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Pour cause de fin de bail

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LE PETIT GARÇON ET L'ANGUILLE

Les imaginations exorbitantes des mélodramaturges les plus en délire, de même que les irrésistibles cocasseries de nos meilleurs vaudevillistes, tout cela n'est rien auprès de l'imprévu, de l'inouï que la vie, la vie toute nue, nous apporte quelquefois dans les plis de son fruste tablier.

Comme le dit fort bien M. Francisque Sarcey, chaque fois qu'il lui arrive un événement tant soit peu étrange: On mettrait ça dans les journaux, que personne ne le croirait.

….. Ce petit préambule est placé là pour préparer mon honorable clientèle au récit d'un fait que beaucoup de nos lecteurs et lectrices accueilleront avec un sourire d'incrédulité coupé de quelque haussement d'épaules (une interjection désobligeante, peut-être même, brochant sur le tout).

Je ne saurais en vouloir à ces sceptiques, vu le bizarre des circonstances, et j'avoue que moi-même, si je ne connaissais les gens à qui advint l'histoire, je me refuserais franchement à y apporter la moindre foi.

Vendredi dernier, vers dix heures et quart du matin (je tiens à préciser), la femme de mon jardinier dit à son petit garçon:

–Tiens, Julien, voilà cinq francs, tu vas aller à la poissonnerie me chercher une anguille… Il paraît qu'il y en a de superbes, aujourd'hui, à ce que vient de me dire la veuve Pointu… Une anguille dans les vingt sous, et tâche de ne pas te faire voler!

Fort intelligent, Julien, dès son plus tendre âge, fut habitué par sa mère à faire les mille petites commissions du modeste ménage.

Ajoutons que l'enfant s'en tirait à merveille, dirait Coppée dans un vers immortel.

Voilà donc mon bambin parti dans la direction de la poissonnerie, tout fier de la confiance qu'on lui témoigne, car c'est la première fois qu'il a mission d'acquérir une anguille.

Chemin faisant, il s'amuse avec sa pièce de cinq francs, la faisant sauteler dans sa main, la jetant en l'air et la rattrapant, non sans une certaine prestesse.

Malheureusement, à un moment, il manqua son coup: la pièce, après avoir roulé sur le quai, s'en vint choir dans l'eau du bassin dit du Nord, par sept ou huit mètres de fond.

Voyez-vous d'ici la détresse du pauvre petit bougre?

Comble de malheur: comme il se penchait, hébété, sur le parapet, contemplant l'endroit fatal de la disparition de son argent, un coup de vent lui enlève son béret!

Crac, voilà sa coiffure à l'eau!

Sauter dans un canot et godiller vers le béret fut, pour l'enfant, l'affaire d'une minute.

Il était temps: complètement humecté, l'objet était sur le point de sombrer à jamais.

Quelle ne fut point la stupeur de notre jeune ami en constatant qu'au fond du béret grouillait une anguille, une magnifique anguille qui pouvait bien peser—je n'exagère pas—dans les une livre et demie, une livre trois quarts.

Cette pêche aussi miraculeuse qu'inattendue consola légèrement Julien de sa mésaventure.

Mais voici où la chose se corse.

En écorchant l'anguille, en lui ouvrant l'estomac, que pensez-vous que trouva la femme de mon jardinier?

Une pièce de cinq francs?

Non.

L'anguille, un poisson plutôt en longueur, n'est nullement outillée pour avaler de gros écus: ni son orifice buccal, ni son estomac, ne se prêteraient à pareille prouesse.

Ce que la femme du jardinier rencontra dans l'intérieur de l'anguille, c'est, ou plutôt ce sont huit pièces de cinquante centimes, soit un total de quatre francs, représentant exactement ce que la brave femme comptait voir revenir sur sa pièce de cent sous.

Comme coïncidence (car il ne faut voir dans tout cela qu'une simple coïncidence), avouez que c'est assez coquet!

Et cette aventure ne vous rappelle-t-elle pas certaines légendes génoises et vénitiennes où des jeunes filles (à Venise, c'était souvent la demoiselle du doge qui se livrait à ce sport, par esprit d'imitation sans doute) où des jeunes filles, dis-je, après avoir jeté leur anneau dans la mer, le retrouvaient dans le ventre des poissons qu'on leur servait à table?

