Kitabı oku: «Aristophane; Traduction nouvelle, tome premier», sayfa 9
LES GUÊPES
(L'AN 423 AVANT J.-C.)
Cette pièce est une satire contre la corporation des juges, et la manie des procès, qui avait été singulièrement développée par une loi de Périclès, étendue par Cléon, et attribuant trois oboles à chaque juge. Philocléon (qui aime Cléon) est un vieux juge maniaque, ne rêvant que tribunaux et jugements. Son fils Bdélycléon (qui déteste Cléon) le tient enfermé et le fait surveiller par deux esclaves. Pendant que ses gardiens sont de faction à la porte, Philocléon essaie de s'évader par la fenêtre. Bientôt les juges, ses confrères, travestis en guêpes,—d'où le titre de la pièce,—défilent avec des lanternes pour se rendre au tribunal avant le jour. Ils veulent arracher Philocléon aux mains de ses geôliers. Après une longue conversation, Bdélycléon décide son père à rester chez lui pour y faire le procès du chien Labès qui a mangé un fromage de Sicile. A la fin de la pièce nous voyons Philocléon, conseillé par son fils, abjurer son rigorisme, devenir libertin, tapageur, aussi entêté dans ses désordres que dans sa manie de juger.
PERSONNAGES DU DRAME
Sosias.–}
Xanthias.-} esclaves de Philokléôn.
Bdélikléôn.
Philokléôn.
Chœur de vieillards travestis en guêpes.
Enfants.
Un chien.
Une boulangère.
Un accusateur.
Un coq.–}
Une courtisane.-}
Khæréphôn.–} personnages muets.
Un témoin.–}
La scène est à Athènes, dans la maison de Philokléôn. L'action commence au point du jour.
LES GUÊPES
SOSIAS
Holà! hé! Que fais-tu là, infortuné Xanthias?
XANTHIAS
J'essaie une diversion à ma garde de nuit.
SOSIAS
Tes côtes ont donc encouru quelque grand châtiment? Ne sais-tu pas quel animal nous gardons là?
XANTHIAS
Je le sais; mais j'ai envie de dormir un peu.
SOSIAS
Cours-en donc le risque, d'autant que, moi aussi, je sens sur mes paupières se répandre un doux sommeil.
XANTHIAS
Es-tu fou réellement, ou délires-tu comme les Korybantes?
SOSIAS
Non, mais je suis pris d'un sommeil émanant de Sabazios.
XANTHIAS
Comme moi tu adores donc Sabazios; car tout à l'heure a fondu en vrai Mède, sur mes paupières, un sommeil alourdissant, et j'ai vu récemment un songe merveilleux.
SOSIAS
Et moi, vraiment, j'en ai eu un tel que je n'en vis jamais. Mais toi, parle le premier.
XANTHIAS
Il m'a semblé voir un aigle d'une taille énorme s'abattre sur l'Agora, saisir dans ses serres un bouclier d'airain, l'emporter jusqu'au ciel, et puis ce bouclier tomber des mains de Kléonymos.
SOSIAS
Ce Kléonymos ne diffère donc en rien d'un logogriphe.
XANTHIAS
Pourquoi cela?
SOSIAS
Quelqu'un des convives demandera comment le même monstre a perdu son bouclier sur la terre, dans le ciel et dans la mer.
XANTHIAS
Hélas! Quel malheur va-t-il m'arriver après la vue d'un pareil songe?
SOSIAS
Ne t'inquiète pas. Il ne t'arrivera rien de terrible, j'en atteste les dieux.
XANTHIAS
C'est cependant quelque chose de terrible qu'un homme qui jette ses armes. Mais à toi de me dire le tien.
SOSIAS
Il a de l'importance: il s'y agit du vaisseau de l'État tout entier.
XANTHIAS
Dis-moi vite le fond de cale de l'affaire.
SOSIAS
Il m'a semblé, dans mon premier sommeil, voir sur la Pnyx des moutons réunis en séance, ayant bâtons et manteaux; puis, au milieu de ces moutons, j'ai cru entendre pérorer une baleine vorace, qui avait la voix d'une truie qu'on grille.
XANTHIAS
Pouah!
SOSIAS
Qu'est-ce donc?
XANTHIAS
Finis, finis: n'en dis pas davantage. Ce songe sent une odeur puante de cuir pourri.
SOSIAS
Cette maudite baleine avait une balance et pesait de la graisse de bœuf.
XANTHIAS
Hélas! Malheur! Il veut dépecer notre peau.
SOSIAS
J'ai cru voir auprès d'elle assis par terre Théoros avec une tête de corbeau. Alors Alkibiadès me dit, en grasseyant: «Legalde Théolos; il a la tête d'un colbeau.»
