Kitabı oku: «Aristophane; Traduction nouvelle, tome premier», sayfa 12
LA PAIX
(L'AN 419 AVANT J.-C.)
Le sujet de la Paix est le même que celui des Acharniens: seulement la paix, qui dans cette comédie n'est le vœu que d'un seul homme, est ici l'objet des désirs de tout le monde. Le vigneron Trygée, monté sur un escarbot, arrive à la porte de l'Olympe et découvre la Paix dans une caverne profonde où elle a été enfermée par la Guerre. Avec l'aide de tous les hommes de bonne volonté, il la délivre. La joie et les fêtes renaissent de toutes parts. Trygée épouse l'Abondance, compagne de la Paix, et le Chœur chante en vers charmants les loisirs de la vie rustique.
PERSONNAGES DU DRAME
Deux Esclaves de Trygæos.
Trygæos.
Petites Filles de Trygæos.
Hermès.
La Guerre.
Le Vacarme.
Chœur de Laboureurs.
Hiéroklès, devin.
Hellènes de différentes villes,–}
La Paix,–}
Opôra,–}
Théoria,–} personnages muets.
Lamakhos,–}
Un Prytane,–}
Un Fabricant de faux.
Un Fabricant d'aigrettes.
Un Marchand de cuirasses.
Un Fabricant de trompettes.
Un Fabricant de casques.
Un Polisseur de lances.
Un Fils de Lamakhos.
Un Fils de Kléonymos.
La scène se passe d'abord devant la maison de Trygæos, puis à la porte du Ciel, et de nouveau sur la Terre.
LA PAIX
PREMIER ESCLAVE
Apporte, apporte au plus vite de la pâtée pour l'escarbot.
SECOND ESCLAVE
Voici. Donne à ce maudit insecte; jamais il n'aura mangé de meilleure pâtée.
PREMIER ESCLAVE
Donne-lui-en une autre, pétrie de crottin d'âne.
SECOND ESCLAVE
Voilà encore.
PREMIER ESCLAVE
Où donc est celle que tu apportais à l'instant?
SECOND ESCLAVE
Ne l'a-t-il pas mangée?
PREMIER ESCLAVE
Oui, de par Zeus! il l'a roulée dans ses pattes et l'a avalée en entier. Fais-en tout de suite beaucoup, et épaisse.
SECOND ESCLAVE
Vidangeurs, au nom des dieux, venez à mon aide, si vous ne voulez pas me voir suffoquer.
PREMIER ESCLAVE
Encore! Encore! Donne-m'en d'un enfant qui sert d'hétaïre; car l'escarbot dit qu'il l'aime bien broyée.
SECOND ESCLAVE
Voici. Je me crois, citoyens, à l'abri d'un soupçon: on ne dira pas qu'en pétrissant la farine, je la mange.
PREMIER ESCLAVE
Ah! Pouah! Apporte-m'en une autre, puis une autre, et pétris-en une autre encore.
SECOND ESCLAVE
Par Apollôn! je ne puis: je suis incapable de supporter cette sentine.
PREMIER ESCLAVE
Je vais donc rentrer la bête et la sentine avec elle.
SECOND ESCLAVE
Et, de par Zeus! tout cela aux corbeaux, et toi par-dessus le marché! Que l'un de vous me dise, s'il le sait, où je pourrai acheter un nez sans trous. Car je ne connais pas de métier plus misérable que de pétrir de la pâtée pour la donner à un escarbot. Un porc, quand nous allons à la selle, un chien, en avalent sans façon. Mais celui-ci fait le fier et le dédaigneux, et il ne juge pas à propos de manger, si je ne lui présente, comme à une femme, après avoir passé toute la journée à la pétrir, une galette feuilletée. Mais je vais regarder s'il a fini son repas: entr'ouvrons seulement la porte, pour qu'il ne me voie point. Courage, ne t'arrête pas de manger, jusqu'à ce que tu en crèves sans t'en apercevoir. Comme il se courbe, l'animal, sur sa pâtée! On dirait un lutteur: il avance les mâchoires; il promène de-ci de-là sa tête et ses deux pattes, à la façon de ceux qui tournent de gros câbles pour les vaisseaux. Quelle bête hideuse, puante et vorace! De quelle divinité est-elle l'emblème, je ne sais. Il ne me semble pas que ce soit d'Aphroditè, ni des Kharites, assurément.
PREMIER ESCLAVE
De qui donc?
SECOND ESCLAVE
Il n'y a pas moyen que ce soit un présage de Zeus prêt à descendre.
PREMIER ESCLAVE
Maintenant, parmi les spectateurs, quelque jeune homme, qui se pique de sagesse, se met sans doute à dire: «Qu'est-ce que cela? A quoi bon l'escarbot?» Et un Ionien, assis à ses côtés, lui répond: «Selon moi, cela fait allusion à Kléôn, qui, sans pudeur, se nourrissait de fiente.» Mais je rentre donner à boire à l'escarbot.
