Kitabı oku: «A se tordre», sayfa 6
LA JEUNE FILLE ET LE VIEUX COCHON
Il y avait une fois une jeune fille d’une grande beauté qui était amoureuse d’un cochon.
Éperdument !
Non pas un de ces petits cochons jolis, roses, espiègles, de ces petits cochons qui fournissent au commerce de si exquis jambonneaux.
Non.
Mais un vieux cochon, dépenaillé, ayant perdu toutes ses soies, un cochon dont le charcutier le plus dévoyé de la contrée n’aurait pas donné un sou.
Un sale cochon, quoi !
Et elle l’aimait… fallait voir !
Pour un empire, elle n’aurait pas voulu laisser aux servantes le soin de lui préparer sa nourriture.
Et c’était vraiment charmant de la voir, cette jeune fille d’une grande beauté, mélangeant les bonnes pelures de pommes de terre, le bon son, les bonnes épluchures, les bonnes croûtes de pain.
Elle retroussait ses manches et, de ses bras (qu’elle avait fort jolis), brassait le tout dans de la bonne eau de vaisselle.
Quand elle arrivait dans la cour avec son seau, le vieux cochon se levait sur son fumier et arrivait trottinant de ses vieilles pattes, et poussant des grognements de satisfaction.
Il plongeait sa tête dans sa pitance et s’en fourrait jusque dans les oreilles.
Et la jeune fille d’une grande beauté se sentait pénétrée de bonheur à le voir si content.
Et puis, quand il était bien repu, il s’en retournait sur son fumier, sans jeter à sa bienfaitrice le moindre regard de ses petits yeux miteux.
Sale cochon, va !
Des grosses mouches vertes s’abattaient, bourdonnantes, sur ses oreilles, et faisaient ripaille à leur tour, au beau soleil.
La jeune fille, toute triste, rentrait dans le cottage de son papa avec son seau vide et des larmes plein ses yeux (qu’elle avait fort jolis).
Et le lendemain, toujours la même chose.
Or, un jour arriva que c’était la fête du cochon.
Comment s’appelait le cochon, je ne m’en souviens plus, mais c’était sa fête tout de même.
Toute la semaine, la jeune fille d’une grande beauté s’était creusé la tête (qu’elle avait fort jolie), se demandant quel beau cadeau, et bien agréable, elle pourrait offrir, ce jour-là, à son vieux cochon.
Elle n’avait rien trouvé.
Alors, elle se dit simplement : « Je lui donnerai des fleurs. »
Et elle descendit dans le jardin, qu’elle dégarnit de ses plus belles plantes.
Elle en mit des brassées dans son tablier, un joli tablier de soie prune, avec des petites poches si gentilles, et elle les apporta au vieux cochon.
Et voilà-t-il pas que ce vieux cochon-là fut furieux et grogna comme un sourd.
Qu’est-ce que ça lui fichait, à lui, les roses, les lis et les géraniums !
Les roses, ça le piquait.
Les lis, ça lui mettait du jaune plein le groin.
Et les géraniums, ça lui fichait mal à la tête.
Il y avait aussi des clématites.
Les clématites, il les mangea toutes, comme un goinfre.
Pour peu que vous ayez un peu étudié les applications de la botanique à l’alimentation, vous devez bien savoir que si la clématite est insalubre à l’homme, elle est néfaste au cochon.
La jeune fille d’une grande beauté l’ignorait.
Et pourtant c’était une jeune fille instruite. Même, elle avait son brevet supérieur.
Et la clématite qu’elle avait offerte à son cochon appartenait précisément à l’espèce terrible clematis cochonicida.
Le vieux cochon en mourut, après une agonie terrible.
On l’enterra dans un champ de colza.
Et la jeune fille se poignarda sur sa tombe.
SANCTA SIMPLICITAS
Il y a, dans le monde, des gens compliqués et des gens simples.
Les gens compliqués sont ceux qui ne sauraient remuer le petit doigt sans avoir l’air de mettre en branle les rouages les plus mystérieux. L’existence de certaines gens compliqués semble un long tissu de ressorts à boudin et de contrepoids.
Voilà ce que c’est que les gens compliqués.
