Kitabı oku: «Aristophane; Traduction nouvelle, tome premier», sayfa 6
AGORAKRITOS
Est-ce que tu ne joues pas du doigt avec cette gent babillarde?
DÈMOS
Non, de par Zeus! mais je les forcerai tous d'aller à la chasse et de mettre fin à leurs décrets.
AGORAKRITOS
En ce cas, je te donne ce pliant et ce jeune garçon bien monté, qui te le portera ou, si bon te semble, te servira de pliant.
DÈMOS
Quel bonheur pour moi de recouvrer mon ancien état!
AGORAKRITOS
C'est ce que tu pourras dire quand je t'aurai livré les trêves de trente ans: «O Trêves, paraissez au plus vite!»
DÈMOS
O Zeus vénéré, comme elles sont belles! Au nom des dieux, est-il permis de les trentanniser? Où les as-tu prises, en réalité?
AGORAKRITOS
C'était le Paphlagonien qui les tenait cachées dans sa maison, afin que tu ne les prisses pas. Maintenant, moi, je te les donne, pour que tu les emmènes à la campagne.
DÈMOS
Et ce Paphlagonien, qui a fait tout cela, quel châtiment lui infligeras-tu?
AGORAKRITOS
Pas bien terrible; il exercera mon métier: établi seul devant les portes, il vendra pour andouilles un mélange de chien et d'âne, luttera d'outrages, dans son ivresse, avec des prostituées, et boira l'eau sale des baignoires.
DÈMOS
C'est une bonne invention et digne de ce qu'il mérite, que ces assauts de cris avec des prostituées et des baigneurs. Pour toi, en récompense de tes services, je t'invite au Prytanéion, sur le siège occupé par ce poison. Suis-moi, vêtu de cette robe couleur de grenouille. Quant à lui, qu'on l'emmène à l'endroit où il doit faire son métier, bien en vue de ceux qu'il outrageait, c'est-à-dire des étrangers!
FIN DES CHEVALIERS
LES NUÉES
(L'AN 425 AVANT J.-C.)
Le titre de cette pièce indique que plusieurs scènes se passent en l'air et que le chœur est formé d'acteurs dont les vêtements aériens imitent les flocons de vapeurs qui flottent dans l'atmosphère. Le véritable sujet est l'éducation. Le bonhomme Strepsiadès, ruiné par les dépenses de son fils Phidippidès, l'envoie au philosophoir de Socrate afin d'y apprendre le raisonnement injuste, ainsi que l'art de ne point payer ses créanciers. Phidippidès se met vite au fait des subtilités de l'école, bat son père, et lui prouve qu'il a le droit de le battre. Strepsiadès, furieux, lance dans le philosophoir une torche ardente, sans s'inquiéter des cris de Socrate et de ses disciples.
PERSONNAGES DU DRAME
Strepsiadès.
Phidippidès.
Un serviteur de Strepsiadès.
Disciples de Sokratès.
Sokratès.
Chœur de nuées.
Le raisonnement juste.
Le raisonnement injuste.
Pasias, créancier.
Amynias, créancier.
Un témoin.
Khæréphôn.
La scène se passe dans la chambre à coucher de Strepsiadès, puis devant la porte de Sokratès.
LES NUÉES
STREPSIADÈS
Iou! Iou! O souverain Zeus, quelle chose à n'en pas finir que les nuits! Le jour ne viendra donc pas? Et il y a déjà longtemps que j'ai entendu le coq; et mes esclaves dorment encore. Cela ne serait pas arrivé autrefois. Maudite sois-tu, ô guerre, pour toutes sortes de raisons, mais surtout parce qu'il ne m'est pas permis de châtier mes esclaves! Et ce bon jeune homme, qui ne se réveille pas de la nuit! Non, il pète, empaqueté dans ses cinq couvertures. Eh bien, si bon nous semble, ronflons dans notre enveloppe. Mais je ne puis dormir, malheureux, rongé par la dépense, l'écurie et les dettes de ce fils qui est là. Ce bien peigné monte à cheval, conduit un char et ne rêve que chevaux. Et moi, je ne vis pas, quand je vois la lune ramener les vingt jours: car les échéances approchent.—Enfant, allume la lampe, et apporte mon registre, pour que, l'ayant en main, je lise à combien de gens je dois, et que je suppute les intérêts. Voyons, que dois-je? Douze mines à Pasias. Pourquoi douze mines à Pasias? Pourquoi ai-je fait cet emprunt? Parce que j'ai acheté Koppatias. Malheureux que je suis, pourquoi n'ai-je pas eu plutôt l'œil fendu par une pierre!
PHIDIPPIDÈS, rêvant
Philon, tu triches: fournis ta course toi-même.