SECOND ESCLAVE
Moi, je vais expliquer le sujet aux enfants, aux jeunes gens, aux hommes faits, aux vieillards et à tous ceux qui se croient quelque supériorité. Mon maître a une étrange folie, non pas la vôtre, mais une folie nouvelle tout à fait. Le jour entier, les yeux au ciel et la bouche béante, il invective contre Zeus: «O Zeus! dit-il, que veux-tu donc faire? Dépose ton balai; ne balaie pas la Hellas.»
TRYGÆOS, hors de la scène
Ea! Ea!
SECOND ESCLAVE
Silence! Je crois entendre sa voix.
TRYGÆOS
O Zeus! que veux-tu donc faire de notre peuple? Tu ne t'aperçois pas que tu égraines nos villes!
SECOND ESCLAVE
Voilà précisément la maladie dont je vous parlais: vous entendez un échantillon de ses manies. Mais les propos qu'il tenait au début de son accès de bile, vous allez les apprendre. Il se disait, ici, à lui-même: «Comment pourrais-je aller tout droit chez Zeus?» Puis, fabriquant de petites échelles, il y grimpait du côté du ciel, jusqu'au moment où il se cassa la tête en dégringolant. Mais hier, étant malheureusement sorti je ne sais où, il a ramené un escarbot, gros comme l'Ætna, et m'a forcé d'en être le palefrenier; puis, lui-même, le caressant comme un poulain: «Mon petit Pègasos, dit-il, généreux volatile, puisses-tu, dans ton essor, me conduire droit chez Zeus!» Mais je vais me pencher pour voir ce qu'il fait là dedans. Ah! quel malheur! Accourez ici, accourez, voisins! Mon maître s'envole là-haut, à cheval, dans les airs, sur un escarbot!
TRYGÆOS
Tout doux, tout doux, du calme, ma monture: ne t'enlève pas fièrement d'abord et d'une force trop confiante; attends que tu aies sué et assoupli les forces de tes membres par un vigoureux battement d'ailes. Ne va pas me lâcher une mauvaise odeur, je t'en conjure: si tu le faisais, mieux eût valu rester dans notre logis.
SECOND ESCLAVE
Mon maître et seigneur, tu deviens fou!
TRYGÆOS
Silence! silence!
SECOND ESCLAVE
Pourquoi chevauches-tu ainsi à travers les nuages?
TRYGÆOS
C'est pour le bien de tous les Hellènes que je vole, et que je tente une entreprise hardie et nouvelle.
SECOND ESCLAVE
Pourquoi voles-tu? Pourquoi te mets-tu, sans cause, hors de bon sens?
TRYGÆOS
Il nous faut des paroles de bon augure; pas un mot défavorable, mais des cris d'allégresse. Recommande aux hommes de se taire, de boucher les latrines et les égouts avec des briques neuves, et de mettre une clef à leurs derrières.
SECOND ESCLAVE
Pas moyen de me taire, si tu ne dis pas où tu as l'intention de voler.
TRYGÆOS
Où veux-tu, si ce n'est chez Zeus, vers le ciel?
SECOND ESCLAVE
Dans quelle intention?
TRYGÆOS
Pour lui demander ce qu'il a décidé de faire de tous les Hellènes.
SECOND ESCLAVE
Et s'il ne te dit rien de catégorique?
TRYGÆOS
Je l'accuserai de livrer la Hellas aux Mèdes.
SECOND ESCLAVE
Par Dionysos! jamais de mon vivant!
TRYGÆOS
Il n'en peut pas être autrement.
SECOND ESCLAVE
Iou! Iou! Iou! pauvres fillettes, votre père vous abandonne; il vous laisse seules; il monte au ciel en cachette. Conjurez votre père, ô malheureuses enfants!
UNE FILLE DE TRYGÆOS
Mon père, mon père, est-il vrai le bruit qui court dans notre maison? On dit que, nous quittant pour le pays des oiseaux, tu vas chez les corbeaux et disparaître. Y a-t-il là quelque chose de réel? Dis-le-moi, mon père, pour peu que tu m'aimes.
TRYGÆOS
C'est à croire, mes enfants. Ce qu'il y a de certain, c'est que vous me fendez le cœur, quand vous me demandez du pain, en m'appelant papa, et que je n'ai pas chez moi une parcelle d'argent, ni rien du tout. Mais si je réussis, à mon retour, vous aurez un gros gâteau et une gifle pour assaisonnement.
LA JEUNE FILLE
Mais par quel moyen feras-tu ce trajet? Car ce n'est pas un navire qui te conduira sur cette route.
TRYGÆOS
J'irai sur une monture ailée et non sur un vaisseau.