Les gens simples, au contraire, sont des gens qui disent oui quand il faut dire oui, non quand il faut dire non, qui ouvrent leur parapluie quand il pleut (et qu’ils ont un parapluie), et qui le referment dès que la pluie a cessé de choir. Les gens simples vont tout droit leur chemin, à moins qu’il n’y ait une barricade qui les contraigne à faire un détour.
Voilà ce que c’est que les gens simples.
Parmi les gens les plus simples que j’aie connus, il en est trois dont l’un entra en relation avec les deux autres dans des conditions de simplicité telles que je vous demande la permission de vous conter cette histoire, si vous avez une minute.
Le premier de ces gens simples est un jeune gentilhomme, fort joli garçon et riche, qui s’appelle Louis de Saint-Baptiste.
Les deux autres se composent de M. Balizard, important métallurgiste dans la Haute-Marne, et de Mme Balizard, jeune femme pas jolie, si vous voulez, mais irrésistible pour ceux qui aiment ce genre-là.
Un soir, Mme Balizard demanda simplement à son mari :
– Est-ce que nous n’irons pas bientôt à Paris voir l’Exposition ?
– Impossible, répondit simplement le métallurgiste ; j’ai de très gros intérêts en jeu, et je serais plus fourneau que tous mes hauts fourneaux réunis, si je quittais mon usine en ce moment.
Bien, répliqua simplement Mme Balizard, nous attendrons. Mais, qui t’empêche d’y aller seule, si tu en as envie ?
– Bien, mon ami.
Et le lendemain même de cette conversation (la simplicité n’exclut pas la prestesse) Mme Balizard prenait l’express de Paris, très simplement.
Peu de jours après son arrivée, elle se trouvait au Cabaret roumain, très émue par la musique des Lautars (la simplicité n’exclut pas l’art), quand un grand, très joli garçon vint s’asseoir près d’elle.
C’était Louis de Saint-Baptiste.
Il la regarda avec une simplicité non démunie d’intérêt.
Elle le regarda dans les mêmes conditions.
Et il dit :
– Madame, vous avez exactement la physionomie et l’attitude que j’aime chez la femme. Je serais curieux de savoir si votre voix a le timbre que j’aime aussi. Dites-moi quelques mots, je vous prie.
– Volontiers, monsieur. De mon côté, je vous trouve très séduisant, avec votre air distingué, vos yeux bleus qui ont des regards de grand bébé, et vos cheveux blonds qui bouclent naturellement, et si fins.
– Je suis très content que nous nous plaisions. Dînons ensemble, voulez-vous ?
Ils dînèrent ensemble ce soir-là, et, le lendemain, ils déjeunèrent ensemble.
Le surlendemain, ce n’est pas seulement leur repas qu’ils prirent en commun.
Mais tout cela, si simplement ! Les meilleures choses prennent fin, ici-bas, et bientôt Mme Balizard dut regagner Saint-Dizier.
Pas seule.
Dieu avait béni son union passagère et coupable (socialement) avec M. de Saint-Baptiste. Ce dernier fut immédiatement informé dès que la chose fut certaine, et il en frémit tout de joie dans son cœur simple. Ce fut une petite fille. Un beau matin du mois suivant, Saint-Baptiste se dit simplement :
– Je vais aller chercher ma petite fille.
Et il prit l’express de Saint-Dizier.
– M. Balizard, s’il vous plaît ?
– C’est moi, monsieur.
– Moi, je suis M. Louis de Saint-Baptiste, et je viens prendre ma petite fille.
– Quelle petite fille ?
– La petite fille dont Mme Balizard est accouchée la semaine dernière.
– C’est votre fille ?
– Parfaitement.
– Tiens ! ça m’étonne que ma femme ne m’ait pas parlé de ça.
– Elle n’y aura peut-être pas songé.
– Probablement.
Et, d’une voix forte, M. Balizard cria :
– Marie !
(Marie, c’est le nom de Mme Balizard, un nom simple.) Marie arriva et, très simplement :
– Tiens, fit-elle, Louis ! Comment allez-vous ?
Mais M. Balizard, qui était un peu pressé, abrégea les effusions.
– Ma chère amie, M. de Saint-Baptiste affirme qu’il est le père de la petite.
– C’est parfaitement exact, mon ami, j’ai des raisons spéciales pour être fixée sur ce point.