XANTHIAS
Excellent ce grasseyement d'Alkibiadès.
SOSIAS
N'est-ce pas là un présage étrange, Théoros devenu corbeau?
XANTHIAS
Pas du tout, au contraire, c'est fort heureux.
SOSIAS
Comment?
XANTHIAS
Comment? D'homme il est devenu corbeau tout à coup. N'est-ce pas un présage évident qu'il va s'envoler de chez nous pour aller aux corbeaux?
SOSIAS
Et je ne te donnerais pas deux oboles de récompense, à toi qui interprètes si sagement les songes!
XANTHIAS
Attends que j'explique le sujet aux spectateurs et que je leur expose quelques idées que voici: qu'on n'attende de nous rien de trop grand, ni un rire dérobé à Mégara. Nous n'avons pas deux esclaves lançant aux spectateurs des noix tirées d'une corbeille; ni un Hèraklès frustré d'un dîner, ni Euripidès, criblé une seconde fois de nos railleries. Et si Kléôn a brillé, grâce à la Fortune, nous ne remettrons pas le même homme à la sauce piquante. Mais notre modeste sujet a une intention: sans aller au delà de votre finesse, il a plus de portée qu'une comédie banale. Nous avons un maître, qui dort là-haut, homme de mérite, sous le toit. Il nous a donné l'ordre, à nous deux, de garder son père, enfermé là dedans, afin qu'il ne franchisse pas la porte. Ce père est malade d'une maladie étrange, que pas un de vous ne connaîtrait, ni ne supposerait, si vous ne l'appreniez de nous. Devinez. Amynias, fils de Pronapos, ici présent, dit qu'il aime les dés: ce n'est pas vrai.
SOSIAS
De par Zeus! il juge de cette maladie d'après la sienne.
XANTHIAS
Et ce n'est pas cela: il y a bien du «philo» dans l'origine de son mal. Mais Sosias, ici présent, dit à Derkylos qu'il est «philopot».
SOSIAS
Pas du tout: c'est là une maladie d'honnêtes gens.
XANTHIAS
De son côté Nikostratos, du dême de Skambôn, prétend qu'il est «philothyte» ou «philoxènos».
SOSIAS
Par le Chien! ô Nikostratos, il n'est pas «philoxènos», car Philoxènos est un prostitué.
XANTHIAS
Laissez là ces niaiseries: vous ne trouverez pas. Or, si vous désirez le savoir, taisez-vous. Je vais vous dire tout de suite la maladie de notre maître. Il est philhèliaste, le cher homme, comme pas un. Sa passion est de juger. Il gémit, s'il ne se trouve pas assis au premier banc; la nuit, il ne goûte pas un brin de sommeil. Ferme-t-il les yeux un instant, son esprit voltige encore autour de la klepsydre. L'habitude qu'il a de tenir les suffrages fait qu'il se réveille en serrant ses trois doigts, comme celui qui offre de l'encens, à la nouvelle lune. Par Zeus! s'il voit écrit sur une porte: «Charmant Dèmos, fils de Pyrilampès!» il va écrire à côté: «Charmante urne aux suffrages!» Son coq s'étant mis à chanter le soir, il dit que pour l'éveiller tard, il avait été gagné par l'argent des accusés. A peine a-t-il songé, qu'il demande en criant ses chaussures; il court au tribunal bien avant le jour, et il s'y endort, comme un coquillage, au pied de la colonne. Sa mauvaise humeur lui faisant inscrire contre tous la longue ligne, il sort, en manière d'abeille ou de bourdon, les ongles enduits de cire. Ayant peur de manquer de cailloux à suffrages, et voulant avoir de quoi juger, il entasse chez lui toute une grève. Telle est sa manie. On le remet dans le droit chemin, mais toujours il juge de plus belle. Voilà pourquoi nous le gardons enfermé sous les verrous, afin qu'il ne s'échappe pas. Son fils, en effet, est désolé de cette maladie. D'abord il le sermonna en usant de bonnes paroles, l'engageant à ne plus porter de manteau et à ne pas s'éloigner de la porte; mais il n'y réussit point. Ensuite, il le baigna, le purifia: pas plus de succès. Puis il le soumit aux pratiques des Korybantes; mais le père, muni du tambour, courut juger au Kænon. Voyant que toutes ces initiations ne servaient de rien, il fit voile vers Ægina. Là il le fait coucher la nuit dans le temple d'Asklèpios; dès la pointe du jour, il paraît au barreau du tribunal. Depuis, nous ne le laissons plus sortir. Il s'enfuit par les gouttières et par les tuyaux. Nous, tout ce qu'il y avait de trous, nous les avons bouchés avec du vieux linge et rendus impénétrables. Lui, en vrai geai, enfonçait des piquets dans le mur et sautait de branche en branche. Nous, nous avons tendu des filets tout autour de la cour, et nous montons la garde. Le nom du vieux est Philokléôn, soit dit de par Zeus! et celui du fils est Bdélykléôn, homme qui veut guérir les orgueils insolents.