LA JEUNE FILLE
Et quelle idée as-tu de harnacher un escarbot pour monter chez les dieux, mon petit papa?
TRYGÆOS
On voit dans les fables d'Æsopos qu'il s'est trouvé le seul des animaux parvenu chez les dieux en volant.
LA JEUNE FILLE
Tu nous racontes une fable incroyable, petit père, comme quoi un animal si puant est allé chez les dieux.
TRYGÆOS
Il y est allé, au temps jadis, par haine de l'aigle, et pour en faire rouler les œufs, afin de se venger.
LA JEUNE FILLE
Tu aurais dû plutôt monter le cheval ailé Pègasos; tu aurais eu pour les dieux un air plus tragique.
TRYGÆOS
Mais, petite sotte, il m'eût fallu double ration, tandis que tout ce que j'aurai mangé servira de fourrage à ma monture.
LA JEUNE FILLE
Et s'il vient à tomber dans les profondeurs de la plaine liquide, comment en pourra-t-il sortir, étant ailé?
TRYGÆOS
J'ai un gouvernail fait pour cela, et j'en userai: mon vaisseau sera un escarbot construit à Naxos.
LA JEUNE FILLE
Et quel port te recevra dans ton naufrage?
TRYGÆOS
Au Piræeus, n'y a-t-il pas le port de l'Escarbot?
LA JEUNE FILLE
Prends bien garde de chopper et de choir de là-haut! Devenu boiteux, tu fournirais un sujet à Euripidès, et tu deviendrais une tragédie.
TRYGÆOS
Je veillerai à tout cela. Adieu! (Les jeunes filles s'en vont.) Et vous, pour qui je me donne la peine de ces peines, ne pétez ni ne chiez de trois jours. Car si, en planant au-dessus des nuages, l'escarbot flairait quelque odeur, il me jetterait la tête en bas, et adieu mes espérances. Mais voyons, Pègasos, vas-y gaiement; fais résonner ton frein d'or; mets en mouvement tes oreilles luisantes. Que fais-tu? que fais-tu? Pourquoi baisses-tu ton nez du côté des latrines? Élance-toi hardiment de terre, déploie tes ailes rapides; monte tout droit au palais de Zeus; détourne tes narines du caca, de ta pâture quotidienne. Ohé! l'homme! que fais-tu, toi, qui chies dans le Piræeus, près de la maison des prostituées? Tu vas me faire tuer, tu vas me faire tuer! Enfouis-moi cela! Apportes-y un gros tas de terre, plante par-dessus du serpolet et répands-y des parfums! S'il m'arrivait malheur, en tombant de là-haut, ma mort coûterait cinq talents à la ville de Khios, en raison de ton derrière. Mais, au fait, j'ai grand'peur, et je n'ai plus le mot pour rire. Ohé! machiniste, fais attention à moi! Je sens déjà quelque vent rouler autour de mon nombril. Si tu n'y prends garde, je vais faire de la pâture pour l'escarbot. Mais il me semble que je suis près des dieux, et je vois la demeure de Zeus. Où donc est le portier de Zeus? N'ouvrez-vous pas? (La scène change et représente le Ciel.)
HERMÈS
D'où me vient cette odeur de mortel? O divin Hèraklès, qu'est-ce que cette bête?
TRYGÆOS
Un hippokantharos.
HERMÈS
O coquin, impudent, effronté, scélérat, très scélérat, plus que très scélérat, comment es-tu monté ici, ô scélératissime parmi les scélérats? Quel est ton nom? Ne le diras-tu pas?
TRYGÆOS
Scélératissime.
HERMÈS
Quel est ton pays? Dis-le-moi.
TRYGÆOS
Scélératissime.
HERMÈS
Quel est ton père?
TRYGÆOS
A moi? Scélératissime.
HERMÈS
Par la Terre! tu es un homme mort, si tu ne me dis pas quel est ton nom?
TRYGÆOS
Trygæos d'Athmonia, honnête vigneron, pas sykophante, ni ami des affaires.
HERMÈS
Pour quoi viens-tu?
TRYGÆOS
Pour t'apporter des viandes.
HERMÈS
O pauvre homme, comment es-tu venu?
TRYGÆOS
O gourmand, tu vois que je n'ai plus l'air à tes yeux d'un scélératissime. Voyons, maintenant, appelle-moi Zeus.
HERMÈS
Ié, ié, ié! Tu n'es pas encore près de te trouver à côté des dieux. Ils sont partis hier: ils ont déménagé.
TRYGÆOS
Pour quel endroit de la Terre?
HERMÈS
De la Terre, dis-tu?
TRYGÆOS
Oui, et où cela?
HERMÈS
Tout à fait loin; absolument au fond de la calotte du Ciel.
TRYGÆOS
Comment alors as-tu été laissé seul ici?
