Kitabı oku: «Sans Laisser de Traces», sayfa 17
Chapitre 34
Quand la ferme apparut, sa vue ébranla Riley plus qu’elle ne l’aurait cru. On aurait dit une peinture à l’huile représentant une vision idyllique de l’Amérique rurale. La maison en bois, peinte de blanc, nichait au creux d’une petite vallée. Elle était vieille, mais encore en bon état.
Quelques dépendances se dressaient ça et là dans les champs. Elles n’avaient pas été aussi bien entretenues que la maison. La grange semblait prête à s’écrouler. Cependant, ces bâtiments rustiques ne faisaient que rendre le tableau plus charmant encore.
Riley se gara non loin. Elle effleura le manche de son arme sans la sortir de son étui et quitta sa voiture. Elle inspira à pleins poumons l’air frais et propre de la campagne.
Ça ne devrait pas être aussi joli, ici…, pensa Riley. Pourtant, cette beauté avait du sens. Depuis qu’elle avait discuté avec son père, elle avait imaginé la tanière du tueur comme un endroit plein de charme.
Mais il y avait ici un danger auquel elle ne s’était pas préparée. Le danger de baisser sa garde, bercée par la beauté des environs. Il fallait qu’elle se rappelle qu’une créature malfaisante avait fait son nid dans ce paysage idyllique. Elle était sur le point de se trouver nez à nez avec l’horreur de ce lieu… Mais elle n’était pas sûre de savoir où la trouver.
Elle tourna sur elle-même pour balayer les environs du regard. Aucun signe du 4x4. Dirk l’avait peut-être garé ailleurs ou caché dans la grange. L’homme pouvait être n’importe où – peut-être dans un de ces dépendances. Cependant, elle devait d’abord fouiller la maison.
Un bruit la fit sursauter et elle devina un mouvement rapide au coin de son œil. Ce n’était qu’une poignée de poules laissées en liberté. Rien d’autre ne s’agitait que les hauts brins d’herbes et les feuilles des arbres sur lesquelles soufflait une douce brise. Riley eut l’impression d’être seule.
Elle s’approcha de la ferme. En montant les marches, elle tira son pistolet, puis s’avança sur le porche. Elle frappa à la porte d’entrée. Pas de réponse. Elle frappa à nouveau.
— J’ai une livraison pour Dirk Monroe, appela-t-elle. J’ai besoin d’une signature.
Toujours rien.
Riley descendit les marches et entreprit de contourner la maison. Les fenêtres étaient trop hautes pour apercevoir quoi que ce soit à l’intérieur. En atteignant la porte de derrière, elle constata qu’elle était également verrouillée.
Elle retourna frapper à la porte d’entrée. Encore une fois, seul le silence lui répondit. Une bonne vieille serrure à gorges maintenait la porte fermée. Riley avait toujours sur elle un kit pour forcer les serrures. Un simple rossignol devrait suffire…
Elle rangea son arme dans son étui et dégaina son outil, avant de le glisser dans la serrure. Elle tâtonna quelques secondes, puis fit jouer le mécanisme. Elle tourna la poignée et la porte s’ouvrit. Elle tira à nouveau son arme et fit quelques pas.
L’intérieur de la maison était aussi beau et pittoresque que le paysage. C’était une parfaite petite demeure de campagne, bien entretenue et propre. Il y avait dans le salon deux fauteuils décorés de têtières au crochet.
La pièce donnait l’impression d’attendre des convives et d’inviter Riley à entrer. Mais, en étudiant l’endroit plus en détail, Riley comprit rapidement que ce n’était qu’une illusion. Personne ne vivait ici. Tout était bien trop ordonné.
Les mots de son père lui revinrent en mémoire.
Il veut tout recommencer. Il veut retourner au début.
C’était exactement ce que Dirk essayait de faire ici même, mais en vain, car sa vie était un échec depuis le début. C’était ce qui le tourmentait.
Au lieu de retrouver une enfance heureuse, il s’était enfermé dans un monde irréel et figé, qui aurait eu sa place dans un musée historique. Une borderie au point de croix pendait au mur. Riley s’en approcha.
