Kitabı oku: «La maison d’à côté», sayfa 5
CHAPITRE SEPT
Danielle se réveilla à huit heures du matin, avec la sensation de ne pas avoir bien dormi du tout. Elle était rentrée du travail à 2h45 et elle s’était endormie à 3h10. D’habitude, elle n’avait aucun problème pour dormir à poings fermés jusqu’à midi – parfois même plus tard – mais quand elle ouvrit les yeux à 8h01 ce matin, elle n’avait pas réussi à se rendormir. À vrai dire, elle ne dormait plus très bien depuis qu’elle savait que Chloé venait se réinstaller en ville. Elle avait l’impression que son passé continuait à la poursuivre et qu’il n’arrêterait qu’une fois qu’il l’aurait entièrement rattrapée.
D’humeur grincheuse et fatiguée, Danielle se doucha et se prépara un petit-déjeuner, avec un bon vieux morceau de rock en fond sonore. Après avoir mangé, elle laissa la vaisselle sale dans l’évier et se dit qu’il faudrait qu’elle aille faire des courses aujourd’hui. La plupart du temps, ça ne la dérangeait pas. Mais il arrivait parfois qu’elle avait l’impression que sortir en public était une erreur… que les gens l’observaient, en attendant qu’elle mette un pied de travers et qu’ils puissent lui faire des reproches.
En sortant à l’extérieur, elle craignait également que cela donne l’occasion à la personne qui lui envoyait les lettres de la suivre. Elle se disait qu’un de ces jours, il arrêterait de garder ses distances et finirait par la tuer.
Et peut-être que ce serait aujourd’hui.
Elle prit sa voiture jusqu’au magasin d’alimentation, en sachant déjà très bien que ça allait être un de ces jours… un de ces jours où elle allait avoir peur de tout. Un de ces jours où elle allait constamment être sur ses gardes. Elle roulait rapidement, grillant même un feu rouge en chemin, car elle avait envie d’être rapidement de retour.
Depuis le jour où Danielle avait commencé à recevoir ces notes troublantes en-dessous de sa porte, elle était devenue très stressée par le fait de se retrouver longtemps dans un espace public. Elle ne pouvait pas s’empêcher de penser que la personne qui lui écrivait ces lettres la suivait. Même au travail, elle se demandait si l’auteur de ces notes n’était pas assis au bar, à lui commander à boire. Quand elle passait par le restaurant chinois pour prendre son dîner à emporter, est-ce qu’il la suivait, en attendant de lui sauter dessus au moment où elle retournerait vers sa voiture ?
Même après être arrivée sans encombre à destination, la peur était toujours bien présente. Elle se rua à l’intérieur du magasin d’alimentation et se dépêcha d’y faire ses courses. L’auteur des lettres pouvait très bien y être aussi, la suivant pas à pas dans l’allée d’à côté, en l’observant peut-être à travers le rayon des fruits et légumes.
C’était une véritable angoisse qui l’envahissait, un jour après le retournement surprenant de situation avec Martin. La paranoïa s’était emparée d’elle et elle marchait avec les yeux baissés, la tête enfoncée dans les épaules. Si quelqu’un avait voulu voir son visage, il aurait dû faire un véritable effort pour y parvenir, au point de devoir l’arrêter et se pencher sur elle.
Elle détestait le fait de se sentir comme ça. Elle était toujours parvenue à faire face à ce genre de problèmes et c’était d’ailleurs la raison pour laquelle la plupart de ses relations amoureuses duraient rarement plus d’un mois. Elle savait qu’elle s’était un peu fait la réputation d’être une fille facile au moment où elle vivait encore à Pinecrest. Mais ce n’était pas parce qu’elle aimait spécialement coucher à droite et à gauche. C’était juste que, au moment où elle était assez à l’aise avec un type pour coucher avec lui, elle commençait à imaginer le pire à son sujet. Alors elle mettait fin à la relation et prenait un peu de temps pour surmonter la rupture avant de recommencer.
