, et dès que je me trouvai seul avec Zourine, je lui racontai toutes mes aventures. Il m'écouta avec une grande attention, et quand j'eus fini, hochant de la tête:

«Tout cela est bien, frère, me dit-il; mais il y a une chose qui n'est pas bien. Pourquoi diable veux-tu te marier? En honnête officier, en bon camarade, je ne voudrais pas te tromper. Crois-moi, je t'en conjure: le mariage n'est qu'une folie. Est-ce bien à toi de t'embarrasser d'une femme et de bercer des marmots? Crache là-dessus. Écoute-moi, sépare-toi de la fille du capitaine. J'ai nettoyé et rendu sûre la route de Simbirsk; envoie-la demain à tes parents, et toi, reste dans mon détachement. Tu n'as que faire de retourner à Orenbourg. Si tu tombes derechef dans les mains des rebelles, il ne te sera pas facile de t'en dépêtrer encore une fois. De cette façon, ton amoureuse folie se guérira d'elle-même, et tout se passera pour le mieux.»

Quoique je ne fusse pas pleinement de son avis, cependant je sentais que le devoir et l'honneur exigeaient ma présence dans l'armée de l'impératrice; je me décidai donc à suivre en cela le conseil de Zourine, c'est-à-dire à envoyer Marie chez mes parents, et à rester dans sa troupe.

Savéliitch se présenta pour me déshabiller. Je lui annonçai qu'il eût à se tenir prêt à partir le lendemain avec Marie Ivanovna. Il commença par faire le récalcitrant.

«Que dis-tu là, seigneur? Comment veux-tu que je te laisse? qui te servira, et que diront tes parents?»

Connaissant l'obstination de mon menin, je résolus de le fléchir par ma sincérité et mes caresses.

«Mon ami Arkhip Savéliitch, lui dis-je, ne me refuse pas, sois mon bienfaiteur. Ici je n'ai nul besoin de domestique, et je ne serais pas tranquille si Marie Ivanovna se mettait en route sans toi. En la servant, tu me sers moi-même, car je suis fermement décidé à l'épouser dès que les circonstances me le permettront.»

Savéliitch croisa les mains avec un air de surprise et de stupéfaction inexprimable.

«Se marier! répétait-il, l'enfant veut se marier! Mais que dira ton père? et ta mère, que pensera-t-elle?

–Ils consentiront sans nul doute, répondis-je, dès qu'ils connaîtront Marie Ivanovna. Je compte sur toi-même. Mon père et ma mère ont en toi pleine confiance. Tu intercéderas pour nous, n'est-ce pas?»

Le vieillard fut touché.

«Ô mon père Piôtr Andréitch, me répondit-il, quoique tu veuilles te marier trop tôt, Marie Ivanovna est une si bonne demoiselle, que ce serait pécher que de laisser passer une occasion pareille. Je ferai ce que tu désires. Je la reconduirai, cet ange de Dieu, et je dirai en toute soumission à tes parents qu'une telle fiancée n'a pas besoin de dot.»

Je remerciai Savéliitch, et allai partager la chambre de Zourine. Dans mon agitation, je me remis à babiller. D'abord Zourine m'écouta volontiers; puis ses paroles devinrent plus rares et plus vagues, puis enfin il répondit à l'une de mes questions par un ronflement aigu, et j'imitai son exemple.

Le lendemain, quand je communiquai mes plans à Marie, elle en reconnut la justesse, et consentit à leur exécution. Comme le détachement de Zourine devait quitter la ville le même jour, et qu'il n'y avait plus d'hésitation possible, je me séparai de Marie après l'avoir confiée à Savéliitch, et lui avoir donné une lettre pour mes parents. Marie Ivanovna me dit adieu tout éplorée; je ne pus rien lui répondre, ne voulant pas m'abandonner aux sentiments de mon âme devant les gens qui m'entouraient. Je revins chez Zourine, silencieux et pensif, il voulut m'égayer, j'espérais me distraire; nous passâmes bruyamment la journée, et le lendemain nous nous mîmes en marche.

