Kitabı oku: «Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2», sayfa 11
Lord Scales, William Pole et sir John Talbot, qui conduisaient le siège depuis la mort du comte de Salisbury510, s'apercevaient que des mois s'écouleraient et des mois encore avant que l'investissement fût complet et la place enfermée dans un cercle de bastilles reliées entre elles par un fossé continu. En attendant, les malheureux Godons enfonçaient dans la boue et la neige et gelaient dans leurs mauvais abris de terre et de bois qu'on nommait des taudis. Ils risquaient, leurs affaires allant de ce train, d'y être plus dépourvus et plus affamés que les assiégés. Aussi, de même que le défunt comte de Salisbury, s'efforçaient-ils parfois encore de brusquer les choses. De temps en temps, ils essayaient, sans grand espoir, de prendre la ville d'assaut.
Du côté de la porte Renart, le mur était moins haut qu'ailleurs et, comme ils se trouvaient en force et puissance de ce côté, ils attaquaient ce mur de préférence. Il faut dire qu'ils n'y mettaient guère de malice. Ils se ruaient sur la porte Renart en criant furieusement: «Saint Georges!» se heurtaient aux barrières et se faisaient reconduire à leurs boulevards par les gens du roi et les gens de la commune511. Ces assauts, mal préparés, leur faisaient perdre chaque fois quelques gens d'armes bien inutilement. Et déjà ils manquaient d'hommes et de chevaux.
Ils n'avaient pas réussi à effrayer les Orléanais en les bombardant sur deux côtés à la fois, au midi et au couchant. On fut longtemps à rire, dans la ville, d'une grosse pierre de canon tombée à la porte Bannier, au milieu de plus de cent personnes, sans en toucher aucune, si ce n'est un compagnon à qui elle ôta son soulier et qui en fut quitte pour se rechausser512.
Cependant les seigneurs français faisaient à leur plaisir des vaillantises d'armes. Ils couraient aux champs, selon leur fantaisie, sous le moindre prétexte, mais toujours pour ramasser quelque butin, car ils ne songeaient guère qu'à cela. Un jour, entre autres, vers la fin de janvier, comme il faisait grand froid, quelques maraudeurs anglais vinrent dans les vignes de Saint-Ladre et de Saint-Jean-de-la-Ruelle enlever des échalas pour se chauffer. Le guetteur les signale: aussitôt voilà toutes les bannières au vent. Le maréchal de Boussac, messire Jacques de Chabannes, sénéchal du Bourbonnais, messire Denis de Chailly, maint autre seigneur et avec eux routiers et capitaines, courent aux champs. Chacun d'eux n'avait certainement pas vingt hommes à commander513.
Le Conseil royal travaillait avec ardeur à secourir Orléans. Le roi appela sa noblesse d'Auvergne, demeurée fidèle aux fleurs de Lis depuis le jour où, dauphin et chanoine de Notre-Dame-d'Ancis, presque enfant encore, il était allé avec quelques chevaliers ramener à l'obéissance deux ou trois seigneurs révoltés sur leurs puys sauvages514. À l'appel du roi, la noblesse auvergnate sortit de ses montagnes et, sous l'étendard du comte de Clermont, arriva, dans les premiers jours de février, à Blois, où elle se réunit aux Écossais de John Stuart de Darnley, connétable d'Écosse, et aux gens du Bourbonnais, venus sous les bannières des seigneurs de la Tour-d'Auvergne et de Thouars515.
On apprit à ce moment que sir John Falstolf amenait de Paris aux Anglais d'Orléans un convoi de vivres et de munitions. Monseigneur le Bâtard quitta Orléans, accompagné de deux cents hommes d'armes, et alla s'entendre avec le comte de Clermont sur ce qu'il y avait à faire. Il fut décidé qu'on attaquerait d'abord le convoi. Toute l'armée de Blois, sous le commandement du comte de Clermont et la conduite de monseigneur le Bâtard, marcha sur Étampes à la rencontre de sir John Falstolf516.
Le 11 février, quinze cents combattants commandés par messire Guillaume d'Albret, sir William Stuart, frère du connétable d'Écosse, le maréchal de Boussac, le seigneur de Gravelle, les deux capitaines Saintrailles, le capitaine La Hire, le seigneur de Verduzan et autres chevaliers et écuyers, sortirent d'Orléans, mandés par le Bâtard, avec ordre de rejoindre l'armée du comte de Clermont sur la route d'Étampes, au village de Rouvray-Saint-Denis, proche Angerville517.