– Alors il faut lui remettre l’enfant… Occupe-toi de ça. Je vous demande pardon de vous quitter aussi brusquement, mais une grosse affaire de fourniture de rails… À tout à l’heure, Marie… Serviteur, monsieur.
Bonjour, monsieur.
UNE BIEN BONNE
Notre cousin Rigouillard était ce qu’on appelle un drôle de corps, mais comme il avait une rondelette petite fortune, toute la famille lui faisait bonne mine, malgré sa manière excentrique de vivre.
Où l’avait-il ramassée, cette fortune, voilà ce qu’on aurait été bien embarrassé d’expliquer clairement.
Le cousin Rigouillard était parti du pays, très jeune, et il était revenu, un beau jour, avec des colis innombrables qui recelaient les objets les plus hétéroclites, autruches empaillées, pirogues canaques, porcelaines japonaises, etc.
Il avait acheté une maison avec un petit jardin, non loin de chez nous, et c’est là qu’il vieillissait tout doucement et tout gaiement, s’occupant à ranger ses innombrables collections et à faire mille plaisanteries à ses voisins et aux voisins des autres.
C’est surtout ce que lui reprochaient les gens graves du pays : un homme de cet âge-là s’amuser à d’aussi puériles facéties, est-ce raisonnable ?
Moi qui n’étais pas un gens grave à cette époque-là, j’adorais mon vieux cousin qui me semblait résumer toutes les joies modernes.
Le récit des blagues qu’il avait faites en son jeune temps me plongeait dans les délices les plus délirantes et, bien que je les connusse toutes à peu près par cœur, j’éprouvais un plaisir toujours plus vif à me les entendre conter et raconter.
– Et toi, me disait mon cousin, as-tu fait des blagues à tes pions, aujourd’hui ?
Hélas, si j’en faisais ! C’était une dominante préoccupation (J’en rougis encore), et une journée passée sans que j’eusse berné un pion ou un professeur me paraissait une journée perdue.
Un jour, à la classe d’histoire, le maître me demande le nom d’un fermier général. Je fais semblant de réfléchir profondément et je lui réponds avec une effroyable gravité
– Cincinnatus !
Toute la classe se tord dans des spasmes fous de gaieté sans borne. Seul, le professeur n’a pas compris. La lumière pourtant se fait dans son cerveau, à la longue. Il entre dans un accès d’indignation et me congédie illico, avec un stock de pensums capable d’abrutir le cerveau du gosse le mieux trempé.
Mon cousin Rigouillard, à qui je contai cette aventure le soir même, fut enchanté de ma conduite, et son approbation se manifesta par l’offrande immédiate d’une pièce de cinquante centimes toute neuve.
Rigouillard avait la passion des collections archéologiques, mais il éprouvait une violente aversion pour les archéologues, tout cela parce que sa candidature à la Société d’archéologie avait été repoussée à une énorme majorité.
On ne l’avait pas trouvé assez sérieux.
– L’archéologie est une belle science, me répétait souvent mon cousin, mais les archéologues sont de rudes moules.
Il réfléchissait quelques minutes et ajoutait en se frottant les mains :
– D’ailleurs, je leur en réserve une… une bonne… et bien bonne même !
Et je me demandai quelle bien bonne blague mon cousin pouvait réserver aux archéologues.
Quelques années plus tard, je reçus une lettre de ma famille. Mon cousin Rigouillard était bien malade et désirait me voir.
J’arrivai en grande hâte.
– Ah ! te voilà, petit, je te remercie d’être venu ; ferme la porte, car j’ai des choses graves à te dire.
Je poussai le verrou, et m’assis près du lit de mon cousin.
– Il n’y a que toi, continua-t-il, qui me comprenne, dans la famille ; aussi c’est toi que je vais charger d’exécuter mes dernières volontés… car je vais bientôt mourir.
– Mais non, mon cousin, mais non…
– Si, je sais ce que je dis, je vais mourir, mais en mourant je veux faire une blague aux archéologues, une bonne blague !
Et mon cousin frottait gaiement ses mains décharnées.
– Quand je serai claqué, tu mettras mon corps dans la grande armure chinoise qui est dans le vestibule en bas, celle qui te faisait si peur quand tu étais petit.