HERMÈS
Pour avoir l'œil sur le reste du mobilier des dieux, les petits pots, les tablettes, les petites amphores.
TRYGÆOS
Et pourquoi les dieux ont-ils déménagé?
HERMÈS
Par colère contre les Hellènes. A l'endroit où ils étaient eux-mêmes, ceux-ci ont logé la Guerre, en vous livrant absolument à sa discrétion. Eux alors sont allés demeurer le plus haut possible, afin de ne plus voir vos combats et de ne plus entendre vos supplications.
TRYGÆOS
Et pourquoi nous traitent-ils ainsi? Dis-le-moi.
HERMÈS
Parce que vous avez préféré la guerre, lorsque souvent ils vous ont ménagé la paix. Si les Lakoniens remportaient le plus mince avantage, ils disaient: «Par les deux Dieux, aujourd'hui les Attiques nous la paieront.» Et s'il arrivait quelque succès à vous, Attiques, vainqueurs à votre tour, quand les Lakoniens venaient traiter de la paix, vous disiez tout de suite: «On nous trompe par Athèna, par Zeus, il ne faut pas s'y fier. Ils reviendront tant que nous aurons Pylos.»
TRYGÆOS
C'est bien là le sens local de nos paroles.
HERMÈS
Aussi je ne sais si jamais vous reverrez la Paix.
TRYGÆOS
Où donc est-elle allée?
HERMÈS
La Guerre l'a plongée dans une caverne profonde.
TRYGÆOS
Laquelle?
HERMÈS
Là, en bas. Tu vois que de pierres elle a entassées, afin que vous ne la repreniez jamais.
TRYGÆOS
Dis-moi, que machine-t-elle de faire contre nous?
HERMÈS
Je ne sais, sauf une chose, c'est qu'elle a apporté hier soir un mortier d'une grandeur énorme.
TRYGÆOS
Et que veut-elle faire de ce mortier?
HERMÈS
Elle veut y piler les villes. Mais je m'en vais, car, si je ne m'abuse, elle est sur le point de sortir: elle fait un vacarme là dedans!
TRYGÆOS
Malheur à moi! Je me sauve; car il me semble entendre moi-même le fracas du mortier belliqueux.
LA GUERRE. Elle arrive tenant un mortier
Ah! mortels, mortels, mortels, infortunés, comme vous allez craquer des mâchoires!
TRYGÆOS
Seigneur Apollôn, quelle largeur de mortier! Que de mal dans le seul regard de la Guerre! Est-ce donc là ce monstre que nous fuyons, cruel, redoutable, solide sur ses jambes?
LA GUERRE
Ah! Prasiæ, trois fois, cinq fois, mille fois malheureuse, la voilà perdue!
TRYGÆOS
Cela, citoyens, n'est pas encore notre affaire: le coup porte sur la Lakonie.
LA GUERRE
O Mégara, Mégara, comme tu vas être absolument broyée et mise en hachis. Babæ! Babæax!
TRYGÆOS
Quel torrent de larmes amères chez les Mégariens!
LA GUERRE
Io! Sikélia, toi aussi tu vas périr.
TRYGÆOS
Quelle malheureuse cité sera réduite en poudre?
LA GUERRE
Voyons, versons aussi là dedans de ce miel attique.
TRYGÆOS
Holà! je te conseille d'un autre miel. Celui-ci coûte quatre oboles: ménage le miel attique.
LA GUERRE
Esclave, esclave, Vacarme!
LE VACARME
Pourquoi m'appelles-tu?
LA GUERRE
Je te ferai pleurer à chaudes larmes. Tu es donc resté sans rien faire? A toi ce coup de poing!
LE VACARME
Il est dur! Hélas! hélas! malheureux que je suis, ô mon maître! Est-ce qu'il a de l'ail dans le poing?
LA GUERRE
Cours me chercher un pilon.
LE VACARME
Mais nous n'en avons point, mon maître; nous ne sommes emménagés que d'hier.
LA GUERRE
Eh bien, cours en chercher un chez les Athéniens, et vivement.
LE VACARME
J'y vais, de par Zeus! et si je n'en ai pas, j'aurai à pleurer.
TRYGÆOS
Ah! que ferons-nous, chétifs mortels? Voyez combien est grand le péril qui nous menace. S'il revient apportant le pilon, l'autre va piler les villes à son aise. Par Dionysos! qu'il périsse avant de revenir avec l'instrument!
LA GUERRE
Eh bien?
LE VACARME
Quoi?
LA GUERRE
Tu n'apportes rien?
LE VACARME
Malechance! Les Athéniens ont perdu leur pilon, ce corroyeur qui bouleversait la Hellas.
TRYGÆOS
O Athèna, vénérable souveraine, comme cet homme a bien fait de disparaître dans l'intérêt de la cité, avant de nous avoir servi son hachis!
