Kitabı oku: «Le Visage de la Mort», sayfa 2

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Une voix grésilla dans la radio, tirant Zoe de ses pensées.

— Nous avons un visuel du suspect. Terminé.

— Bien reçu, répondit Shelley.

Elle était précise et ne perdait pas de temps, et Zoe appréciait cela.

— Coordonnées ?

Le pilote de l’hélicoptère leur donna sa position et Shelley guida Zoe avec sa carte. Elles n’avaient pas besoin d’ajuster leur trajectoire — elles se dirigeaient droit sur leur cible. Zoe agrippa le volant plus fermement, envahie par cette forte sensation de confirmation. Ses hypothèses s’avéraient correctes.

Quelques instants plus tard, elles virent l’hélicoptère en vol stationnaire au-dessus d’une voiture de patrouille locale dont les deux occupants semblaient être sortis pour mettre le détenu à terre. Il était allongé dans le sable qui s’agitait au rythme de ses mouvements et jurait.

Zoe arrêta la voiture et Shelley en sortit immédiatement tout en transmettant des informations dans sa radio. Un petit groupe d’hommes avec des chiens s’approchaient déjà depuis le sud-est, les chiens aboyant d’excitation à l’idée de trouver la source de l’odeur qu’ils avaient sentie.

Zoe prit la carte que Shelley avait laissée dans la voiture et la compara au GPS. Ils devaient se trouver à moins de deux cents mètres en ligne droite de l’endroit qu’elle avait deviné. Il devait s’être enfui de l’affleurement quand il avait entendu les chiens.

Elle se permit un sourire victorieux, sautant de la voiture pour les rejoindre avec une vitalité renouvelée. Sous le soleil brûlant, Shelley lui adressa un sourire similaire au sien, de toute évidence heureuse qu’elles aient déjà résolu leur première affaire ensemble.

Plus tard, le silence s’installa de nouveau entre elles quand elles furent de retour dans la voiture. Zoe ne savait pas quoi dire — elle ne savait jamais quoi dire. Bavarder était un mystère absolu pour elle. Combien de fois était-il possible de parler de la météo avant que cela ne devienne un cliché évident ? Durant combien de trajets pourrait-elle s’engager dans une conversation aride à propos de choses qui n’avaient pas vraiment d’importance avant que le silence ne devienne agréable plutôt que gênant ?

— Tu n’as pas dit grand-chose là-bas, dit Shelley, brisant enfin le silence.

Zoe marqua une pause avant de répondre.

— Non, convint-elle, essayant d’avoir l’air amicale.

Elle ne pouvait pas faire grand-chose à part agréer.

Le silence retomba dans la voiture. Zoe calcula les secondes dans sa tête, réalisant qu’il s’était écoulé plus de temps que lors d’une pause normale dans une conversation.

Shelley s’éclaircit la gorge.

— Avec les partenaires que j’ai eu pendant ma formation, on s’entraînait à expliquer les affaires, dit-elle. À travailler ensemble pour les résoudre. Pas seul.

Zoe acquiesça d’un signe de tête, gardant les yeux rivés sur la route devant elle.

— Je comprends, dit-elle alors même qu’elle sentait une sensation de panique croître en elle.

Elle ne comprenait pas — pas complètement. Elle comprenait à certains niveaux ce que ressentaient les gens autour d’elle car ils lui disaient toujours. Mais elle ne savait pas ce qu’elle était censée faire à ce sujet. Elle essayait déjà, du mieux qu’elle pouvait.

— Parle-moi la prochaine fois, dit Shelley en se carrant plus profondément dans son siège comme si tout était réglé. On est censées être partenaires. Je veux vraiment qu’on travaille ensemble.

Cela ne présageait rien de bon pour l’avenir. Le dernier partenaire de Zoe avait mis au moins quelque semaines à s’énerver assez pour se plaindre qu’elle était trop silencieuse et distante.

Elle pensait qu’elle se débrouillait mieux cette fois. N’avait-elle pas acheté des cafés ? Et Shelley lui avait souri avant. Était-elle censée acheter plus de boissons pour faire pencher la balance ? Y avait-il un nombre précis qu’elle devait atteindre pour rendre leur relation plus confortable ?

Zoe regarda la route défiler devant le parebrise sous un ciel qui commençait à s’assombrir. Elle avait l’impression qu’elle devait dire quelque chose d’autre, bien qu’elle fût incapable d’imaginer quoi. Tout était de sa faute et elle le savait.