STREPSIADÈS
Voilà, voilà le mal qui me tue; même en dormant, il rêve chevaux.
PHIDIPPIDÈS, rêvant
Combien de courses doivent fournir ces chars de guerre?
STREPSIADÈS
C'est à moi, ton père, que tu en fais fournir de nombreuses courses! Voyons quelle dette me vient après Pasias. Trois mines à Amynias pour un char et des roues.
PHIDIPPIDÈS, rêvant
Emmène le cheval à la maison, après l'avoir roulé.
STREPSIADÈS
Mais, malheureux, tu as déjà fait rouler mes fonds! Les uns ont des jugements contre moi, et les autres disent qu'ils vont prendre des sûretés pour leurs intérêts.
PHIDIPPIDÈS, éveillé
Eh! mon père, qu'est-ce qui te tourmente et te fait te retourner toute la nuit?
STREPSIADÈS
Je suis mordu par un dèmarkhe sous mes couvertures.
PHIDIPPIDÈS
Laisse-moi, mon bon père, dormir un peu.
STREPSIADÈS
Dors donc; mais sache que toutes ces dettes retomberont sur ta tête. Hélas! Périsse misérablement l'agence matrimoniale qui me fit épouser ta mère! Moi, je menais aux champs une vie des plus douces, inculte, négligé, et couché au hasard, riche en abeilles, en brebis, en marc d'olives. Alors je me suis marié, moi paysan, à une personne de la ville, à la nièce de Mégaklès, fils de Mégaklès, femme altière, luxueuse, fastueuse comme Kœsyra. Lorsque je l'épousai, je me mis au lit, sentant le vin doux, les figues sèches, la tonte des laines, elle tout parfum, safran, tendres baisers, dépense, gourmandise, Kolias, Génétyllis. Je ne dis pas qu'elle fût oisive; non, elle tissait. Et moi, lui montrant ce vêtement, je prenais occasion de lui dire: «Femme, tu serres trop les fils.»
UN SERVITEUR
Nous n'avons plus d'huile dans la lampe.
STREPSIADÈS
Malheur! Pourquoi m'avoir allumé une lampe buveuse? Viens ici, que je te fasse crier!
LE SERVITEUR
Et pourquoi crierai-je?
STREPSIADÈS
Parce que tu as mis une trop grosse mèche… Après cela, lorsque nous arriva ce fils qui est là, nous nous disputâmes, moi et mon excellente femme, au sujet du nom qu'il porterait. Elle voulait qu'il y eût du cheval dans son nom: «Xanthippos, Khærippos, Kallippidès». Enfin, au bout de quelque temps, nous fîmes un arrangement, et nous le nommâmes «Phidippidès». Elle, embrassant son fils, le caressait: «Quand tu seras grand, tu conduiras un char à travers la ville, comme Mégaklès, et vêtu d'une belle robe.» Moi, je disais: «Quand donc feras-tu descendre tes chèvres du mont Phelleus, comme ton père, vêtu d'une peau de bique?» Mais il n'écoutait pas mes discours, et sa passion pour le cheval a coulé mon avoir. Maintenant, durant cette nuit, à force d'y songer, j'ai trouvé un expédient merveilleux qui, si je puis le convaincre, sera pour moi le salut. Mais je veux d'abord l'éveiller. Seulement, comment l'éveiller le plus doucement possible? Comment?… Phidippidès, mon petit Phidippidès!
PHIDIPPIDÈS
Quoi, mon père?
STREPSIADÈS
Un baiser, et donne-moi la main.
PHIDIPPIDÈS
Voici. Qu'y a-t-il?
STREPSIADÈS
Dis-moi, m'aimes-tu?
PHIDIPPIDÈS
J'en jure par Poséidon, dieu des chevaux!
STREPSIADÈS
Non, non, pas de ce dieu des chevaux! C'est lui qui est la cause de mes malheurs. Mais si tu m'aimes réellement et de tout cœur, ô mon enfant, suis mon conseil.
PHIDIPPIDÈS
Et en quoi faut-il que je suive ton conseil?
STREPSIADÈS
Change au plus tôt de conduite, et va prendre des leçons où je t'indiquerai.
PHIDIPPIDÈS
Parle, qu'ordonnes-tu?
STREPSIADÈS
Et tu obéiras?
PHIDIPPIDÈS
J'obéirai, j'en jure par Dionysos.
STREPSIADÈS
Regarde de ce côté. Vois-tu cette petite porte et cette petite maison?
PHIDIPPIDÈS
Je les vois; mais, mon père, qu'est-ce que cela veut dire?