Les points dessinaient l’image d’une femme portant une robe longue et une ombrelle, ainsi que des mots :
Une Belle du Sud est toujours
gracieuse
courtoise
raffinée…
La liste se poursuivait, mais Riley ne prit pas la peine de tout lire. Elle avait compris le message. La broderie ne représentait qu’un vœu pieux. Il était évident que cette ferme n’avait jamais été une plantation. Aucune Belle du Sud n’avait jamais vécu là, ne s’était jamais assise ici pour siroter son thé en menant les serviteurs à la baguette.
Cependant, une personne qui habitait cette maison – ou l’avait habitée – avait dû nourrir ce rêve. Peut-être la personne qui avait acheté la poupée – une poupée qui représentait une Belle du Sud.
Les oreilles à l’affût du moindre bruit, Riley se déplaça silencieusement dans le couloir. Une ouverture en forme d’arche conduisait dans une salle à manger. Son impression de visiter le passé d’une famille ne fit que croître. Des rayons filtraient à travers les rideaux de dentelle pendus aux fenêtres. Des chaises étaient positionnées soigneusement autour d’une table, comme dans l’attente du souper familial. À l’image du reste de la maison, cette salle à manger semblait ne pas avoir été utilisée depuis longtemps.
Une cuisine à l’ancienne s’ouvrait de l’autre côté du couloir. Encore une fois, tous les ustensiles étaient à leur place et il n’y avait aucun signe d’un usage récent.
Plus loin, à l’autre bout du couloir, se dressait une porte fermée. Alors que Riley marchait dans cette direction, des photographies encadrées et accrochées au mur attirèrent son attention. Elle les examina en passant. Il s’agissait de très ordinaires photos de famille, en noir et blanc ou en couleurs. Certaines paraissaient très vieilles – peut-être même avaient-elles été prises un siècle plus tôt.
C’était exactement le genre de photos que l’on s’attendait à trouver dans toutes les maisons – les parents, les grands-parents, les enfants, la table de la salle à manger en plein repas de fête. De nombreuses photos devenaient floues et pâles.
Une photo qui semblait relativement récente avait été prise à l’école et représentait un petit garçon – un élève propret, aux cheveux fraîchement coupés et au sourire crispé. Sur la photo qui se trouvait juste à côté, on pouvait voir une femme qui tenait dans ses bras une petite fille en robe à volants.
Avec un sursaut, Riley remarqua que la fille et le garçon avaient exactement le même visage. Il s’agissait du même enfant. La petite fille photographiée avec la femme plus âgée n’était pas une petite fille du tout, mais le garçonnet vêtu d’une robe et d’une perruque. Riley frissonna. L’expression sur le visage du petit garçon lui disait qu’il ne s’agissait pas là d’un déguisement inoffensif ou d’un travestissement naturel. Le visage du garçon trahissait son angoisse – même sa colère et son ressentiment.
La dernière photo représentait le garçon à l’âge de dix ans. Il tenait une poupée. La même femme se tenait derrière lui et adressait à l’objectif un sourire éclatant, le signe d’une joie déplacée et hors de propos. Riley s’approcha pour mieux voir la poupée et retint un hoquet de surprise.
Elle était là – la poupée qui correspondait au livre d’images dans le magasin de Madeline. C’était exactement la même, avec ses longs cheveux blonds, ses yeux bleus brillants et ses rubans roses. Des années plus tôt, cette femme avait offert cette poupée au garçon. Elle avait dû le forcer à la prendre, pour qu’il la chérisse et l’aime.
L’expression torturée sur le visage de l’enfant racontait une autre histoire – la véritable histoire. Cette fois, il avait été incapable d’esquisser un sourire forcé. Son visage était tordu par le dégoût et la haine de lui-même. La photo avait capturé le moment où quelque chose s’était brisé en lui – quelque chose qui n’avait jamais pu être réparé. L’image de la poupée s’était imprimée dans l’imagination de cet enfant malheureux. Il n’avait jamais pu s’en défaire. C’était cette image qu’il recréait avec des femmes mortes.
Riley détourna le regard. Elle s’approcha de la porte fermée au bout du couloir et avala sa salive avec difficulté.
C’est là, pensa-t-elle.
Elle en était sûre. Cette porte constituait la barrière entre la beauté surréelle, morte et artificielle de cette maison de campagne et l’hideuse réalité qu’elle renfermait. Derrière cette porte, le masque de normalité bienheureuse tomberait.