Ils arrivèrent à Rouvray le lendemain samedi 12 février, veille des Brandons, quand l'armée du comte de Clermont était encore assez loin; là, de bon matin, les Gascons de Poton et de La Hire aperçurent la tête du convoi qui, par la route d'Étampes, s'avançait dans la plaine. Trois cents charrettes et chariots de vivres et d'armes roulaient à la file conduits par des soldats anglais, par des marchands et des paysans normands, picards et parisiens, quinze cents hommes au plus, tranquilles et sans méfiance. Il vint aux Gascons l'idée naturelle de tomber sur ces gens et de les culbuter au moment où ils s'y attendaient le moins518. En toute hâte, ils envoyèrent demander au comte de Clermont la permission d'attaquer. Beau comme Absalon et comme Pâris de Troye, plein de faconde et de jactance, le comte de Clermont, jouvenceau non des plus sages, armé chevalier le jour même, en était à sa première affaire519. Il fit dire sottement aux Gascons de ne point attaquer avant sa venue. Les Gascons obéirent à grand déplaisir, voyant ce qu'on perdait à attendre. Car, s'apercevant enfin qu'ils sont dans la gueule du loup, les chefs anglais, sir John Falstolf, sir Richard Guethin, bailli d'Évreux, sir Simon Morhier, prévôt de Paris, se mettent en belle ordonnance de bataille. Ils font, dans la plaine, avec leurs charrettes, un parc long et étroit où ils retranchent les gens de cheval, et au devant duquel ils placent les archers derrière des pieux fichés en terre, la pointe inclinée vers l'ennemi520. Ce que voyant, le connétable d'Écosse perd patience et mène ses quatre cents cavaliers contre les pieux où ils se rompent521. Les Anglais, découvrant qu'ils n'ont affaire qu'à une petite troupe, font sortir leur cavalerie et chargent si roidement qu'ils culbutent les Français et en tuent trois cents. Cependant les Auvergnats avaient atteint Rouvray et, répandus dans le village, ils en mettaient les celliers à sec. Monseigneur le Bâtard s'en détacha et vint en aide aux Écossais avec quatre cents combattants. Mais il fut blessé au pied et en grand danger d'être pris522.
Là tombèrent messire William Stuart et son frère, les seigneurs de Verduzan, de Châteaubrun, de Rochechouart, Jean Chabot, avec plusieurs autres de grande noblesse et renommée vaillance523. Les Anglais, non encore saouls de tuerie, s'éparpillèrent à la poursuite des fuyards. La Hire et Poton, voyant alors les étendards ennemis dispersés dans la plaine, réunirent ce qu'ils purent, soixante à quatre-vingts combattants, et se jetèrent sur un petit parti d'Anglais qu'ils écrasèrent. À ce moment, si les autres Français avaient rallié, l'honneur et le profit de la journée leur serait peut-être revenu524. Mais le comte de Clermont, qui n'avait pas fait mine de secourir les hommes du connétable d'Écosse et du Bâtard, déploya jusqu'au bout son inébranlable lâcheté. Les ayant vu tous tuer, il s'en retourna avec son armée à Orléans, où il arriva fort avant dans la nuit (12 février)525. Le seigneur de La Tour-d'Auvergne, le vicomte de Thouars, le maréchal de Boussac, le Bâtard se tenant à grand'peine sur sa monture, suivaient avec leurs troupes en désarroi. Jamet du Tillay, La Hire et Poton venaient les derniers, veillant à ce que les Anglais des bastilles ne leur tombassent dessus, ce qui eût achevé la déconfiture526.
Comme on entrait dans le saint temps du carême, les vivres, amenés de Paris aux Anglais d'Orléans par sir John Falstolf, se composaient surtout de harengs saurs qui, durant la bataille, avaient beaucoup pâti dans leurs caques défoncées. Pour faire honneur aux Français d'avoir déconfit tant de Dieppois, les joyeux Anglais nommèrent cette journée la journée des Harengs527.
