Kitabı oku: «Micah Clarke – Tome I. Les recrues de Monmouth», sayfa 5
VI-Au sujet de la lettre venue des Pays-Bas
Je me levai le matin de bonne heure, et je courus, selon l'usage des campagnards, à la chambre de notre hôte pour voir si je pouvais lui être de quelque utilité.
En poussant sa porte, je m'aperçus qu'elle résistait.
Cela me surprit d'autant plus que je savais qu'il n'y avait en dedans ni clef, ni verrou.
Mais elle céda peu à peu sous ma poussée, et je reconnus qu'un lourd coffre ordinairement placé près de la fenêtre avait changé de place et été mis là pour empêcher toute intrusion.
Cette précaution, prise sous le toit paternel, comme s'il se trouvait dans une tanière de voleurs, me mit en colère.
Je donnai un violent coup d'épaule qui déplaça le coffre, ce qui me permit d'entrer dans la chambre.
Monsieur Saxon était assis dans le lit et jetait autour de lui des regards fixes, comme s'il ne savait pas très bien où il était.
Il avait noué un mouchoir blanc autour de sa tête, en guise de bonnet de nuit, et son visage aux traits durs, rasé de près, vu sous cet abri, contribuait avec son corps osseux, à lui donner l'air d'une gigantesque vieille femme.
La bouteille d'usquebaugh vide était posée à côté de son lit.
Évidemment les craintes s'étaient réalisées.
Il avait eu une attaque de fièvre persane.
– Ah! mon jeune ami, dit-il enfin, c'est donc l'usage dans cette partie du pays, de prendre d'assaut ou par escalade les chambres de vos hôtes, aux premières heures du matin?
– Est-ce l'habitude, répondis-je d'un ton rude, de barricader votre porte quand vous dormez sous le toit d'un honnête homme! Qu'aviez-vous à craindre pour prendre une précaution de ce genre!
– Bon! vous êtes un mangeur de feu! répondit-il en se renversant de nouveau sur l'oreiller et ramenant les draps sur lui, un feuerkopf, comme disent les Allemands, ou plutôt un tollkopf mot qui, pris dans son sens propre signifie tête folle. Votre père, à ce que j'ai appris, était un homme vigoureux et violent, quand le sang de la jeunesse circulait dans ses veines; mais, autant que je puis en juger, vous n'êtes pas en arrière de lui. Sachez donc que le porteur de papiers importants, documenta pretiosa sed periculosa, a pour devoir de ne rien laisser au hasard, et de veiller de toutes les façons sur le dépôt qui lui a été confié. À la vérité, je suis dans la maison d'un honnête homme, mais je ne sais qui peut entrer, qui peut venir pendant les heures de la nuit. Vraiment, pour cette affaire… Mais j'en ai dit assez, je serai avec vous dans un instant.
– Vos habits sont secs et tout prêts, fis-je remarquer.
– Assez! Assez! Je ne veux pas me plaindre du vêtement complet que votre père m'a prêté. Peut-être étais-je accoutumé à en porter de meilleurs, mais celui-ci fera mon affaire. Le camp n'est pas la cour.
Pour moi, il était évident que le vêtement de mon père valait infiniment mieux soit par la coupe, soit par l'étoffe, que celui qu'avait porté sur lui notre hôte.
Mais comme il avait rentré complètement sa tête sous les draps du lit, il n'y avait rien de plus à dire.
Je descendis à la chambre du bas, où je trouvai mon père activement occupé à assujettir une boucle neuve au baudrier de son épée, pendant que ma mère préparait le repas du matin.
– Venez dans la cour avec moi, Micah, dit mon père. Je voudrais vous dire un mot.
Les ouvriers n'étaient pas encore à leur travail.
Nous sortîmes donc par cette belle matinée pour nous asseoir sur le petit parapet de pierre qui sert à étendre les peaux.