Cela semblait toujours si simple pour les autres gens. Ils parlaient et parlaient et parlaient et devenaient amis en un jour. Elle avait observé ce phénomène se produire tant de fois, mais il ne semblait pas y avoir de règles à suivre. Ce n’était pas défini par un laps de temps ou un nombre d’interactions précis ou par le nombre de choses que les gens devaient avoir en commun.

Ils étaient simplement doués pour s’entendre avec d’autres personnes, comme par magie, comme c’était le cas pour Shelley. Ou ils ne l’étaient pas. Comme Zoe.

Non pas qu’elle sût ce qu’elle faisait de mal. Des gens lui avaient dit d’être plus chaleureuse et amicale, mais qu’est-ce que cela voulait dire exactement ? Personne ne lui avait jamais donné de manuel expliquant toutes les choses qu’elle était censée savoir. Zoe resserra sa prise sur le volant, essayant de ne pas trahir à quel point elle était contrariée. C’était la dernière chose qu’elle avait besoin que Shelley voie.

Zoe réalisait que c’était elle le problème. Elle ne se faisait pas d’illusions à ce sujet. Elle ne connaissait simplement pas d’autre façon d’être que la sienne, et d’autres gens en connaissaient, et n’avoir jamais appris cela l’embarrassait. L’admettre serait, d’une certaine façon, encore pire.

* * *

Le trajet de retour en avion fut encore gênant.

Shelley feuilletait d’un œil distrait un magazine féminin qu’elle avait acheté à l’aéroport, ne donnant à chaque page à peine plus qu’un rapide coup d’œil avant d’abandonner et de passer à la suivante. Après l’avoir fini de bout en bout, elle leva les yeux vers Zoe, puis, semblant se dire qu’il valait mieux ne pas engager la conversation, elle rouvrit le magazine, passant plus de temps sur les articles.

Zoe détestait lire ce genre de choses. Les images, les mots, tout lui sautait au visage. Les différentes tailles de police et les visages, les articles contradictoires. Des images prétendant prouver qu’une célébrité avait fait de la chirurgie esthétique ne montrant que des changements normaux qu’un visage subissait avec l’âge et que n’importe qui comprenant un minimum la biologie humaine pouvait calculer facilement.

À maintes reprises, Zoe essaya de se forcer à penser à quelque chose à dire à sa nouvelle partenaire. Elle ne pouvait pas parler du magazine. Que pouvaient-elles avoir d’autre en commun ? Les mots ne lui venaient pas.

— On a bien résolu notre première affaire, finit-elle par dire dans un murmure, ne se sentant presque pas assez brave pour ne dire ne serait-ce que cela.

Shelley leva la tête, surprise, les yeux écarquillés et vides l’espace d’un instant avant de se fendre d’un sourire.

— Oh ouais, dit-elle. On a fait du bon boulot.

— Avec un peu de chance, la prochaine se passera tout aussi bien.

Zoe sentait ses entrailles se rabougrir. Pourquoi ne savait-elle vraiment pas bavarder ? Elle devait user de toute sa concentration pour trouver quoi dire ensuite.

— On pourra peut-être être plus rapides la prochaine fois, suggéra Shelley. Tu sais, quand on sera en phase, on travaillera bien plus vite.

Ce fut comme un coup pour Zoe. Elles auraient pu attraper le gars plus vite, avoir envoyé l’hélicoptère à sa localisation précise dès l’instant où elles étaient arrivées, si Zoe avait tout simplement partagé ce qu’elle savait. Si elle n’avait pas fait tant attention à cacher comment elle le savait qu’elle avait tout gardé pour elle.

— Peut-être, dit-elle, évasive.

Elle essaya d’adresser un sourire qui pourrait être rassurant à Shelley, d’un agent plus expérimenté à un novice. Shelley lui rendit son sourire d’un air légèrement hésitant avant de se replonger dans son magazine.

Elles ne reparlèrent pas avant d’avoir atterri.

CHAPITRE DEUX

Zoe ouvrit la porte de son appartement en poussant un soupir de soulagement. C’était son refuge, l’endroit où elle pouvait se détendre et arrêter d’essayer d’être la personne que tout le monde acceptait.

Un petit miaulement retentit depuis la cuisine quand elle alluma les lumières et Zoe s’y rendit directement après avoir posé ses clés sur la table d’appoint.