À Florence, pareils faits ne se produisirent point, sans doute à cause de la distance qui sépare cette magnifique cité de la mer.

LE THÉATRE DE M. BIGFUN

Fidèle à mon engagement, je n'ai pas soufflé mot de cette entreprise tant que tout n'a pas été conclu, signé, paraphé, enregistré.

Aujourd'hui, je puis parler et ma satisfaction n'est point mince d'être le premier à donner la sensationnelle nouvelle.

Il s'agit, vous le devinez, d'un nouveau clou pour l'Exposition de 1900…

Après mille démarches, mille refus, M. Bigfun, le grand imprésario australien si connu, vient enfin d'obtenir l'autorisation d'ouvrir et… d'exploiter son théâtre, ce théâtre dont les débuts soulevèrent aux antipodes tant d'indignations, tant de colères.

Contrairement à cette Compagnie d'assurances qui s'appelle The

Mutual Life, le théâtre de M. Bigfun pourrait s'intituler The Mutual

Death.

Comme dans les autres théâtres, on y joue des drames humains et des mélos surhumains. Mais, détail qui corse l'intérêt du spectacle, les victimes sont de vraies victimes, et il ne se passe pas une seule représentation, chez M. Bigfun, sans, au moins, un réel meurtre ou un suicide véritable.

Le plus étrange, dans cette étrange entreprise, c'est que, depuis l'ouverture de son théâtre, M. Bigfun ne s'est jamais trouvé à court de victimes volontaires.

Tout d'abord ce furent de pauvres diables qui, pour laisser quelque argent à leur famille indigente, n'hésitèrent pas à faire le sacrifice de leur vie.

Puis, vinrent des désespérés des deux sexes, amants malheureux, jeunes filles délaissées, que tentèrent ce cabotinage et cette mise en scène dans le trépas.

Enfin, le snobisme s'en mêla et beaucoup de personnes, sans raison apparente, s'offrirent au rôle de victimes, simplement pour épater la galerie.

Les gageures se mirent aussi à sévir, et il n'est pas rare de voir, dans les bars de Melbourne et de Sydney, d'excellents pochards tenir des paris dont l'enjeu est, tout bêtement, leur mort violente, mais décorative, sur la scène du bon Bigfun.

Malgré ses frais énormes (certains de ces macabres protagonistes touchant un millier de livres), notre imprésario a fait une fortune considérable.

Quand la victime volontaire possède quelque talent et surtout une jolie voix, le prix des places ne connaît plus de limites.

Ainsi, lorsque miss Th. K… consentit à jouer Juliette dans Roméo, représentation qui se termina par son vrai suicide, les places les plus modestes atteignirent des prix de vertige. (Un strapontin de quatrième galerie fut payé par notre sympathique confrère de la presse française M. Brandinbourg, pas loin de douze mille francs.)

Reste à savoir si le théâtre de M. Bigfun rencontrera à Paris sa vogue de là-bas.

Je le crois, pour ma part, à moins qu'une campagne de sentimentalerie niaise ne soit menée contre lui dans une certaine presse.

CLARA OU LE BON ACCUEIL PRINCIÈREMENT RÉCOMPENSÉ

(Drame lyrique en deux actes)

PREMIER ACTE

La scène représente la grand'place d'un modeste village. Un vieillard péniblement appuyé sur un bâton vient d'y arriver. Des enfants, les uns goguenards, les autres pitoyables, contemplent le bonhomme et l'entourent.

LES ENFANTS, animés de sentiments divers

Où vas-tu, blanc vieillard, par ces tristes novembres?

Cherches-tu quelque endroit où reposer tes membres?

Vas-tu chez l'Espagnol ou bien chez le Kroumir?

LE VIEILLARD, bien las, si las

L'épave choisit-elle un lieu pour y dormir?

Que sais-je? Ah! mes enfants, voici la nuit qui tombe,

Peut-être, au lieu d'un toit, trouverai-je une tombe!