Ça avait été un peu mieux quand elle était revenue s’installer à Pinecrest il y a quelques années. Elle avait quitté Boston et elle avait l’impression de battre en retraite… mais ça ne la dérangeait pas. Au moins, elle battait en retraite à un endroit qu’elle connaissait bien. L’aspect auquel elle eut le plus difficile à s’habituer, c’était les possibilités limitées de rencontres. Mais elle avait fait avec, bien qu’elle soit parvenue à gâcher chacune des relations amoureuses qu’elle ait commencée. C’est pourquoi cette dispute avec Martin l’affectait autant.
Bien sûr, il y avait des inconvénients à Pinecrest. Beaucoup trop de gens se souvenaient d’elle et de Chloé. Ils se rappelaient comment les pauvres petites filles Fine avaient fini par vivre avec leurs grands-parents, après que leur mère soit morte et que leur père ait été emprisonné.
« Danielle, est-ce que c’est bien toi ? »
Elle se retourna en direction de la voix, d’un air surpris. Elle avait été tellement perdue dans ses pensées qu’elle avait fini par montrer entièrement son visage au moment où elle avait tendu la main vers une boîte de Fruit Loops. Elle se retrouva face à un visage surgi du passé – une femme aux traits familiers mais dont elle ne se rappelait plus le nom.
« Est-ce que tu te rappelles de moi ? » demanda la femme, d’un air mi-amusé, mi-vexé. Elle devait avoir environ quarante-cinq ans, peut-être la cinquantaine. Et non, Danielle ne se souvenait pas d’elle.
« J’imagine que non, tu ne te rappelles pas de moi, » dit la femme. « Je pense que tu ne devais pas avoir plus de treize ou quatorze ans la dernière fois que je t’ai vue. Je suis Tammy Wyler. J’étais une amie de ta mère. »
« Ah oui, bien sûr, » dit Danielle. Elle ne se souvenait pas du tout de cette femme mais son nom lui était familier. Il s’agissait probablement de l’une des amies de la famille qui avait rendu visite à ses grands-parents dans les années qui avaient suivi la mort de sa mère.
« J’ai failli ne pas te reconnaître, » dit Tammy. « Tes cheveux sont… plus foncés. »
« Oui, » dit Danielle, sur un ton peu enthousiaste. Elle supposa que la dernière fois que Tammy Wyler l’avait vue, ça faisait très peu de temps qu’elle était en mode révolte. À l’époque, à l’âge de treize ou de quatorze ans, elle optait plutôt pour une teinte de cheveux rose fluo avec des bandes noires. Maintenant, c’était noir corbeau, un style qui était un peu passé de mode mais qui s’adaptait parfaitement à son caractère.
« Je savais que tu était revenue t’installer ici mais… je ne t’avais jamais vraiment vue dans le quartier après ton déménagement. Tu as vécu un temps à Boston, c’est bien ça ? »
« Oui, c’est ça. »
« Oh, et j’ai entendu dire que Chloé était également de retour en ville. Elle a acheté une maison près de Lavender Hills, non ? »
« Oui, elle est de retour en ville, » dit Danielle. Elle sentait qu’elle approchait dangereusement de son niveau limite de tolérance pour l’échange de banalités et le bavardage sans intérêt.
« J’ai entendu dire qu’elle vivait à quelques maisons d’une fille avec laquelle vous avez été au lycée. Et moi, je ne vis qu’à deux rues de chez elle. »
Pauvre Chloé, pensa Danielle.
« Oh, et est-ce qu’elle t’a parlé de la fête de quartier ? » demanda Tammy, qui était visiblement incapable de se taire plus de trois secondes d’affilée.
« Oui, » dit Danielle. Elle espérait qu’une réponse aussi brève ferait comprendre à Tammy qu’elle n’était pas vraiment le genre de personne à papoter au milieu d’une allée dans un magasin d’alimentation.