– Je suis sorti ce matin pour voir où j'en suis de l'exercice au sabre, dit-il. Je m'aperçois que j'ai gardé toute ma vivacité pour un coup de pointu, mais pour les coups de taille je sens une raideur pénible. Je pourrais rendre quelques services à l'occasion, mais hélas! je ne suis plus le sabreur qui menait l'aile gauche du plus beau régiment de cavalerie qui ait jamais marché derrière les timbaliers. Le Seigneur m'avait donné, le Seigneur m'a ôté. Mais si je suis vieux et usé, j'ai le fruit de mes reins pour prendre ma place et manier la même épée pour la même cause. Vous partirez à ma place, Micah.
– Partir! où?
– Chut, mon garçon, et écoutez. N'en dites pas trop long à votre mère, car les femmes ont le cœur sans force. Lorsqu'Abraham offrit son premier-né, je suis certain qu'il n'en parla guère à Sarah. Voici la lettre. Savez-vous qui est ce Rumbold?
– Je suis sûr de vous avoir entendu parler de lui comme d'un de vos compagnons d'autrefois.
– C'est bien lui, un homme sûr et sincère. Il fut si fidèle – fidèle jusqu'au meurtre – que quand l'armée des Justes se dispersa, il ne déposa point son zèle en même temps que son justaucorps de buffle. Il s'établit comme fabricant de malt à Hoddesdon, et ce fût chez lui qu'on prépara le fameux complot de Rye-House, où furent impliqués tant de braves gens.
– N'était-ce pas un déloyal projet d'assassinat, demandai-je.
– Non! Ne vous laissez pas décevoir par les mots. Ce sont des gens malveillants qui sont les auteurs de cette vile calomnie que Rumbold et ses amis projetaient un assassinat. Ce qu'ils voulaient accomplir, ils étaient résolus à le faire au grand jour, à trente d'entre eux contre cinquante hommes de la Garde Royale, lorsque Charles et Jacques se rendraient à Newmarket. Si le roi et son frère avaient reçu une balle ou un coup de pointe de sabre, ils l'auraient reçu en pleine bataille, où leurs agresseurs se seraient exposés. C'était coup pour coup; ce n'était point un assassinat.
Il se tut et posa sur moi un regard interrogateur.
Je ne saurais dire franchement que je fus satisfait, car une attaque contre des gens sans armes et sans défiance, fussent-ils même entourés par des gardes du corps, n'était pas justifiable à mes yeux.
– Lorsque le complot eut échoué, reprit mon père, Rumbold dut fuir pour sauver sa vie, mais il réussit à glisser entre les mains de ceux qui le poursuivaient, et à gagner les Pays-Bas. Il y trouva réunis un grand nombre d'ennemis du gouvernement. Des messages réitérés venant d'Angleterre, et surtout des comtés de l'Ouest et de Londres, leur affirmaient que s'ils voulaient enfin tenter une invasion, ils pourraient compter sur des secours tant en hommes qu'en argent. Mais ils furent quelque temps dans l'embarras, faute d'un chef qui eut assez d'importance pour exécuter un aussi grand projet, mais enfin maintenant ils en ont un, le meilleur qu'on pût choisir. Ce n'est rien moins que le bien aimé capitaine protestant, James, duc de Monmouth, fils de Charles II.
– Fils légitime, remarquai-je.
– C'est vrai ou c'est faux. Certains prétendent que Lucy Walters était épouse légitime. Bâtard ou non, il professe les vrais principes de la vénérable Église et il est aimé du peuple. Qu'il se montre dans l'Ouest, et les soldats surgiront comme les fleurs au printemps.
Il se tut et me conduisit à l'autre bout de la cour, car les ouvriers arrivaient déjà et entouraient la fosse à plonger les peaux.
– Monmouth est en route, reprit-il, et s'attend à rallier sous son étendard tous les braves Protestants. Le duc d'Argyle doit commander un corps distinct, qui mettra en feu tous les Highlands d'Écosse. À eux deux, ils espèrent obliger le persécuteur des fidèles à demander grâce. Mais j'entends la voix de l'ami Saxon, et je ne veux pas qu'il dise que je me suis conduit comme un rustre à son égard. Voici la lettre, mon garçon. Lisez-la attentivement, et rappelez-vous que quand des braves luttent pour leurs droits, il est juste qu'un membre de la vieille famille rebelle de Clarke soit dans leurs rangs.