BDÉLYKLÉÔN, à la fenêtre
Xanthias, Sosias, dormez-vous?
XANTHIAS
Oh! oh!
SOSIAS
Qu'y a-t-il?
XANTHIAS
Bdélykléôn est levé.
BDÉLYKLÉÔN
Que l'un de vous deux accoure vite ici! Mon père est dans l'étuve, et il fouille comme un rat qui se cache dans un trou. Toi, aie l'œil sur le tuyau, afin qu'il ne s'échappe point par là; et toi, colle-toi contre la porte.
XANTHIAS
C'est fait, maître.
BDÉLYKLÉÔN
Souverain Poséidôn, quel est ce bruit dans la cheminée? Hé! là-haut, qui es-tu?
PHILOKLÉÔN
Je suis la fumée qui sort.
BDÉLYKLÉÔN
La fumée? Et de quel bois es-tu donc?
PHILOKLÉÔN
De figuier.
BDÉLYKLÉÔN
Par Zeus! c'est la plus âcre des fumées. Mais, je t'en réponds, tu ne t'échapperas pas. Où est le couvercle? Rentre. Allons, je vais ajouter une traverse. Cherche alors quelque autre machine. Vraiment, je suis malheureux comme pas un; on va m'appeler maintenant le fils de «l'Enfumé». Enfant, tiens la porte, pèse dessus ferme, vigoureusement. J'y vais venir aussi. Veille à la serrure; et, pour le verrou, prends garde qu'il ne ronge le fermoir.
PHILOKLÉÔN
Que faites-vous? Ne me laisserez-vous pas aller juger, tas de coquins? Va-t-on absoudre Drakontidès?
BDÉLYKLÉÔN
Cela te ferait donc beaucoup de peine?
PHILOKLÉÔN
Oui, car le Dieu m'a répondu, un jour où je consultais l'oracle de Delphœ, que si un accusé échappait de mes mains, je mourrais desséché.
BDÉLYKLÉÔN
Apollôn sauveur, quel oracle!
PHILOKLÉÔN
Allons, je t'en conjure, laisse-moi sortir, de peur que je ne crève.
BDÉLYKLÉÔN
Non, par Poséidôn! Philokléôn, jamais.
PHILOKLÉÔN
Je rongerai donc le filet à belles dents.
BDÉLYKLÉÔN
A belles dents? Mais tu n'en as pas.
PHILOKLÉÔN
Malheur! Infortuné que je suis. Comment faire pour te tuer? Comment? Donnez-moi une épée tout de suite, ou la tablette aux condamnations.
BDÉLYKLÉÔN
Cet homme va faire quelque mauvais coup.
PHILOKLÉÔN
Mais non, de par Zeus! Je veux aller vendre mon âne tout bâté: c'est la nouvelle lune.
BDÉLYKLÉÔN
Pourquoi n'irais-je pas le vendre, moi?
PHILOKLÉÔN
Non; pas comme moi.
BDÉLYKLÉÔN
Mais mieux, j'en atteste Zeus!
PHILOKLÉÔN
Voyons, amène l'âne.
XANTHIAS
Le bon prétexte qu'il a imaginé! quelle finesse pour que tu le laisses aller plus vite!
BDÉLYKLÉÔN
Mais il n'a rien attrapé; j'ai éventé sa ruse. Entrons toutefois; je vais moi-même faire sortir l'âne, afin que le vieillard ne s'échappe pas de nouveau.
XANTHIAS
Bonne bourrique, pourquoi pleures-tu? Parce qu'on va te vendre aujourd'hui? Avance plus vite. Pourquoi gémis-tu, à moins que tu ne portes quelque Odysseus? Mais, de par Zeus! il porte quelqu'un qui s'est glissé sous son ventre!
BDÉLYKLÉÔN
Qui cela? Voyons!
XANTHIAS
C'est lui!
BDÉLYKLÉÔN
Qu'est-ce que c'est? Qui es-tu, l'homme? Dis-le nettement.
PHILOKLÉÔN
Outis, de par Zeus!
BDÉLYKLÉÔN
Outis, toi? De quel pays?
PHILOKLÉÔN
D'Ithakè, fils d'Apodrasippidès.
BDÉLYKLÉÔN
Outis, j'en atteste Zeus! tu n'auras pas à te réjouir. Entraîne-le vite. Ah! le misérable. Où s'est-il glissé? A mes yeux, il est tout ce qu'il y a de plus ressemblant avec l'ânon d'un témoin.