Un bref silence s’installa entre elles, et Tammy eut effectivement l’air de comprendre le message. Elle regarda autour d’elle d’un air gêné et prit congé de la manière la plus élégante possible. « Eh bien, j’espère que tu viendras. Ça m’a fait plaisir de te voir. »
« Bonne journée à toi, » répondit Danielle.
Elle baissa à nouveau les yeux et enfonça la tête dans les épaules en s’éloignant rapidement du rayon des céréales. Son besoin était devenu encore plus pressant de sortir de ce magasin et de rentrer chez elle – plus seulement à cause de sa paranoïa habituelle, mais à cause de cette rencontre gênante avec Tammy Wyler.
Elle se dépêcha de terminer ses achats et faillit presque renverser une dame âgée au rayon crèmerie. Elle opta pour la caisse automatique pour éviter de devoir faire la conversation avec une caissière bavarde, et elle se rua vers sa voiture. Quand elle se retrouva à l’extérieur, elle se sentit un petit peu mieux. Bien sûr, peut-être que l’auteur des lettres était assis dans l’une de ces voitures garées sur le parking. Peut-être même qu’il l’avait suivie dans le magasin et avait entendu sa conversation avec Tammy.
Elle posa ses sacs sur le siège arrière et démarra. Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de faire une marche arrière pour sortir de sa place de parking, son téléphone se mit à sonner. Elle vit le nom de Martin s’afficher à l’écran et elle n’hésita pas une seconde à décrocher. S’il appelait pour se disputer, alors elle était prête. Mais s’il appelait pour s’excuser, elle était également ouverte à cette option. À vrai dire, elle aimait juste l’idée de pouvoir parler au téléphone avec quelqu’un qu’elle connaissait à cet instant précis.
Elle décrocha avec un simple, « Allô ? »
« Salut, Danielle, » dit Martin. « Écoute, je te présente mes plus sincères excuses pour hier soir. Et pas seulement pour le fait d’avoir réagi de manière brutale à ton égard. Mais aussi pour le fait d’avoir été aussi bizarre concernant mon téléphone. C’est juste que les choses ne vont pas bien au boulot. Et les messages étaient à ce sujet. Je l’ai su dès le moment où ils ont commencé à arriver. Je n’avais pas envie d’y faire face hier soir. Est-ce que tu vois ce que je veux dire ? »
« Oui, mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tu ne m’as pas dit tout ça hier soir. »
« Parce que je suis un idiot, » dit-il. « Je ne voulais pas que tu saches que les choses allaient aussi mal au boulot. Et quand tu as commencé à plaisanter à ce sujet, je l’ai mal pris. Danielle… Je n’ai jamais fait de mal à une femme. Il faut que tu me croies. Et le fait de lever la main sur toi de cette façon hier soir… Mon dieu, je suis vraiment désolé. »
Elle resta silencieuse. Elle avait un léger bleu sur le bras et elle s’était quand même sentie un peu en danger. Mais elle avait l’impression d’entendre une sincère tristesse dans sa voix.
« Danielle ? »
« Oui, je suis là, » dit-elle. « C’est juste… que j’aurais préféré que tu me parles de tout ça avant que ça n’arrive à un tel point. »
« Je sais. Est-ce que tu penses pouvoir me pardonner ? »
Elle savait très bien qu’elle lui pardonnerait. Elle essayait simplement de voir comment elle pourrait tourner cette situation à son avantage. Elle ne put s’empêcher de sourire à l’idée qui lui vint en tête.
« Eh bien, on va commencer par mettre fin à cette relation platonique. Je veux que tu viennes ce soir chez moi et qu’on passe la vitesse supérieure. Je ne vais pas encore coucher avec toi mais… on va passer aux choses sérieuses. »
« OK. C’est quelque chose que je peux faire, » dit-il, sur un ton visiblement surpris mais satisfait.