Je pris la lettre, et après m'être promené dans la campagne, je m'établis confortablement sous un arbre pour la lire.
Cette feuille jaunie que je tiens en ce moment, c'est celle-là même qui fut apportée par Decimus Saxon, celle que je lus dans cette belle matinée de mai à l'ombre de l'aubépine.
Je vous la reproduis telle quelle.
«À mon ami et compagnon dans la cause du Seigneur, Joseph Clarke.
«Sache, ami, que la délivrance est proche pour Israël, et que le roi criminel ainsi que ceux qui le soutiennent seront frappés et entièrement abattus, à tel point qu'on ne sache plus l'endroit où ils se trouvaient sur la terre.
«Hâte-toi, dès lors, de donner une preuve de ta foi, pour qu'au jour de peine, tu ne sois point trouvé en défaut.
«Il est arrivé que de temps à autre beaucoup de ceux qui appartiennent à l'Église souffrante, tant dans notre pays que parmi les Écossais, se sont réunis en cette bonne ville luthérienne d'Amsterdam, et qu'à la fin ils se sont trouvés en nombre suffisant, pour entreprendre une bonne besogne.
«Car il y a au milieu de nous Mylord Grey de Wark, Wade, Dare de Taunton, Ayloffe, Holmes, Hollis, Goodenough, et d'autres que tu connaîtras.
«Parmi les Écossais, il y a le Duc d'Argyle, qui a souffert cruellement pour le Covenant, Sir Patrick Hume, Fletcher de Saltoun, Sir John Cochrane, le Docteur Ferguson, le Major Elphinstone et d'autres.
«À ceux-ci nous aurions volontiers ajouté Locke et le vieux Hal Ludlow, mais ils ne sont ni chauds ni froids, comme ceux de l'Église de Laodicée.
«Toutefois il est maintenant arrivé que Monmouth, après avoir longtemps vécu dans les chaînes honteuses de cette femme Madianite nommée Wentworth, s'est enfin tourné à des choses plus hautes et qu'il a consenti à proclamer ses droits à la couronne.
«Il a été reconnu que les Écossais préféraient suivre un chef de leur propre nation, et il a été en conséquence décidé qu'Argyle, ou Mac Callum le Grand, ainsi que le nomment les sauvages dépourvus de culottes d'Inverary, commandera une expédition distincte sur la cote occidentale de L'Écosse.
«On espère lever cinq mille Campbells, et être rejoint par tous les Convenanters et Whigs de l'Ouest, gens qui feraient de bonnes troupes comme autrefois, s'ils avaient seulement des officiers craignant Dieu et expérimentés dans les hasards des combats et les usages de la guerre.
«Avec une armée pareille, il serait en mesure d'occuper Glasgow, et d'attirer dans le Nord les forces royales.
«Ayloffe et moi, nous partons avec Argyle.
«Il est probable que nos pieds auront touché le sol écossais avant que cette lettre soit sous tes yeux.
«Le corps principal part avec Monmouth, et débarque sur un point favorable de l'Ouest, où nous sommes assurés d'amis nombreux.
«Je ne puis nommer cet endroit, dans la crainte que cette lettre ne s'égare, mais tu ne tarderas pas à l'apprendre.
«J'ai écrit à tous les honnêtes gens qui habitent près de la côte, en leur demandant de se tenir prêts à seconder la révolte.
«Le roi est faible et détesté de la majorité de ses sujets.
«Il ne faut qu'un grand coup pour faire tomber sa couronne dans la poussière.
«Monmouth partira dans quelques semaines, quand son armement sera achevé et le temps favorable.
«Si tu peux venir, mon vieux camarade, je sais bien que je n'aurai pas à te prier pour que tu sois sous notre drapeau.
«Si par hasard une existence paisible et le déclin de ta force t'interdisaient de te joindre à nous, j'espère que tu lutteras pour nous par la prière, ainsi que le fit le saint prophète d'autrefois.
«Peut-être même, car j'apprends que tu as prospéré en ce qui concerne les choses de ce monde, seras-tu en état d'équiper un piquier ou deux, ou d'envoyer un présent pour la caisse de l'armée, laquelle ne sera pas des mieux pourvues.