LA GUERRE
Va donc en chercher un autre à Lakédæmôn, et finis vite.
LE VACARME
C'est cela, maîtresse…
LA GUERRE
Reviens au plus tôt.
TRYGÆOS
Citoyens, qu'allons-nous devenir? Voici le grand combat! Si quelqu'un de vous se trouve initié aux mystères de Samothrakè, c'est le moment de souhaiter une entorse à l'envoyé.
LE VACARME
Hélas! hélas! malheureux que je suis, malheureux et trois fois malheureux!
LA GUERRE
Qu'est-ce donc? Tu n'apportes rien encore?
LE VACARME
Les Lakédæmoniens ont aussi perdu leur pilon.
LA GUERRE
Comment, scélérat?
LE VACARME
Du côté de la Thrakè, ils l'avaient prêté à d'autres, et ils l'ont perdu.
TRYGÆOS
Quelle chance! quelle chance! Peut-être que tout ira bien. Rassurez-vous, mortels!
LA GUERRE
Prends tout cet attirail, et remporte-le. Je rentre et je vais faire moi-même un pilon.
TRYGÆOS
Voici l'instant de répéter ce que chantait Datis, en se caressant au milieu du jour: «Quel plaisir, quel délice, quelle jouissance!» C'est le bon moment pour vous, hommes de la Hellas, où, délivrés des affaires et des combats, vous allez tirer de prison la Paix, chère à tous, avant qu'un autre pilon y mette obstacle. Allons, laboureurs, marchands, artisans, ouvriers, métèques, étrangers, insulaires, venez ici; peuple de partout, prenez au plus vite pioches, leviers et câbles. Nous pouvons aujourd'hui saisir la coupe du Bon Génie.
LE CHŒUR
Que chacun coure de tout cœur et promptement à la délivrance! O Panhellènes, secourons-nous plus que jamais après avoir mis fin aux batailles et aux luttes sanglantes. Car le jour a brillé ennemi de Lamakhos. Toi, s'il y a quelque chose à faire, donne-nous des ordres; sers-nous d'architecte: car il n'y a pas moyen, selon moi, aujourd'hui, de reculer, avant que les leviers et les machines aient ramené à la lumière la plus grande de toutes les déesses et la plus amie des vignes.
TRYGÆOS
Vous tairez-vous? Que votre joie de la tournure des affaires ne réveille pas la Guerre qui est là dedans: plus de cris!
LE CHŒUR
Nous nous réjouissons d'entendre cet édit: ce n'est plus comme de venir avec des vivres pour trois jours.
TRYGÆOS
Prenez garde que ce Kerbéros de là-dessous ne s'emporte et ne crie, comme lorsqu'il était ici, et ne nous empêche de ramener la Déesse.
LE CHŒUR
Non, désormais on ne nous la ravira plus, une fois qu'elle sera venue entre nos bras. Ah! ah! ah!
TRYGÆOS
Vous voulez donc me tuer, vilaines gens, en ne cessant pas vos cris? Le monstre va s'élancer et fouler tout aux pieds.
LE CHŒUR
Qu'il bouleverse, qu'il écrase, qu'il trouble tout; notre joie aujourd'hui ne saurait cesser.
TRYGÆOS
O malheur! Qu'avez-vous donc, bonnes gens? N'allez pas, au nom des dieux, gâter par vos danses une si belle affaire!
LE CHŒUR
Ce n'est pas que je veuille danser, mais de plaisir, et sans que je les meuve, mes deux jambes sautillent.
TRYGÆOS
N'allons pas plus loin; cessez, cessez de sautiller.
LE CHŒUR
Voilà, je cesse.
TRYGÆOS
Tu le dis, mais tu ne cesses pas.
LE CHŒUR
Laisse-moi donc encore esquisser un pas, et point davantage.
TRYGÆOS
Celui-là seulement, et ne dansez plus, mais pas du tout.
LE CHŒUR
Nous ne danserons plus, si nous te sommes utiles à quelque chose.
TRYGÆOS
Mais vous le voyez, vous n'avez pas encore cessé.
LE CHŒUR
De par Zeus! nous lançons encore la jambe droite, et c'est fini.
TRYGÆOS
Je vous le permets pour que vous ne me chagriniez plus.
LE CHŒUR
Oui, mais la gauche veut nécessairement être de la partie. Je suis joyeux, je pète, je ris, plus même que si j'avais dépouillé la vieillesse; j'échappe au bouclier.
TRYGÆOS
Ne vous réjouissez pas encore; car vous ne savez ce qu'il en est précisément. Mais quand nous la tiendrons, alors réjouissez-vous, criez, riez! Il vous sera permis, en effet, de naviguer, de demeurer, de faire l'amour, de dormir, de prendre part aux panégyries et aux théories, de banqueter, de jouer au kottabe, de mener une vie de Sybarite et de crier: Iou! Iou!