« Ce n’est pas tout. Ma sœur vient juste d’emménager en ville. Je t’en ai déjà parlé, non ? »
« Oui. »
« Eh bien, elle vit maintenant dans un quartier un peu snob et coincé. Le genre qui organise des fêtes de quartier. Elle m’a invitée à venir à une de ces fêtes, ce weekend. Je veux que tu viennes avec moi. »
« OK, pas de problème. »
« Tant mieux, » dit-elle. « Je te vois ce soir, alors. »
Elle mit fin à l’appel sur ces mots. Elle aimait le fait qu’il n’ait aucune idée de comment lui répondre. Elle aimait également le fait d’avoir maintenant le contrôle sur lui – pas de manière sournoise mais elle se sentait juste un petit peu plus à l’aise en sa compagnie.
Elle se sentait un peu mieux et le sentiment de paranoïa n’était plus qu’une lointaine préoccupation. Elle prit le chemin de la maison, ravie de se rendre compte qu’elle était excitée à l’idée de ce soir. Ça faisait vraiment très longtemps qu’elle n’avait plus réellement désiré qu’un homme la touche.
En prenant conscience de ça, ajouté au fait que son sentiment de paranoïa se soit aussi rapidement estompé, elle se demanda si Martin n’était pas après tout l’homme qu’il lui fallait. Apparemment, il parvenait à changer beaucoup de choses en elle. Bien sûr, il n’en savait rien et elle ferait de son mieux pour que ce soit le cas le plus longtemps possible.
Elle était toujours en route vers chez elle et elle commença à se demander quel genre de vêtements il fallait porter à une fête de quartier.
Elle prit son téléphone et appela Chloé. Elle ne laissa même pas le temps à sa sœur de dire bonjour et se mit tout de suite à parler.
« À cette fête de quartier… est-ce que je peux amener quelqu’un ? »
« … Oui, bien sûr, » dit Chloé, sur un ton visiblement surpris.
« On se voit demain, alors. »
Et sur ces mots, elle raccrocha, en se demandant dans quoi elle avait bien pu s’embarquer.
CHAPITRE HUIT
Chloé était occupée à couper un brocoli quand on frappa à la porte d’entrée. Elle sut tout de suite que c’était Danielle. Elle était nerveuse mais en même temps, elle était contente de savoir que Danielle semblait avoir un petit ami stable dans sa vie. Steven, quant à lui, était plutôt sceptique. Il était convaincu que ce petit ami serait probablement dans le style de Danielle et que ça ne ferait que rendre l’ambiance encore plus tendue, avec deux personnes à tenir à l’œil.
Au cours de leurs quatre ans de relation, Chloé était toujours parvenue à ignorer l’attitude de Steven envers Danielle mais maintenant que le mariage approchait, ça commençait sérieusement à l’ennuyer. Mais ça, elle lui en parlerait un autre jour.
Chloé s’essuya les mains à un essuie de cuisine et se dirigea vers la porte. Elle prit une profonde inspiration avant de l’ouvrir. Elle n’avait aucune envie de se rallier à l’avis de Steven mais elle se tracassait tout de même un petit peu de savoir à quoi Danielle allait ressembler.
Quand elle ouvrit la porte et vit sa sœur joliment apprêtée, elle fut vraiment surprise. Ses cheveux noirs étaient tirés en arrière dans un petit chignon. Elle était légèrement maquillée – juste assez pour faire ressortir ses pommettes – et elle avait heureusement choisi de ne pas porter un de ses t-shirts de groupes de rock ou son style pseudo gothique. Bien sûr, elle portait du noir, mais c’était un débardeur plutôt habillé et orné de fines lanières. On pouvait voir son tatouage en haut du dos mais sans qu’il n’attire trop le regard. Mais c’est le jean qu’elle portait qui surprit le plus Chloé. C’était un jean foncé plutôt classique et assez serré, mettant en valeur les courbes de son corps d’une manière que Chloé n’avait jamais vue sur Danielle auparavant.
« Danielle, tu es superbe, » dit Chloé.
« Oui, enfin, ne t’y habitue pas de trop. » Elle fit un pas de côté et d’un geste de la tête, elle lui désigna l’homme qui l’accompagnait. « Je te présente Martin. »
« Enchanté de vous connaître, » dit Martin, en lui tendant la main.