La main droite refermée sur son pistolet, elle ouvrit la porte avec la main gauche. La pièce était sombre mais, même sous la lumière diffuse émanant du couloir, elle vit que la pièce ne ressemblait en rien au reste de la maison. Le sol était couvert de débris.
Elle trouva un interrupteur à côté de la porte et poussa le bouton. Une simple ampoule nue jeta alors sa lumière sur le cauchemar éparpillé autour de Riley. La première chose qu’elle remarqua, ce fut un poteau métallique planté au milieu de la pièce, entre le sol et le plafond. Des traces de sang maculaient le plancher tout autour. Les cris de ces femmes, que nul n’avait entendus, résonnèrent dans la tête de Riley, jusqu’à presque la submerger.
La pièce était vide. Riley prit son courage à deux mains et fit quelques pas. Les fenêtres avaient été barricadées et la lumière du soleil ne pouvait entrer. Les murs étaient roses et décorés d’images inspirées par les contes de fées, mais que des traces effroyables avaient défigurées.
Des morceaux de meubles d’enfant – des chaises et des tabourets à fanfreluches clairement destinés à une petite fille – avaient été renversés et cassés. Des restes de poupées jonchaient le sol – des bras et des jambes amputées, des têtes, des morceaux de cheveux. Des petites perruques étaient cloués aux murs.
Le cœur battant sous l’effet de la rage et de la peur, le souvenir de sa propre captivité encore frais dans sa mémoire, Riley s’enfonça dans la pièce, hypnotisé par la scène, par la fureur, par l’agonie qu’elle devinait ici.
Ce fut alors qu’elle sentit un mouvement derrière elle et, soudain, les lumières s’éteignirent.
Prise de panique, Riley se retourna pour tirer – trop tard. Quelque chose de lourd et dur s’abattit sur son bras. Son pistolet s’en alla glisser sur le plancher, dans les ténèbres.
Riley tenta d’esquiver un deuxième coup, mais un objet rigide et pesant la frappa sur la tête avec un craquement sinistre. Elle tomba et rampa vers le coin de la pièce.
Le coup résonna dans ses oreilles. La commotion cérébrale fit jaillir des étincelles devant ses yeux. Elle était gravement blessée et elle le savait. Elle lutta pour rester consciente, mais c’était comme tenter de retenir du sable entre ses doigts.
Et la revoilà – cette flamme blanche et sifflante qui perçait l’obscurité. Petit à petit, la lumière chatoyante révéla le visage de la personne qui la transportait.
Cette fois, c’était la mère de Riley. Elle se tenait debout devant sa fille, la blessure fatale au milieu de la poitrine, ensanglantée, ouverte par la balle qui l’avait tuée. Son visage était pâle et cadavérique. Quand elle prit la parole, ce fut avec la voix du père de Riley.
— Tu t’y prends comme un pied, gamine.
Un vertige nauséeux assaillit Riley. Le monde tourna sur lui-même. Cela n’avait aucun sens. Qu’est-ce que sa mère faisait avec cet ignoble instrument de torture à la main ? Pourquoi parlait-elle avec la voix de son père ?
Riley s’écria :
— Pourquoi tu n’es pas Peterson ?
Soudain, la flamme s’éteignit, abandonnant derrière elle les traces d’une lueur fantomatique.
Riley entendit à nouveau la voix de son père grommeler dans les ténèbres :
— C’est ça, ton problème. Tu veux chasser tout le mal qui existe dans le monde... Tout à la fois. Tu dois faire un choix. Un monstre après l’autre.
Sa tête encore sonnante, Riley tenta de saisir son message.
— Un monstre après l’autre, murmura-t-elle.
Elle n’avait plus que des éclairs de lucidité. Son état de conscience allait et venait. Elle vit que la porte était légèrement entrouverte et que la silhouette d’un homme se découpait devant la lumière diffuse émanant du couloir. Elle ne pouvait pas voir son visage.
Il tenait quelque chose à la main – un pied-de-biche, réalisa-t-elle soudain. Il portait des chaussons – il se trouvait quelque part dans la maison depuis le début, à attendre le moment propice pour la prendre par surprise.
Son bras et sa tête lui faisaient terriblement mal. Un liquide chaud et poisseux coulait contre sa nuque. Elle saignait. Elle saignait beaucoup. Il fallait qu'elle lutte pour ne pas sombrer.