«Ce n'est point dans l'or que nous mettons notre confiance, mais dans l'acier et dans la bonté de notre cause.
«Cependant l'or sera le bienvenu.
«Si nous échouons, nous tomberons en hommes et en chrétiens.
«Si nous réussissons, nous verrons comment ce parjure de Jacques, ce persécuteur des saints, cet homme au cœur dur comme la pierre de dessous dans un moulin, et qui souriait à Edimburg quand les pouces des fidèles étaient arrachés de leur articulation, nous verrons s'il supportera virilement l'adversité quand elle fondra sur lui.
«Que la main du Tout-Puissant soit au-dessus de nous!
«Je sais peu de chose sur le compte du porteur de cette lettre, excepté qu'il se dit du nombre des élus.
«Si tu viens au camp de Monmouth, fais en sorte de l'avoir avec toi, car il a acquis une grande expérience dans les guerres d'Allemagne, d'Espagne et de Turquie.
«Votre ami dans la foi du Christ.
«RICHARD RUMBOLD»
«Offre mes compliments à ton épouse. Qu'elle lise l'Épître à Timothée, chapitre huitième, du neuvième au quinzième verset.»
J'avais lu avec soin cette longue lettre.
Je la remis alors dans ma poche, et regagnai le logis pour déjeuner.
Mon père me jeta un regard interrogateur quand je rentrai, mais je ne dis rien pour y répondre, car j'avais l'esprit plein de ténèbres et d'incertitude.
Ce jour-là, Decimus Saxon nous quitta, en vue de faire le tour du pays pour remettre les lettres, mais en nous promettant de revenir bientôt.
Il survint une petite mésaventure avant son départ, car pendant que nous causions de son voyage, mon frère Hosea jugea à propos de jouer avec la poire à poudre de mon père, qui prit feu, en lançant tout à coup une grande flamme, et parsema les murs d'éclats de métal.
L'explosion fut si brusque et si violente que mon père et moi nous nous levâmes en sursaut, mais Saxon, qui tournait le dos à mon frère, resta immobile, se carrant sur sa chaise, sans jeter un coup d'œil derrière lui, sans qu'un changement parût sur sa figure aux traits rudes.
Par une chance incroyable, personne ne fut atteint, pas même Hosea, mais cet incident me donna quelque estime pour notre nouvelle connaissance.
Lorsqu'il partit, qu'il parcourut la rue du village, son long corps efflanqué, son visage étrange et ses traits durs, et le chapeau brodé d'argent de mon père, dont il était coiffé attirèrent plus d'attention que je n'en souhaitais, à raison de l'importance des missives qu'il portait, et de la certitude qu'elles seraient découvertes, dans le cas où on l'arrêterait comme inconnu n'ayant nul répondant.
Heureusement la curiosité des compagnons n'eut d'autre effet que de les grouper sur leurs portes et à leurs fenêtres, d'où ils contemplaient le passant en ouvrant de grands yeux, pendant que lui, enchanté de l'attention qu'il excitait, s'en allait à grandes enjambées, le nez en l'air et faisant tournoyer ma trique dans sa main.
Il avait laissé derrière lui la meilleure opinion sur son compte.
La bienveillance de mon père lui avait été acquise par sa piété et les sacrifices qu'il prétendait avoir faite pour la foi.
Il avait enseigné à ma mère comment les Serbes portent leurs bonnets.
Il lui avait aussi montré une nouvelle façon d'apprêter les marigolds, en usage chez les Lithuaniens.
Quant à moi, j'avoue qu'il me restait une vague réserve à l'égard de ce personnage, et que j'étais résolu à ne pas lui témoigner plus de confiance qu'il ne le faudrait.
Mais pour le moment, il n'y avait qu'une conduite à tenir, qui était de le traiter comme l'ambassadeur de gens amis.
Et moi? Que devais-je faire?
Obéir aux désirs paternels et tirer mon épée vierge en faveur des insurgés, ou me tenir à l'écart et voir quelle tournure les événements prendraient d'eux-mêmes?