PHILOKLÉÔN
Si vous ne me laissez pas tranquille, nous plaiderons.
BDÉLYKLÉÔN
Et sur quoi notre procès?
PHILOKLÉÔN
Sur l'ombre d'un âne.
BDÉLYKLÉÔN
Tu es un méchant sans malice et rempli d'audace.
PHILOKLÉÔN
Moi, un méchant! Non, de par Zeus! Tu ne sais pas maintenant tout mon mérite; mais peut-être le sauras-tu, lorsque tu mangeras le sous-ventre du vieux juge de l'Hèliæa.
BDÉLYKLÉÔN
Fais rentrer l'âne et toi-même dans la maison.
PHILOKLÉÔN
O juges, mes collègues, et toi, Kléôn, venez à mon aide!
BDÉLYKLÉÔN
Une fois là dedans, hurle, la porte fermée. Toi, roule un tas de pierres à l'entrée, remets le verrou dans la traverse, et hâte-toi d'appuyer ce gros mortier contre la poutre, pour servir de barricade.
XANTHIAS
Malheur à moi! D'où me tombe cette motte de terre?
BDÉLYKLÉÔN
C'est peut-être quelque rat qui te l'a jetée.
XANTHIAS
Un rat! Non, par Zeus! C'est cet hèliaste de gouttière, qui s'est glissé sous les tuiles du toit.
BDÉLYKLÉÔN
Malheur à moi! Voilà notre homme devenu moineau! Il va s'envoler. Où est le filet? où est-il? Psichtt! psichtt! Hé! Psichtt!… Par Zeus! j'aimerais mieux garder Skiônè qu'un tel père.
XANTHIAS
Voyons, maintenant que nous l'avons chassé, et qu'il n'y a pas moyen qu'il nous échappe furtivement, pourquoi ne dormirions-nous pas un tantinet?
BDÉLYKLÉÔN
Mais, malheureux, dans un instant vont arriver les autres juges ses collègues, pour appeler mon père!
XANTHIAS
Que dis-tu? Le jour se lève à peine.
BDÉLYKLÉÔN
Par Zeus! ils se sont levés tard aujourd'hui. C'est toujours vers le milieu de la nuit qu'ils viennent le chercher, apportant des lanternes, et fredonnant les chants antiques des Sidoniennes de Phrynikhos, qui leur servent à l'appeler.
XANTHIAS
Eh bien, s'il le faut, nous nous mettrons à leur lancer des pierres.
BDÉLYKLÉÔN
Mais, malheureux, cette engeance de vieux, quand on la met en colère, devient semblable à un essaim de guêpes! En effet, ils ont, au bas des reins, un dard des plus aigus, dont ils piquent; ils bondissent en criant, et ils le lancent comme des étincelles.
XANTHIAS
Ne t'inquiète pas! Que j'aie des pierres, et je disperserai cette guêpière de juges…
LE CHŒUR
Avance, marche ferme! O Komias, tu traînes? Par Zeus! ce n'est plus comme autrefois; tu étais une lanière à chien. Aujourd'hui Kharinadès est meilleur marcheur que toi. O Strymodoros de Konthylè, le plus distingué de nos confrères, Evergidès est-il ici, ou Khabès le Phlyen? Ils y sont. Il s'y trouve aussi,—appapæ, papæax—le reste de cette jeunesse, qui était avec nous à Byzantion, lorsque nous montions la garde, moi et toi. Dans nos excursions de nuit, nous dérobâmes en secret le pétrin de la boulangère et nous le fendîmes pour y faire cuire nos gros légumes… Mais hâtons-nous, mes amis; c'est aujourd'hui le tour de Lakhès: tout le monde dit que sa ruche est pleine d'argent. Aussi Kléôn, notre soutien, nous a-t-il enjoint hier de venir de bonne heure, avec une provision de trois jours de colère furieuse contre l'accusé, pour le punir de ses méfaits. Hâtons-nous donc, braves amis, avant que le jour paraisse. Marchons, et regardons bien de tous côtés avec nos lampes, de peur que quelque pierre ne nous fasse obstacle et ne nous mette à mal.
UN ENFANT
Un bourbier, père, père! Prends-y garde!
LE CHŒUR
Prends par terre un brin de paille et mouche la lampe.
L'ENFANT
Non; je la moucherai bien, je pense, avec mon doigt.
LE CHŒUR
Pourquoi donc allonges-tu la mèche avec ton doigt, lorsque l'huile manque, petit niais? Ce n'est pas toi qui en souffres, quand il faut en payer le prix. (Il le frappe.)
L'ENFANT
De par Zeus! si vous nous faites encore la leçon à coups de poing, nous éteignons les lampes, et nous retournons à la maison seuls. Alors, sans doute, au milieu des ténèbres, privé de clarté, tu barboteras, en marchant dans la boue comme un francolin.