LE CHŒUR
Puissé-je voir un si beau jour! J'ai enduré bien des peines et des lits de jonchée échus à Phormiôn. Tu ne trouveras plus en moi un juge sévère, dur, intraitable, ni d'une humeur inflexible, comme jadis; mais tu me verras rempli de douceur, rajeuni de plusieurs années, quand j'aurai été débarrassé des ennuis. Depuis un temps suffisant nous nous tuons, nous nous éreintons, courant vers le Lykéion ou hors du Lykéion, avec la lance, avec le bouclier; mais comment te serons-nous le plus agréables? Voyons, parle, puisqu'une heureuse fortune t'a choisi pour notre chef.
TRYGÆOS
Voyons un peu par quel moyen nous enlèverons ces pierres.
HERMÈS
Scélérat, impudent, que prétends-tu faire?
TRYGÆOS
Rien de mal, à la façon de Killikôn.
HERMÈS
C'est fait de toi, misérable!
TRYGÆOS
Sans doute, si le sort décide de moi; car Hermès, je le sais, dirigera le hasard.
HERMÈS
Tu es mort, anéanti.
TRYGÆOS
Et quel jour?
HERMÈS
Tout de suite.
TRYGÆOS
Mais je n'ai encore acheté ni orge, ni fromage, en homme qui doit mourir.
HERMÈS
Cependant tu as été gentiment frotté.
TRYGÆOS
Comment se fait-il que je n'en aie ressenti aucune jouissance?
HERMÈS
Ignores-tu que Zeus a décrété la peine de mort contre quiconque déterrera la prisonnière?
TRYGÆOS
Alors il est de toute nécessité que je meure?
HERMÈS
Sois-en certain.
TRYGÆOS
Prête-moi alors trois drakhmes pour acheter un petit cochon; car il faut que je me fasse initier avant de mourir.
HERMÈS
O Zeus, qui fais gronder la foudre!
TRYGÆOS
Au nom des dieux, maître, ne nous dénonce pas, je t'en conjure.
HERMÈS
Je ne puis me taire.
TRYGÆOS
Je t'en prie, par les viandes que je me suis empressé de t'offrir en arrivant.
HERMÈS
Mais, animal, Zeus va m'anéantir, si je ne crie pas bien haut et si je ne révèle tout cela.
TRYGÆOS
Ne révèle rien, je t'en supplie, mon petit Hermès… Eh bien! vous autres, qu'est-ce que vous faites là? Vous restez immobiles. Malheureux! parlez donc; autrement, il va tout révéler.
LE CHŒUR
Ne le fais pas, seigneur Hermès, pas du tout! Si c'est avec plaisir que tu sais avoir mangé le petit cochon que je t'ai offert, ne considère pas cette offre comme de peu de valeur, dans la circonstance actuelle.
TRYGÆOS
N'entends-tu pas comme ils te flattent, souverain maître?
LE CHŒUR
Que ta colère ne reprenne pas le dessus, devant nos supplications; laisse-nous délivrer la Déesse. Sois-nous favorable, ô le plus philanthrope, le plus généreux des dieux, s'il est vrai que tu as en horreur les aigrettes et les sourcils de Pisandros. Les victimes sacrées, les offrandes magnifiques, ô mon maître, te seront prodiguées par nos mains, et toujours.
TRYGÆOS
Voyons, je t'en conjure, prends pitié de leurs prières: ils t'honorent mieux que jamais.
HERMÈS
En effet, ils sont aujourd'hui plus voleurs que jamais.
TRYGÆOS
Je te dirai la chose terrible, énorme, machinée contre tous les dieux.
HERMÈS
Allons, parle: peut-être me convaincras-tu.
TRYGÆOS
La Lune et ce vaurien de Soleil conspirent depuis longtemps contre vous et veulent livrer la Hellas aux Barbares.
HERMÈS
Et pourquoi agissent-ils ainsi?
TRYGÆOS
Parce que, de par Zeus! c'est à vous que nous offrons des sacrifices, tandis que c'est à eux que sacrifient les Barbares. Aussi est-il naturel qu'ils veuillent vous voir tous exterminés, afin de recevoir les offrandes faites aux dieux.
HERMÈS
Voilà pourquoi, depuis longtemps, ils trichent tous deux sur la durée des jours et rognent frauduleusement de leur disque.
TRYGÆOS
Oui, de par Zeus! Ainsi, cher Hermès, viens-nous résolument en aide et délivre avec nous la captive. Et désormais c'est à toi, Hermès, que seront consacrées les grandes Panathènæa et les autres fêtes en l'honneur des dieux, Mystères, Dipolia, Adonia. Partout les villes, débarrassées de leurs maux, offriront des sacrifices à Hermès Préservateur. Et tu auras encore bien d'autres avantages: moi, d'abord, je te fais présent de cette coupe pour les libations.
