Kitabı oku: «Un mauvais pressentiment», sayfa 2

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CHAPITRE 2

Lundi, en fin d’après-midi

Keri, au volant de sa Prius argentée, se faufila dans le trafic jusqu’à la périphérie ouest du quartier de Venice. Elle conduisait plus vite que nécessaire. Un pressentiment la dirigeait, qui enflait dans sa poitrine, un pressentiment qui ne lui plaisait pas le moins du monde.

Les canaux se trouvaient non loin de plusieurs hauts lieux touristiques tels que le Boardwalk ou Muscle Beach, la plage des bodybuilders. Elle dut parcourir plusieurs fois Pacific Avenue avant de trouver une place pour se garer. Elle sauta de sa voiture et se laissa guider par son téléphone.

Les canaux de Venice sont un entrelacs de canaux creusés par l’homme au début du 20ème siècle, et inspirés des canaux de la ville éponyme, en Italie. Ils recouvrent environ dix pâtés d’immeubles au sud de Venice Boulevard. Quelques-unes des maisons qui bordaient les canaux étaient modestes, mais la plupart étaient des demeures extravagantes, dans le style balnéaire. Bien que les emplacements soient petits, les maisons les plus somptueuses atteignaient presque dix millions de dollars.

Celle où se rendait Keri était parmi les plus impressionnantes. Elle s’élevait sur trois étages, dont seul le dernier était visible de la rue, à cause des hauts murs recouverts de stucs qui ceignaient la propriété. Elle en fit le tour pour arriver à l’entrée principale, remarquant de nombreuses caméras de sécurité fixées au mur d’enceinte et sur la maison elle-même. Plusieurs d’entre elles semblaient pivoter pour suivre ses mouvements.

Pourquoi est-ce qu’une mère ayant la vingtaine habite ici avec sa fille adolescente ? Et pourquoi tant de caméras de sécurité ?

Elle parvint au portail en fer forgé et fut surprise de le trouver ouvert. Elle s’engagea dans le jardin et la porte d’entrée de la maison s’ouvrit avant qu’elle ait le temps de toquer.

Une femme s’avança pour l’accueillir. Elle portait une paire de jeans délavée et un débardeur blanc, et avait une longue chevelure châtain. Elle était pieds nus. Comme Keri l’avait deviné en l’entendant au téléphone, elle avait l’air d’avoir moins de trente ans. Elle faisait la même taille que Keri, bien que plus mince, et était bronzée et svelte. De plus, malgré l’expression anxieuse sur son visage, elle était belle.

La première chose qui vint à l’esprit de Keri fut qu’elle avait en face d’elle une femme-trophée.

« Mia Penn ? demanda Keri.

– Oui, rentrez, je vous prie, agent Locke. J’ai rempli le formulaire que vous m’avez envoyé. »

À l’intérieur, l’entrée était imposante, avec un double escalier en marbre menant à l’étage. Il semblait y avoir plus d’espace que sur un terrain de football. La décoration était impeccable : les murs recouverts de tableaux, et l’espace ponctué de sculptures posées sur des guéridons ouvragés. L’ensemble aurait pu sortir du magazine Maisons et jardins pour démoraliser les pauvres mortels.

Keri reconnut un tableau bien placé comme étant un Delano, ce qui en faisait un objet plus coûteux que la misérable péniche qu’elle habitait depuis vingt ans.

Mia Penn conduisit Keri vers un salon plus modeste, et lui offrit un siège et une eau minérale. Dans un coin de la pièce se tenait debout un homme bâti comme une armoire à glace, vêtu de vêtements de sport. Il ne dit rien, mais ses yeux ne quittaient pas Keri. Elle remarqua un renflement sur sa hanche droite, sous la veste.

Un flingue. Ça doit être un garde du corps.

Dès que Keri fut assise, son hôte se lança. « Ashley ne répond toujours pas à mes appels et messages. Elle n’a rien posté sur les réseaux sociaux depuis la sortie des cours. Rien sur Twitter, ni Facebook, ni Instagram. » Elle expira et ajouta : « Merci d’être venue. Vous ne pouvez pas savoir à quel point ça me touche. »

Keri acquiesça. Elle détaillait Mia Penn, tentant de prendre sa mesure. Tout comme lors de leur conversation téléphonique, elle semblait véritablement affolée.

Elle a l’air d’être vraiment inquiète pour sa fille. Mais elle cache quelque chose.