PREMIER ENFANT, hypocrite

Pourquoi ne viens-tu pas, alors, chez mes parents?

(Demande à mes amis qui s'en portent garants)

Ils te réserveront une place à leur table.

DEUXIÈME ENFANT, rageur, au premier

Dis plutôt, camarade, une place à l'étable;

Car ton père fort dur et ta mère sans coeur

Recevront ce pauvre homme avec un air moqueur.

TROISIÈME ENFANT, fier

Vieillard viens chez mon oncle. Il est garde champêtre.

Vois ces riches troupeaux qui s'en vont aux champs paître:

À leurs maîtres, il peut dresser procès-verbal.

QUATRIÈME ENFANT, cossu

Papa tient cabaret, épicerie et bal.

Chez lui, sans crainte, avant de reprendre ta route;

O pâle voyageur, viens-t'en boire une goutte.

CINQUIÈME ENFANT, une petite fille

Vivant d'une pension de veuve de sergent,

Ma mère, cher Monsieur, n'a pas beaucoup d'argent.

Mais, ce qui vaut bien mieux, elle est jeune et jolie.

LE VIEILLARD, enthousiaste, à la petite fille

De tous ces galopins, c'est toi la plus polie,

Blonde enfant! Conduis-moi jusques à ta maman

Car (je le sens déjà) je l'aime énormément.

Le vieillard, tenant l'enfant par la main, s'éloigne dans la direction de la maison de la petite.—Rideau.

FIN DU PREMIER ACTE

DEUXIÈME ACTE

La scène représente un perron orné d'une vigne vierge rouge, devant une maison rustique. Au lever du rideau, ils sont rangés là, tous les trois, le vieillard tenant dans sa main gauche la main de l'enfant et, du bras droit, enlaçant la taille de la jeune femme qui (la petite fille n'a nullement exagéré) est en effet fort jolie.

LE VIEILLARD, véhément

Accourez tous, enfants, vieillards et hommes mûrs!

Celui que vous voyez aujourd'hui dans vos murs

N'est pas—et tant s'en faut!—ce qu'un vain peuple pense.

 

La bonté, tôt ou tard, trouve sa récompense.

Désignant la jeune femme.

J'épouse cette dame au si charmant accueil.

Pour elle, ils sont finis, les sombres jours de deuil!

Il l'embrasse.

Du bonheur mérité, Clara, voici l'aurore!

Il la rembrasse.

Qu'un beau soleil d'amour te caresse et nous dore!

Il l'embrasse de nouveau; puis, comme devenu la proie subite d'une inconcevable frénésie, il arrache sa perruque, sa fausse barbe et les guenilles dont il était revêtu. Il apparaît alors en joli homme, sanglé dans une tunique de la meilleure coupe avec, sur la poitrine, les palmes d'officier d'Académie, et au côté, une épée administrative. Puis, il s'écrie:

Si haut placé qu'il soit, honte à celui qui ment!

Je suis le sous-préfet de l'arrondissement.

Tableau—Rideau

FIN

DE QUELQUES RÉFORMES COSMIQUES

Dans un article récent de M. Sarcey, je relève le passage suivant:

«…Du reste, on ne saurait s'imaginer à quel point d'ingénuité, de superstition, pour ne pas dire plus, en sont restés les gens de mer.

» N'ai-je point entendu, cet été, entendu de mes propres oreilles, à Concarneau où je passai quinze jours avec ma famille, un brave homme de pêcheur m'affirmer sans rire que le va-et-vient des marées n'était dû qu'à l'influence de la lune, de la lune, oui, vous avez bien lu!

» Tous les efforts que je fis pour détromper ce naïf furent en pure perte.

» Qu'est-ce que la lune venait faire là-dedans? m'acharnais-je à lui demander. On ne s'attendait guère à voir la lune en cette affaire.

» Je ne sais pas si cette bizarre croyance, qui doit remonter aux vieux Druides, est répandue chez tous les marins français, mais en Bretagne et en particulier à Concarneau, elle est admise comme parole d'évangile, et si d'aventure vous essayez de démontrer leur erreur à ces nigauds, ils vous feront comme à moi, ils vous traiteront de vieil imbécile…»

* * * * *

Mon cher oncle, je suis au désespoir de prendre parti contre vous, mais ils avaient raison, les gens du Concarneau et d'ailleurs: c'est vous qui avez tort.