— Coucou, Euler, dit-elle en se penchant pour gratter un de ses chats derrière les oreilles. Où est Pythagore ?

Euler, un chat tigré gris, ne répondit que d’un seul miaulement tout en regardant en direction du placard où Zoe rangeait les sacs et boîtes de conserve de nourriture pour chat.

Elle n’avait pas besoin de traducteur pour comprendre cela. Les chats étaient assez simples. Les seules interactions dont ils avaient réellement besoin étaient être nourris et recevoir une occasionnelle grattouille.

Elle sortit une nouvelle boîte de conserve du placard, l’ouvrit et la vida dans une écuelle à l’aide d’une cuillère. Son burmese, Pythagore, qui se trouvait dans une autre partie de leur foyer en sentit bientôt l’odeur et vint lentement.

Zoe les regarda manger un moment, se demandant s’ils aimeraient qu’un autre humain s’occupât d’eux. Vivre seule signifiait qu’ils étaient nourris quand elle rentrait, peu importe l’heure que c’était. Il était évident qu’ils apprécieraient des horaires plus réguliers — mais ils pouvaient toujours chasser les souris du quartier s’ils avaient faim. Et en les regardant à présent, elle voyait que Pythagore avait pris environ un kilogramme. Un régime ne lui ferait pas de mal.

Ce n’était pas comme si Zoe était sur le point de se marier de toute façon — que ce fût pour les chats ou pour tout autre raison. Elle n’avait jamais eu de vraie relation sérieuse. En raison de son éducation, elle s’était presque résignée au fait qu’elle était destinée à mourir seule.

Sa mère était religieuse et stricte, et cela signifiait « intolérante ». Zoe n’avait jamais réussi à trouver de passage dans la Bible disant qu’il fallait communiquer comme tout le monde et penser en charades linguistiques plutôt qu’en formules mathématiques, mais sa mère en avait apparemment été capable. Elle avait été convaincue que quelque chose n’allait pas chez sa fille, quelque chose d’immoral.

La main de Zoe monta vers sa clavicule et traça la ligne où un crucifix en argent s’était, fut un temps, trouvé sur une chaîne en argent. Pendant de nombreuses années de son enfance et de son adolescence, elle n’avait pas pu l’enlever sans se faire accuser de blasphème — pas même pour se doucher ou dormir.

Non pas qu’elle eût pu faire grand-chose sans se faire accuser d’être l’enfant du diable.

— Zoe, disait sa mère, les lèvres pincées, tout en secouant le doigt. Abandonne immédiatement cette logique démoniaque. Le diable est en toi, mon enfant. Tu dois le chasser.

La logique démoniaque était apparemment les mathématiques, en particulier chez un enfant de six ans.

Sa mère n’avait eu de cesse de lui rappeler combien elle était différente. Quand Zoe n’avait pas fréquenté les enfants de son âge à la maternelle ou à l’école. Quand elle n’avait pas rejoint de clubs extra-scolaires excepté ceux de mathématiques et de science, et même alors elle n’avait pas formé de groupe ni ne s’était fait d’amis. Quand elle avait compris en une seule fois les proportions utilisées en cuisine après avoir regardé sa mère préparer quelque chose.

Zoe avait appris très rapidement à réprimer son instinct naturel pour les nombres. Quand elle connaissait les réponses aux questions que les gens posaient sans avoir à réfléchir, elle restait silencieuse. Quand elle avait découvert quel enfant de sa classe avait volé les clés de leur professeur et où il les avait cachées grâce à la proximité et les indices qu’il avait laissés, elle n’avait pas dit mot.

De bien des façons, peu de choses avaient changé depuis que, dans une tentative éperdue pour satisfaire sa mère, la petite fille de six ans effrayée avait arrêté de dire toutes les petites choses étranges qui lui passaient par la tête et commencé à prétendre être normale.

Zoe secoua la tête, ramenant son attention au présent. Cela faisait plus de vingt-cinq ans. Il était inutile de s’appesantir dessus maintenant.

Elle regarda par la fenêtre l’horizon de la ville de Bethesda, tournée comme toujours précisément vers Washington D.C.. Elle avait découvert cela le jour où elle avait signé le bail ; elle avait remarqué plusieurs points de repère locaux qui s’alignaient telle une boussole pour lui montrer la bonne direction. Cela n’avait rien de politique ou de patriotique ; elle aimait simplement la façon dont ils s’accordaient et créaient une ligne parfaite sur la carte.

