Kitabı oku: «Le Quartier Idéal », sayfa 3
“Ça va sûrement attirer les meilleurs candidats”, dit Jessie.
“Je suis d’accord et c’est ce que je crains. Pour ne pas avoir à payer trop cher, ils risquent d’embaucher quelqu’un d’inadéquat. Personnellement, je préférerais essayer un bleu qui a du talent qu’embaucher un amateur qui ne sait pas profiler comme il faut.”
“Vous pensez que j’ai du talent ?” demanda Jessie en espérant qu’elle ne donnait pas l’impression de demander qu’on la complimente.
“Je pense que vous avez un potentiel. Vous l’avez montré en résolvant le cas que j’ai présenté en cours. J’ai le plus grand respect pour votre professeur, Warren Hosta, et il me dit que vous avez un authentique talent. Il a refusé d’entrer dans les détails mais a indiqué qu’on vous avait donné l’autorisation d’interroger un détenu très dangereux et que vous aviez établi avec lui une relation qui pourrait s’avérer fructueuse dans l’avenir. Le fait qu’il n’a pas pu me confier ce que faisait une diplômée toute récente de maîtrise suggère que vous ne manquez pas tant d’expérience que ça. En outre, vous avez réussi à découvrir le meurtre soigneusement caché de votre mari sans vous faire tuer et c’est admirable. Je sais aussi que vous avez été acceptée à l’Académie Nationale du FBI sans avoir d’expérience dans la police, chose rarissime. Donc, je veux bien vous mettre à l’épreuve et proposer votre nom si vous êtes intéressée. Êtes-vous intéressée ?”
CHAPITRE CINQ
“Donc, tu ne vas pas à ce truc du FBI ?” demanda Lacy, incrédule, en prenant une autre gorgée de vin.
Elles étaient assises sur le sofa. Elles dévoraient la nourriture chinoise qu’on venait de leur livrer et avaient déjà bu la moitié d’une bouteille de vin rouge. Il était plus de vingt heures et Jessie était épuisée. C’était la journée la plus longue qu’elle ait connue depuis des mois.
“Je compte encore le faire mais pas tout de suite. Ils m’ont accordé un report unique. Je peux m’inscrire à un autre cours de l’Académie du moment que j’y vais dans les six mois. Autrement, il faudra que je postule à nouveau. Comme j’avais eu de la chance d’être admise cette fois-ci, tu peux être sûre que j’irai bientôt.”
“Et tu renonces à ça pour être flic de base à la Police de Los Angeles ?” demanda Lacy, incrédule.
“Une fois de plus, je ne renonce pas”, signala Jessie en prenant une gorgée dans son propre verre, “je remets à plus tard. J’ai déjà dû assurer la vente de la maison et ma guérison physique. Cette proposition a juste été l’élément décisif. En plus, ça a l’air cool !”
“Non”, dit Lacy, “ça a l’air complètement barbant. Même ton copain flic a dit que tu allais accomplir des tâches de routine et t’occuper des enquêtes inintéressantes dont personne ne veut.”
“Au début, oui, mais quand j’aurai un peu d’expérience, je suis sûre qu’ils me confieront quelque chose de plus intéressant. On est à Los Angeles, Lace. Ils ne pourront pas m’empêcher de m’occuper des fous.”
*
Deux semaines plus tard, quand voiture de patrouille déposa Jessie à un pâté de maisons de la scène du crime, elle remercia les agents de police et se dirigea vers la ruelle où elle avait vu qu’on avait déjà installé le cordon de police. Quand elle traversa la rue en évitant les conducteurs qui semblaient avoir plus envie de l’écraser que de l’éviter, elle se rendit compte que cela allait être sa première affaire de meurtre.
Quand elle repensa au peu de temps qu’elle avait passé à Central Station, elle comprit qu’elle avait eu tort de croire qu’ils ne pourraient pas l’empêcher de s’occuper des fous. D’une façon ou d’une autre, au moins jusque-là, ils l’avaient fait. En fait, ces jours-ci, elle passait le plus clair de son temps au poste et elle fouillait dans des caisses ouvertes pour vérifier si les papiers que Josh Caster avait remplis avant son départ étaient à jour. C’était une triste corvée.