Chloé la serra et remarqua qu’il était habillé plus ou moins de la manière dont elle s’était attendue à voir sa sœur. Son t-shirt était chiffonné et son short était déchiré en-dessous de l’une des poches. Il portait une paire de tongs usés dont la sangle avait l’air d’être sur le point de lâcher. On aurait dit qu’il ne s’était pas lavé les cheveux depuis quelques jours. Il avait l’air fatigué et pas dans son assiette. Chloé ne put s’empêcher de se demander s’il n’était pas défoncé. En tout cas, s’il ne l’était pas, il était très certainement un consommateur. Elle redouta le moment où Steven allait le rencontrer.
« Cette maison est énorme, » dit Danielle, en traversant le vestibule en direction du salon.
« Oui, c’est un peu l’impression qu’on a aussi, » dit Chloé. « On a presque terminé de défaire les caisses. Je pense qu’une fois que tout sera déballé et mis à sa place, l’espace aura tout de suite l’air plus petit. »
La lumière du soleil se reflétait sur le parquet du salon, qu’ils quittèrent pour se rendre dans la cuisine. Chloé se mordit légèrement la lèvre pour ne pas sourire, tellement elle était contente de montrer sa nouvelle maison à sa sœur. Il n’y avait aucune mauvaise intention dans ce qu’elle ressentait, c’était plutôt un sentiment de fierté.
« Vous avez des enfants ? » demanda Martin.
Waouh, Danielle ne parle vraiment pas de moi, pensa Chloé. « Non, » répondit-elle. « Pas encore et ce n’est pas prévu pour tout de suite. »
« Alors pourquoi avoir une maison aussi grande ? » demanda Martin.
Elle fut surprise par cette question plutôt impolie mais elle garda son calme. « Parce qu’on ne sait jamais. Il se pourrait qu’on finisse par en avoir un, ou peut-être même cinq. »
« Waouh, » dit Steven, au moment où il passa la porte qui séparait la cuisine du porche arrière. « Cinq ? »
« Tout est possible, » dit Chloé, en souriant.
« Oh, ça, je n’en doute pas, » dit Steven. Puis il regarda Danielle et eut l’air sincèrement surpris. « Danielle, tu es magnifique ! »
« Merci, Steven. Tiens, je te présente Martin, » dit-elle.
« Enchanté de vous rencontrer, » dit Steven. Chloé vit tout de suite qu’il s’était déjà fait son opinion sur Martin rien qu’en le voyant. Et ça ne la dérangeait pas vu que finalement, c’était aussi ce qu’elle venait de faire.
« Sur base de ce que je connais de Danielle, » dit Martin, « je ne pensais pas que sa sœur serait le style à aller à des fêtes de quartier. »
« Oui, on a toujours été fort différentes, » dit Danielle.
« Oh, ça, c’est sûr, » dit Chloé. « Différentes à tout point de vue. »
« Et vous pensiez que sa sœur serait de quel style ? » demanda Steven, sur un ton presque sur la défensive.
« Je ne sais pas, mec. Relax, j’imagine ? »
Il était clair que Steven avait envie de répondre à cette remarque mais il eut assez de bon sens pour ne pas le faire. Il fit un petit signe de tête rapide en direction de Danielle et dit : « Ça fait plaisir de te voir, Danielle. »
Sur ces mots, il sortit une bière du réfrigérateur et retourna sur le porche à l’arrière de la maison.
J’aurais dû m’en douter, pensa Chloé. La seule fois où Danielle décide de se comporter de manière civile, son petit ami s’avère être un crétin. Et le pire de tout, c’est que je n’ai même pas l’impression qu’il s’en rende compte. Il est peut-être aussi asocial que Danielle. Peut-être qu’elle a finalement rencontré le bon, le type parfait pour elle.