Il était plus convenable que ce fut moi qui partît et non lui.
Mais d'autre part je n'avais rien de l'ardeur du zélateur en religion.
Papisme, Église, Dissenters, tous me semblaient avoir leurs bons côtés, mais aucun ne paraissait valoir l'effusion du sang humain.
Jacques était peut-être un parjure, un homme méprisable, mais autant que je pouvais le voir, il était le roi légitime d'Angleterre, et des histoires de mariages secrets, de cassette noire, n'étaient pas de nature à faire oublier que son rival était en apparence un fils illégitime, et comme tel inéligible pour le trône.
Pourrait-on dire quel acte coupable de la part du monarque donnait à son peuple le droit de le chasser.
Qui devrait être juge en pareil cas?
Et, cependant, il était notoire que cet homme avait violé ses promesses, et cela devait délier ses sujets de leur soumission.
C'était là une question bien difficile à résoudre pour un jeune campagnard.
Pourtant il fallait la résoudre, et sans délai.
Je pris mon chapeau et m'en allai par la rue du village en retournant la chose dans mon esprit.
Mais il ne m'était pas très facile de penser à quoi que ce fût de sérieux dans le village, car j'étais jusqu'à un certain point le favori des jeunes et des vieux, en sorte que je ne pouvais faire dix pas sans qu'on me saluât ou qu'on m'adressât la parole.
Je traînais après moi mes frères.
Les enfants du boulanger Misford étaient pendus à mes basques et je tenais par la main les deux fillettes du meunier.
Puis, quand j'eus réussi à me débarrasser de tous ces étourdis, je tombais sur Dame Fullerton, la veuve.
Elle me conta d'un ton lamentable l'affaire de sa meule à aiguiser, qui était tombée de son support, et que ni elle ni ses gens ne parvenaient à remettre en place.
Je mis ordre à la chose, et je repris ma promenade, mais je ne pouvais guère passer devant l'enseigne de la Gerbe de blé sans que John Lockarby, le père Ruben, fondit sur moi, et me pressât vivement d'entrer pour boire avec lui le coup du matin.
– Un verre de la meilleure bière qu'il y ait dans le pays, brassée sous mon propre toit, dit-il en la versant dans la coupe. Voyons, Maître Micah, à un coffre comme le vôtre, il faut certainement une forte dose de bon malt pour le tenir en bonne condition.
– Et de la bière comme celle-là mérite bien un bon coffre pour la contenir, dit Ruben, qui était à la besogne parmi les bouteilles.
– Qu'en pensez-vous, Micah! dit l'hôtelier. Hier matin le Squire de Milton se trouvait ici avec Johnny Fernley, celui du côté du Bank, et ils prétendent qu'il y a à Farnham un homme capable de vous tomber à la lutte, deux fois sur trois, et de découvrir votre jeu, pour une mise qui en vaille la peine.
– Peuh! répondis-je, vous voudriez faire de moi un mâtin de combat, qui montre les dents à tous les gens du pays! Qu'est-ce que cela prouverait que cet homme me tombe, ou que je le tombe?
– Qu'est-ce que cela prouverait? Et bien, et l'honneur de Havant? Est-ce que cela ne signifie rien?.. Mais vous avez raison, reprit-il, en vidant son gobelet de corne, qu'est-ce que toute cette existence villageoise, avec ses petits triomphes, pour des gens tels que vous? Vous êtes tout aussi hors de votre place que du vin de vendange à un souper de moisson. C'est toute la vaste Angleterre, et non pas les rues de Havant, qui forme une scène digne d'un homme de votre sorte. Est-ce votre affaire de battre des peaux, et de tanner du cuir?
– Mon père voudrait que vous partiez pour faire le chevalier errant, dit Ruben en riant. Vous risqueriez d'avoir la peau battue et le cuir tanné.
– A-t-on jamais vu une langue aussi longue dans un corps aussi court? s'écria l'hôtelier. Mais parlons pour tout de bon, Maître Micah. C'est tout à fait sérieusement que je vous le dis! Vous gaspillez vos jours de jeunesse, alors que la vie pétille, qu'elle brille, et vous le regretterez quand vous n'aurez plus que la lie sans force et sans saveur de la vieillesse.