Elle entendit l'homme rire — d'un rire et d'une voix qu'elle ne reconnut pas. Tout se mélangeait dans sa tête. Ce n'était pas la voix de Peterson, si cruelle, si moqueuse dans l'obscurité. Et où était donc son chalumeau ? Pourquoi tout était-il différent ?
Elle chercha à tâtons la vérité dans les tréfonds de son esprit.
Ce n'est pas Peterson, se dit-elle. C'est Dirk Monroe.
Elle murmura pour elle-même :
— Un monstre après l'autre.
Ce monstre-là avait bien l'intention de la tuer.
Elle griffa frénétiquement le sol sous ses doigts, à la recherche de son pistolet. Mais où était-il ?
L'homme s'avança vers elle en fouettant l'air avec son pied-de-biche. Riley avait réussi à s'accroupir quand il abattit son arme en travers de ses épaules. Elle se prépara à recevoir un deuxième coup, mais le pied-de-biche tomba lourdement au sol.
Riley sentit quelque chose s'enrouler autour de ses chevilles et la traîner par le pied à travers les débris, en direction du poteau où les quatre femmes avaient souffert le martyre avant de mourir.
Riley tenta de sonder les pensées de son ravisseur. Il ne l'avait pas choisie. Il ne l'avait pas vue acheter une de ces poupées qu'il haïssait plus que tout au monde. Pourtant, il comptait bien profiter de son arrivée impromptue. Elle ferait l'affaire. Elle deviendrait sa prochaine victime. Il était bien décidé à la faire souffrir. Elle allait mourir dans d'atroces circonstances.
Riley s'accrochait à une lueur d'espoir — la sensation d'attendre une justice imminente. Bill et son équipe seraient bientôt là. Quelle serait la réaction de Dirk quand le FBI prendrait d'assaut sa maison ? Il la tuerait, bien sûr, et immédiatement. Il ne la laisserait pas s'échapper, même si cela signifiait signer son arrêt de mort.
Pourquoi Riley devait-elle être sa dernière victime ? Les visages de ceux qu'elle aimait passèrent devant ses yeux : April, Bill – même son père. Maintenant, Riley en avait pris conscience, elle partageait avec lui un lien têtu avec les ténèbres et leur sagesse, une compréhension de l'infinie malveillance de ce monde. Elle pensa au travail qui la tirait du lit tous les matins et, lentement, une détermination renouvelée s'éveilla en elle. Elle ne le laisserait pas la tuer si facilement. Elle mourrait selon ses propres termes.
Elle balaya de la main le plancher. Ses doigts trouvèrent quelque chose de solide — par un morceau de poupée, mais quelque chose de dur et de tranchant. Elle referma son poing sur le manche du couteau. C'était probablement le couteau qu'il avait utilisé sur ces quatre femmes.
Le temps parut ralentir. Elle réalisa que Dirk venait de passer la corde derrière le poteau et traînait son pied vers lui.
Il avait le dos tourné, trop certain d’avoir déjà remporté la bataille. Il était occupé à l'attacher au poteau — trop occupé à penser à ce qu'il allait lui faire subir.
Cet instant d'inattention donnait à Riley une opportunité, et une seule seulement, avant qu'il ne se retourne vers elle. Encore étendue sur le sol, elle banda ses muscles pour se mettre en position assise. Il remarqua son mouvement du coin de l'oeil et commença à se retourner, mais elle fut plus rapide. Elle dégagea son pied libre et se redressa pour l'affronter.
Elle plongea le couteau dans son ventre et le retira immédiatement, avant de le poignarder à nouveau, encore, et encore, et encore. Elle l'entendit hurler et gémir. Elle le frappa avec une fureur aveugle jusqu'à sombrer dans les ténèbres.
Chapitre 35
Riley ouvrit les yeux. Tout son corps lui faisait mal, surtout son épaule et sa tête. Le visage de Bill passa devant ses yeux. Était-elle en train de rêver ?
— Bill ? demanda-t-elle.
Il esquissa un sourire soulagé. Il tenait quelque chose de doux contre sa tête, pour endiguer le flot de sang.
— Bon retour parmi nous, dit-il.
Riley se rendit compte qu’elle se trouvait toujours dans la pièce au poteau. Un moment de panique l’assaillit.
— Où est Dirk ? demanda-t-elle.
— Mort, dit Bill. Tu lui as donné ce qu’il méritait.
Riley se demanda si elle était en train de rêver.