« Bon, » dit Danielle, en faisant de son mieux pour détendre l’atmosphère, « Chloé, est-ce que tu te souviens d’une femme vraiment exaspérante du nom de Tammy Wyler ? »
Chloé réfléchit pendant un instant, puis haussa les épaules. Elle était de nouveau occupée à couper le brocoli, en essayant de mettre un visage sur le nom. « Ça me dit quelque chose. Une amie de mamy, peut-être ? »
« Une amie de maman en fait. Enfin, c’est ce qu’elle dit. Je suis tombée sur elle quand je faisais mes courses hier. Elle savait que tu étais revenue en ville. Je pense qu’elle vit à quelques rues d’ici. Elle sera aussi à la fête de quartier. »
Chloé secoua la tête en souriant. « J’avais oublié la rapidité avec laquelle tout se sait dans un endroit comme ici. »
Les sœurs échangèrent un regard complice et un léger sourire. Pendant ce temps, Martin avait l’air un peu mal à l’aise et totalement hors de son élément. Il regardait en direction de la porte qui menait au porche arrière, comme s’il se demandait ce qu’il avait bien pu dire pour énerver Steven.
« Alors, » dit Chloé, en mettant le brocoli dans un bol et en le mélangeant avec de la vinaigrette et d’autres ingrédients. « Vous êtes prêts pour la fête de quartier ? »
« Je ne sais pas, » dit Danielle. « Je ne m’y connais pas de trop en fêtes de quartier de snobs. »
« Il suffit juste de sourire, de hocher la tête et de picoler, c’est bien ça ? » demanda Martin.
Chloé se força à sourire, en se disant que décidément elle n’aimait pas du tout Martin. Oh mon dieu, pensa-t-elle. C’était vraiment une erreur.
Peut-être bien que c’était le cas. Mais il était trop tard maintenant pour revenir en arrière. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était mélanger sa salade de brocoli, en espérant que tout se passe pour le mieux.
***
Bien que Chloé ne veuille pas l’admettre, Danielle avait eu raison de manquer d’enthousiasme à l’idée d’aller à cette fête de quartier. Ils y arrivèrent ensemble, Chloé et Steven en tête, suivis de Danielle et Martin. Chloé n’était pas trop sûre de savoir à quoi s’attendre mais ce n’était certainement pas ce à quoi elle se retrouva confrontée.
La plupart des femmes portaient de magnifiques robes d’été. Certaines d’entre elles, alors qu’elles approchaient facilement de la cinquantaine, portaient même des robes serrées et échancrées – rien de vulgaire mais assez décolleté pour attirer l’attention de tout homme dans le voisinage. Il y avait des bouteilles de vin partout et des bières artisanales à disposition. Martin ne perdit pas une seconde et fit directement comme chez lui, en se servant une bière.
Certains voisins avaient installé des chaises de jardin et des parasols dans leur allée, tandis que d’autres avaient ouvert la porte de leur garage pour la fête. Des airs de Bob Marley et de Jack Johnson retentissaient depuis leurs porches. C’était comme une petite kermesse en plein cœur du quartier.
Danielle rattrapa Chloé, qui marchait devant elle. « C’est bien trop bourgeois pour moi. Je vais profiter de l’alcool gratuit, puis on s’en ira. »
« Arrête, » dit Chloé, en espérant que Danielle blaguait. « Ça ne fait même pas dix minutes que tu es là. »
Quand elle vit Danielle sourire, elle fut soulagée. Danielle essayait – elle essayait vraiment non seulement de l’apaiser mais également de s’amuser. Même quand deux femmes qui étaient allées au lycée avec elles s’approchèrent d’elles pour leur dire bonjour, Danielle fit de son mieux pour être sociable. Elle ne se mit pas à papoter avec elles – et Chloé n’en fut pas étonnée – mais elle resta polie.
Au fur et à mesure qu’elle s’avançait et se présentait à ses voisins, Chloé sentit son côté agent du FBI prendre un peu le dessus. Elle observa les personnes présentes et se rendit compte que la plupart avaient l’air de vivre la définition même d’une vie de bourgeois américains de classe aisée. Les femmes levaient constamment les yeux au ciel en entendant parler leurs maris. Et quelques hommes et femmes échangeaient des regards furtifs alors qu’ils étaient au bras d’autres partenaires. Chloé ne put s’empêcher de se demander combien d’infidélités avaient activement lieu à Lavender Hills.