Ce qui rendait les choses encore pires, c’était que Central Station donnait l’impression d’être une gare routière pleine de monde. Le bureau principal était immense. Elle était tout le temps noyée dans une masse de gens et elle n’était jamais tout à fait sûre si c’étaient des membres du personnel, des civils ou des suspects. Il fallait constamment qu’elle change de bureau car les profileurs qui n’avaient pas le signe “intérim” profitaient de leur ancienneté pour occuper les bureaux qu’ils préféraient. Quel que soit l’endroit où elle s’asseyait, Jessie avait toujours l’impression d’être juste au-dessous d’un néon qui clignotait.
Aujourd’hui, tout allait changer. Quand elle entra dans la ruelle qui partait de East 4th Street, elle vit l’inspecteur Hernandez à l’autre bout et espéra que cette enquête serait différente de celles qu’on lui avait attribuées jusque-là. Lors de toutes ces enquêtes, elle avait accompagné des inspecteurs mais on ne lui avait pas demandé son opinion. En fait, cela n’avait pas vraiment été nécessaire.
Des trois enquêtes sur le terrain qu’elle avait observées, deux avaient été des vols et une un incendie criminel. À chaque fois, le suspect avait avoué quelques minutes après son arrestation et l’un d’eux l’avait même fait sans qu’on l’interroge. L’agent devait déclarer ses droits au coupable et lui demander de répéter ses aveux.
Cependant, aujourd’hui, tout allait peut-être s’avérer différent. C’était le lundi d’avant Noël et Jessie espérait que l’esprit de cette période de l’année allait rendre Hernandez plus généreux que certains de ses collègues. Elle devait passer la journée avec lui et son collègue, un homme à lunettes dans les quarante ans du nom de Callum Reid. Ils devaient enquêter sur la mort d’un junkie qui avait été découvert au bout de la ruelle.
Il avait encore une seringue qui lui sortait du bras gauche et l’agent en uniforme n’avait appelé les inspecteurs que par formalité. Pendant que Hernandez et Reid parlaient à l’agent, Jessie passa sous le cordon de police et approcha du corps en faisant attention à ne pas marcher sur un endroit sensible.
Elle regarda le jeune homme, qui n’avait pas l’air plus âgé qu’elle. Il était afro-américain avec une coupe afro. Alors qu’il était allongé par terre et sans chaussures, elle voyait quand même qu’il était grand. Il lui paraissait familier.
“Devrais-je savoir qui est ce gars ?” cria-t-elle à Hernandez. “J’ai l’impression de l’avoir déjà vu quelque part.”
“Probablement”, répondit Hernandez tout aussi fort. “Vous êtes allée à l’Université de Californie du Sud, n’est-ce pas ?”
“Oui”, dit-elle.
“Il a dû y être en même temps que vous pendant une année ou deux. Il s’appelait Lionel Little. Il y a joué au basket deux ou trois ans avant de se professionnaliser.”
“OK, je crois que je me souviens de lui”, dit Jessie.
“Il avait un service de la main gauche magnifique”, se rappela l’agent Reid. “Il me rappelait un peu George Gervin. C’était un débutant très apprécié mais il a fini par s’en aller au bout de quelques années. Il ne savait pas jouer dans la défense et n’arrivait pas à vivre avec tout cet argent ou selon le style de vie de la NBA. Il n’a duré que trois saisons avant de quitter entièrement la ligue. À ce stade, les drogues ont pris le relais. À un moment, il a fini à la rue.”
“Je le voyais de temps à autre”, ajouta Hernandez. “C’était un gosse sympa. Je ne l’ai jamais cité pour autre chose que vagabondage ou pour avoir uriné en public.”