— Je dois voir, hoqueta-t-elle.
Elle parvint à tourner la tête. Dirk était étendu sur le sol, le visage écrasé dans une mare de son propre sang. Les yeux grands ouverts. Vides.
Bill tourna la tête de Riley vers lui.
— Essaye de ne pas bouger, dit-il. Tu es bien amochée. Tu vas t’en remettre. Mais tu as perdu beaucoup de sang.
Un spasme de nausée et un vertige lui confirmèrent ce que Bill venait de dire. Elle parvint à murmurer cinq mots avant de perdre connaissance :
— Un monstre après l'autre.
Chapitre 36
L’agent spécial Brent Meredith scella l’enveloppe de papier kraft remplie de photographies et de rapports écrits avec une satisfaction évidente devant le travail accompli. Riley ressentait la même satisfaction, tout comme Bill et Flores. Tous étaient assis dans la salle de conférence de l’Unité d’Analyse Comportementale. L’instant aurait pu être parfait, si seulement Riley n’avait été si endolorie et recouverte de bandages.
— Alors comme ça, la mère de Dirk voulait une fille au lieu d’un garçon, dit Meredith. Elle a essayé de faire de lui une Belle du Sud. Et ce n’est probablement que la partie émergée de l’iceberg. Dieu sait ce que ce gamin a traversé…
Bill se renversa sur sa chaise.
— Il ne mérite pas notre compassion, dit-il. Les enfants qui ont une enfance pourrie ne deviennent pas tous des tueurs sadiques. Il a fait ce choix tout seul.
Meredith et Flores hochèrent la tête en signe d’assentiment.
— Mais quelqu’un sait où se trouve la mère de Dirk ? demanda Riley.
— D’après les rapports, elle est morte il y a cinq ans, dit Flores. Son père a disparu bien avant, quand Dirk était encore un bébé.
Un silence contemplatif s’installa dans la pièce. Riley comprit pourquoi. Elle était en présence de trois personnes qui avaient dévoué leurs vies à la destruction du mal. Même la satisfaction du travail accompli ne leur faisait pas oublier tout ce qui restait à faire pour anéantir le spectre de la malveillance. Ce ne serait jamais terminé. Pas pour eux.
La porte s’ouvrit et Carl Walder entra, tout sourire.
— Très bon travail, vous tous, dit-il.
Il fit glisser sur la table, en direction de Riley, son arme de service et son badge.
— Je crois que ceci vous appartient.
Riley lui répondit par un sourire sec. Walder n’allait pas s’excuser, encore moins reconnaître son erreur. Riley n’aurait pas su quoi répondre s’il lui avait dit qu’il était désolé. Elle n’aurait sans doute pas été très aimable.
— Au fait, Riley, dit Walder. Le sénateur m’a appelé ce matin et il vous souhaite un bon rétablissement, et vous adresse ses remerciements. Il a l’air d’avoir une très haute opinion de vous.
Riley réprima son amusement. Cet appel, elle en était certaine, était la raison pour laquelle Walder lui avait rendu son arme et son badge. Elle se rappela une des dernières choses que Newbrough lui avait dites.
« Vous n’êtes le caniche de personne. »
On ne pouvait pas en dire autant de Carl Walder.
— Passez dans mon bureau un de ces jours, dit Walder. Nous allons discuter d’une promotion. Une position dans l’administration, peut-être. Vous le méritez.
Sans un mot de plus, Walder quitta le bureau. Riley entendit ses camarades pousser un soupir d’aise en le voyant repartir si vite.
— Vous devriez y penser, Riley, dit Meredith.
Riley gloussa.
— Vous me voyez, moi, occuper un poste administratif ?
Meredith haussa les épaules.
— Vous l’avez mérité. Vous avez fait plus de travail de terrain, et pris plus de risques, que la plupart des agents ne le font au cours d’une carrière. Peut-être que vous pourriez devenir instructeur. Avec votre expérience et votre instinct, vous seriez super pour entraîner des agents. Qu’en pensez-vous ?
Riley y réfléchit. Que pourrait-elle enseigner aux jeunes agents ? Son instinct, c’était tout ce qu’elle avait et, pour ce qu’elle en savait, ça ne pouvait pas s’apprendre. Elle ne pouvait pas entraîner les agents à suivre leur instinct. Ils l’avaient ou ils ne l’avaient pas.