– Ainsi parla le brasseur, dit Ruben, mais mon père a raison tout de même, avec sa façon de dire les choses en homme qui vit dans le bouillon et l'eau.
– J'y songerai, dis-je.
Puis prenant congé de cette paire d'amis par un signe de tête, je me remis en route.
Lorsque je passai, Zacharie Palmer était occupé à raboter une planche.
Il leva les yeux et me souhaita le bonjour.
– J'ai un livre pour vous, mon garçon, dit-il.
– Je viens justement de finir le Comus répondis-je, car il m'avait prêté le poème de Milton, mais quel est ce nouveau livre, papa?
– Il a pour auteur le savant Locke, et il traite de l'État et de la science du gouvernement. C'est un tout petit ouvrage, mais si l'on pouvait mettre la sagesse dans une balance, il pèserait autant qu'une bibliothèque. Vous l'aurez dès que je l'aurai fini, peut-être demain ou après-demain. C'est un grand homme, Maître Locke. En ce moment n'erre-t-il point par les Pays-Bas plutôt que de fléchir le genou devant ce que sa conscience n'approuve pas?
– Il y a bien des honnêtes gens parmi les exilés, n'est-ce pas? dis-je.
– L'élite du pays, répondit-il. Un pays est bien malade quand il chasse au loin les plus grands et les plus braves de ses citoyens. Le jour approche, j'en ai peur, où chacun se verra contraint de choisir entre ses croyances et sa liberté. Je suis un vieillard, Micah, mon garçon, mais je puis vivre assez longtemps pour voir d'étranges choses dans ce royaume jadis protestant.
– Mais si ces exilés réalisaient leurs projets, objectai-je, ils mettraient Monmouth sur le trône, et changeraient ainsi injustement l'ordre de la succession.
– Non, non, répondit le vieux Zacharie, en déposant son rabot, s'ils se servent du nom de Monmouth, ce n'est que pour donner plus de force à leur cause, et pour montrer qu'ils ont un chef renommé. Si Jacques était chassé du trône, les Communes d'Angleterre réunies en Parlement auraient à lui désigner un successeur. Il y a derrière Monmouth des hommes qui ne bougeraient pas s'il devait en être autrement.
– Alors, papa, dis-je, puisque je peux me fier à vous et que vous me direz ce que vous pensez réellement, serait-il bien, dans le cas où le drapeau de Monmouth serait déployé, que je me joigne à lui?
Le charpentier caressa sa barbe blanche, et réfléchit un instant.
– C'est là une grosse question, dit-il enfin, et pourtant m'est avis qu'elle ne comporte qu'une seule réponse, surtout pour le fils de votre père. Si l'on mettait fin au règne de Jacques, il ne serait pas trop tard pour maintenir la nation dans l'ancienne croyance, mais si on laissait le mal s'étendre, il pourrait se faire que l'expulsion du tyran lui-même n'empêchât pas la mauvaise semence de germer. Ainsi donc je suis d'avis que si les exilés font une pareille tentative, il est du devoir de tous ceux qui attachent quelque prix à la liberté de conscience, de se joindre à eux. Et vous, mon fils, l'orgueil du village, pouvez-vous faire un meilleur emploi de votre vigueur que de la consacrer à l'œuvre de délivrer votre pays de ce joug insupportable?
«C'est là un conseil qui serait qualifié de trahison, un conseil dangereux, qui pourrait aboutir à une courte confession et à une mort sanglante, mais, sur le Dieu vivant, je ne vous tiendrais pas un autre langage, quand vous seriez mon propre fils.
Ainsi parla le vieux charpentier d'une voix toute vibrante, tant il y avait de gravité.
Puis il se remit à travailler sa planche, pendant que je lui disais quelques mots de gratitude.
Ensuite, je m'éloignai en réfléchissant sur ce qu'il m'avait dit.
Je n'étais pas encore bien loin, quand la voix enrouée de Salomon Sprent interrompit mes méditations.