Le mécanisme des marées ne connaît point d'autre ressort que l'attraction lunaire.

Et ce sujet fut même, au cours de l'été passé, la thèse d'une fort belle conférence que proféra M. Tristan Bernard au casino d'Étretat, sous ce titre: La terre aux terriens.

M. Tristan Bernard y déplorait qu'une planète de l'importance de la terre eût à compter pour la réglementation de ses marées avec—je ne veux froisser personne, mais enfin!—avec ce pâle satellite qu'est la lune.

Le savant cosmographe étudia les différents moyens proposés pour échapper à cette influence et pour devenir maîtres chez nous, que diable!

Un système de barrages fut celui qui me parut le plus pratique, mais voici où je diffère d'avis avec M. Bernard: cette question qui n'est, en somme, qu'affaire de vanité assez mesquine, mérite-t-elle tant d'efforts et de si fortes dépenses?

Une autre entreprise, autrement intéressante celle-là et combien plus pratique, pourrait se réaliser presque sans bourse délier.

Ne serait nécessaire que la parfaite entente d'un Congrès international, composé de savants, de géographes, de calculateurs, etc.

Suivez-moi bien.

Les deux pôles jouissent d'une basse température, chacun sait ça, comme dit la chanson.

À quoi tient ce frigide état de choses?

Tout le monde vous le dira: à leur éloignement de l'équateur.

Si les pôles étaient près de l'équateur, on n'y verrait plus d'icebergs, et les ours blancs se transformeraient en lamas.

Or, voulez-vous avoir l'obligeance de me dire ce que c'est que l'équateur?

C'est une ligne fictive (n'oubliez pas ce détail), fictive et périmétrique d'un grand cercle perpendiculaire à l'axe des pôles.

Qui nous empêcherait—je vous le demande un peu,—qui nous empêcherait de la déplacer, cette ligne, puisqu'elle est fictive?

Car s'il y a quelque chose de facile à déplacer au monde, c'est bien une ligne fictive, nom d'un chien!

On la ferait alors passer par les pôles qui dégèleraient bientôt et offriraient plus de confortable aux navigateurs.

Voilà un projet pratique, simple, peu coûteux; mais les régions équatoriales consentiront-elles?

Au nom de l'humanité, on saura les y contraindre à coups de canon.

LA QUESTION DES CHAPEAUX FÉMININS AU THÉÂTRE

Je possède une cousine, jeune encore, mais que le ciel a gratifiée du plus exorbitant des sang-froids et d'un peu commun esprit de répartie.

Ajoutons qu'elle est veuve et qu'elle jouit d'une vingtaine de mille livres de rente, ce qui n'a jamais rien gâté, n'est-ce pas? (Rien des agences.)

La petite histoire qui vient de lui arriver n'est pas de nature, pour vrai dire, à déranger l'ordre établi du firmament; mais comme elle relève du tapis de l'actualité, je vais me permettre de vous la narrer, si toutefois vous voulez bien m'y autoriser. Vous en mourez d'envie, dites-vous.

Allons-y.

Il y a peu de jours, ou plutôt peu de soirs, ma cousine se trouvait au théâtre en société de l'une de ses amies.

Ces deux dames occupaient chacune un fauteuil d'orchestre.

Tout à coup, elles se retournèrent, attirées par du vacarme.

Un gros monsieur, placé juste derrière ma cousine, menait un tapage d'enfer.

–Y a-t-il du bon sens, hurlait-il, y a-t-il du bon sens, je vous le demande, messieurs, à venir au théâtre avec un chapeau pareil!

(Ma cousine—elle est, d'ailleurs, la première à le reconnaître—était affublée, ce soir-là, d'un chapeau un peu excessif pour assister à la comédie.)

–Mais, madame, insistait le monsieur de plus en plus furibond, quand on a un chapeau comme cela, on le laisse au vestiaire.

Et autres aménités semblables.