HERMÈS
Ah! je suis toujours sensible aux coupes d'or. A votre œuvre donc, braves gens! Pioches en main, entrez dans la caverne, et écartez au plus vite les pierres.
LE CHŒUR
Nous y sommes; mais toi, le plus habile des dieux, dis-nous en bon ouvrier ce qu'il faut faire; pour le reste, tu ne nous trouveras pas insouciants à la besogne.
TRYGÆOS
Voyons, alors; toi, tends vite la coupe, et préludons par les libations à notre travail, en invoquant les dieux! Libation! Libation! Silence! Par ces libations, demandons que ce jour soit pour tous les Hellènes la source de mille biens, et que quiconque aura bravement mis la main à ces câbles, ce même homme ne la mette pas au bouclier.
LE CHŒUR
Oui, au nom de Zeus, et que je passe ma vie au sein de la paix, aux bras d'une hétaïre, et tisonnant les charbons.
TRYGÆOS
Fais que celui qui aime mieux voir régner la Guerre, ne cesse jamais, ô souverain Dionysos, de retirer de ses coudes les pointes des dards.
LE CHŒUR
Et si quelque aspirant au grade de taxiarkhe te jalouse la lumière, ô Déesse vénérable, qu'il éprouve dans les combats le sort de Kléonymos.
TRYGÆOS
Et si un fabricant de lances ou un brocanteur de boucliers, afin de vendre davantage, souhaite les batailles, qu'il soit pris par des voleurs et n'ait que de l'orge à manger.
LE CHŒUR
Et si quelque aspirant au grade de stratège refuse son concours, ou qu'un esclave se prépare à passer à l'ennemi, qu'il soit attaché à la roue et fustigé.
TRYGÆOS
A nous la bonne chance! Iè, Pæan, iè!
LE CHŒUR
Pas de «Pæan»! Dis seulement: «Iè!»
TRYGÆOS
A Hermès, aux Kharites, aux Heures, à Aphroditè, au Désir!
LE CHŒUR
Et point à Arès!
TRYGÆOS
Point!
LE CHŒUR
Point à Enyalios!
TRYGÆOS
Point! Tous, faites jouer les leviers et appliquez les câbles aux pierres.
HERMÈS
Ho! Eia!
LE CHŒUR
Eia! Plus fort!
HERMÈS
Ho! Eia!
LE CHŒUR
Encore plus fort!
HERMÈS
Ho! Eia! Ho! Eia!
TRYGÆOS
Mais ces hommes ne tirent pas également! Vous n'agissez pas de concert! Gare à vous! Vous gémirez, tas de Bœotiens.
HERMÈS
Eia! encore!
TRYGÆOS
Eia! Ho!
LE CHŒUR
Eh! voyons! Tirez aussi, vous deux.
TRYGÆOS
Mais je tire, je me pends à la corde; je me couche dessus; j'y vais de bon cœur.
LE CHŒUR
Comment se fait-il donc que la besogne n'avance pas?
TRYGÆOS
O Lamakhos! tu as tort de rester en dehors, assis. Nous n'avons pas besoin, brave homme, de ta Mormô.
HERMÈS
Ces Argiens ne tirent pas non plus; et il y a longtemps de ça; mais ils se rient de nos misères, et ils font leurs orges des deux côtés à la fois.
TRYGÆOS
Oui, mais les Lakoniens, mon bon, tirent en vrais hommes.
LE CHŒUR
Tu vois que ce sont exclusivement tous ceux d'entre eux qui ont en main le bois aratoire, seuls ils ont du cœur. Mais l'armurier s'y oppose.
HERMÈS
Les Mégariens ne font pas grand'chose non plus: ils tirent toutefois, ouvrant gloutonnement leur bouche humide, à la manière des chiens, et, de par Zeus! mourant d'inanition.
TRYGÆOS
Nous ne faisons rien, bonnes gens; allons-y tous du même cœur: sachons nous y reprendre.
HERMÈS
Ho! Eia!
TRYGÆOS
Eia, plus fort!
HERMÈS
Ho! Eia!
TRYGÆOS
Eia, de par Zeus!
LE CHŒUR
Nous n'avançons guère.
TRYGÆOS
N'est-ce pas affreux que les uns tirent dans un sens et les autres dans un autre? Vous recevrez des coups, les Argiens!
HERMÈS
Eia, encore!
TRYGÆOS
Eia! Ho!
LE CHŒUR
Il y a des malintentionnés parmi nous.
TRYGÆOS
Vous au moins, qui avez envie de la paix, tirez vigoureusement.
LE CHŒUR
Mais il y en a qui empêchent.