Le comte de Clermont, bien qu'il fût beau cousin du roi, reçut mauvais accueil des Orléanais. On jugeait sa conduite honteuse et malhonnête et quelques-uns le lui firent entendre. Le lendemain, il s'esquiva avec ses Auvergnats et ses Bourbonnais, aux applaudissements du peuple qui ne voulait pas nourrir ceux qui ne se battaient pas528. En même temps, messire Louis de Culant, amiral de France, et le capitaine La Hire, quittaient la ville avec deux mille hommes d'armes et, quand on sut leur départ, ce furent de telles huées, qu'il leur fallut, pour apaiser les bourgeois, leur promettre qu'ils les allaient secourir de gens et de vivres, ce qui était la pure vérité. Messire Regnault de Chartres, qui était venu dans la ville à un moment qu'on ne saurait dire, partit avec eux, ce dont on ne pouvait lui faire grief, puisque, chancelier de France, sa place était au Conseil du Roi. Mais ce qui devait paraître assez étrange, c'est que le successeur de Monsieur saint Euverte et de Monsieur saint Aignan, messire de Saint-Michel, quitta alors son siège épiscopal et délaissa son épouse affligée529. Quand les rats s'en vont, c'est que le navire va couler. Il ne restait plus dans la ville que monseigneur le Bâtard et le maréchal de Boussac. Encore le maréchal ne devait-il pas demeurer très longtemps. Il partit au bout d'un mois, disant qu'il lui fallait aller près du roi et aussi prendre possession de plusieurs terres qui lui étaient échues du chef de sa femme, par la mort du seigneur de Châteaubrun son beau-frère, qui avait été tué à la journée des Harengs530. Ceux de la ville tinrent cette raison pour bonne et suffisante; il leur promit de revenir bientôt, et ils furent contents. Or, le maréchal de Boussac était un des seigneurs les plus attachés au bien du royaume531. Mais quiconque avait terre se devait à sa terre.
Les bourgeois, se croyant trahis et délaissés, avisèrent à leur sûreté. Et puisque le roi ne les savait garder, ils résolurent, pour échapper aux Anglais, de se donner à plus puissant que lui. Ils envoyèrent à monseigneur Philippe, duc de Bourgogne, le capitaine Poton de Saintrailles, qui lui était connu pour avoir été son prisonnier, et deux procureurs de la ville, Jean de Saint-Avy et Guion du Fossé, avec mission de le prier et requérir qu'il voulût bien les regarder favorablement et que, pour l'amour de son bon parent, leur seigneur Charles, due d'Orléans, prisonnier en Angleterre et empêché de garder lui-même ses terres, il lui plût amener les Anglais à lever le siège, jusqu'à ce que le trouble du royaume fût éclairci. C'était leur ville qu'ils offraient de remettre en dépôt aux mains du duc de Bourgogne, selon les vœux secrets de Monseigneur Philippe, qui, ayant envoyé quelques centaines de lances bourguignonnes sous Orléans, aidait les Anglais à prendre la ville et n'entendait pas les y aider gratuitement532.
Les Orléanais, en attendant le jour incertain et lointain où ils seraient ainsi gardés, continuèrent à se garder eux-mêmes de leur mieux. Mais ils étaient soucieux et non sans raison. Car s'ils veillaient à ce que l'ennemi ne pût entrer, ils ne découvraient aucun moyen de le chasser bientôt. Dans les premiers jours de mars, ils observèrent avec inquiétude que les Anglais creusaient un fossé pour aller à couvert d'une bastille à l'autre depuis la Croix-Boissée jusqu'à Saint-Ladre. Ils essayèrent de détruire cet ouvrage. Ils attaquèrent les Godons avec vigueur et firent quelques prisonniers. Maître Jean tua de sa couleuvrine, en deux coups, cinq personnes, parmi lesquelles lord Gray, neveu du feu comte de Salisbury533; mais ils n'empêchèrent pas les Anglais d'accomplir leur travail. Ils voyaient le siège se poursuivre avec une terrible rigueur. Agités de doutes et de craintes, brûlés d'inquiétude, sans sommeil, sans repos et n'avançant à rien, ils commençaient à désespérer. Tout à coup naît, s'étend, grandit une rumeur étrange.
On apprend que par la ville de Gien a passé nouvellement une pucelle annonçant qu'elle se rendait à Chinon auprès du gentil dauphin et se disant envoyée de Dieu pour faire lever le siège d'Orléans et sacrer le roi à Reims534.