LE CHŒUR
Oui, j'en châtie d'autres plus grands que toi. Mais il me semble que je patauge dans cette boue. Il n'est pas possible que d'ici à quatre jours le Dieu ne fasse pas tomber de l'eau en abondance, tant nos lampes se couvrent de champignons. C'est l'habitude, quand cela se produit, qu'il y ait une pluie torrentielle. Et puis, tout ce qu'il y a de fruits encore verts a besoin d'eau et du souffle de Boréas. Mais qu'est-il donc arrivé à notre collègue, habitant cette maison, pour qu'il ne paraisse pas ici dans notre groupe? On n'avait pas besoin jadis de le remorquer: il marchait le premier de nous, en fredonnant du Phrynikhos; car c'est un amateur de chant. Mon avis, chers camarades, est de nous arrêter ici et de l'appeler en chantant; s'il entend ma musique, le plaisir l'attirera vers la porte.
Mais pourquoi ce vieillard ne se montre-t-il pas à nous, devant sa porte, et ne nous répond-il pas? A-t-il perdu ses chaussures? ou bien s'est-il cogné l'orteil dans l'obscurité, et y a-t-il une inflammation à la cheville du pauvre vieux? Peut-être aussi a-t-il une tumeur à l'aine. Il était pourtant le plus âpre de nous tous et le seul inexorable. Si quelqu'un le suppliait, il baissait la tête, et: «Tu veux cuire une pierre,» disait-il. Peut-être est-ce à cause de l'homme qui nous a échappé hier par mensonges, en disant qu'il était ami d'Athènes et qu'il avait révélé le premier les affaires de Samos: la peine qu'il en a ressentie l'aura fait coucher avec la fièvre: car voilà l'homme.
Mais, mon bon, lève-toi, ne te ronge pas ainsi, ne te fâche pas: il nous arrive un homme gras, un de ceux qui ont livré la Thrakè: tu vas le condamner à mort.
Avance, enfant, avance.
L'ENFANT
Voudrais-tu bien me donner, mon père, ce que je vais te demander?
LE CHŒUR
Sans doute, mon enfant. Mais dis-moi ce que tu veux que je t'achète de beau. Je pense que tu aimes sans doute les osselets, mon enfant.
L'ENFANT
Non, par Zeus! J'aime mieux les figues, petit père; c'est plus doux.
LE CHŒUR
Eh bien, non, par Zeus! dussiez-vous aller vous pendre!
L'ENFANT
Alors, par Zeus! je ne vous conduirai plus.
LE CHŒUR
Ainsi, avec mon chétif salaire j'ai trois choses à acheter, farine, bois et comestibles, et tu me demandes encore des figues!
L'ENFANT
Mais, voyons, mon père, si l'arkhonte ne convoque pas tout de suite le tribunal, où achèterons-nous à dîner? As-tu quelque heureux espoir à nous offrir ou le chemin sacré de Hellè?
LE CHŒUR
Oh! oh! hélas! Oh! oh! hélas! J'en atteste Zeus, je ne sais pas comment nous dînerons.
L'ENFANT
Pourquoi, malheureuse mère, m'as-tu mis au monde?
LE CHŒUR
Pour me donner le mal de te nourrir.
L'ENFANT
O mon petit sac, tu n'es donc qu'un ornement inutile! Hélas! hélas! c'est notre lot de gémir.
PHILOKLÉÔN, enfermé et parlant à travers la porte
Amis, il y a longtemps que je dessèche à vous entendre de cette fenêtre, mais je ne puis chanter avec vous. Que ferai-je? Je suis gardé par les gens qui sont là, parce que je veux depuis longtemps aller avec vous du côté des urnes et y faire du mal. O Zeus au tonnerre retentissant, change-moi tout de suite en fumée ou en Proxénidès, ou en fils de Sellos, ce hâbleur. N'hésite pas, roi du ciel, à me faire cette grâce: prends pitié de mon malheur. Que ta foudre ardente me réduise en cendre à l'instant, et qu'ensuite ton souffle m'enlève et me jette dans une saumure bouillante, ou bien fais de moi la pierre sur laquelle on compte les suffrages.
LE CHŒUR
Qui donc est celui qui te retient et qui ferme la porte? Parle; tu t'adresses à des amis.
PHILOKLÉÔN
C'est mon fils; ne criez pas: il est là devant, il dort; baissez la voix.
LE CHŒUR
Mais quelle défense, mon pauvre homme, veut-il t'imposer en agissant de la sorte? Quel prétexte est le sien?
PHILOKLÉÔN
Mes amis, il ne veut pas me laisser juger ni faire du mal à personne; il est disposé à me faire faire bonne chère, et moi, je ne veux pas.