STREPSIADÈS
C'est le philosophoir des âmes sages. Là sont logés des hommes qui disent et démontrent que le ciel est un étouffoir, dont nous sommes entourés, et nous, des charbons. Ils enseignent, si on leur donne de l'argent, à gagner les causes justes ou injustes.
PHIDIPPIDÈS
Qui sont-ils?
STREPSIADÈS
Je ne sais pas exactement leur nom. Ce sont de profonds penseurs, beaux et bons.
PHIDIPPIDÈS
Ah! oui, les misérables, je les connais. Ce sont des charlatans, des hommes pâles, des va-nu-pieds, que tu veux dire, et, parmi eux, ce maudit Sokratès et Khæréphôn.
STREPSIADÈS
Hé! hé! tais-toi! ne dis pas de bêtises. Si tu as souci des orges paternelles, deviens l'un d'eux, et lâche-moi l'équitation.
PHIDIPPIDÈS
Oh! non, par Dionysos! quand tu me donnerais les faisans que nourrit Léogoras.
STREPSIADÈS
Vas-y, je t'en supplie, ô toi, l'homme le plus cher à mon cœur. Entre à leur école.
PHIDIPPIDÈS
Et qu'est-ce que je t'y apprendrai?
STREPSIADÈS
Ils disent qu'il y a deux raisonnements: le supérieur et l'inférieur. Ils prétendent que, par le moyen de l'un de ces deux raisonnements, c'est-à-dire de l'inférieur, on gagne les causes injustes. Si donc tu m'y apprenais ce raisonnement injuste, de toutes les dettes que j'ai contractées pour toi, je ne paierais une obole à personne.
PHIDIPPIDÈS
Je n'y saurais consentir: je n'oserais pas regarder les cavaliers avec ma face jaune et maigre.
STREPSIADÈS
Alors, par Dèmètèr, vous ne mangerez plus mon bien, ni toi, ni ton attelage, ni ton cheval. Je te chasse de ma maison et je t'envoie aux corbeaux marqué au Sigma.
PHIDIPPIDÈS
Mon oncle Mégaklès ne me laissera pas sans monture. Je vais chez lui, et je me moque de toi.
STREPSIADÈS
Eh bien, moi, pour une chute, je ne reste point par terre. Mais j'invoquerai les dieux et j'irai moi-même au philosophoir. Seulement, vieux comme je suis, sans mémoire et l'esprit lent, comment apprendrai-je les broutilles de leurs raisonnements raffinés? Il faut y aller. Pourquoi hésiter encore et ne pas frapper à la porte?… Enfant, petit enfant!
UN DISCIPLE
Va-t'en aux corbeaux! Qui frappe à la porte?
STREPSIADÈS
Le fils de Phidôn, Strepsiadès du dême de Kikynna.
LE DISCIPLE
De par Zeus! tu dois être un grossier personnage, toi qui donnes à la porte un coup de pied si brutal, et qui fais avorter la conception de ma pensée.
STREPSIADÈS
Pardonne-moi, car j'habite loin dans la campagne; mais dis-moi la chose avortée.
LE DISCIPLE
Il n'est permis de la dire qu'aux disciples.
STREPSIADÈS
Dis-la-moi donc sans crainte, car je viens comme disciple au philosophoir.
LE DISCIPLE
Je la dirai; mais songe donc que ce sont des mystères. Sokratès demandait tout à l'heure à Khæréphôn combien de fois une puce saute la longueur de ses pattes. Elle avait piqué Khæréphôn au sourcil, et de là elle était sautée sur la tête de Sokratès.
STREPSIADÈS
Et comment a-t-il mesuré cela?
LE DISCIPLE
Très adroitement. Il a fait fondre de la cire, puis il a pris la puce, et il lui a trempé les pattes dedans. La cire refroidie a fait à la puce des souliers persiques; en les déchaussant, il a mesuré l'espace.
STREPSIADÈS
O Zeus souverain, quelle finesse d'esprit!
LE DISCIPLE
Que serait-ce, si tu apprenais une autre invention de Sokratès?
STREPSIADÈS
Laquelle? Je t'en prie, dis-la-moi?
LE DISCIPLE
Khæréphôn, du dême de Sphattos, lui demandait s'il pensait que le bourdonnement des cousins vînt de la trompe ou du derrière.
STREPSIADÈS
Et qu'a-t-il dit au sujet du cousin?
LE DISCIPLE
Il a dit que l'intestin du cousin est étroit; et que, à cause de cette étroitesse, l'air est poussé tout de suite avec force vers le derrière; ensuite, l'ouverture de derrière communiquant avec l'intestin, le derrière résonne par la force de l'air.
STREPSIADÈS
Ainsi le derrière des cousins est une trompette. Trois fois heureux l'auteur de cette découverte! Il doit être facile d'échapper à une poursuite en justice, quand on connaît à fond l'intestin du cousin.