Jessie se pencha un peu plus et regarda Lionel de plus près. Elle essaya de s’imaginer dans sa position, un enfant perdu, accro mais pas vraiment embêtant, parcourant les ruelles du centre-ville Los Angeles pendant les quelques dernières années. D’une façon ou d’une autre, il avait réussi à continuer à consommer de la drogue sans avoir d’overdose ni finir en prison. Et pourtant, il était là, allongé dans une ruelle, une seringue dans le bras, sans chaussures. Quelque chose n’allait pas.
Jessie s’agenouilla pour mieux observer l’endroit où la seringue lui sortait de la peau. Elle était profondément enfoncée dans sa peau qui, autrement, était lisse.
Sa peau lisse…
“Agent Reid, vous avez bien dit que Lionel avait un beau service de la main gauche, n’est-ce pas ?”
“Magnifique”, répondit-il admirativement.
“Donc, on peut supposer qu’il était gaucher ?”
“Oh oui, il était complètement gaucher. Il avait beaucoup de mal à utiliser la main droite. Les défenseurs en profitaient pour le battre complètement. C’est aussi pour ça qu’il n’a jamais réussi à être pro.”
“C’est bizarre”, marmonna-t-elle.
“Quoi ?” demanda Hernandez.
“C’est juste que … vous pouvez venir, les gars ? Il y a quelque chose qui me trouble dans cette scène de crime.”
Les inspecteurs approchèrent et s’arrêtèrent juste derrière l’endroit où elle était agenouillée. Elle désigna le bras gauche de Lionel.
“Cette seringue a l’air d’avoir été enfoncée très profondément dans le bras et à l’écart de toutes les veines.”
“Peut-être visait-il mal ?” suggéra Reid.
“Peut-être”, concéda Jessie, “mais regardez son bras droit. Il y a une série précise de lignes qui suivent toutes ses veines. C’est très méticuleux pour un drogué et c’est logique parce qu’il était gaucher. Bien sûr, il piquait son bras droit avec sa main dominante.”
“C’est effectivement logique”, convint Hernandez.
“Donc, je me suis dit qu’il était seulement moins adroit quand il utilisait sa main droite”, poursuivit Jessie. “Comme vous l’avez dit, agent Reid, il visait peut-être mal.”
“Exactement”, dit Reid.
“Pourtant, regardez ça”, dit Jessie en désignant le bras. “Mis à part l’endroit qui contient la seringue, il a le bras gauche lisse, sans trace de piqûre.”
“Qu’en déduisez-vous ?” demanda Hernandez, qui commençait à voir où elle voulait en venir.
“J’en déduis qu’il ne se shootait jamais dans le bras gauche. D’après ce que je vois, ce n’est pas non plus la sorte de gars qui laisserait quelqu’un d’autre le shooter dans ce bras. Il avait un système. Il était très méthodique. Regardez le dos de sa main droite. Il y a des marques, là aussi. Il préférait se shooter dans la main que demander à quelqu’un d’autre de le lui faire. Je parie que, si nous lui enlevions ses chaussettes, nous trouverions aussi des traces de piqûre entre les orteils de son pied droit.”
“Donc, selon vous, il n’aurait pas eu d’overdose ?” demanda Reid d’un air sceptique.
“Je suggère que quelqu’un veut faire croire qu’il a eu une overdose mais que cette personne s’est mal débrouillée et s’est contentée d’enfoncer la seringue quelque part dans son bras gauche, celui qu’une personne droitière piquerait instinctivement.”
“Pourquoi ?” demanda Reid.
“Eh bien”, dit prudemment Jessie, “j’ai commencé à penser au fait qu’il lui manque ses chaussures. Il a tous ses autres vêtements. Je me demande si, comme il avait été joueur pro, ses chaussures étaient chères. Certaines marques ne coûtent-elles pas des centaines de dollars ?”
“C’est vrai”, répondit Hernandez, visiblement passionné. “En fait, quand il a rejoint la ligue et que tout le monde pensait qu’il allait être formidable, il a signé un contrat avec une jeune entreprise de chaussures du nom de Hardwood. La plupart des joueurs signaient chez une des grandes entreprises de chaussures de sport comme Nike, Adidas ou Reebok mais Lionel avait signé chez ces gars-là. Ils étaient considérés comme étant avant-gardistes, peut-être trop, vu qu’ils ont fait faillite il y a quelques années.”