Mais au moins, en apparence, tout a l’air de bien aller, pensa-t-elle ironiquement. Elle soupira et regarda sa sœur.
« Merci d’être venue, » dit Chloé, au moment où elles s’éloignaient d’une fille qu’elles avaient connue au lycée. « Je sais que ça ne te m’amuse pas du tout. »
« Eh bien, au moins tu en es consciente… oh, non… Tammy Wyler nous a repérées et arrive droit sur nous. »
Chloé regarda devant elle et se rendit compte qu’elle reconnaissait la femme qui se dirigeait d’un pas décidé vers elles. Elle était accompagnée de deux autres femmes d’un âge moyen.
« Fais attention, » dit Danielle. « Cette femme aime vraiment parler. »
« C’est ici que je t’abandonne, » lui murmura Steven à l’oreille. « J’ai repéré un ami avocat là-bas et je vais aller lui dire bonjour. »
Avant que Chloé n’ait eu le temps de lui lancer une petite blague de circonstance, Steven avait disparu. Danielle et Martin étaient toujours à côté d’elle. Chloé se sentit coincée et se rappela combien sa sœur avait tendance à être asociale parfois.
S’il te plaît, Danielle, tiens juste encore un petit peu le coup…
« Chloé Fine ! » dit Tammy Wyler, en s’approchant d’elle. « Mon dieu, qu’est-ce que tu as grandi. »
« Bonjour, madame Wyler, » dit Chloé.
Tammy balaya le nom d’un geste de la main et secoua la tête. « Oh mon dieu, non ! Juste Tammy, s’il te plait. Alors, comment se passe ton installation dans le quartier ? »
« Très bien. C’est très calme, très accueillant. »
« Oh, c’est vraiment chouette que tu sois de retour. Et où se trouve ton fiancé ? »
« Il discute avec des amis. Mais ne vous tracassez pas – vous le rencontrerez bientôt. »
Les yeux de Tammy allèrent de Chloé à Danielle, avec un sourire resplendissant aux lèvres. « Bien que vos cheveux soient différents, vous vous ressemblez vraiment beaucoup, » dit-elle. « Mon dieu, vous me rappelez vraiment votre mère. »
« Oui, mamy nous le répétait très souvent, » dit Chloé.
Il y avait quelque chose de désagréable dans l’attitude de Tammy. Elle était enjouée de la même manière que l’était Kathleen Saunders – d’une façon ennuyeuse. Mais il y avait également quelque chose qui sonnait vraiment faux chez elle. Chloé supposa que c’était dû à la présence de Danielle. Personne ne savait vraiment comment se comporter avec elle et ces femmes légèrement snobs et plus âgées n’y faisaient pas exception. Pour elles, Danielle n’était qu’un bémol dans leur petit quartier bien rangé.
« J’ai été navrée d’apprendre le décès de votre grand-mère, » dit Tammy. « Je regrette de ne pas avoir pu venir à son enterrement mais j’étais en France avec ma fille quand c’est arrivé. »
« Oh, ne vous tracassez pas pour ça, » dit Danielle.
« C’est presque romantique la manière dont elle est morte juste après votre grand-père, » dit Tammy. « Un peu comme si elle ne pouvait pas continuer à vivre en étant séparée de l’amour de sa vie. »
« Oui, ça y ressemblait, » dit Chloé. Mais tout ce à quoi elle pensait, c’était : Oh mon dieu, je suis certaine que cette conversation est occupée à taper sur les nerfs de Danielle.
« Je tenais à vous dire que je pensais très souvent à Gale. Nous n’étions pas super proches – pas comme si on était meilleures amies mais on se connaissait assez bien. Elle était si belle et tellement intelligente. Nous faisions partie du même club de lecture et la manière qu’elle avait de discerner les choses… mon dieu, tout le monde était impressionné. Elle régnait littéralement sur le club de lecture de la bibliothèque municipale de Pinecrest. »
« Je me rappelle qu’elle aimait beaucoup lire, » dit Chloé.