Dans le langage familier, une pucelle était une fille d'humble condition, gagnant sa vie à travailler de ses mains, et particulièrement une servante. Aussi nommait-on pucelles les fontaines de plomb dont on se servait dans les cuisines. Le terme était vulgaire sans doute; mais il ne se prenait pas en mauvaise part. En dépit du méchant dire de Clopinel: «Je lègue ma pucelle à mon curé», il s'appliquait à une fille sage, de bonnes vie et mœurs535.
Cette nouvelle qu'une petite sainte d'humble condition, une pauvresse de Notre-Seigneur, apportait secours divin aux Orléanais, frappa vivement les esprits que la peur tournait à la dévotion et qu'exaltait la fièvre du siège. La Pucelle annoncée leur inspira une curiosité ardente que Monseigneur le Bâtard, en homme avisé, jugea bon d'entretenir. Il envoya à Chinon deux gentilshommes chargés de s'enquérir de la jeune fille. L'un, messire Archambaud de Villars, capitaine de Montargis, qu'il avait déjà, durant le siège, expédié au roi, était un très vieux chevalier, familier autrefois du duc Louis d'Orléans, un des sept Français qui combattirent contre les sept Anglais en l'an 1402, à Montendre536; un Orléanais de la première heure qui, malgré son grand âge, avait vigoureusement défendu les Tourelles, le 21 octobre. L'autre, messire Jamet du Tillay, écuyer breton, venait de se faire honneur en couvrant avec ses hommes la retraite de Rouvray. Ils partirent et la ville entière attendit anxieusement leur retour537.
CHAPITRE VI
LA PUCELLE À CHINON. – PROPHÉTIES
Du village de Sainte-Catherine-de-Fierbois, Jeanne dicta une lettre pour le roi, ne sachant point écrire. Par cette lettre, elle lui demandait congé de l'aller trouver à Chinon et l'avisait que, pour lui venir en aide, elle avait traversé cent cinquante lieues de pays et qu'elle savait beaucoup de choses bonnes pour lui. On a dit qu'elle lui annonçait aussi que, même fût-il caché parmi beaucoup d'autres, elle saurait bien le reconnaître; mais, interrogée plus tard à ce sujet, elle répondit qu'il ne lui en souvenait plus538.
Vers midi, quand la lettre fut scellée, Jeanne partit avec son escorte pour Chinon539. Elle allait vers le roi, comme y allaient à cette heure, sur un cheval boiteux trouvé dans un pré, tous ces fils pauvres des veuves d'Azincourt et de Verneuil, ces jouvenceaux sortis à quinze ans de leur tour en ruines et qui venaient se refaire et refaire le royaume; comme y allaient Loyauté, Bon désir et Famine540. Charles VII, c'était la France, l'image et le symbole de la France. À cela près, un pauvre homme. Né l'onzième des malheureux enfants qu'un malade faisait, entre deux accès de manie furieuse, à une Bavaroise poulinière541, il avait grandi dans les désastres et survécu à ses quatre frères aînés, bien que lui-même assez mal venu, cagneux, les jambes faibles542; vrai fils de roi, si l'on s'en rapporte à sa mine, encore n'en faudrait-il pas jurer543. D'avoir été sur le pont de Montereau ce jour où, disait un juste, mieux eût valu être mort que d'y avoir été544, il demeurait pâle et tremblant, et regardait d'un œil morne tout aller autour de lui à la male heure. Après leur victoire de Verneuil et la conquête inachevée du Maine, les Anglais, appauvris et fatigués, lui avaient laissé quatre ans de répit. Mais ses amis, ses défenseurs, ses sauveurs avaient été terribles. Pieux et modeste, se contentant pour lors de sa femme qui n'était pas belle, il menait dans ses châteaux de la Loire une vie inquiète et triste; il était peureux. On l'eût été à moins: dès qu'il donnait un peu d'amitié ou de confiance à un seigneur, on le lui tuait. Le connétable de Richemont et le sire de la Trémouille lui avaient noyé le sire de Giac après une manière de procès545; le maréchal de Boussac, sur l'ordre du connétable, lui avait tué Lecamus de Beaulieu avec moins de façons. Lecamus se promenait sur sa mule, dans un pré au bord du Clain, quand des hommes se jetèrent sur lui, l'abattirent, la tête fendue et la main coupée; on ramena au roi la mule du favori546. Le connétable de Richemont lui avait donné La Trémouille, un tonneau, une outre, une espèce de Gargantua qui dévorait le pays. La Trémouille ayant chassé Richemont, le roi gardait La Trémouille, en attendant le retour de Richemont dont il avait grand'peur. Et, de vrai, un prince paisible et timide comme il était, devait craindre ce Breton toujours battu, toujours furieux, âpre, féroce, à qui sa maladresse et sa violence donnaient un air de rude franchise547.