LE CHŒUR
Les paroles audacieuses de cet infâme Dèmologokléôn sont provoquées par ce que tu dis la vérité au sujet de la flotte. Cet homme n'aurait pas cette audace de paroles s'il ne tramait quelque conspiration. Mais c'est le moment de chercher quelque nouveau moyen qui, à l'insu de cet homme, te permette de descendre ici.
PHILOKLÉÔN
Quel serait-il? Cherchez, vous. Moi, je serais prêt à tout, tant je désire parcourir les bancs avec ma coquille.
LE CHŒUR
Y a-t-il quelque ouverture que tu puisses creuser à l'intérieur pour t'en échapper, couvert de haillons, comme l'industrieux Odysseus.
PHILOKLÉÔN
Tout est bouché: il n'y a pas la moindre fissure par où passerait un moucheron. Il faut donc que vous cherchiez quelque autre chose: pas de trou possible.
LE CHŒUR
Te souviens-tu comment, étant à l'armée et ayant volé quelques broches que tu fichais toi-même dans le mur, tu en descendis très vite? C'était à la prise de Naxos.
PHILOKLÉÔN
Je sais. Mais à quoi bon? Il n'y a pas en ceci la moindre ressemblance. J'étais jeune alors, capable de voler et plein de vigueur; personne ne me gardait, mais il m'était permis de fuir sans crainte. Maintenant, des hommes armés, rangés sur les routes, y font sentinelle. Deux d'entre eux sont devant ces portes, broches en main, et m'épient comme un chat qui a volé un morceau de viande.
LE CHŒUR
Trouve donc au plus tôt quelque machine; car voici le jour, mon doux ami.
PHILOKLÉÔN
Il n'y a donc rien de mieux pour moi que de ronger mon filet. Que Diktynna me pardonne pour ce filet!
LE CHŒUR
C'est bien le fait d'un homme qui travaille à son salut. Allons! joue de la mâchoire.
PHILOKLÉÔN
Voilà qui est rongé; mais ne criez pas: veillez, au contraire, à ce que Bdélykléôn ne s'aperçoive de rien.
LE CHŒUR
Ne crains rien mon cher, rien. S'il souffle mot, je le forcerai à se ronger le cœur et à courir la course pour sa propre vie: il verra bien qu'il ne faut pas fouler aux pieds les lois des deux Déesses. Attache donc une corde à la fenêtre, entoures-en ton corps et laisse-toi descendre, l'âme remplie de la fureur de Diopithès.
PHILOKLÉÔN
Voyons donc! Mais si ces deux hommes s'en aperçoivent, qu'ils essaient de me repêcher et de me remonter dans la maison, que ferez-vous? Parlez vite!
LE CHŒUR
Nous te porterons secours, faisant appel à tout notre cœur d'yeuse, si bien qu'il sera impossible de te renfermer. Voilà ce que nous ferons.
PHILOKLÉÔN
J'agirai donc, confiant en vous. Mais retenez bien ceci: s'il m'arrive malheur, prenez mon corps, baignez-le de vos larmes, et enterrez-le sous la barre du tribunal.
LE CHŒUR
Il ne t'arrivera rien; sois sans crainte. Ainsi, mon cher ami, descends avec confiance, en invoquant les dieux de la patrie.
PHILOKLÉÔN
O souverain Lykos, héros, mon voisin, tu te plais, comme moi, aux larmes éternelles et aux gémissements des accusés, et voilà justement pourquoi tu es venu habiter ici, afin de les entendre; tu as voulu, seul de tous les héros, séjourner auprès des gémissants. Aie pitié de moi, sauve aujourd'hui ton voisin. Je jure que je ne pisserai ni ne pèterai jamais devant ta balustrade.
BDÉLYKLÉÔN
Holà! l'homme! Éveille-toi.
XANTHIAS
Qu'y a-t-il?
BDÉLYKLÉÔN
J'entends comme le son d'une voix.
XANTHIAS
Est-ce que le vieux se glisse quelque part?
BDÉLYKLÉÔN
Non, de par Zeus! mais il descend lié à une corde.
XANTHIAS
Ah! scélérat! que fais-tu? Ne t'avise pas de descendre.
BDÉLYKLÉÔN
Remonte vite par l'autre fenêtre et frappe-le avec les branches sèches; peut-être retournera-t-il la poupe, frappé par les branches d'olivier.
PHILOKLÉÔN
A l'aide, vous tous qui devez avoir des procès cette année, Smikythiôn, Tisiadès, Chrèmôn, Phérédipnos! Quand donc viendrez-vous à mon secours, si ce n'est maintenant, avant qu'on m'ait renfermé?