– Oui, mon cousin.
– Tu enfermeras le tout dans le cercueil en pierre qui se trouve dans le jardin, tu sais…, le cercueil gallo-romain !
– Oui, mon cousin.
– Et tu glisseras à mes côtés cette bourse en cuir qui contient ma collection de monnaies grecques : c’est comme ça que je veux être enterré.
– Oui, mon cousin.
– Dans cinq ou six cents ans, quand les archéologues du temps me déterreront, crois-tu qu’ils en feront une gueule, hein ! Un guerrier chinois avec des pièces grecques dans un cercueil gallo-romain ?
Et mon cousin, malgré la maladie, riait aux larmes, à l’idée de la gueule que feraient les archéologues, dans cinq cents ans.
– Je ne suis pas curieux, ajoutait-il, mais je voudrais bien lire le rapport que ces imbéciles rédigeront sur cette découverte.
Peu de jours après, mon cousin mourut.
Le lendemain de son enterrement, nous apprîmes que toute sa fortune était en viager.
Ce détail contribua à adoucir fortement les remords que j’ai de n’avoir pas glissé dans le cercueil en pierre la collection de monnaies grecques (la plupart en or).
Autant que ça me profite à moi, me suis-je dit, qu’à des archéologues pas encore nés.
TRUC CANAILLE
Durant l’année 187… ou 188… (le temps me manque pour déterminer exactement cette époque pénible) le Pactole inonda désespérément peu le modeste logement que j’occupais dans les parages du Luxembourg (le jardin, pas le grand-duché).
Ma famille (de bien braves gens, pourtant), vexée de ne pas me voir passer plus d’examens brillants (à la rigueur, elle se serait contentée d’examens ternes), m’avait coupé les vivres comme avec un rasoir.
Et je gémissais dans la nécessité, l’indigence et la pénurie.
Mes seules ressources (si l’on peut appeler ça des ressources) consistaient en chroniques complètement loufoques que j’écrivais pour une espèce de grand serin d’étudiant, lequel les signait de son nom dans le Hanneton de la rive gauche (organe disparu depuis).
Le grand serin me rémunérait à l’aide de bien petites sommes, mais je me vengeais délicieusement de son rapiatisme en couchant avec sa maîtresse, une fort jolie fille qu’il épousa par la suite.
C’était le bon temps.
On avait bon appétit, on trouvait tout succulent, et l’on était heureux comme des dieux quand, le soir, on avait réussi à dérober un pot de moutarde à Canivet, marchand de comestibles dont le magasin se trouvait un peu au-dessus du lycée Saint-Louis, près du Sherry-Gobbler.
La seule chose qui m’ennuyait un tantinet, c’était le terme.
Et ce qui m’ennuyait dans le terme, ce n’était pas de le payer (je ne le payais pas), c’était précisément de ne pas le payer. Comprenez-vous ?
Tous les soirs, au moment de rentrer, une angoisse me prenait à l’idée d’affronter les observations et surtout le regard de ma concierge.
Oh ! ce regard de concierge !
Dieu vous préserve à jamais d’une concierge qui vous regarderait comme la mienne me regardait !
La prunelle de cette chipie semblait un meeting de tous les mauvais regards de la création.
Il y avait, dans ce regard, de l’hyène, du tigre, du cochon, du cobra capello, de la sole frite et de la limace.
Sale bonne femme, va !
Elle était veuve, et rien ne m’ôtera de l’idée que son mari avait péri victime du regard.
Moi qui me trouvais beaucoup trop jeune alors pour trépasser de cette façon, ou plus généralement de toute autre façon, je ruminais mille projets de déménagement.
Quand je dis déménagement, je me flatte, car c’était une simple évasion que je rêvais, comme qui dirait une sortie à la cloche de bois.
À cette époque, j’avais le sens moral extrêmement peu développé.
Ayant appris à lire dans Proudhon, je n’ai jamais douté que la propriété ne fût le vol, et la pensée d’abandonner un immeuble, en négligeant de régler quelques termes échus, n’avait rien qui m’infligeât la torture du remords.
Mon propriétaire, d’ailleurs, excluait toute idée d’intérêt sympathique.