– Ohé, là-bas, ohé! beugla-t-il, bien que sa bouche fût à quelques yards seulement de mon oreille, est-ce que vous allez passer à travers mon écubier sans ralentir la marche? Carguez les voiles, vous dis-je, carguez les voiles.
– Ah! dis-je, capitaine, je ne vous voyais pas. J'étais tout entier à mes réflexions.
– Tout à la dérive, et personne au poste de garde! dit-il en se frayant passage par la brèche de la haie. Par tous les nègres, mon garçon, les amis ne sont pas si nombreux, croyez-vous, qu'on puisse passer devant eux sans saluer du pavillon. Par ma foi, si j'avais de l'artillerie, je vous aurais envoyé un boulet par les baux.
– Ne vous fâchez pas, capitaine, car le vétéran avait l'air contrarié, j'ai bien des sujets de préoccupation ce matin.
– Et moi aussi, matelot, répondit-il d'une voix plus douce, que dites-vous de mon gréement, hein?
Il se tourna lentement en plein soleil, tout en parlant et je vis alors qu'il était vêtu avec une recherche peu ordinaire.
Il portait un habillement complet de drap bleu avec huit rangées de boutons, culottes pareilles, avec de gros flots de ruban attachés aux genoux.
Son gilet était d'une étoffe plus légère, semé d'ancres d'argent, avec une bordure de dentelle d'un doigt de largeur.
Sa botte était si large qu'on eût dit qu'il avait le pied dans un seau, et il portait un sabre d'abordage suspendu à un baudrier de cuir qui reposait sur son épaule droite.
– J'ai passé partout une nouvelle couche de peinture, dit-il en clignant de l'œil. Caramba, le vieux bateau ne fait pas eau, encore. Que diriez-vous à présent, si j'étais sur le point de jeter une aussière à un petit bachot pour le prendre à l'attache.
– Une vache!
– Une vache! Pour qui me prenez-vous? Non, mon garçon, une belle fille, un petit esquif comme on n'en a guère vu de plus solides faire voile vers le port conjugal.
– Voici bien longtemps que je n'ai appris de meilleures nouvelles, dis-je. Je ne savais pas même que vous fussiez fiancé. Alors, pour quand le mariage?
– Doucement, l'ami, doucement, et jetez votre sonde. Vous êtes sorti de votre chenal, et vous êtes en eau basse. Je n'ai jamais dit que je fusse fiancé.
– Quoi donc, alors? demandai-je.
– Je lève l'ancre, pour le moment. Je vais porter sur elle et lui faire sommation. Attention, mon garçon, reprit-il, en ôtant son bonnet et grattant ses cheveux rebelles. J'ai eu assez souvent affaire aux donzelles, depuis le Levant jusqu'aux Antilles, des donzelles comme en trouve le marin, toutes en maquillage et en poches. Dès qu'on a lancé sa première grenade à la main, elles baissent pavillon. Non, c'est un navire d'une autre coupe, que je ne connais pas, et si je ne manœuvre pas la barre avec attention, il pourrait bien se faire qu'il me laisse là entre le vent et l'eau, avant que je sache seulement si je suis fiancé. Qu'en dites-vous? Hé! Faut-il que je me range hardiment bord à bord, dites, et que je l'emporte à l'arme blanche, ou bien vaut-il mieux que je me tienne au large et que j'essaie d'un feu à distance? Je ne suis pas de ces savants avocats, retors à la langue bien huilée, mais si elle consent à prendre un compagnon, je lui serai dévoué, quelque vent, quelque temps qu'il fasse tant que mes planches dureront.
– Je ne suis guère en état de donner des conseils en un cas pareil, dis-je, car mon expérience est moindre que la vôtre. Je pense néanmoins qu'il serait préférable de lui parler le cœur sur la main, en langage bien clair, en langage de marin.
– Oui, oui, ce sera pour elle à prendre où à laisser. C'est de Phébé Dawson, la fille du forgeron, qu'il s'agit. Manœuvrons pour reculer, et prenons une goutte de véritable Nantes, avant de partir. J'en ai un baril qui vient d'arriver et qui n'a pas payé un denier au Roi.
– Non, il vaut mieux n'y pas toucher, répondis-je.