LE CHŒUR
Dis-moi, que tardons-nous à mettre en mouvement cette colère qui nous prend, quand on irrite nos essaims? Oui, voilà, voilà que se dresse ce dard irascible, aigu, qui nous sert à châtier. Allons, jetez vite vos manteaux, enfants, courez, criez, annoncez ceci à Kléôn; dites-lui de venir combattre un ennemi de la république, qui mérite de périr, puisqu'il ose dire qu'il ne faut pas juger les procès.
BDÉLYKLÉÔN
Braves gens, écoutez la chose, et ne criez pas!
LE CHŒUR
De par Zeus! jusqu'au ciel!
BDÉLYKLÉÔN
Je ne le lâcherai pas!
LE CHŒUR
Mais c'est affreux; c'est une tyrannie manifeste! ô cité de Théoros, ennemi des dieux, et quels que soient les flatteurs qui nous gouvernent!
XANTHIAS
Par Hèraklès! ils ont des dards. Ne les vois-tu pas, maître?
BDÉLYKLÉÔN
Oui, c'est avec cela qu'ils ont tué en justice Philippos, fils de Gorgias.
LE CHŒUR
Et toi aussi tu en mourras! Tournez-vous tous par ici, le dard en avant, et marchez contre lui, serrés, en bon ordre, tout gonflés de colère et de rage, afin qu'il sache bien plus tard de quel essaim il a irrité la colère.
XANTHIAS
Cela va être rude, de par Zeus! si le combat s'engage: moi, je tremble de peur à la vue de tous ces aiguillons.
LE CHŒUR
Alors, lâche cet homme; sinon, je dis, moi, que tu envieras la peau des tortues.
PHILOKLÉÔN
Allons, juges mes collègues, guêpes au cœur dur, mettez-vous en fureur; qu'une partie de vous leur pique le derrière, une autre les yeux et les doigts.
BDÉLYKLÉÔN
Midas, Phryx, accourez à l'aide; toi aussi, Masyntias; saisissez-le et ne le remettez aux mains de personne. Autrement, je vous mets de lourdes entraves, et vous y jeûnerez. J'ai entendu le crépitement de nombreuses feuilles de figuier.
LE CHŒUR
Si tu ne le lâches pas, quelque chose te poindra.
PHILOKLÉÔN
O Kékrops, héros souverain à la queue de dragon, souffriras-tu que je sois ainsi la proie d'hommes barbares, à qui j'ai appris à verser quatre mesures de larmes par khœnix?
LE CHŒUR
Mille maux ne viennent-ils pas fondre sur la vieillesse? C'est évident. Voilà deux esclaves qui retiennent de force leur vieux maître. Ils laissent dans l'oubli du passé les peaux, les exomides qu'il achetait pour eux, les casquettes de chien, les services rendus à leurs pieds munis durant l'hiver contre le froid. Ils n'ont ni en eux-mêmes, ni dans leurs regards le respect des chaussures d'autrefois.
PHILOKLÉÔN
Tu ne me lâcheras donc pas maintenant, méchante bête? Tu ne te rappelles plus qu'un jour, t'ayant surpris volant du raisin, je t'attachai à un olivier et t'écorchai si bien et si virilement que tu faisais des jaloux. Et cependant tu es un ingrat. Mais lâchez-moi donc, toi et toi, avant que mon fils accoure.
LE CHŒUR
Vous allez être punis bel et bien de votre conduite, avant peu; et vous connaîtrez quel est le caractère d'hommes irascibles, justes, aux regards âcres comme le cresson.
BDÉLYKLÉÔN
Frappe, frappe, Xanthias, chasse ces guêpes de la maison!
XANTHIAS
C'est ce que je fais.
BDÉLYKLÉÔN, à Sosias
Et toi, répands une épaisse fumée.
SOSIAS
Eh bien! ne vous sauverez-vous pas? Allez aux corbeaux! Vous ne partez pas?… Joue du bâton.
XANTHIAS
Toi, pour faire de la fumée, mets le feu à Æskhinès, fils de Sellartios. Nous devons, avec le temps, finir par vous chasser.
BDÉLYKLÉÔN
Mais, de par Zeus! tu ne les aurais pas facilement mis en fuite, s'ils s'étaient trouvés nourris des vers de Philoklès.
LE CHŒUR
N'est-il pas évident pour les pauvres que la tyrannie à mon insu s'est glissée furtivement ici? Oui, toi, plus mauvais que le mal, émule d'Amynias le chevelu, tu nous empêches d'exécuter les lois établies par la ville, et cela sans avoir aucun prétexte, ni une éloquence ingénieuse, et pour commander seul.
BDÉLYKLÉÔN
N'y a-t-il pas moyen, sans bataille et sans cris aigus, d'entrer en pourparlers et en accommodements?