“Donc, en fait, ces chaussures de sport ne valent plus tant que ça”, dit Reid.
“Non, c’est le contraire”, corrigea Hernandez. “Comme ils ont fait faillite, leurs chaussures sont devenues vintage. Il y en a un nombre limité en circulation, ce qui fait que chaque paire est précieuse pour les collectionneurs. En tant que porte-parole de l’entreprise, Lionel a probablement reçu tout un camion de leurs chaussures quand il a signé le contrat. De plus, je serais prêt à parier que ce sont ces chaussures qu’il portait hier au soir.”
“Donc”, reprit Jessie, “quelqu’un l’a vu porter les chaussures. Cette personne avait peut-être un besoin désespéré de liquide. Lionel n’avait pas la réputation d’être un dur. Il était une cible facile. Donc, cette personne a tué Lionel, volé les chaussures et enfoncé une seringue dans son bras en espérant qu’on prendrait ça pour une simple overdose.”
“Ça se tient”, dit Hernandez. “Voyons si nous pouvons lancer une recherche dans les environs. Il nous faut un homme qui porte une paire de Hardwoods.”
“Si Lionel n’a pas eu d’overdose, alors, comment le meurtrier l’a-t-il tué ?” se demanda Reid. “Je ne vois pas de sang.”
“Je pense que c’est une excellente question … à poser au médecin légiste”, dit Hernandez qui sourit puis passa de l’autre côté du cordon de police. “Et si on en appelait un avant d’aller déjeuner ?”
“Il faut que je file à la banque”, dit Reid. “Je vous retrouve au poste, d’accord ?”
“OK. On dirait qu’on va se retrouver seuls, Jessie”, dit Hernandez. “Aimeriez-vous un hot dog ? J’ai vu un vendeur de l’autre côté de la rue.”
“Je crois que je vais le regretter mais je vais quand même en manger un pour ne pas avoir l’air d’une mauviette.”
“Vous savez”, précisa-t-il, “si vous dites que vous ne le faites que pour ne pas passer pour une mauviette, tout le monde comprendra la manœuvre. C’est un peu une tactique de mauviette. Simple conseil de pro.”
“Merci, Hernandez”, répondit Jessie. “J’apprends plein de nouvelles choses, aujourd’hui.”
“On appelle ça la formation sur le terrain”, dit-il en continuant à la taquiner pendant qu’ils remontaient vers la grande rue. “En plus, si vous prenez des oignons et des poivrons avec votre hot-dog, ça vous fera peut-être une bonne réputation.”
“Génial”, dit Jessie en faisant la grimace. “Qu’en pense votre femme quand vous êtes allongé à côté d’elle et que vous sentez le hot-dog ?”
“Ce n’est pas vraiment un problème”, dit Hernandez avant de se tourner vers le vendeur pour lui commander son hot-dog.
Jessie fut surprise par quelque chose dans la réponse d’Hernandez. Quand sa femme était au lit, elle était peut-être indifférente à l’odeur des oignons et des poivrons mais, d’après son ton, on pouvait penser que ce n’était pas vraiment un problème parce qu’il ne couchait plus dans le même lit que sa femme ces temps-ci.
Malgré sa curiosité, Jessie n’insista pas. Elle connaissait à peine cet homme. Elle n’allait pas l’interroger sur l’état de son couple mais elle aurait bien voulu trouver d’une façon ou d’une autre si elle avait deviné de travers ou si elle avait bien soupçonné.
Elle se rendit compte que le vendeur la regardait parce qu’il voulait qu’elle passe sa commande. Elle regarda le hot-dog d’Hernandez, qui débordait d’oignons, de poivrons et de ce qui devait être de la sauce salsa. L’inspecteur la fixait, visiblement prêt à se moquer d’elle.
“Je veux la même chose que lui”, dit-elle. “Exactement la même chose.”