HERMÈS
Citoyens de Mégara, n'irez-vous pas aux corbeaux? Vous êtes en haine à la Déesse, qui a bonne mémoire; car c'est vous les premiers qui l'avez frottée d'ail. Quant à vous, Athéniens, je vous dis de cesser de tirer maintenant de ce côté, car vous ne faites que vous occuper de procès. Si donc vous désirez délivrer la captive, descendez un peu vers la mer.
LE CHŒUR
Voyons, mes amis, que les laboureurs seuls saisissent les câbles.
HERMÈS
La chose est en bien meilleur train, mes amis, pour notre avantage.
LE CHŒUR
Il dit que la chose est en bon train: que chacun s'y mette donc de tout cœur.
TRYGÆOS
Ce sont les laboureurs, et pas un autre, qui avancent l'ouvrage.
LE CHŒUR
Allons, maintenant; allons, tout le monde! Il y a décidément de l'ensemble. Ne nous relâchons pas pour le moment, mais tendons les muscles avec plus de vigueur. Voilà qui est fait. Ho! Eia! maintenant. Ho! Eia! tout le monde. Ho! Eia! Ho! Eia! Ho! Eia! Ho! Eia! Ho! Eia! Ho! Eia! Ho! Eia! Eia! Eia! Eia! tout le monde. (La Paix sort de la caverne.)
TRYGÆOS
Vénérable Déesse qui donnes les raisins, quelles paroles t'adresserai-je? Où prendrai-je des mots de la contenance de dix mille amphores pour te les adresser? Je n'en ai plus à la maison. Salut, Opôra! Salut, Théoria! Que tu as donc un charmant visage, ô Théoria! Quelle haleine, quelle odeur suave s'exhale de ton sein! C'est la senteur très douce du congé militaire et des parfums.
HERMÈS
Est-ce donc une odeur comparable à celle du sac militaire?
TRYGÆOS
J'ai le cœur sur les lèvres devant l'affreux sac d'osier d'un très affreux ennemi: c'est l'odeur du rot d'un mangeur d'oignon; mais avec Opôra réceptions, Dionysia, flûtes, tragédies, chants de Sophoklès, grives, petits vers d'Euripidès…
HERMÈS
Pleure de la calomnier: elle ne se plaît pas avec un faiseur de plaidoiries.
TRYGÆOS
Lierre, passoire pour le vin, brebis bêlantes, gorges de femmes courant aux champs, servante prise d'ivresse, kongion renversé et mille autres bonnes choses.
HERMÈS
Tiens, maintenant, regarde comme ces villes réconciliées jasent entre elles et rient de bonne humeur; et cela, bien qu'affreusement meurtries, et toutes couvertes de ventouses.
TRYGÆOS
Regarde aussi les figures des spectateurs, afin de savoir quels sont leurs métiers.
HERMÈS
Ah! malheur! ne vois-tu pas ce fabricant d'aigrettes qui s'arrache lui-même les cheveux, tandis que le faiseur de hoyaux pète au nez de ce fabricant d'épées?
TRYGÆOS
Et le fabricant de faux, ne vois-tu pas comme il se réjouit et fait la nique à ce faiseur de lances?
HERMÈS
Va, maintenant, ordonne aux laboureurs de se retirer.
TRYGÆOS
Écoutez, peuples. Que les laboureurs retournent au plus vite dans leurs champs, avec leurs instruments aratoires, sans lances, sans épées, sans javelots; car déjà tout se remplit ici de la vieille Paix. Que chacun se rende à ses travaux champêtres, après avoir chanté un Pæan!
LE CHŒUR
O jour désiré des gens de bien et des cultivateurs, avec quelle joie, en te revoyant, je veux saluer mes vignes et les figuiers que je plantai dans ma jeunesse! Le cœur nous dit de les embrasser après un si long temps.
TRYGÆOS
Et maintenant, bonnes gens, commençons par adorer la Déesse qui nous a débarrassés des aigrettes et des Gorgones; ensuite nous retournerons à notre logis, chez nous, dans nos champs, après avoir fait l'emplette de quelque bonne salaison.
HERMÈS
O Poséidôn, le beau coup d'œil que présente leur troupe, serrée comme une galette, animée comme un banquet!
TRYGÆOS
Par Zeus! c'est une belle chose qu'un hoyau bien emmanché; et les fourches à trois pointes brillent vivement au soleil. Elles nous servent à aligner comme il faut les rangées d'arbres. Comme je souhaite depuis longtemps rentrer moi-même dans mon champ et retourner avec ma pioche mon petit terrain! Ah! souvenez-vous, mes amis, de la vie d'autrefois, que nous procurait la Déesse, cabas, figues, myrtes, vin doux, diaprures de violettes près du puits, oliviers que nous regrettons! En mémoire de tous ces biens, adorez aujourd'hui la Déesse!