Il faisait sombre à l’extérieur et même les lumières des autres bâtiments autour de son immeuble s’éteignaient une par une. Il était tard ; assez tard pour qu’elle dût faire ce qu’elle avait à faire avant d’aller se coucher.

Zoe alluma son ordinateur portable, tapa rapidement son mot de passe et ouvrit sa messagerie électronique afin de vérifier si elle avait reçu quoi que ce soit. C’était sa dernière tâche de la journée. Elle avait reçu quelques courriels qu’elle pouvait supprimer rapidement : des courriels indésirables, pour la plupart des messages annonçant des soldes chez des marques qu’elle n’avait jamais achetées et des escroquerie par des soi-disant princes nigérians.

S’être débarrassée des courriels indésirables lui laissait quelques autres messages qu’elle pourrait lire et ensuite supprimer, des missives qui ne nécessitaient pas de réponse. Des nouvelles des réseaux sociaux, qu’elle visitait rarement, et des bulletins d’information de sites auxquels elle s’était abonnée.

Un des courriels était plus intéressant. Une notification du site de rencontres où elle avait un profil. Un message court mais gentil — un gars qui l’invitait à un rendez-vous. Zoe cliqua sur son profil et observa ses photos, les examinant. Elle estima rapidement sa vraie taille et fut agréablement surprise de voir qu’elle correspondait à ce qu’il avait écrit dans sa description. Peut-être quelqu’un d’un peu honnête.

Le suivant piqua encore plus sa curiosité, mais pourtant, Zoe ressentit une envie irrésistible de remettre sa lecture à plus tard. C’était un courriel du Dr Francesca Applewhite, son mentor et ancienne professeur. Elle pouvait prévoir ce que le docteur allait lui demander avant de le lire, et elle savait que cela n’allait pas lui plaire.

Zoe soupira et ouvrit quand même le courriel, se résignant au besoin d’en finir avec cela. Le Dr Applewhite était brillante, le genre de mathématicienne qu’elle avait toujours rêvé d’être jusqu’à ce qu’elle réalise qu’elle pouvait se servir de ses talents en tant qu’agent spécial. Francesca était aussi la seule autre personne à savoir réellement comment son esprit fonctionnait — la synesthésie qui transformait les indices en nombres visuels puis en faits dans son esprit. La seule personne qu’elle appréciait et en qui elle avait assez confiance pour en parler.

À vrai dire, c’était le Dr Applewhite qui lui avait donné l’idée de rejoindre le FBI. Elle lui devait beaucoup. Mais ce n’était pas la raison pour laquelle elle était réticente à l’idée de lire son message.

Bonjour Zoe, disait le courriel. Je voulais simplement te demander si tu avais contacté le psychiatre que je t’ai suggéré. Es-tu parvenue à prendre rendez-vous ? Dis-moi si tu as besoin d’aide.

Zoe soupira. Elle n’avait pas contacté le psychiatre et elle ne savait vraiment pas si elle allait le faire ou non. Elle ferma le courriel sans répondre, le reléguant aux problèmes du lendemain.

Euler sauta sur ses genoux, de toute évidence satisfait de son dîner, et se mit à ronronner. Zoe le gratta à nouveau tout en regardant son écran en réfléchissant.

Se sentant négligé, Pythagore poussa un miaulement indigné et Zoe le regarda avec un sourire affectueux. Ce n’était pas exactement un signe, mais cela suffit à la faire agir. Elle rouvrit le courriel précédent, celui du site de rencontres, et tapa une réponse avant d’avoir le temps de changer d’avis.

J’adorerais qu’on se voie. Quand êtes-vous disponible ? — Z.

* * *

— Après toi, dit-il en souriant et en désignant la corbeille à pain.

Zoe lui rendit son sourire et prit un morceau de pain, son esprit calculant automatiquement la largeur et l’épaisseur de chaque morceau pour en choisir un de taille moyenne. Elle ne voulait avoir l’air trop avide maintenant.

— Alors, qu’est-ce que tu fais dans la vie, John ? demanda Zoe.

Il était assez simple d’engager la conversation ainsi — elle avait eu assez de rendez-vous pour savoir que c’était standard. De plus, c’était toujours une bonne idée de s’assurer qu’il avait un salaire convenable.

— Je suis avocat, dit John en prenant lui aussi un morceau de pain.

Il avait pris le plus gros morceau. Il devait contenir environ trois cents calories. Il n’aurait presque plus faim avant que le plat principal ne soit servi.