*
Quand ils furent de retour au poste quelques heures plus tard et que Jessie sortit des toilettes des femmes pour la troisième fois, Hernandez approcha d’elle avec un grand sourire. Elle se força à avoir l’air détendue et ignora le gargouillis désagréable qu’elle avait au ventre.
“Bonne nouvelle”, dit-il, heureusement inconscient de l’inconfort de Jessie. “On nous a dit que quelqu’un avait été intercepté il y a quelques minutes de cela avec des Hardwood d’une taille qui correspondait à celle des pieds de Lionel, qui chaussait du quarante-neuf. La personne qui portait les chaussures de sport avait des pieds de taille quarante-deux. Donc, vous voyez, c’était un peu louche. Bien vu.”
“Merci”, dit Jessie en essayant de faire comme si ce n’était pas grand-chose. “Est-ce que le médecin légiste a fourni une cause possible de décès ?”
“On n’a rien d’officiel pour l’instant mais, quand ils ont retourné Lionel, ils ont trouvé une énorme vergeture à l’arrière de sa tête. Donc, ça pourrait être un hématome sous-dural. Cela expliquerait le manque de sang.”
“Excellent”, dit Jessie, heureuse que sa théorie semble avoir été la bonne.
“Oui, mais sa famille ne se réjouit pas, elle. Sa mère est venue ici pour identifier le corps et, apparemment, elle est complètement décomposée. Elle est célibataire. Je me souviens avoir lu dans un article sur son fils qu’elle avait trois boulots quand Lionel était enfant. Elle a dû penser qu’elle pourrait travailler moins quand il serait riche mais j’imagine que ça ne va pas se passer comme ça.”
Comme Jessie ne savait pas quoi répondre, elle se contenta de hocher la tête en silence.
“J’en ai fini pour aujourd’hui”, dit brusquement Hernandez. “On va boire un coup à plusieurs. Tu peux venir si tu veux. Je te dois vraiment une tournée.”
“J’aimerais bien mais je dois aller en boîte avec ma coloc ce soir. Elle pense qu’il est temps que je me remette à draguer.”
“Et toi, qu’en penses-tu ?” demanda Hernandez en levant les sourcils.
“Je pense qu’elle est implacable et qu’elle ne me laissera pas tranquille tant que je n’y serai pas allée au moins une fois, même si on est lundi. Ça devrait me laisser quelques semaines de sursis avant qu’elle recommence à me tanner.”
“Eh bien, amuse-toi”, dit-il en essayant d’avoir l’air optimiste.
“Merci. Je suis sûre que je vais m’ennuyer.”
CHAPITRE SIX
Le club était sombre et bruyant et Jessie sentait venir un mal au crâne.
Une heure auparavant, quand elle et Lacy s’étaient préparées, les choses avaient semblé beaucoup plus prometteuses. L’enthousiasme de sa coloc était contagieux et Jessie avait presque été impatiente que la soirée commence quand elles avaient revêtu leurs robes et s’étaient coiffées.
Quand elle quittèrent l’appartement, Jessie pensait comme Lacy qu’elle avait l’air “vraiment sexy”. Elle portait sa jupe rouge fendue le long de la cuisse, celle qu’elle n’avait jamais pu mettre pendant son séjour bref mais tumultueux dans sa banlieue du Comté d’Orange. Elle portait aussi un haut sans manches noir qui mettait en valeur les muscles qu’elle avait acquis pendant sa kinésithérapie.
Elle avait même daigné mettre une paire d’escarpins noirs aux talons de sept centimètres qui faisaient officiellement d’elle un membre du club des Amazones avec Lacy en lui faisant dépasser le mètre quatre-vingt-deux. Au début, elle avait coiffé ses cheveux marron vers le haut mais son imprésario l’avait convaincue de les laisser tomber pour qu’ils tombent en cascade le long de ses épaules jusqu’au haut de son dos. Quand elle se regarda dans le miroir, elle ne trouva pas Lacy complètement ridicule quand elle dit qu’elles ressemblaient à deux mannequins qui allaient s’encanailler pour la soirée.