Ancien huissier, il avait édifié une grosse fortune sur les désastres et les ruines de ses contemporains.
Chaque étage de ses maisons représentait pour le moins une faillite, et j’étais bien certain que cet impitoyable individu avait autant de désespoirs d’homme sur la conscience que de livres de rente au grand-livre.
Le terme de juillet et celui d’octobre passèrent sans que j’offrisse la moindre somme à ma concierge.
Oh ! ces regards !
Je reçus quelques échantillons du style épistolaire de mon propriétaire, lequel m’indiquait le terme de janvier comme l’extrême limite de ses concessions.
C’est à ce moment que je conçus un projet qu’à l’heure actuelle je considère encore comme génial.
Au 1er janvier, j’envoyai à mon propriétaire une carte de visite ainsi libellée :
Alphonse Allais
FABRICANT D’ÉCRABOUILLITE
Le 8 janvier arriva et se passa, sous le rapport de mon versement, absolument comme s’étaient passés le 8 juillet et le 8 octobre précédents.
Le soir, regard de ma concierge (oh ! ce regard !…) et communication suivante :
– Ne sortez pas de trop bonne heure demain matin. Monsieur le propriétaire a quelque chose à vous dire.
Je ne sortis pas de trop bonne heure, et j’eus raison, car si jamais je me suis amusé dans ma vie, c’est bien ce matin-là.
Je tapissai mon logement d’étiquettes énormes :
“Défense expresse de fumer”
J’étalai sur une immense feuille de papier blanc environ une livre d’amidon, et j’attendis les circonstances.
Un gros pas qui monte l’escalier, c’est l’ancien recors.
Un coup de sonnette. J’ouvre.
Justement, il a un cigare à la bouche.
J’arrache le cigare et le jette dans l’escalier, en dissimulant, sous le masque de la terreur, une formidable envie de rire.
– Eh bien ! Qu’est-ce que vous faites ? s’écrie-t-il, effaré.
– Ce que je fais ?… Vous ne savez donc pas lire ?
Et je lui montre les “Défense expresse de fumer”.
– Pourquoi ça, défense de fumer ?
– Parce que, malheureux, si une parcelle de la cendre de votre cigare était tombée sur cette écrabouillite, nous sautions tous, vous, moi, votre maison, tout le quartier !
Mon propriétaire n’était pas, d’ordinaire, très coloré, mais à ce moment sa physionomie revêtit ce ton vert particulier qui tire un peu sur le violet sale.
Il balbutia, bégayant, bavant d’effroi :
– Et… vous… fabriquez… ça… chez… moi
– Dame ! répondis-je avec un flegme énorme : si vous voulez me payer une usine au sein d’une lande déserte…
– Voulez-vous vous dépêcher de f… le camp de chez moi !
– Pas avant de vous payer vos trois termes.
– Je vous en fais cadeau, mais, de grâce, f… le camp, vous et votre…
– Écrabouillite !… Auprès de mon écrabouillite, monsieur, la dynamite n’est pas plus dangereuse que la poudre à punaises.
– F… le camp ! … F… le camp !
Et je f… le camp.
ANESTHÉSIE
Nous faisions de la poésie, Anesthésie Anesthésie, etc.
(AIR CONNU.)
Le premier étage de cette somptueuse demeure était occupé par un dentiste originaire de Toulouse qui avait mis sur sa porte une plaque de cuivre avec ces mots : Surgeon dentist.
Dans leur ignorance de la langue anglaise, les bonnes de la maison avaient conclu que le Toulousain s’appelait Surgeon et disaient de lui, sans qu’une protestation discordante s’élevât jamais : « Un beau gars, hein, que M. Surgeon ! »
(Au cas où cette feuille tomberait sous les yeux d’une bonne de la maison, qu’elle sache que surgeon signifie chirurgien en anglais.) Les bonnes de la maison étaient, en cette occurrence, de fines connaisseuses, car M. Surgeon (conservons-lui cette appellation) constituait, à lui seul, un des plus jolis hommes de cette fin de siècle.
Imaginez-vous le buste de Lucius Verus, complété par le torse d’Hercule Farnèse – en plus moderne, bien entendu.
Le deuxième étage de la somptueuse demeure en question était occupé par M. Lecoq-Hue et sa jeune femme.