« Vous êtes plus jeune que je ne le pensais, dit-elle finalement.

– J’ai trente ans. J’ai eu Ashley quand j’avais quinze ans.

– Ouah…

– Oui, c’est la réaction de la plupart des gens. J’ai l’impression que, parce que nous sommes si proches en âge, nous avons un lien particulier. Je vous jure que parfois, je sais ce qu’elle ressent avant même de la voir. Je sais que ça semble absurde mais nous avons un lien spécial. Et je sais que ça ne prouve rien pour vous, mais je sens qu’il y a un problème.

– Ne commençons pas à paniquer » fit Keri.

Elles passèrent en revue les informations qu’elles avaient. Mia avait vu sa fille pour la dernière fois le matin même. Tout allait bien. Au petit-déjeuner, elles avaient mangé du yaourt avec du muesli et des fraises. Ashley était partie à l’école de bonne humeur.

La meilleure amie d’Ashley était Thelma Gray. Mia l’avait appelée quand elle avait constaté qu’Ashley ne revenait pas à l’heure prévue. D’après Thelma, Ashley était bien allée au dernier cours de la journée, un cours de mathématiques, et elle l’avait vue pour la dernière fois autour de 14h. Thelma n’avait aucune idée de la raison pour laquelle Ashley n’était pas rentrée.

Mia avait aussi parlé au petit copain d’Ashley, un garçon sportif nommé Denton Rivers. Denton déclarait avoir vu Ashley à l’école le matin seulement. Il lui avait envoyé quelques messages après les cours, sans réponse.

Ashley ne prenait pas de médicaments, n’avait aucun problème de santé. Mia dit qu’elle avait inspecté la chambre de sa fille et n’avait rien trouvé d’anormal.

Keri notait tout cela sur son carnet, soulignant les noms de ceux qu’elle contacterait ensuite.

« Mon mari devrait rentrer du travail d’un instant à l’autre. Je sais qu’il veut vous parler également. »

Keri leva les yeux. Quelque chose avait changé dans la voix de Mia. Elle semblait mesurée, plus prudente.

Quoi qu’elle cache, je parie que ça a à voir avec lui.

« Et comment s’appelle votre mari ? demanda-t-elle d’un ton enjoué.

– Stafford.

– Attendez un peu, s’écria Keri. Votre mari est Stafford Penn ? Le sénateur Stafford Penn ?

– Oui.

– C’est une information importante, Mme Penn. Vous auriez du le mentionner plus tôt.

– Stafford m’a demandé de ne pas le dire, s’excusa-t-elle.

– Pourquoi ?

– Il dit qu’il veut voir ça avec vous quand il arrive.

– Et quand est-ce qu’il va arriver, déjà ?

– Dans moins de dix minutes, certainement. »

Keri la dévisagea, sans arriver à décider si elle devait insister. Finalement, elle choisit de s’abstenir.

« Vous avez des photos d’Ashley ? »

Mia Penn lui tendit son téléphone. Son fond d’écran était une photo d’une adolescente en robe d’été. On aurait dit la petite sœur de Mia. Excepté les cheveux blonds d’Ashley, elles se ressemblaient en tous points. Ashley était légèrement plus grande, plus athlétique et plus bronzée. La robe ne cachait pas ses jambes musclées et ses épaules puissantes. Keri devina qu’elle faisait régulièrement du surf.

« Se pourrait-il qu’Ashley ait oublié le rendez-vous et soit allée à la plage faire un peu de surf ? »

Mia sourit pour la première fois.

« Je suis impressionnée, agent Locke. Vous avez deviné ça grâce à une seule photo ? En tout cas, non, Ashley ne fait du surf que le matin – les vagues sont plus belles et il y a moins de chahuteurs. J’ai vérifié dans le garage et sa planche de surf est à sa place.

– Pouvez-vous m’envoyer cette photo ainsi que d’autres photos de son visage, avec et sans maquillage ? »

Alors que Mia s’exécutait, Keri lui demanda : « Où est-ce qu’elle va à l’école ?

– Au lycée de West Venice. »

Keri fut incapable de masquer sa surprise. West Venice était un grand établissement public, un mélange métissé de milliers de jeunes, avec tout ce que cela implique. Elle avait déjà interpellé de nombreux lycéens fréquentant West Venice.