Cependant, une heure plus tard, son humeur s’était assombrie. Lacy s’amusait énormément en flirtant joyeusement avec des gars qui ne l’intéressaient pas et en flirtant sérieusement avec des filles qui l’intéressaient vraiment. Jessie se retrouva au bar, en train de parler au barman, qui avait visiblement l’habitude de parler aux filles qui ne connaissaient pas l’endroit.
Jessie n’aurait pas pu dire quand elle était devenue aussi gauche. Il était vrai que cela faisait presque dix ans qu’elle n’était plus célibataire mais elle et Kyle étaient allés à exactement cette sorte de club quand ils avaient vécu ici, avant qu’ils ne déménagent à Westport Beach, et elle ne s’était jamais sentie aussi déplacée.
En fait, autrefois, elle adorait visiter les nouveaux clubs, bars et restaurants du centre-ville de Los Angeles, que les locaux appelaient DTLA. Il semblait y en avoir un nouveau toutes les semaines. Jessie et Kyle allaient dans un de ces endroits, essayaient les menus ou les boissons les moins conventionnels puis dansaient comme des fous au centre du club sans tenir compte des regards méprisants que cela leur attirait. Kyle ne lui manquait pas mais elle devait bien admettre qu’elle regrettait la vie qu’ils avaient partagée avant que tout ne parte à vau-l’eau.
Un jeune homme qui ne devait guère avoir plus de vingt-cinq ans se faufila à côté d’elle et s’assit sur le siège vide qui se trouvait à sa gauche. Elle l’évalua rapidement et discrètement dans le miroir du bar.
C’était en partie un jeu personnel qu’elle aimait jouer avec elle-même. Elle lui donnait le nom officieux de “Prédiction des Gens”. Elle essayait de deviner tout ce qu’elle pouvait sur la vie d’une personne en se basant seulement sur son apparence, ses actions et son discours. Quand elle regarda furtivement l’homme en question, elle fut ravie de constater que ce jeu avait maintenant des avantages de nature professionnelle. Après tout, elle était profileuse criminelle intérimaire junior. C’était du travail de terrain.
Cet homme était modérément beau. Il avait des cheveux décoiffés et châtains qui lui tombaient sur le côté du front. Il était bronzé mais pas comme un surfeur car son bronzage était trop égal et parfait. Jessie soupçonna qu’il fréquentait régulièrement les salles de bronzage. Il était en bonne forme mais avait l’air presque anormalement maigre, comme un loup qui n’avait pas mangé depuis un certain temps.
Visiblement, il sortait du travail car il était encore en “uniforme” : un costume, des chaussures brillantes, une cravate légèrement desserrée pour montrer qu’il était en mode détendu. Il était presque vingt-deux heures et, s’il sortait du travail, cela suggérait qu’il travaillait dans un bureau pendant de nombreuses heures, peut-être dans la finance, bien que ceux-là aient plutôt tendance à commencer tôt qu’à finir tard.
Il y avait plus de chances qu’il soit avocat mais pas pour le gouvernement ; c’était peut-être un associé qui faisait sa première année pour une grande entreprise dans un gratte-ciel proche où ses patrons le pressaient comme un citron. Il était bien payé, comme le prouvait son costume bien coupé, mais il n’avait guère de temps pour jouir des fruits de son labeur.
Il semblait être en train de décider ce qu’il allait dire à Jessie. Comme elle avait déjà une boisson à moitié pleine, il ne pouvait pas lui en offrir. Jessie décida de l’aider.
“Quelle entreprise ?” demanda-t-elle en se tournant vers lui.
“Quoi ?”
“Chez quel cabinet d’avocat travailles-tu ?” répéta-t-elle en criant presque pour se faire entendre par-dessus la musique forte.
“Benson & Aguirre”, répondit-il avec un accent côte est qu’elle n’arrivait pas tout à fait à reconnaître. “Comment sais-tu que je suis avocat ?”
“J’ai eu de la chance. On dirait qu’ils t’exploitent vraiment. Tu viens de sortir ?”