En 1428, Richemont voulut reprendre de force sa place auprès du roi. Les comtes de Clermont et de Pardiac se joignirent au connétable. La belle-mère du roi, Yolande d'Aragon, reine, sans royaume, de Sicile et de Jérusalem et duchesse d'Anjou, entra dans le parti des mécontents548. Le comte de Clermont prit et mit à rançon le chancelier de France, le premier ministre de la couronne. Il fallut que le roi payât pour ravoir son chancelier549. Le connétable guerroyait en Poitou contre les gens du roi, tandis que les routiers, à la solde du roi, ravageaient les pays restés dans son obéissance et que les Anglais s'avançaient sur la Loire.
Dans cette condition misérable, le roi Charles, tout mince, étriqué de corps et d'esprit, fuyant, craintif, défiant, faisait triste figure: pourtant, il en valait bien un autre, et c'était peut-être le roi qu'il fallait à cette heure. Un Philippe de Valois, un Jean le Bon s'étaient donné l'amusement de perdre des provinces à l'épée. Le pauvre roi Charles n'avait ni le goût ni les moyens de faire comme eux des vaillantises d'armes, et de chevaucher sur le dos de la piétaille. Il avait ceci d'excellent qu'il n'aimait pas du tout les prouesses et qu'il n'était ni ne pouvait être de ces chevalereux qui faisaient la guerre en beauté. Déjà son grand-père, dépourvu aussi de toute chevalerie, avait beaucoup nui aux Anglais. Le petit-fils n'était pas sans doute d'aussi grande sapience que Charles V, mais il ne manquait point de cautèle et était enclin à penser que souvent on gagne plus par traités qu'à la pointe de la lance550.
On faisait sur son dénuement des contes ridicules. Un cordonnier, disait-on, qu'il ne pouvait payer comptant, lui avait tiré du pied le houseau qu'il venait de lui mettre et était parti, le laissant avec ses vieux houseaux551. On disait encore qu'un jour, La Hire et Saintrailles l'étant venu voir, l'avaient trouvé dînant avec la reine et n'ayant que deux poulets et une queue de mouton pour tout festoiement552. C'étaient là des propos à faire rire les bonnes gens. Le roi possédait encore de grandes et belles provinces: Auvergne, Lyonnais, Dauphiné, Touraine, Anjou, tous les pays au sud de la Loire, hors la Guyenne et la Gascogne553.
Sa grande ressource était de convoquer les États. La noblesse ne donnait rien, alléguant qu'il était ignoble de payer. Si le clergé contribuait malgré son dénuement, le tiers portait plus que son faix des charges pécuniaires. La taille, impôt extraordinaire, devenait annuelle. Le roi assemblait les États tous les ans, souvent deux fois l'an, mais non sans peine554. Les routes étaient mal sûres. Les voyageurs risquaient, à tout bout de champ, d'être détroussés et assassinés. Les officiers, qui allaient de ville en ville recouvrer les deniers, marchaient sous escorte, de crainte des Écossais et des autres gens d'armes au service du roi555. En 1427, un routier nommé Sabbat, qui tenait garnison à Langeais, faisait trembler la Touraine et l'Anjou. Aussi les députés des villes n'étaient-ils pas pressés de se rendre aux États. Encore s'ils avaient cru que leur argent fût employé pour le bien du royaume! Mais ils savaient que le roi en ferait d'abord des présents à ses seigneurs. On les invitait à venir aviser sur le moyen de réprimer les pilleries et roberies dont ils souffraient556; et quand, au risque de leur vie, ils étaient venus en chambre royale, il leur fallait consentir la taille en silence. Les officiers du roi menaçaient de les faire noyer, s'ils ouvraient la bouche. Aux États tenus à Mehun-sur-Yèvre, en 1425, les gens des bonnes villes dirent qu'ils étaient contents d'aider le roi, mais qu'ils voudraient bien qu'il fût mis fin aux pilleries, et messire Hugues de Comberel, évêque de Poitiers, parla comme eux. En l'entendant, le sire de Giac dit au roi: «Si l'on m'en croyait, on jetterait Comberel dans la rivière avec les autres qui ont été de son opinion.» Sur quoi les gens des bonnes villes votèrent deux cent soixante mille livres557. En septembre 1427, réunis à Chinon, ils accordèrent cinq cent mille livres pour la guerre558. Par lettres du 8 janvier 1428, le roi manda aux États généraux de se réunir dans un délai de six mois, le 18 juillet suivant, à Tours559. Le 18 juillet, personne ne vint. Le 22 juillet, nouveau mandement du roi, assignant les États à Tours le 10 septembre560. L'assemblée n'eut lieu qu'en octobre 1428 à Chinon, au moment où le comte de Salisbury marchait sur la Loire. Les États accordèrent cinq cent mille livres561. Mais on s'attendait à ce que bientôt le bon peuple ne pût plus payer. Par ce temps de guerre et de roberies, bien des terres étaient en friche, bien des boutiques closes, et l'on ne voyait plus beaucoup de marchands allant, sur leur bidet, de ville en ville562.