— Je m’occupe principalement de litiges immobiliers, alors il n’y a pas trop de points communs entre ton travail et le mien.

Zoe nota le salaire moyen d’un avocat spécialisé en droit immobilier dans leur région et hocha silencieusement la tête tandis que les calculs défilaient dans son esprit. À eux deux, ils n’auraient aucune difficulté à obtenir un prêt immobilier pour un quatre pièces, et ce n’était qu’un début. De la place pour une chambre d’enfant. Assez de possibilités d’évolution de carrière pour acheter une plus grande maison plus tard.

Son visage était aussi presque symétrique. C’était drôle comment cela revenait souvent ces temps-ci. Il avait seulement un petit plus : la façon dont il souriait faisait remonter sa joue droite tandis que la gauche restait plus ou moins en place. Un sourire en coin. Il avait quelque chose de charmant, peut-être en raison de son asymétrie. Elle compta le nombre de dents blanches parfaitement alignées quand elles apparurent entre ses lèvres.

— Parle-moi de ta famille. Tu as des frères et sœurs ? tenta John d’une voix légèrement hésitante.

Zoe réalisa qu’il avait attendu d’elle au moins un petit commentaire à propos de son travail et elle prit note mentalement.

— Je suis enfant unique, dit-elle. Ma mère m’a élevée. On n’est pas proches.

John arqua un sourcil l’espace d’un instant avant de hocher la tête.

— Oh, ça craint. Ma famille est très soudée. On fait des repas de famille au moins une fois par mois.

Les yeux de Zoe parcoururent son corps mince et elle conclut qu’il ne devait pas trop mal manger à ces repas de famille. Cela dit, il était évident qu’il allait à la salle de sport. Combien pouvait-il soulever en développé-couché ? Peut-être quatre-vingt-dix kilos à en juger par les muscles visibles sous les manches de sa chemise rayée bleue.

Cela faisait à présent quelques instants qu’ils étaient silencieux. Zoe prit un morceau de pain, se le fourra dans la bouche, puis le mâcha aussi vite que possible afin de libérer à nouveau sa bouche. Les gens ne parlaient pas pendant qu’ils mangeaient, du moins pas en société, alors cela servait en quelque sorte d’excuse en ce qui la concernait.

— Est-ce que tu es enfant unique ? demanda Zoe une fois que l’épais morceau de pain sec eut finalement glissé dans sa gorge.

Non, pensa-t-elle. Au moins deux frères ou sœurs.

— J’ai un frère aîné et une sœur, dit-il. Nous n’avons que quatre ans d’écart, alors on s’entend plutôt bien.

Derrière lui, par-dessus son épaule, Zoe vit leur serveuse d’un mètre soixante-deux s’efforcer de porter un lourd plateau de boissons. Deux bouteilles de vin partagées en sept verres, tous destinés à une table bruyante au bout d’une ligne de box. Tous le même âge. Une réunion de camarades d’université.

— Ça doit être sympa, dit froidement Zoe.

Elle ne pensait pas vraiment que cela devait être sympa d’avoir des frères ou des sœurs aînés. Elle n’avait aucune idée de comment cela devait être. C’était simplement une expérience différente qu’elle n’avait jamais connue.

— Je trouve que ça l’est.

Les réponses de John se faisaient plus distantes. Il ne lui posait plus de questions. Le plat principal n’était même pas encore servi.

Zoe fut soulagée de voir la serveuse apporter deux plats, habilement maintenus en équilibre sur son bras, le poids réparti de façon égale entre son coude et sa paume.

— Oh, voilà notre repas, dit-elle, plus pour le distraire qu’autre chose.

John se tourna, il se mouvait avec une grâce souple qui dénotait assurément le temps qu’il passait à la salle de sport. C’était un homme convenable. Beau, charmant, avec un bon travail. Zoe essaya de se concentrer sur lui, de s’appliquer. Cela devrait être plus simple quand ils seraient en train de manger. Elle fixa la nourriture dans son assiette — vingt-sept petits pois, un steak d’exactement cinq centimètres d’épaisseur — et essaya de ne pas se laisser distraire de ce qu’il disait.

Et pourtant, elle entendit les silences gênants tout autant que lui.

À la fin, il proposa de tout payer — la part de Zoe revenait à trente-sept dollars et quatre-vingt-dix-sept cents — et elle accepta avec gratitude. Elle avait oublié qu’elle était censée protester au moins une fois pour lui donner une chance d’insister, mais elle s’en souvint lorsqu’elle vit les coins de sa bouche retomber légèrement quand il tendit sa carte de crédit à la serveuse.