“Il y a environ une demi-heure”, dit-il d’une voix qui semblait indiquer qu’il était plus mi-américain et mi-britannique qu’originaire de New York. “Cela faisait environ trois heures que j’avais envie de boire un coup. J’aurais pu prendre de l’eau glacée mais je me contenterai de ça.”
Il prit une gorgée de sa bouteille de bière.
“Que penses-tu de Los Angeles par rapport à Philadelphie ?” demanda Jessie. “Je sais que ça fait moins de six mois mais as-tu l’impression de t’habituer à Los Angeles ?”
“Eh, tu déconnes ou quoi ? T’es détective privée ? Comment sais-tu que je viens de Philly et que j’ai seulement emménagé ici en août ?”
“C’est une sorte de talent que j’ai. Au fait, je m’appelle Jessie”, dit-elle en tendant la main.
“Doyle”, dit-il en lui serrant la main. “Vas-tu me dire comme tu fais ce tour de magie ? Tu vois, je me sens de moins en moins à l’aise, ici.”
“Je ne veux pas gâcher le mystère. C’est très important, le mystère. Une autre question, juste pour compléter le portrait. À quelle fac de droit es-tu allé ? Temple ou Villanova ?”
Il la regarda fixement, bouche bée. Après avoir cligné des yeux quelques fois, il se remit de ses émotions.
“Comment sais-tu que je ne suis pas allé à Penn ?” demanda-t-il en prenant un air faussement insulté.
“Non, on ne commande pas d’eau glacée à Penn. Laquelle ?”
“Nova à fond, ma fille !” cria-t-il. “Allez, les Wildcats !”
Jessie hocha admirativement la tête.
“Je suis moi-même une Trojan”, dit-elle.
“Oh, ça alors, tu es allée à l’Université de Californie du Sud ? As-tu entendu parler de ce Lionel Little, qui y avait joué ? Il a été assassiné aujourd’hui.”
“Je sais”, dit Jessie. “Triste histoire.”
“J’ai entendu dire qu’il avait été tué pour ses chaussures”, dit Doyle en secouant la tête. “Incroyable, non ?”
“Tu devrais faire attention aux tiennes, Doyle. Elles n’ont pas l’air bon marché, elles non plus.”
Doyle regarda vers le bas puis se pencha vers Jessie et chuchota dans son oreille. “Huit cents dollars.”
Jessie siffla pour faire semblant d’être impressionnée. Elle perdait très vite tout intérêt pour Doyle, dont l’exubérance juvénile commençait à céder la place à son auto-satisfaction guère plus mature.
“Alors, quelle est ton histoire ?” demanda-t-il.
“Tu ne veux pas essayer de deviner ?”
“Oh, mon Dieu, je ne suis pas bon à ça.”
“Essaye, Doyle”, proposa-t-elle en l’amadouant. “Tu pourrais t’étonner toi-même. Et puis, un avocat se doit d’être perspicace, n’est-ce pas ?”
“C’est vrai. OK, je vais essayer. Je dirais que tu es actrice. Tu es assez belle pour en être une. Cela dit, DTLA n’est pas vraiment un quartier à actrices. Ce serait plutôt Hollywood et l’ouest. Un mannequin, peut-être ? C’est possible mais tu as l’air trop intelligente pour te concentrer sur une chose comme une carrière. Quand tu étais adolescente, tu as peut-être été mannequin mais, maintenant, tu es dans quelque chose de plus professionnel. Oh, j’ai trouvé, tu es dans les relations publiques. C’est pour ça que tu es si bonne à lire les gens. Est-ce que j’ai raison ? Je sais que oui.”
“Tu es vraiment proche, Doyle, mais ce n’est pas tout à fait ça.”
“Dans ce cas, que fais-tu ?” demanda-t-il.
“Je suis profileuse criminelle à la Police de Los Angeles.”
Elle apprécia de pouvoir le dire à voix haute, surtout quand elle le vit écarquiller les yeux, choqué.
“Comme dans Mindhunter ?”
“Oui, en quelque sorte. J’aide la police à entrer dans la tête des criminels pour qu’ils aient plus de chances de les attraper.”