Pourquoi diable est-ce que la fille d’un riche sénateur irait là-bas plutôt que dans un établissement privé de luxe ?

Mia avait noté la surprise de Keri.

« Stafford n’aime pas ça. Il a toujours voulu qu’elle aille dans une école privée, pour être sur la voie royale pour Harvard – c’est là qu’il est allé. Il ne voulait pas juste un meilleur enseignement mais aussi une plus grande sécurité, ajouta-t-elle. Moi, j’ai toujours voulu qu’elle aille dans une école publique, pour être avec toutes sortes d’enfants, apprendre les réalités de la vie. C’est une des seules choses pour lesquelles j’ai eu gain de cause face à lui. Si Ashley devait avoir des problèmes à cause de cet établissement, ça sera de ma faute. »

Keri s’empressa de la rassurer. « D’abord, Ashley n’aura aucun problème. Ensuite, si quelque chose devait lui arriver, ça serait de la faute de la personne qui lui a fait du mal, et certainement pas la faute de sa mère qui l’aime. »

Elle essaya de deviner si Mia était convaincue, sans arriver à le déterminer. En vérité, elle voulait la rassurer avant tout pour qu’elle ne s’effondre pas, et qu’elle puisse continuer à leur fournir des informations précieuses. Elle décida d’insister.

« Parlons un peu de ça. Est-ce que vous savez si quiconque pourrait avoir des raisons de lui faire du mal ? À elle, à vous ou encore à Stafford ?

– Ashley et moi, non. Pour Stafford, il n’y a rien de précis, pour autant que je sache. Mais le travail qu’il fait comporte un risque… Je veux dire, il reçoit des menaces de mort d’électeurs qui affirment être des extra-terrestres… Donc c’est difficile de savoir ce qu’il faut prendre au sérieux !

– Et personne ne vous a demandé de rançon, n’est-ce-pas ? » demanda Keri.

Une angoisse soudaine apparut sur le visage de Mia.

« Vous pensez qu’il pourrait s’agir de ça ?

– Non, non, je ne vais que survoler les possibilités. Pour le moment, je ne pense pas encore que ce soit grave. C’est juste la procédure.

– Non, personne n’a demandé de rançon.

– De toute évidence, vous avez de l’argent… »

Mia acquiesça. « Je viens d’une famille très riche. Mais personne ne le sait, tout le monde s’imagine que notre argent vient de Stafford.

– Et, juste par curiosité, de combien d’argent s’agit-il ? » demanda Keri.

Parfois, son travail rendait tout discrétion impossible.

« Je ne sais pas exactement, répondit Mia. Nous avons une maison de plage à Miami et un appartement à San Francisco. Les deux sont au nom de notre compagnie. Nous sommes actifs sur le marché et possédons de nombreux autres biens. Vous avez vu toutes les œuvres d’art dans la maison.  Globalement, nous sommes entre cinquante-cinq et soixante millions.

– Est-ce qu’Ashley est au courant ? »

Mia haussa les épaules.

« Plus ou moins… Elle ne connaît pas les montants exacts mais elle sait que nous avons beaucoup de biens, et que le public n’est pas censé être au courant pour tout. Stafford préfère se présenter comme un homme du peuple.

– Est-ce qu’elle pourrait en parler à ses amis, par exemple ?

– Non. Nous lui avons clairement ordonné de ne pas le faire, fit-elle en soupirant. Mon Dieu, je suis vraiment en train de déblatérer sur notre fortune, Stafford serait furieux.

– Stafford et vous, vous vous entendez bien ?

– Oui, bien sûr.

– Et Ashley ? Vous vous entendez bien avec elle ?

– C’est la personne dont je suis la plus proche au monde.

– Ok. Est-ce que Stafford s’entend bien avec elle ?

– Oui.

– Est-ce qu’elle pourrait avoir une raison de fuguer ?

– Non, impossible. Il ne s’agit pas d’une fugue.

– Comment a été l’humeur d’Ashley, récemment ?

– Ça va. Elle est heureuse, stable, tout va bien.

– Pas de problèmes de garçons…

– Non.

– Et concernant les drogues et l’alcool ?

– Je ne peux pas dire qu’elle n’ait rien fait. Mais en général, c’est une jeune fille responsable. Cet été, elle a suivi une formation de jeune sauveteur en mer, et elle a du se lever tous les matins à cinq heures. Elle est très constante. En plus, je ne vois pas comment elle pourrait déjà s’ennuyer à l’école, ce n’est que la deuxième semaine de l’année scolaire !