L'impôt ne rentrait pas bien et réellement le roi souffrait par défaut d'argent. Pour guérir ce grand mal, il employait trois remèdes, dont le meilleur ne valait rien. Premièrement, comme il devait à tout le monde, à la reine de Sicile563, à La Trémouille564, à son chancelier565, à son boucher566, au chapitre de Bourges qui lui fournissait du poisson d'étang567, à ses cuisiniers568, à ses galopins569, il engageait l'impôt entre les mains de ses créanciers570; deuxièmement, il aliénait son domaine: ses villes, ses terres étaient à tout le monde, hors à lui571; troisièmement, il faisait de la fausse monnaie. Ce n'était point par malice, mais par nécessité et conformément à l'usage572.
Le sire de La Trémouille portait le seul titre de conseiller-chambellan, mais il était aussi le grand usurier du royaume. Il avait pour débiteurs le roi et une multitude de seigneurs grands ou petits573. C'était donc un homme puissant. En ces temps difficiles, il rendit à la couronne des services sans doute intéressés mais précieux. Du mois de janvier au mois d'août 1428, il avança des sommes s'élevant à vingt-sept mille livres environ pour lesquelles des châteaux et des terres lui furent données en gages574. Par bonheur, le Conseil du roi était composé d'un assez grand nombre de légistes et de gens d'Église fort capables d'expédier les affaires. L'un d'eux, Robert Le Maçon, seigneur de Trèves, Angevin, né dans la roture, entré au Conseil sous la Régence, fut le premier de ces hommes sans naissance qui servirent Charles VII de manière à lui valoir le surnom de Bien-Servi575. Un autre, le sire de Gaucourt, avait aidé son roi à la guerre576.
Il en est un troisième qu'il faut connaître le mieux possible. Sa part dans cette histoire est grande; elle apparaîtrait plus grande encore si on la découvrait tout entière. C'est Regnault de Chartres, que nous avons déjà vu enlevé et mis à finance577. Fils d'Hector de Chartres, maître des Eaux et Forêts en Normandie, il entra dans les ordres, devint archidiacre de Beauvais, puis camérier du pape Jean XXIII et fut élevé en 1414, à l'âge de trente-quatre ans environ, au siège archiépiscopal de Reims578. L'année suivante, trois de ses frères restèrent dans les boues sanglantes d'Azincourt. Hector de Chartres périt à Paris en 1418 massacré par les bouchers579. Regnault lui-même, jeté dans les prisons des Cabochiens, s'attendait à être mis à mort. Il fit vœu, s'il échappait à ce péril, d'observer le maigre tous les mercredis et de déjeuner à l'eau tous les vendredis et les samedis, sa vie durant580. On ne saurait juger de l'esprit d'un homme sur un acte inspiré par l'épouvante; pourtant l'auteur de ce vœu ne saurait être mis facilement au rang des Épicuriens qui ne croyaient pas en Dieu, comme il s'en trouvait, dit-on, beaucoup parmi les clercs; on supposera plutôt que son intelligence se soumettait aux croyances communes.