LE CHŒUR
Des pourparlers avec toi, haïsseur du peuple, ami de la monarchie, complice de Brasidas, toi qui portes des franges de laine et qui nourris une épaisse moustache!
BDÉLYKLÉÔN
Hé! par Zeus! mieux vaudrait pour moi abandonner tout à fait mon père, que de lutter chaque jour contre des flots si orageux.
LE CHŒUR
Et pourtant tu n'en es qu'au persil et à la rue, pour nous servir d'un terme emprunté aux marchands de vin. Maintenant, en effet, tu n'as rien à souffrir, mais tu verras quand l'accusateur entassera contre toi ces mêmes griefs et citera tes complices.
BDÉLYKLÉÔN
Enfin, au nom des dieux, est-ce que vous n'allez pas me débarrasser de vous? Avez-vous résolu que moi j'éreinte et que vous soyez éreintés tout le jour?
LE CHŒUR
Non, jamais, tant qu'il me restera le souffle, au lieu que tu aspires à nous tyranniser.
BDÉLYKLÉÔN
Comme tout est pour vous tyrannie et conspirations, quelle que soit l'affaire, grande ou petite, mise en cause! Pour moi, je n'ai pas entendu ce mot durant cinquante années. Aujourd'hui, il est plus commun que le poisson salé. C'est au point qu'il roule dans toute l'Agora. Si quelqu'un achète des orphes et ne veut pas de membrades, le marchand d'à côté, qui vend des membrades, se met à crier: «La cuisine de cet homme m'a l'air de sentir la tyrannie.» Un autre demande du poireau, pour assaisonner ces anchois; la marchande de légumes le regarde de travers et lui dit: «Tu demandes du poireau, est-ce en vue de la tyrannie? Penses-tu qu'Athènes doive te fournir des assaisonnements?»
XANTHIAS
Moi, hier, j'entre chez une fille, à l'heure de midi, et je lui propose une chevauchée; elle se fâche et elle me demande si je veux rétablir la tyrannie d'Hippias.
BDÉLYKLÉÔN
Ces propos leur sont agréables à entendre, et moi, parce que je veux arracher mon père à ces sorties matinales de misérable calomniateur en justice, afin de vivre une bonne vie comme Morykhos, on m'accuse d'agir en conspirateur et de songer à la tyrannie.
PHILOKLÉÔN
Et, de par Zeus! on a raison; car, pour moi, je préfère au lait des poules la vie dont tu veux aujourd'hui me priver. Je n'aime ni les raies, ni les anguilles, mais je mangerais avec plaisir un tout petit procès, cuit sur le plat à l'étouffée.
BDÉLYKLÉÔN
Par Zeus! tu t'es habitué à te régaler de ces affaires. Mais, si tu gardes le silence pour écouter ce que je dis, tu reconnaîtras, je pense, que tu te trompes du tout au tout.
PHILOKLÉÔN
Je me trompe en rendant la justice?
BDÉLYKLÉÔN
Tu ne sens pas que tu es la risée de ces hommes auxquels tu rends une sorte de culte, mais dont tu es l'esclave à ton insu.
PHILOKLÉÔN
Cesse de parler d'esclavage: je règne sur tous.
BDÉLYKLÉÔN
Non, pas toi; tu n'es qu'un esclave, en croyant commander. Dis-nous, mon père, quel honneur te revient-il des tributs de la Hellas?
PHILOKLÉÔN
Beaucoup assurément: j'en veux faire juges les gens qui sont ici.
BDÉLYKLÉÔN
Et moi également. Laissez-le tous en liberté; donnez-moi une épée. Si je suis vaincu dans cette lutte de parole, je tomberai percé de cette épée. Et toi, que je ne nomme pas, dis-moi si tu récuses l'arrêt…
PHILOKLÉÔN
Que je ne boive jamais ma part de vin pur en l'honneur du Bon Génie!
LE CHŒUR
C'est maintenant qu'il te faut tirer de notre arsenal quelque discours nouveau; mais ne parle pas dans le sens de ce jeune homme. Tu vois quelle est pour toi l'importance de ce combat; c'est le tout pour le tout si, ce qu'aux dieux ne plaise, il venait à l'emporter.
BDÉLYKLÉÔN
Qu'on m'apporte mes tablettes, et faites vite.
LE CHŒUR
Ah! quel air tu as en donnant cet ordre!
BDÉLYKLÉÔN
J'y veux simplement écrire, pour mémoire, tout ce qu'il dira.
PHILOKLÉÔN
Mais que diriez-vous s'il triomphait dans la discussion?
LE CHŒUR
La troupe des vieillards ne servirait plus de rien absolument. Raillés dans toutes les rues, on nous appellerait thallophores et sacs à procès. Toi donc, qui vas défendre notre souveraineté, déploie en ce moment tout le courage de ton éloquence.