— Eh bien, c’était une super soirée, dit John, balayant la pièce du regard et attachant sa veste de costume quand il se leva. C’est un restaurant charmant.

— Le repas était merveilleux, murmura Zoe en se levant bien qu’elle aurait préféré rester assise plus longtemps.

— C’était un plaisir de te rencontrer, Zoe, dit-il.

Il lui tendit la main pour qu’elle la serre. Quand elle la prit, il se pencha en avant et l’embrassa sur la joue aussi brièvement que possible avant de s’éloigner à nouveau.

Pas de proposition de l’accompagner à sa voiture ou de la ramener chez elle. Pas d’étreinte, pas de demande de la revoir. John était assez charmant — tout en sourires en coin et en gestes attentionnés — mais le message était clair.

— De même pour moi, John, dit Zoe, le laissant sortir du restaurant en premier pendant qu’elle récupérait son sac afin de ne pas avoir à subir de bavardages gênants sur le chemin du parking.

Une fois qu’elle fut dans l’intimité de sa voiture, Zoe s’affala sur le siège conducteur et enfouit son visage dans ses mains. Stupide, stupide, stupide. Imaginez être tant préoccupée par la longueur de la foulée des différents serveurs que vous ne pouviez même pas vous concentrer sur le beau et charmant bon parti en face de vous.

Cela allait trop loin. Zoe le savait, au plus profond d’elle, et cela faisait un moment qu’elle le savait. Elle parvenait à peine à se concentrer sur le langage corporel sans que les calculs et l’exploration des séquences ne capturent toute son attention. Il était déjà assez problématique qu’elle ne parvînt pas à comprendre tous les signes quand elle les entendait ou les voyait, mais ne pas les remarquer du tout était encore pire.

— Je suis vraiment trop bizarre, marmonna-t-elle pour elle-même, sachant que personne d’autre ne l’entendrait.

Cela lui donnait à la fois envie de rire et de pleurer.

Zoe passa tout le trajet de retour à se repasser et à examiner les événements de la soirée. Dix-sept pauses gênantes. Au moins vingt occasions où John devait avoir voulu qu’elle montre plus d’intérêt. Dieu seul savait combien de fois elle ne l’avait même pas remarqué. Un steak gratuit ne suffisait pas à contrebalancer le fait de se sentir comme une réprouvée qui mourrait seule.

Avec des chats, bien évidemment.

Pas même Euler et Pythagore qui miaulèrent et essayèrent de rivaliser afin de pouvoir sauter sur ses genoux quand elle s’assit dans le canapé ne parvinrent à la faire se sentir mieux. Elle les prit tous les deux dans ses bras et les posa, pas le moins du monde surprise quand ils se désintéressèrent immédiatement et se mirent à rôder le long du dossier le canapé.

Elle ouvrit une fois de plus le courriel du Dr Applewhite et regarda le numéro du psychiatre qu’elle lui avait envoyé.

Cela ne pourrait pas lui faire de mal, n’est-ce pas ?

Zoe saisit le numéro dans son téléphone un chiffre à la fois bien qu’elle l’eût mémorisé au premier coup d’œil. Elle eut le souffle coupé alors que son doigt restait en suspens au-dessus du bouton vert d’appel, mais elle se força à appuyer puis leva le téléphone à son oreille.

Dring-dring-dring.

Dring-dring-dring.

— Bonjour, dit une voix féminine à l’autre bout du fil.

— Bonjour…, commença Zoe avant de s’interrompre immédiatement quand la voix continua.

— Ici le bureau du Dr Lauren Monk. Nous sommes dans le regret de vous annoncer que le bureau est fermé.

Zoe gémit intérieurement. Messagerie vocale.

— Si vous souhaitez prendre rendez-vous, changer un rendez-vous déjà prévu ou laisser un message, faites-le après le b…

Zoe éloigna brusquement le téléphone portable de son oreille comme s’il était en feu et raccrocha. Pythagore brisa le silence d’un miaulement chaleureux, puis sauta sur son épaule depuis l’accoudoir du canapé.

Elle allait devoir prendre rendez-vous et elle devrait le faire rapidement. Elle se le promit. Mais cela ne lui ferait pas de mal d’attendre un jour de plus, n’est-ce pas ?