“Eh bien ! Donc, tu chasses les tueurs en série et tout ça ?”
“Ça fait un moment”, dit-elle en négligeant de préciser qu’elle recherchait un tueur en série particulier et que cela n’avait aucun rapport avec son travail.
“C’est formidable. Quel boulot cool !”
“Merci”, dit Jessie, sentant qu’il avait finalement trouvé le courage de lui poser la question qui l’obsédait depuis un certain temps.
“Alors, quelle est ta situation ? Es-tu célibataire ?”
“Divorcée, en fait.”
“Vraiment ?” dit-il. “Tu as l’air trop jeune pour être divorcée.”
“Je sais, d’accord ? C’est une affaire de circonstances inhabituelles. Ça n’a pas marché.”
“Je ne veux pas être impoli mais puis-je demander… ce que ça avait d’inhabituel ? Je veux dire, tu as l’air vraiment belle. Es-tu psychopathe ou quelque chose de ce style ?”
Jessie savait qu’il ne posait pas cette question pour la faire souffrir, qu’il était vraiment intéressé aussi bien par la réponse que par sa personne et qu’il avait juste demandé la chose de façon horriblement maladroite. Pourtant, elle sentit quand même le peu d’intérêt qu’elle ressentait encore pour Doyle s’évaporer à ce moment. Au même instant, le poids de la journée et l’inconfort de ses talons hauts firent leur effet. Elle décida de conclure la soirée de manière spectaculaire.
“Je ne dirais pas que je suis une psychopathe, Doyle. Je suis complètement abîmée au point de me réveiller en hurlant la plupart des nuits, mais psychopathe ? Je ne dirais pas ça. Je dirais surtout que j’ai divorcé de mon mari parce qu’il était un sociopathe qui a assassiné une femme avec laquelle il couchait, a tenté de me faire porter le chapeau et a finalement essayé de me tuer avec deux de nos voisins. Il a entièrement suivi le principe traditionnel ‘jusqu’à ce que la mort nous sépare’.”
Doyle la regardait fixement, la bouche ouverte si grand qu’il aurait pu gober des mouches. Jessie attendit qu’il se remette, curieuse de voir s’il était capable de s’en tirer avec brio. Pas vraiment, sembla-t-il.
“Oh, c’est vraiment dommage. J’aurais bien voulu que tu m’en parles plus longuement mais je viens de me souvenir que j’ai une déposition à faire tôt demain matin. Il faudrait probablement que je rentre chez moi. J’espère qu’on se reverra bientôt.”
Il descendit de son tabouret et eut presque atteint la porte de sortie avant que Jessie ait eu le temps de marmonner “Au revoir, Doyle”.
*
Jessica Thurman remonta la couverture pour couvrir son petit corps à moitié gelé. Cela faisait maintenant trois jours qu’elle était seule dans la cabane avec le corps de sa mère. Elle délirait si gravement par manque d’eau, de chaleur et de relations humaines que, parfois, elle pensait que sa mère lui parlait, alors que son cadavre était avachi, immobile, les bras tenus en l’air par des menottes attachées aux poutres en bois du toit.
Soudain, on frappa à la porte. Quelqu’un était juste à l’extérieur de la cabane. Cela ne pouvait pas être son père. Il n’avait aucune raison de frapper. Il entrait où il voulait quand il le voulait.
Les coups à la porte recommencèrent mais, cette fois-ci, ils lui parurent différents. Il y avait aussi une sonnerie mais c’était absurde. La cabane n’avait pas de sonnette. La sonnerie se fit à nouveau entendre, cette fois-ci sans coups à la porte.
Soudain, Jessie ouvrit les yeux. Elle était allongée dans son lit et elle donna une seconde à son cerveau pour comprendre que la sonnerie qu’elle avait entendue était venue de son téléphone portable. Elle se pencha pour l’attraper et remarqua au passage que, bien que son cœur soit en train de battre à toute vitesse et que sa respiration soit superficielle, elle ne transpirait pas autant que d’habitude à la suite d’un cauchemar.