Ma cousine, laquelle se sentait légèrement dans son tort, ne répliqua rien et, pour avoir la paix, se contenta de changer de place.

À quelques jours de là, ces deux mêmes dames se trouvèrent dans un autre théâtre, toujours aux fauteuils d'orchestre.

Soudain, qui ma cousine aperçut-elle, installé juste dans le fauteuil devant elle?

Vous l'avez deviné, astucieuses lectrices, c'était le gros et tumultueux monsieur de l'autre soir.

Ce gros monsieur, non satisfait d'être de corps énorme, aggravait son cas par une tête plus énorme encore, une tête énorme, énorme, qu'une toison crépue hissait au fantastique dans l'énorme!

Et cela n'était encore rien, si on n'avait pas vu ses oreilles!

Oh! ses oreilles!

Imaginez-vous deux éventails plantés dans cette tête et plantés bien perpendiculairement au plan des joues.

C'est alors que ma cousine sentit éclater au meilleur creux de son coeur l'allègre fanfare des justes revanches.

–Y a-t-il du bon sens, s'écria-t-elle, empruntant au monsieur les propres termes de son trivial répertoire, y a-t-il du bon sens, je vous le demande, messieurs et mesdames, à venir au théâtre avec une tête pareille et de telles esgourdes!

Ce fut au tour du monsieur à en mener beaucoup moins large que ses oreilles.

–Madame, balbutia-t-il, madame.

–Mais, monsieur, insista ma cousine! quand on a une tête et des oreilles comme cela, on les laisse au vestiaire. Madame l'ouvreuse, veuillez débarrasser monsieur de sa tête et de ses oreilles, car, interposés entre la scène et moi, ces appendices me prohibent en totalité la vue du spectacle.

Le monsieur passa par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, sans oublier les fameux rayons ultra-violets.

Après le premier acte, il prit son air de rien, et disparut sans qu'on le revit par la suite.

Encore un, je le parie, qui n'osera plus hurler contre les chapeaux féminins au théâtre, ou s'il hurle, ce sera tout bas.

LE PAUVRE GENDRE3

—Oui, monsieur, si le Président de la République savait ce que j'ai été malheureux grâce à lui, il n'hésiterait pas à me décorer.

–Grâce à lui?

–C'est une façon de parler; je ne lui en veux pas, d'ailleurs, car, à vraiment dire, Félix Faure n'a jamais rien fait contre moi; mais si notre Président n'avait jamais existé ou si, seulement, il n'était pas parvenu aux honneurs, moi, je serais le plus heureux des hommes.

–Daignez vous expliquer.

–Oh! mon Dieu, c'est bien simple: Je suis marié à une charmante femme que j'aime beaucoup et qui me le rend bien. Malheureusement, mon épouse a une mère…

–Et cette mère est votre belle-mère?

–On ne peut rien vous cacher à vous!…….

Ce détail n'aurait, à la rigueur, que peu d'importance; mais voici le terrible de la chose: jadis, alors qu'elle n'était qu'une simple jeune fille comme vous et moi, ma belle-mère fut demandée en mariage, par un jeune homme qui s'en trouvait, paraît-il, éperdument amoureux et qui ne lui était pas du tout indifférent. Les parents de ma belle-mère, jugeant la situation du jeune homme pas en rapport avec la fortune de leur demoiselle, s'opposèrent au mariage.

–Jusqu'à présent, je ne vois pas bien…

–Vous comprendrez tout, monsieur, quand j'aurai ajouté que le jeune homme en question n'était autre qu'un nommé Félix Faure, employé dans une grande maison de cuirs du faubourg Saint-Martin.

–L'histoire est, en effet, des plus piquantes.

–Mon supplice commença peu de temps après mon mariage. Les débuts de notre union avaient été des plus cordiaux, des plus paisibles, des plus patriarcaux, oserai-je dire. Un beau jour, un lundi, lendemain d'élections générales, nous lûmes dans le journal qu'un nommé Félix Faure, négociant, venait d'être élu député du Havre.—«Tiens! s'écria ma belle-mère, Félix Faure, ce doit être mon ancien amoureux. J'ai dû, dans le temps, épouser un garçon qui portait ce nom-là.»