LE DISCIPLE
Dernièrement il fut détourné d'une haute pensée par un lézard.
STREPSIADÈS
De quelle manière? Dis-moi.
LE DISCIPLE
Il observait le cours de la lune et ses révolutions, la tête en l'air, la bouche ouverte; un lézard, du haut du toit, pendant la nuit, lui envoya sa fiente.
STREPSIADÈS
Il est amusant ce lézard, qui fait dans la bouche de Sokratès!
LE DISCIPLE
Hier, nous n'avions pas à souper pour le soir.
STREPSIADÈS
Eh bien! qu'imagina-t-il pour avoir des vivres?
LE DISCIPLE
Il étend sur la table une légère couche de cendre, courbe une tige de fer, prend un fil à plomb, et de la palestre il enlève un manteau.
STREPSIADÈS
Et nous admirons le célèbre Thalès! Ouvre-moi, ouvre vite le philosophoir; et fais-moi voir au plus tôt Sokratès. J'ai hâte d'être son disciple. Mais ouvre donc la porte. O Hèraklès! de quels pays sont ces animaux?
LE DISCIPLE
Qu'est-ce qui t'étonne? A quoi trouves-tu qu'ils ressemblent?
STREPSIADÈS
Aux prisonniers de Pylos, aux Lakoniens. Mais pourquoi regardent-ils ainsi la terre?
LE DISCIPLE
Ils cherchent ce qui est sous la terre.
STREPSIADÈS
Ils cherchent donc des oignons. Ne vous donnez pas maintenant tant de peine; je sais, moi, où il y en a de gros et de beaux. Mais que font ceux-ci tellement courbés?
LE DISCIPLE
Ils sondent les abîmes du Tartaros.
STREPSIADÈS
Et leur derrière, qu'a-t-il à regarder le ciel?
LE DISCIPLE
Il apprend aussi pour son compte à faire de l'astronomie… Mais rentrez, de peur que le maître ne vous surprenne.
STREPSIADÈS
Pas encore, pas encore: qu'ils restent, afin que je leur communique une petite affaire.
LE DISCIPLE
Mais ils ne peuvent pas demeurer trop longtemps à l'air et dehors.
STREPSIADÈS
Au nom des dieux, qu'est ceci? Dis-moi.
LE DISCIPLE
L'astronomie.
STREPSIADÈS
Et cela?
LE DISCIPLE
La géométrie.
STREPSIADÈS
A quoi cela sert-il?
LE DISCIPLE
A mesurer la terre.
STREPSIADÈS
Celle qui se partage au sort?
LE DISCIPLE
Non; la terre entière.
STREPSIADÈS
C'est charmant ce que tu dis là: voilà une invention populaire et utile!
LE DISCIPLE
Tiens, voici la surface de la terre entière: vois-tu? Ici, c'est Athènes.
STREPSIADÈS
Que dis-tu? Je ne te crois pas; je n'y vois point de juges en séance.
LE DISCIPLE
C'est pourtant réellement le territoire Attique.
STREPSIADÈS
Et où sont mes concitoyens de Kikynna?
LE DISCIPLE
C'est ici qu'ils habitent. Voici l'Eubœa, tu vois, cette terre qui s'étend en longueur infinie.
STREPSIADÈS
Je vois: nous l'avons pressurée, nous et Périklès. Mais où est Lakédæmôn?
LE DISCIPLE
Où elle est? Ici.
STREPSIADÈS
Comme c'est près de nous! Songez-y bien, éloignez-la de nous à la plus grande distance possible.
LE DISCIPLE
Il n'y a pas moyen.
STREPSIADÈS
Par Zeus! vous en gémirez. Mais quel est donc cet homme juché dans un panier?
LE DISCIPLE
Lui.
STREPSIADÈS
Qui, lui?
LE DISCIPLE
Sokratès.
STREPSIADÈS
Sokratès! Voyons, toi, appelle-le-moi donc bien fort.
LE DISCIPLE
Appelle-le toi-même. Moi, je n'en ai pas le temps.
STREPSIADÈS
Sokratès, mon petit Sokratès!
SOKRATÈS
Pourquoi m'appelles-tu, être éphémère?
STREPSIADÈS
Et d'abord que fais-tu là? Je t'en prie, dis-le-moi.
SOKRATÈS
Je marche dans les airs et je contemple le soleil.