Une fidélité tragique, héréditairement gardée aux Armagnacs, recommandait Monseigneur Regnault au dauphin Charles qui lui confia des missions importantes dans diverses parties de la Chrétienté, Languedoc, Écosse, Bretagne, Bourgogne581. L'archevêque de Reims s'en acquitta avec un zèle infatigable et une rare habileté. Au mois de décembre 1421, alléguant sa santé débile et le service du dauphin, qui l'obligeait à de fréquents voyages et à de laborieuses ambassades, il supplia le Saint-Père de le relever du vœu fait auparavant dans les prisons des Bouchers582.
En 1425, alors qu'un homme de robe très habile, qui pouvait bien être un fripon, le président Louvet583 gouvernait le royaume et le roi, messire Regnault fut nommé chancelier de France à la place de messire Martin Gouges de Charpaigne, évêque de Clermont584. Mais peu de temps après, Arthur de Bretagne, connétable de France, ayant chassé Louvet, Regnault vendit sa charge à Martin Gouges, moyennant une pension de deux mille cinq cents livres tournois585.
Révérend Père en Dieu, Monseigneur l'Archevêque de Reims n'était pas aussi riche, tant s'en fallait, que Monseigneur de la Trémouille; mais on fait ce qu'on peut. Tout comme le sire de la Trémouille il prêtait de l'argent au roi586. Après cela, qui, dans ce temps, ne prêtait pas d'argent au roi? Charles VII lui donna la ville et le château de Vierzon en paiement de seize mille livres tournois qu'il lui devait587. Quand le sire de la Trémouille eut traité le connétable, comme le connétable avait traité Louvet, Regnault de Chartres redevint chancelier. Il entra en charge le 8 novembre 1428. À cette date, le Conseil avait déjà envoyé à Orléans des gens d'armes et des canons. Monseigneur de Reims, aussitôt en fonction, se jeta dans la ville assiégée et n'épargna pas sa peine588. Il était très attaché aux biens de ce monde et pouvait passer pour avare589. Mais on ne peut douter ni de son dévouement à la cause royale, ni de la haine qu'il nourrissait pour ceux du Léopard et de la Croix Rouge590.
Jeanne, après onze jours de voyage, arriva à Chinon, le 6 mars591, qui était le quatrième dimanche du carême, celui-là même où les garçons et les filles de Domremy allaient en troupe, dans la campagne encore grise et nue, manger des noix et des œufs durs avec des petits pains, pétris par leurs mères. C'est ce qu'ils appelaient faire leurs fontaines; mais Jeanne ne dut pas se rappeler ses fontaines passées, ni sa maison quittée sans une parole d'adieu592. Ignorant ces fêtes rustiques et presque païennes par lesquelles les pauvres chrétiens rompaient la pénitence de la sainte quarantaine, l'Église avait donné à ce jour le nom de dimanche de Laetare, du premier mot de l'introït Laetare, Jerusalem. Ce dimanche, le prêtre en montant à l'autel, récite à la messe basse, et le chœur chante à la grand'messe ces paroles tirées de l'Écriture: «Laetare, Jerusalem; et conventum facite, omnes qui diligitis eam… Réjouis-toi, Jérusalem; et formez une assemblée, vous tous qui l'aimez. Délectez-vous dans la joie, vous qui avez été dans la tristesse, afin d'exulter et d'être rassasiés par l'abondance de votre consolation.» Les prêtres, les religieux, les clercs versés dans les saintes Écritures, qui savaient la venue de la Pucelle, ceux-là quand ils chantèrent dans les églises avec tout le peuple Laetare, Jerusalem, eurent présente à la pensée la vierge annoncée par les prophéties, suscitée pour le salut commun, marquée d'un signe, qui en ce jour faisait son entrée humblement dans la ville. Plus d'un, peut-être, appliqua au royaume de France ce qui est dit de la nation sainte en cet endroit de l'Écriture et trouva dans la coïncidence de ce texte liturgique et de cette bienvenue un sujet d'espérance. Laetare, Jerusalem! Réjouis-toi, peuple fidèle à ton vrai roi et droiturier souverain. Et conventum facite. Réunissez toutes vos forces contre vos ennemis, Gaudete cum laetitia, qui in tristitia fuistis. Après votre longue misère, réjouissez-vous. Le Seigneur vous envoie secours et consolation.