En plus, avait-elle vraiment envie de transmettre ce don ? Elle vivait dans la terreur de ses propres pensées, hantée par sa capacité à pénétrer les esprits malades. C’était difficile.
— Merci, dit Riley, mais ma situation actuelle me convient.
Meredith hocha la tête et se leva de son siège.
— Eh bien, c’est tout pour aujourd’hui. Reposez-vous, les amis.
La réunion prit fin. Riley et Bill se retrouvèrent à marcher côte à côte dans le couloir, en silence. Ils quittèrent le bâtiment et s’assirent sur un banc, au dehors. De longues minutes passèrent. Aucun d’eux ne semblait savoir par où commencer. Il y avait tant à dire.
— Bill, demanda-t-elle timidement. Tu crois qu’on pourra travailler ensemble de nouveau ?
Bill laissa passer un moment de silence avant de répondre :
— Qu’est-ce que tu en penses ?
Ils se dévisagèrent l’un l’autre. Riley devinait une gêne sur le visage de Bill. La blessure qu’elle lui avait infligée en l’appelant au milieu de la nuit n’avait pas encore cicatrisé. Cela prendrait du temps.
Cependant, elle savait maintenant autre chose – quelque chose qu’elle avait en fait toujours su, sans jamais l’admettre. Leur relation était forte et profonde, et il ressentait la même chose qu’elle. Ils ne pouvaient plus ignorer ce secret. Ils ne pouvaient plus faire semblant.
Leur partenariat était terminé. Tous deux en avaient conscience, mais aucun ne parvenait à l’admettre.
— Rentre chez toi, Bill, dit Riley d’une voix douce. Essaye d’arranger les choses avec ta femme. Tu dois penser à tes enfants.
— Je vais le faire, dit Bill. Mais j’espère que je ne vais pas te perdre... Perdre ton amitié, je veux dire.
Riley lui tapota la main et sourit.
— Ça ne risque pas, dit-elle.
Tous deux se levèrent et se séparèrent, chacun partant vers sa voiture.
*
— À quoi tu penses, Maman ? demanda April.
Riley et sa fille étaient assises dans le salon et regardaient la télévision. Plus tôt dans la soirée, Riley avait raconté à April ce qui s’était passé – ou, du moins, tout ce qu’elle avait cru bon de lui raconter.
Elle hésita avant de répondre à la question de sa fille. Mais elle comprit qu’elle devait le dire à voix haute. En outre, April savait déjà. Ce n’était pas un secret. C’était seulement quelque chose que Riley ne pouvait chasser de son esprit.
— J’ai tué un homme aujourd’hui, dit Riley.
April la couva d’un regard plein d’amour et d’inquiétude.
— Je sais, dit-elle. Ça fait quoi ?
— C’est difficile à décrire, dit Riley. C’est horrible. C’est quelque chose que personne ne devrait avoir le droit de faire – jamais. Mais, parfois, c’est la seule solution.
Riley s’interrompit.
— Je ressens autre chose, dit-elle. Je ne suis pas sûre d’avoir le droit de le dire.
April rit doucement.
— Je pensais qu’on se disait tout maintenant, Maman.
Riley se prépara mentalement, avant d’avouer :
— Je me sens vivante. Mon Dieu, ça m’a permis de me sentir vivante. Et je sais qu’un jour, une femme entrera dans le magasin de Madeline et qu’elle achètera une poupée et qu’elle ne sera pas en danger. Je suis… Eh bien, je suis contente pour elle. Je suis contente d’avoir pu lui donner ça, même si elle ne le saura jamais.
Riley serra la main de sa fille.
— Il est tard et tu as école demain, dit-elle.
April embrassa sa mère sur la joue.
— Bonne nuit, Maman, dit-elle avant de monter dans sa chambre.
Riley sentit une vague de douleur et de fatigue la balayer. Si elle n’allait pas se coucher immédiatement, elle allait s’endormir sur le canapé.
Elle se leva avec effort et marcha jusqu’à sa chambre. Elle était déjà en chemise de nuit et elle ne prit pas la peine de s’arrêter dans la salle de bain pour se brosser les dents. Elle voulait aller au lit tout de suite.
Quand elle alluma la lumière, quelque chose attira son regard. Son cœur manqua un battement.
Là, sur le lit, quelque chose n’était pas à sa place.
C’était une poignée de gravier.