STREPSIADÈS
Alors c'est du haut de ton panier que tu regardes les dieux, et non pas de la terre, si toutefois…
SOKRATÈS
Je ne pourrais jamais pénétrer nettement dans les choses d'en haut, si je ne suspendais mon esprit, et si je ne mêlais la subtilité de ma pensée avec l'air similaire. Si, demeurant à terre, je regardais d'en bas les choses d'en haut, je ne découvrirais rien. Car la terre attire à elle l'humidité de la pensée. C'est précisément ce qui arrive au cresson.
STREPSIADÈS
Que dis-tu? Ta pensée attire l'humidité sur le cresson? Mais maintenant descends, mon petit Sokratès, afin de m'enseigner les choses pour lesquelles je suis venu.
SOKRATÈS
Pourquoi es-tu venu?
STREPSIADÈS
Je veux apprendre à parler. Les prêteurs à intérêts, race intraitable, me poursuivent, me harcèlent, se nantissent de mon bien.
SOKRATÈS
Comment t'es-tu donc endetté sans le savoir?
STREPSIADÈS
C'est l'hippomanie qui m'a ruiné, maladie dévorante. Mais enseigne-moi l'un de tes deux raisonnements, celui qui sert à ne pas payer, et, quel que soit le salaire, je jure par les dieux de te le payer.
SOKRATÈS
Par quels dieux jures-tu? D'abord les dieux ne sont pas chez nous une monnaie courante.
STREPSIADÈS
Par quoi jurez-vous donc? Est-ce par de la monnaie de fer, comme à Byzantion?
SOKRATÈS
Veux-tu connaître nettement les choses célestes, ce qu'elles sont au juste?
STREPSIADÈS
Oui, par Zeus! si elles sont.
SOKRATÈS
Et converser avec les Nuées, nos divinités?
STREPSIADÈS
Assurément.
SOKRATÈS
Assois-toi donc sur la banquette sainte.
STREPSIADÈS
Voilà, je suis assis.
SOKRATÈS
Maintenant prends cette couronne.
STREPSIADÈS
A quoi bon une couronne? Malheur à moi, Sokratès! Est-ce que vous allez me sacrifier comme Athamas?
SOKRATÈS
Non; c'est tout ce que nous faisons aux initiés.
STREPSIADÈS
Eh bien, qu'y gagnerai-je?
SOKRATÈS
D'être un roué en fait de langage, une cliquette, une fleur de farine. Seulement, ne bouge pas.
STREPSIADÈS
Par Zeus! tu ne mens pas! Saupoudré comme je suis, je vais devenir fleur de farine.
SOKRATÈS
Il faut que ce vieillard observe le silence et qu'il écoute la prière: «Souverain maître, Air immense, qui enveloppes la terre de toutes parts, Æther brillant, et vous, Nuées, vénérables déesses, mères du tonnerre et de la foudre, levez-vous, ô souveraines, apparaissez au penseur dans les régions supérieures!»
STREPSIADÈS
Pas encore, pas encore; pas avant que je me sois enveloppé de ce manteau, de peur d'être inondé. N'avoir pas pris, en sortant de chez moi, une casquette de peau de chien, quelle malechance!
SOKRATÈS
Venez, ô Nuées vénérées, vous manifester à cet homme, soit que vous occupiez les cimes sacrées de l'Olympos, battues par les neiges, soit que dans les jardins de votre père Okéanos vous formiez un chœur sacré avec les Nymphes, soit que, aux bouches du Nilos, vous puisiez des eaux dans des cornes d'or, que vous résidiez aux Palus Mæotides ou sur le rocher neigeux du Mimas, écoutez-nous, accueillez notre sacrifice, et que nos cérémonies vous fassent plaisir.
LE CHŒUR
Nuées éternelles, élevons-nous, en rosée transparente et légère, du sein de notre père Okéanos aux bruissements profonds, jusqu'aux sommets des monts couronnés de forêts, afin de découvrir les horizons lointains, les fruits qui ornent la Terre sacrée, le cours sonore des fleuves divins, et la Mer aux mugissements sourds; car l'œil de l'Æther brille sans relâche de rayons éclatants. Mais dissipons le voile pluvieux qui cache nos figures immortelles, et embrassons le monde de notre regard illimité.
SOKRATÈS
O Nuées très vénérables, il est certain que vous avez entendu mon appel. Et toi, as-tu entendu leur voix divine avec le mugissement du tonnerre?
STREPSIADÈS
Moi aussi je vous révère, Nuées respectables, et je veux répondre au bruit du tonnerre, tant il m'a causé de tremblement et d'effroi. Aussi, tout de suite, permis ou non, je lâche tout.
SOKRATÈS
Ne raille pas et ne fais pas comme les poètes que grise la vendange. Sois silencieux: un nombreux essaim de déesses s'avance en chantant.