« Oui, » dit Danielle. « Elle avait toujours un livre en mains. Il m’arrivait souvent de lui subtiliser ses romans de Danielle Steel pour y lire les passages croustillants. »
Tammy mit son bras autour des épaules d’une des femmes qui l’accompagnaient. « Les filles, je ne sais pas si vous vous rappelez Ruthanne Carwile. C’était la meilleure amie de Gale quand elles étaient à l’école. »
« Effectivement, » dit Ruthanne. « Je vous ai même gardées à plusieurs reprises quand votre mère avait besoin d’une baby-sitter. »
Comme pour Tammy, il y avait quelque chose dans l’attitude de Ruthanne qui ennuyait Chloé au plus haut point. Mais elle ne parvenait pas à y mettre un nom. C’était comme si ces femmes connaissaient non seulement leur passé, mais l’utilisaient également pour se faire une opinion sur elles. De plus, elle détestait vraiment quand des gens qu’elle ne connaissait pas lui parlaient de sa mère en l’appelant par son prénom. Bien qu’elle n’ait jamais compris pourquoi.
Elles en étaient maintenant arrivées à très mal dissimuler leurs sentiments. Tout avait l’air presque mystérieux… comme si elles cachaient quelque chose. Et Ruthanne avait même l’air un peu nerveuse.
« Ah oui ! » s’exclama tout d’un coup Danielle. « Je me souviens de vous ! On regardait toujours des dessins animés quand on venait chez vous. Vous aviez toutes ces cassettes avec de vieux dessins animés. »
« C’est vrai, » dit Ruthanne, son air anxieux faisant maintenant place à une expression ravie. « Et tu adorais Woody Woodpecker. »
Martin se mit à rire à ces mots. Danielle lui envoya un coup de coude dans les côtes et le regarda d’un air mécontent.
« Je suis sûre que votre mère aurait adoré savoir que vous avez fini par revenir toutes les deux dans votre ville natale. » dit Ruthanne. « Elle vous aimait tellement. Mon dieu, vous auriez dû la voir quand elle était plus jeune. Quand elle avait vingt ans, les hommes se battaient pour sortir avec elle. Et finalement… »
Le sourire sur les lèvres de Chloé était vraiment sincère. Elle avait toujours adoré entendre raconter des histoires au sujet de sa mère, même quand il s’agissait des histoires exagérées que leur grand-mère avait l’habitude de leur raconter. Elle était sur le point de répondre quand elle sentit la main de Steven se poser sur son épaule. Sans même attendre que le moment s’y prête, il intervint dans la conversation.
« Chérie… viens avec moi. Il y a quelqu’un que j’aimerais te présenter. »
« Attends un instant. Ces femmes connaissaient ma mère. »
« Oh, ça ne prendra qu’une minute. »
À cet instant précis, deux choses apparurent clairement aux yeux de Chloé. La première était une chose qu’elle savait déjà – c’était que quand Steven voulait quelque chose, c’était pour lui la chose la plus importante au monde à ce moment-là. Et la deuxième chose dont elle se rendit compte, c’était que Tammy et Ruthanne jetaient des coups d’œil en coin à Steven et avaient l’air gênées pour elle. Ce qui la mettait à son tour mal à l’aise.
Alors elle avait le choix de faire une scène à Steven et de refuser de l’accompagner, ou elle pouvait poliment s’excuser auprès de ces femmes et le suivre.
Mais pour finir, elle n’eut pas besoin de choisir entre les deux. Il y eut un élément inattendu, qui lui fit grincer les dents au moment où il se présenta.
Martin se pencha vers Danielle et lui murmura quelque chose à l’oreille. Mais apparemment, murmurer n’était pas le fort de Martin. Et tout le monde entendit ce qu’il dit : Danielle, mais aussi Chloé, Tammy, Ruthanne et Steven.