C'était vers la fin du mois de février. L'hiver, qui avait rendu les manoeuvres difficiles, touchait à son terme, et nos généraux s'apprêtaient à une campagne combinée. Pougatcheff avait rassemblé ses troupes et se trouvait encore sous Orenbourg. À l'approche de nos forces, les villages révoltés rentraient dans le devoir. Bientôt le prince Galitzine remporta une victoire complète sur Pougatcheff, qui s'était aventuré près de la forteresse de Talitcheff: le vainqueur débloqua Orenbourg, et il semblait avoir porté le coup de grâce à la rébellion. Sur ces entrefaites, Zourine avait été détaché contre des Bachkirs révoltés, qui se dispersèrent avant que nous eussions pu les apercevoir. Le printemps, qui fit déborder les rivières et coupa ainsi les routes, nous surprit dans un petit village tatar, où nous nous consolions de notre inaction par l'idée que cette petite guerre d'escarmouches avec des brigands allait bientôt se terminer.

Mais Pougatcheff n'avait pas été pris: il reparut bientôt dans les forges de la Sibérie61. Il rassembla de nouvelles bandes et recommença ses brigandages. Nous apprîmes bientôt la destruction des forteresses de Sibérie, puis la prise de Khasan, puis la marche audacieuse de l'usurpateur sur Moscou. Zourine reçut l'ordre de passer la Volga.

Je ne m'arrêterai pas au récit des événements de la guerre. Seulement je dirai que les calamités furent portées au comble. Les gentilshommes se cachaient dans les bois; l'autorité n'avait plus de force nulle part; les chefs des détachements isolés punissaient ou faisaient grâce sans rendre compte de leur conduite. Tout ce vaste et beau pays était mis à feu et à sang. Que Dieu ne nous fasse plus voir une révolte aussi insensée et aussi impitoyable!

Enfin Pougatcheff fut battu par Michelson et contraint à fuir de nouveau. Zourine reçut, bientôt après, la nouvelle de la prise du bandit et l'ordre de s'arrêter. La guerre était finie. Il m'était donc enfin possible de retourner chez mes parents. L'idée de les embrasser et de revoir Marie, dont je n'avais aucune nouvelle, me remplissait de joie. Je sautais comme un enfant. Zourine riait et me disait en haussant les épaules: «Attends, attends que tu sois marié; tu verras que tout ira au diable».

Et cependant, je dois en convenir, un sentiment étrange empoisonnait ma joie. Le souvenir de cet homme couvert du sang de tant de victimes innocentes et l'idée du supplice qui l'attendait ne me laissaient pas de repos. «Iéméla62, Iéméla, me disais-je avec dépit, pourquoi ne t'es-tu pas jeté sur les baïonnettes ou offert aux coups de la mitraille? C'est ce que tu avais de mieux à faire63

Cependant Zourine me donna un congé. Quelques jours plus tard, j'allais me trouver au milieu de ma famille, lorsqu'un coup de tonnerre imprévu vint me frapper.

Le jour de mon départ, au moment où j'allais me mettre en route, Zourine entra dans ma chambre, tenant un papier à la main et d'un air soucieux. Je sentis une piqûre au coeur; j'eus peur sans savoir de quoi. Le major fit sortir mon domestique et m'annonça qu'il avait à me parler.

«Qu'y a-t-il? demandai-je avec inquiétude.

–Un petit désagrément, répondit-il en me tendant son papier. Lis ce que je viens de recevoir.»

C'était un ordre secret adressé à tous les chefs de détachements d'avoir à m'arrêter partout où je me trouverais, et de m'envoyer sous bonne garde à Khasan devant la commission d'enquête créée pour instruire contre Pougatcheff et ses complices. Le papier me tomba des mains.

«Allons, dit Zourine, mon devoir est d'exécuter l'ordre. Probablement que le bruit de tes voyages faits dans l'intimité de Pougatcheff est parvenu jusqu'à l'autorité. J'espère bien que l'affaire n'aura pas de mauvaises suites, et que tu te justifieras devant la commission. Ne te laisse point abattre et pars à l'instant.»

Ma conscience était tranquille; mais l'idée que notre réunion était reculée pour quelques mois encore me serrait le coeur. Après avoir reçu les adieux affectueux de Zourine, je montai dans ma téléga64, deux hussards s'assirent à mes côtés, le sabre nu, et nous prîmes la route de Khasan.

60.Titre d'un officier supérieur.
61.Nom général des établissements métallurgiques de l'Oural.
62.Diminutif de Iéméliane.
63.Après s'être avancé jusqu'aux portes de Moscou, qu'il aurait peut-être enlevé si son audace n'eût faibli au dernier moment, Pougatcheff, battu, avait été livré par ses compagnons pour cent mille roubles. Enfermé dans une cage de fer et conduit à Moscou, il fut exécuté en 1775.
64.Petit chariot d'été.

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Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
16 mayıs 2017
Hacim:
150 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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