LE CHŒUR, se rapprochant de la scène
Vierges dispensatrices des pluies, allons vers la terre féconde de Pallas, voyons le royaume de Kékrops, riche en grands hommes et mille fois aimé. Là se trouve le culte des initiations sacrées, le sanctuaire mystique des cérémonies saintes, les offrandes aux divinités célestes, les temples magnifiques et les statues, les processions trois fois saintes des bienheureux, victimes couronnées immolées aux dieux; les festins dans toutes les saisons; et là, au renouveau, la fête de Bromios, les chants mélodieux des chœurs et la musique des flûtes frémissantes.
STREPSIADÈS
Au nom de Zeus, je t'en prie, dis-moi, Sokratès, quelles sont ces femmes qui font entendre un chant si respectable? Sont-ce quelques héroïnes?
SOKRATÈS
Pas du tout; mais les Nuées célestes, grandes divinités des hommes oisifs, qui nous suggèrent pensée, parole, intelligence, charlatanisme, loquacité, ruse, compréhension.
STREPSIADÈS
C'est pour cela qu'en écoutant leur voix, mon âme se sent des ailes; elle cherche à épiloguer, à ergoter sur de la fumée, à coudre trait d'esprit à trait d'esprit, pour riposter à l'autre raisonnement. De telle sorte que, s'il est possible, je souhaite vivement de les voir en personne.
SOKRATÈS
Eh bien, regarde du côté de la Parnès. Je les vois descendre lentement par là.
STREPSIADÈS
Où donc? Montre-moi.
SOKRATÈS
Elles s'avancent en grand nombre, à travers les cavités et les bois, sur une ligne oblique.
STREPSIADÈS
Qu'est-ce donc? Je ne les vois pas.
SOKRATÈS
Là, à l'entrée.
STREPSIADÈS
Ah! oui, maintenant un peu, par là.
SOKRATÈS
Tu dois maintenant les voir tout à fait, à moins que tu n'aies une coloquinte de chassie.
STREPSIADÈS
Oui, par Zeus! O vénérables divinités, elles remplissent toute la scène.
SOKRATÈS
Et cependant tu ne savais pas, tu ne croyais pas que ce fussent des déesses?
STREPSIADÈS
Non, par Zeus! mais je me figurais que c'était du brouillard, de la rosée, de la fumée.
SOKRATÈS
Non, non, par Zeus! Sache que ce sont elles qui nourrissent une foule de sophistes, des devins de Thourion, des empiriques, des oisifs à bagues qui vont au bout des ongles et à longs cheveux, des fabricants de chants pour les chœurs cycliques, des tireurs d'horoscopes, fainéants, dont elles nourrissent l'oisiveté, parce qu'ils les chantent.
STREPSIADÈS
Voilà pourquoi ils chantent «le rapide essor des Nuées humides qui lancent des éclairs, les tresses du Typhôn aux cent têtes, les tempêtes furieuses, filles de l'air, agiles oiseaux qu'un vol oblique fait nager dans les airs, torrents de pluies émanant des Nuées humides». Et, pour prix de leurs vers, ils engloutissent des tranches salées d'énormes et bons mulets, et la chair délicate des grives.
SOKRATÈS
Grâce à elles toutefois, et n'est-ce pas juste?
STREPSIADÈS
Dis-moi, comment se fait-il, si ce sont vraiment des Nuées, qu'elles ressemblent à des mortelles? Elles ne le sont pourtant pas?
SOKRATÈS
Alors que sont-elles donc?
STREPSIADÈS
Je ne sais pas trop. Elles ressemblent à des flocons de laine et non à des femmes, j'en atteste Zeus, pas le moins du monde. Et celles-ci ont des nez.
SOKRATÈS
Réponds maintenant à mes questions.
STREPSIADÈS
Dis-moi vite ce que tu veux.
SOKRATÈS
As-tu vu quelquefois, en regardant en l'air, une nuée semblable à un centaure, à un léopard, à un loup, à un taureau?
STREPSIADÈS
De par Zeus! j'en ai vu. Eh bien?
SOKRATÈS
Elles sont tout ce qu'elles veulent. Et alors, si elles voient un débauché à longue chevelure, quelqu'un de ces sauvages velus, comme le fils de Xénophantès, pour se moquer de sa manie, elles se changent en centaures.
STREPSIADÈS
Qu'est-ce à dire? Si elles voient Simôn, le voleur des deniers cyniques, que font-elles?
SOKRATÈS
Pour le représenter au naturel, elles deviennent tout à coup des loups.
STREPSIADÈS
C'est donc pour cela certainement que, hier, voyant Kléonymos, qui a jeté son bouclier, à la vue de ce lâche, elles sont devenues cerfs.