Pas très bien, M. Lecoq-Hue. Petiot, maigriot, roussot, le cheveu rare, l’œil chassieux ; non, décidément, M. Lecoq-Hue n’était pas très bien ! Et jaloux, avec ça, comme une jungle ! L’histoire de son mariage était des plus curieuses et l’on a écrit bien des romans pour moins que cela.
Très riche, il fit connaissance d’une jeune fille très belle, institutrice des enfants de sa belle-sœur. Il devint éperdument amoureux de la jolie personne, obtint sa main et en profita pour l’épouser.
L’institutrice ne lui pardonna jamais d’être si laid et si insuffisant. Bien avant l’hymen accompli, elle avait juré de se venger. Après l’hymen, elle renouvela son serment, plus farouche, cette fois, et mieux informé.
Il ne se passait pas de jour où M. Surgeon ne rencontrât dans l’escalier la délicieuse et superbe Mme Lecoq-Hue.
Chaque fois, il se disait :
– Mâtin !… voilà une femme avec laquelle on ne doit pas s’embêter !
Chaque fois, elle se disait :
– Mâtin !… voilà un homme avec lequel on ne doit pas s’embêter !
(Je ne garantis pas la teneur scrupuleuse de ce double propos, mais je puis en certifier l’esprit exact.)
Ils finirent par se saluer, et, peu de temps après, ils en arrivèrent à se demander des nouvelles de leur santé.
Et puis, peu à peu, ils parlèrent de choses et d’autres, mais furtivement, hélas ! et toujours dans l’escalier. Un jour, Surgeon, enhardi, osa risquer :
– Quel dommage, madame, que vous soyez pour moi une si mauvaise cliente !
Regret mêlé de madrigal, car, entre autres perfections, Mme Lecoq-Hue était douée d’une dentition à faire pâlir tous les râteliers de la côte d’Afrique.
Ce regret mêlé de madrigal dégagea dans l’esprit de Mme Lecoq-Hue la lueur soudaine de la bonne idée.
Le lendemain, avec cet air naturel qu’ont toutes les femmes qui se préparent à un mauvais coup (ou un bon) :
– Mon ami, dit-elle, je descends chez le dentiste.
– Quoi faire, ma chérie ?
– Mais… faire ce qu’on fait chez les dentistes, parbleu !
– Tu as donc mal aux dents ?
– J’en suis comme une folle.
– Mal d’amour.
– Idiot !
Et, sur ce mot de conciliation, elle descendit l’étage qui la séparait de M. Surgeon.
Mal aux dents…. elle ! Allons donc ! M. Lecoq-Hue sentit poindre en son cœur l’aiguillon du doute.
Lui aussi connaissait le beau Surgeon, le superbe Lucius Verus, l’inquiétant Hercule Farnèse du premier.
Non, mal aux dents, cela n’était pas naturel. Livide de jalousie, il sonna à son tour à la porte du chirurgien.
Ce fut M. Surgeon lui-même qui vint ouvrir.
– Vous désirez, monsieur ?
Trac ? honte ? crainte de s’être trompé ? On ne sait ; mais M. Lecoq-Hue balbutia :
– Je viens vous prier de m’arracher une dent.
– Parfaitement, monsieur, asseyez-vous ici, dans ce fauteuil. Ouvrez la bouche. Laquelle ?
– Celle-ci – Parfaitement… Sans douleur ou avec douleur ?
Et le terrible homme prononça avec, comme si ce simple mot eût comporté un h aspiré et un k, mais un de ces k qui ne pardonnent pas : H A V E C K !
– Sans douleur ! blêmit le mari.
Aussitôt les protoxydes d’azote, les chloroformes, les chlorures de méthyle s’abattirent sur l’organisme du malheureux, comme s’il en pleuvait.
Quelques instants plus tard, dans le cabinet voisin, comme la belle Mme Lecoq-Hue objectait faiblement :
– Voyons, relevez-vous, si mon mari…
– Ah ! votre mari ! s’écria Surgeon en éclatant de rire. Votre mari… vous ne pouvez pas vous faire une idée de ce qu’il dort !
Et, comme ils l’avaient bien prévu tous les deux, ils ne s’embêtèrent pas.