– Hé! que dites-vous? Vous avez peut-être raison. Alors coupez vos amarres, et déployez vos voiles, car il nous faut partir.
– Mais cela ne me regarde pas, dis-je.
– Cela ne vous regarde pas? Cela…
Il était trop agité pour continuer: il dut se borner à tourner vers moi un visage chargé de reproches.
– J'avais meilleure opinion de vous, Micah; est-ce que vous allez laisser cette vieille carcasse toute disloquée aller au combat, sans que vous soyez là pour l'aider d'une bordée?
– Que voulez-vous donc que je fasse?
– Eh bien, je voudrais que vous soyez là pour m'encourager selon les circonstances. Si je me lance à l'abordage, il faudrait que vous la preniez d'enfilade, de façon à la couvrir de feux. Si je l'attaque par tribord, vous en feriez autant par bâbord. Si je suis mis hors de combats vous attireriez ses feux sur vous pendant que je me radoube. Voyons, l'ami, vous n'allez pas m'abandonner.
Les figures, l'éloquence navale du vieux marin n'étaient pas toujours intelligibles pour moi, mais il était clair qu'il avait compté sur moi pour l'accompagner, et j'étais également décidé à ne point le faire.
Enfin, à force de raisonnements, je lui fis comprendre que ma présence lui serait plus nuisible qu'utile, et qu'elle détruirait probablement toutes les chances de réussite.
– Bon! Bon! grommela-t-il, enfin, je n'ai jamais pris part à une expédition de ce genre. Et si c'est la coutume des navires célibataires de partir seuls pour les fiançailles, je m'exposerai tout seul. Toutefois vous viendrez avec moi comme compagnon de route, vous louvoierez entre moi et la dite, ou vous me coulerez si je recule d'un pas.
J'avais l'esprit entièrement absorbé par les projets de mon père et les perspectives qui s'offraient à moi.
Mais il me paraissait impossible de refuser, car le vieux Salomon parlait du ton le plus convaincu.
Le seul parti à prendre était de laisser de côté l'affaire et de voir comment tournerait cette expédition.
– Souvenez-vous bien, Salomon, dis-je, que je ne veux pas franchir le seuil.
– Oui, oui, matelot, vous ferez comme vous voudrez. Nous aurons à marcher tout le temps contre le vent. Elle est aux écoutes, car je l'ai hélée hier soir, et je lui ai fait savoir que je porterais sur elle, à sept heures du quart du matin.
Tout en cheminant avec lui sur la route, je me disais que Phébé devrait être fort au courant des termes nautiques pour comprendre quelque chose aux propos du bonhomme, quand il s'arrêta court, et donna une tape sur ses poches.
– Diable! s'écria-t-il, j'ai oublié de prendre un pistolet.
– Au nom du ciel! dis-je tout effaré, qu'avez-vous besoin d'un pistolet?
– Eh! mais pour faire des signaux, dit-il. C'est bien singulier que je n'aie pas pensé à cela. Comment un convoyeur saura-t-il ce qui se passe en avant de lui, si le navire amiral n'a point d'artillerie? Si la jeune personne m'avait bien reçu, j'aurais tiré un coup de canon pour vous le faire savoir.
– Mais, répondis-je, si vous ne sortez pas, je supposerai que tout va bien. Si les choses tournent mal, je ne serai pas longtemps à vous revoir.
– Oui ou à attendre. Je hisserai un pavillon blanc au sabord de gauche; un pavillon blanc signifiera qu'elle s'est rendue. Nombre de Dios, au temps où j'étais mousse canonnier sur le vieux navire le Lion, le jour où nous attaquâmes le Spiritus Sanctus, qui avait deux étages de canons, la première fois que j'entendis le sifflement d'une balle, mon cœur ne battit jamais comme il le fait maintenant. Qu'en dites-vous, si nous battions en retraite pour attendre un vent favorable et dire un mot à ce baril d'eau-de-vie de Nantes?
– Non, l'ami, tenez ferme, dis-je.
À ce moment, nous étions arrivés au cottage revêtu de lierre derrière lequel se trouvait la forge du village.