SOKRATÈS
Et maintenant, quand elles ont aperçu Klisthénès, tu vois, c'est pour cela qu'elles sont devenues femmes.
STREPSIADÈS
Salut, ô souveraines! Aujourd'hui, si vous l'avez fait pour quelque autre, faites résonner pour moi votre voix céleste, reines toutes-puissantes.
LE CHŒUR
Salut, vieillard des anciens jours, pourchasseur des études chères aux Muses; et toi, prêtre des plus subtiles niaiseries, dis-nous ce que tu désires. Car nous ne prêtons l'oreille à aucun des sophistes égarés dans les nuages, si ce n'est à Prodikos, à cause de sa sagesse et de son bon sens, et à toi, à cause de ta démarche fière dans les rues, ton regard dédaigneux, tes pieds nus, ta patience à supporter nombre de maux, et l'air de gravité que tu tiens de nous.
STREPSIADÈS
O Terre, quelle voix! Qu'elle est sainte, auguste, prodigieuse!
SOKRATÈS
C'est qu'elles seules sont déesses; tout le reste n'est que bagatelle.
STREPSIADÈS
Mais, dis-moi, par la Terre! notre Zeus Olympien n'est-il pas dieu?
SOKRATÈS
Quel Zeus? Trêve de plaisanteries! Il n'y a pas de Zeus.
STREPSIADÈS
Que dis-tu? Et qui est-ce qui pleut? Dis-moi cela avant tout.
SOKRATÈS
Ce sont elles; et je t'en donnerai de bonnes preuves. Voyons, où as-tu jamais vu pleuvoir sans Nuées? Si c'était lui, il faudrait qu'il plût par un jour serein, elles absentes.
STREPSIADÈS
Par Apollôn! Ta parole s'applique bien à notre conversation actuelle. Autrefois je croyais bonnement que Zeus pissait dans un crible. Mais qui est-ce qui tonne? Dis-le-moi. Cela me fait trembler.
SOKRATÈS
Elles tonnent en roulant.
STREPSIADÈS
Comment cela, ô toi qui braves tout?
SOKRATÈS
Lorsqu'elles sont pleines d'eau, et contraintes à se mouvoir, précipitées d'en haut violemment, avec la pluie qui les gonfle, puis alourdies, et lancées les unes contre les autres, elles se brisent et éclatent avec fracas.
STREPSIADÈS
Mais qui donc les contraint et les emporte? N'est-ce pas Zeus?
SOKRATÈS
Pas du tout, mais le Tourbillon Æthéréen.
STREPSIADÈS
Le Tourbillon? J'ignorais et que Zeus n'existât pas et que le Tourbillon régnât aujourd'hui à sa place. Mais tu ne m'as encore rien appris sur le bruit du tonnerre.
SOKRATÈS
Ne m'as-tu pas entendu te dire que les Nuées étaient pleines d'eau et, tombant les unes sur les autres, font ce fracas à cause de leur densité?
STREPSIADÈS
Voyons, comment peut-on croire cela?
SOKRATÈS
Je vais te l'enseigner par ton propre exemple. Quand tu t'es rempli de viande aux Panathènæa et que tu as ensuite le ventre troublé, le désordre ne le fait-il pas résonner tout à coup?
STREPSIADÈS
Oui, par Apollôn! je souffre aussitôt, le trouble se met en moi; comme un tonnerre le manger éclate et fait un bruit déplorable, d'abord sourdement, pappax, pappax, puis plus fort, papapappax, et quand je fais mon cas, c'est un vrai tonnerre, papapappax, comme les Nuées.
SOKRATÈS
Considère donc que, avec ton petit ventre, tu as fait un pet résonnant: n'est-il pas naturel alors que l'air qui est immense produise un bruit détonant?
STREPSIADÈS
En effet, les mots «bruit détonant» et «pet résonnant» ont entre eux quelque ressemblance. Mais la foudre, d'où lui vient son étincelle de feu, dis-le-moi, qui tantôt nous frappe et nous consume, tantôt laisse vivants ceux qu'elle a effleurés? Il est évident que c'est Zeus qui la lance sur les parjures.
SOKRATÈS
Mais comment, sot que tu es, toi qui sens l'âge de Kronos, plus vieux que le pain et la lune, s'il frappait les parjures, comment n'aurait-il pas foudroyé Simôn, Kléonymos, Théoros? Ce sont pourtant bien des parjures. Mais il frappe ses propres temples et Sounion, le cap de l'Attique, et les grands chênes.
STREPSIADÈS
Je ne sais; mais tu sembles avoir raison. Qu'est-ce donc alors que la foudre?