–Et alors?

–Elle s'informa et acquit bientôt la certitude que le nouveau député ne faisait qu'un avec son ancienne passion.

L'humeur de ma belle-mère s'altéra légèrement à cette découverte: «Si mes parents, répétait-elle, ne s'étaient point opposés à ce mariage, je serais, aujourd'hui, la femme d'un député!…» Quelques années plus tard, Félix Faure devenait ministre de la marine. Cette fois, le caractère de la bonne femme tourna franchement à l'aigre, et comme elle n'avait plus ses parents à qui adresser de sanglants reproches, ce fut moi qui écopai: «Si, tout de même, j'avais épousé cet homme-là, quel beau mariage tu aurais pu faire, ma pauvre fille!»

–Et quand Félix Faure fut nommé Président de la République?

–Oh! alors, mon pauvre monsieur!… De telles scènes ne sauraient se raconter… Et quand il a reçu le tsar et la tsarine, donc!… Et quand il a été en Russie!… Et encore l'autre jour, quand il a reçu la Toison d'or!… Ma vie n'est plus tenable!… Quelquefois je perds patience et j'eng… la pauvre femme comme un pied!

–Que dit-elle?

–Elle tombe sur une chaise d'un air accablé et gémit: «Ce n'est pas

M. Berge qui se conduirait comme ça avec moi!»

LA DOULEUR MARCHE, BRAS DESSUS BRAS DESSOUS, AVEC L'ÉCONOMIE (PANNEAU DÉCORATIF)

Les personnes qui m'ont conté l'anecdote ci-dessous m'en garantissent la rigide authenticité: ces gens se trouvant être d'honorables commerçants prospères et jouissant, dans leur quartier, de la considération générale, je n'hésite pas à nantir cette aventure d'une flatteuse publicité.

….. Le charbonnier qui occupe la petite boutique au coin de la rue Legendre et de l'avenue de l'Observatoire vint à mourir d'une bronchite aiguë qui l'enleva sans qu'il eût le temps de dire bougri!

La veuve désolée télégraphia au frère du défunt qui arriva aussi rapidement que le permet le train omnibus qui va de Saint-Flour à Paris.

Ce fut une scène déchirante quand le voyageur fut mis en présence du pauvre défunt, une scène véritablement déchirante! (Car ce serait un grand tort de croire que les instincts du lucre, si fertiles en l'âme de certains Auvergnats, abolissent chez eux tout sentiment du coeur.)

–Avez-vous au moins un portrait de lui? fit-il à sa belle-soeur.

Hélache, non! je n'en ai poigne.

(Pour le restant du dialogue, prière au lecteur d'apporter lui-même l'accent auvergnat duquel la notation exacte me coûterait trop de peine et deviendrait, à la longue, monotone.)

 

–Pauvre frère! je vais aller chercher un photographe pour qu'il nous tire un souvenir de Pierre…

Le photographe manifesta de terribles exigences: il ne parlait de pas moins de trente francs pour se transporter à domicile, lui et son matériel.

–Mais, disait l'autre, il y a sur votre tableau en bas: Portraits depuis 10 francs la douzaine.

–Les portraits que je fais ici, dans mon atelier, oui! Mais à domicile, c'est forcément plus cher.

Notre homme se gratte la tête, ainsi que font les Auvergnats pour exprimer leurs sentiments perplexes.

(Cette coutume ne date pas d'hier, car César, dans ses Commentaires, raconte que Vercingétorix n'arrêta pas de se gratter la tête pendant tout le siège d'Alésia.)

Trente francs, dame, c'est une somme, pour de pauvres charbonniers!

Puis, brusquement:

–Bon, fit-il.

Et le voilà, revenu au domicile funéraire, qui raconte la chose à sa belle-soeur.

–Donnez-moi un grand sac à braise, dit-il en matière de conclusion.

Quelques minutes après, le médecin des morts s'amène et très désinvolte, demande le défunt.

–Le défunt! répond tranquillement la femme. Il faut que vous l'attendiez un petit instant; il est chez le photographe avec son frère.

3Cette histoire fut, bien entendu, écrite avant le trépas du regretté M. Félix Faure.