Par l'intercession de saint Julien, et probablement avec l'aide de Collet de Vienne, messager du roi, Jeanne trouva logis en ville, près du château, dans une hôtellerie tenue par une femme de bonne renommée593. Les broches n'y tournaient point. Et les hôtes, enfoncés dans le manteau de la cheminée, y voyaient griller saint Hareng, qui souffrit pis que saint Laurent594. En ces âges, les prescriptions de l'Église relativement au jeûne et à l'abstinence durant le saint temps du carême n'étaient transgressées par personne en pays chrétien. À l'imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui jeûna quarante jours dans le désert, les fidèles observaient le jeûne depuis le quatrième jour avant le dimanche de Quadragésime jusqu'à Pâques, ce qui donne quarante jours en retranchant les dimanches, où l'on rompait le jeûne, mais non pas l'abstinence. Ainsi jeûnant, l'âme allégée, Jeanne entendait le tintement de ses Voix595. Durant les deux jours qu'elle passa à l'hôtellerie, elle vécut recluse, agenouillée596. Les bords de la Vienne et les larges prairies, encore vêtues de la noire verdure de l'hiver, les coteaux où traînaient les brumes légères, ne la tentèrent pas. Mais si, pour aller à l'église, passant par quelque rue montueuse, ou seulement soignant son cheval dans la cour de l'auberge, elle levait la tête du côté du nord, elle voyait debout, sur la montagne toute proche, à un jet de ces boulets de pierre en usage depuis cinquante ou soixante ans, les tours du plus beau château de tout le royaume, les fières murailles derrière lesquelles respirait ce roi à qui elle venait, conduite par un merveilleux amour.
C'étaient trois châteaux qui se confondaient à ses yeux dans une longue masse grise de murs crénelés, de donjons, de tours, de tourelles, de courtines, de barbacanes, d'échauguettes et de bretèches; trois châteaux séparés l'un de l'autre par des douves, des barrières, des poternes, des herses. À sa gauche, vers le couchant, fuyaient et se cachaient les unes derrière les autres les huit tours du Coudray, dont l'une avait été bâtie par un roi d'Angleterre et dont les moins anciennes dataient de plus de deux cents ans. À droite, bien visible, le château du milieu dressait ses vieux murs et ses tours couronnées de mâchicoulis. Là était la chambre de saint Louis, la chambre du roi, appartement de celui que Jeanne appelait le gentil dauphin. Et c'est là aussi, tout contre la chambre nattée, que s'étendait la grande salle où elle allait être reçue. Du côté de la ville, la place de cette salle était marquée par une tour contiguë, une tour carrée, très vieille. À droite régnait un vaste bayle, ou place d'armes, destiné au logement de la garnison et à la défense du château du milieu. De ce côté, une grande chapelle élevait au-dessus des remparts sa toiture en forme de carène renversée. Cette chapelle, bâtie par Henri II d'Angleterre, était sous l'invocation de saint Georges; le bayle tenait d'elle son nom de fort Saint-Georges597. Tout le monde alors savait l'histoire de saint Georges, vaillant chevalier qui transperça de sa lance un dragon et délivra la fille d'un roi, puis souffrit en confessant sa foi; attaché, comme sainte Catherine, à une roue garnie de lames tranchantes, la roue se rompit par miracle, tout de même que se brisa celle où les bourreaux avaient mis la vierge d'Alexandrie. Et, comme elle, saint Georges souffrit la mort par le glaive. Ce qui prouve qu'il était un grand saint598, mais maintenant il avait un tort: il était du parti des Godons qui, depuis plus de trois cents ans, chômaient sa fête comme celle de toute l'englischerie, le tenaient pour leur céleste patron et l'invoquaient de préférence à tout autre bienheureux, en sorte que son nom était sans cesse dans la bouche du plus vilain archer gallois comme dans celle d'un chevalier de la Jarretière. À vrai dire, on ne savait ce qu'il pensait ni s'il ne donnait pas tort à ces pillards qui combattaient pour une mauvaise cause, mais on pouvait raisonnablement craindre qu'il ne se montrât sensible à tant d'honneurs. Les saints du Paradis se mettent volontiers du côté de ceux qui les invoquent le plus dévotement. Saint Georges, enfin, était Anglais comme saint Michel était Français. Celui-là, le glorieux archange, se montrait le plus vigilant protecteur des fleurs de lis, depuis que Monsieur saint Denys, patron du royaume, avait laissé prendre son abbaye. Et Jeanne le savait.