SOKRATÈS
Lorsqu'un vent sec s'élève vers les Nuées et s'y enferme, il en gonfle l'intérieur comme une vessie; ensuite, par une force fatale il les crève, s'échappe au dehors avec violence, en raison de la densité, et s'enflamme lui-même par la fougue de son élan.
STREPSIADÈS
Par Zeus! la même chose tout à fait m'est arrivée un jour aux Diasia: je faisais cuire pour ma famille un ventre de truie; je néglige de le fendre; il se gonfle, éclate tout à coup, me débonde dans les yeux et me brûle le visage.
LE CHŒUR
Homme, qui as désiré apprendre de nous la grande sagesse, tu seras très heureux parmi les Athéniens et les Hellènes, si tu as de la mémoire, de la réflexion, et de la patience dans l'âme; si tu ne te lasses ni de rester debout, ni de marcher, ni d'endurer la rigueur du froid; si tu ne désires pas te mettre à table; si tu t'abstiens de vin, des gymnases et des autres folies; si tu regardes comme le meilleur de tout, ainsi qu'il convient à un homme sensé, d'être le premier par ta conduite, ta prudence et par la force polémique de ta langue.
STREPSIADÈS
Pour ce qui est d'une âme forte, d'un souci qui brave l'insomnie, d'un ventre économe, qui ne s'écoute pas, et qui dîne de sarriette, sois sans crainte, pour tout cela, je servirais bravement d'enclume.
SOKRATÈS
A l'avenir, n'est-ce pas, tu ne reconnaîtras plus d'autres dieux que ceux que nous reconnaissons nous-mêmes: le Khaos, les Nuées et la Langue, ces trois-là?
STREPSIADÈS
Jamais, franchement, je ne converserai avec les autres, même si je les rencontrais: pas de sacrifices, pas de libations, pas d'encens brûlé.
LE CHŒUR
Dis-nous maintenant avec confiance ce que nous devons faire pour toi; tu auras pleine satisfaction, si tu nous honores, si tu nous admires, et si tu veux devenir un habile homme.
STREPSIADÈS
O Souveraines, je ne vous demande qu'une toute petite chose: c'est d'être de cent stades le plus fort des Hellènes dans l'art de parler.
LE CHŒUR
Tu l'obtiendras de nous: désormais, à partir de ce moment, devant le peuple, personne ne fera triompher plus d'idées que toi.
STREPSIADÈS
Je ne tiens pas à exposer de grandes idées; ce n'est pas là que je vise, mais à retourner la justice de mon côté et à échapper à mes créanciers.
LE CHŒUR
Tu obtiendras donc ce que tu désires; car tu ne vises pas au grand: livre-toi donc bravement à nos ministres.
STREPSIADÈS
Je le ferai en toute confiance; car la nécessité m'y contraint, étant donnés ces chevaux marqués du Koppa, et le mariage qui m'a ruiné. Maintenant que ceux-ci fassent de moi ce qu'ils voudront: je leur livre mon corps à frapper, à lui faire endurer la faim, la soif, le chaud, le froid, à le tailler en outre, pourvu que je ne paie pas mes dettes: je consens à être aux yeux des hommes insolent, beau diseur, effronté, impudent, vil coquin, colleur de mensonges, hâbleur, rompu aux procès, table de lois, cliquette, renard, tarière, souple, dissimulé, visqueux, fanfaron, gibier à étrivières, ordure, retors, hargneux, lécheur d'écuelles. Dût-on me donner ces noms au passage, qu'ils fassent de moi ce qu'ils voudront; et, s'ils veulent, par Dèmètèr! qu'ils me servent en andouille aux penseurs.
LE CHŒUR
Voilà une volonté! Il n'a pas peur, il a du cœur. Sache que dès que tu tiendras de moi cette science, tu auras parmi les mortels une gloire montant jusqu'aux cieux.
STREPSIADÈS
Que m'arrivera-t-il?
LE CHŒUR
Tout le temps avec moi tu passeras la vie la plus enviable qui soit parmi les hommes.
STREPSIADÈS
Verrai-je jamais cela?
LE CHŒUR
La foule ne cessera d'assiéger tes portes: on voudra t'aborder, causer avec toi d'affaires et de procès d'un grand nombre de talents, dignes des conseils de ta prudence. (A Sokratès.) Mais toi, commence à donner au vieillard quelqu'une de tes leçons; mets en mouvement son esprit, et fais l'épreuve de son intelligence.
SOKRATÈS
Allons, voyons, dis-moi ton caractère, afin que, sachant qui tu es, je dirige, d'après un plan nouveau, mes machines de ton côté.
STREPSIADÈS
Quoi donc? Songes-tu, au nom des dieux! à me battre en brèche?
SOKRATÈS
Pas du tout, mais je veux t'adresser quelques questions. As-tu de la mémoire?