– Il n’y a pas de problèmes avec ses camarades ?

– Non. Elle aime ses profs, elle s’entend bien avec tous ses camarades. Elle va faire des essais pour intégrer l’équipe féminine de basket. »

Keri la scruta et lui demanda : « Alors, à votre avis, qu’est ce qui se passe ? »

Un voile de confusion recouvrit le regard de Mia. Ses lèvres tremblaient. « Je ne sais pas, fit-elle, tournant les yeux vers la porte d’entrée. Où peut bien être Stafford ? »

Au même moment, le sénateur Stafford Penn apparut. Keri l’avait vu des dizaines de fois à la télévision, mais l’écran ne rendait pas justice à son charisme. Il avait autour de quarante-cinq ans, était grand et vigoureux, avec des cheveux blonds comme ceux d’Ashley, une mâchoire volontaire, et des yeux verts perçants. Il était doté d’un magnétisme presque palpable. Keri déglutit en lui tendant sa main.

« Stafford Penn », dit-il tout en sachant qu’elle connaissait déjà son nom. Keri sourit.

« Keri Locke, agent du service des personnes disparues du LAPD. »

Stafford fit une bise rapide à sa femme et s’assit à son côté. Il ne perdit pas une minute en civilités.

« Nous vous sommes reconnaissants d’être venue. Mais, personnellement, je pense qu’on peut mettre ça de côté jusqu’à demain matin. »

Incrédule, Mia le dévisagea.

« Stafford… commença-t-elle.

– Les enfants finissent toujours par s’éloigner de leurs parents, continua-t-il. Ils se sèvrent, ça fait partie de l’adolescence. Si Ashley était un garçon, nous aurions connu cette situation déjà il y a deux ou trois ans. C’est pour ça que j’ai demandé à Mia d’être discrète en vous appelant. Je suis certain que ceci va se reproduire de nombreuses fois et je ne veux pas être accusé de crier au loup.

– Donc vous pensez qu’il n’y a aucun problème ? » demanda Keri.

Il secoua la tête.

« Non. Je pense qu’Ashley est une ado qui fait ce que font les ados. Honnêtement, je suis plutôt content que ce jour soit venu, car ça montre qu’elle devient plus indépendante. Retenez ce que je vous dis : je vous assure qu’elle va revenir ce soir. Au pire, demain matin, sans doute avec la gueule de bois. »

Mia était toujours incrédule.

« Pour commencer, fit-elle, nous sommes un lundi après-midi en pleine année scolaire – ce ne sont pas les vacances d’été à Miami ! Et de deux, elle ne ferait jamais ça. »

Stafford secoua la tête.

« Il nous arrive à tous de faire quelques conneries, Mia. Lors de mon quinzième anniversaire, j’ai bu dix bières en l’espace de deux heures. J’ai passé les trois jours suivants à vomir… Ça a bien fait rire mon père. Je pense qu’il était plutôt fier de moi, en fait. »

Keri opina de la tête, faisant mine de trouver ça complètement normal. Inutile de se mettre à dos un sénateur si on pouvait l’éviter.

« Merci, Monsieur.  Vous avez sans doute raison. Mais puisque je suis ici, vous permettez que je jette un œil à la chambre d’Ashley ? »

Il haussa les épaules et indiqua les escaliers de marbre. « Allez-y ».

À l’étage, au bout du couloir, Keri trouva la chambre d’Ashley et ferma la porte. La décoration correspondait à ses attentes : un lit luxueux, des commodes assorties, des posters de la chanteuse Adele et de la légendaire surfeuse amputée d’un bras Bethany Hamilton.

Il y avait une lampe magma rétro sur la table de chevet, et une peluche sur son oreiller. La peluche était si vieille et en lambeaux qu’il était impossible de déterminer si c’était un chien ou un mouton.

Keri alluma l’ordinateur portable Apple qui se trouvait sur son bureau, et fut surprise qu’il ne soit pas protégé par un mot de passe.

Quel genre d’adolescent laisserait son ordinateur ouvert sur son bureau, susceptible d’être fouillé par n’importe quel adulte curieux ?

L’historique de recherche montrait les sites visités dans les deux derniers jours ; les précédents avaient été effacés. Ses recherches avaient trait à un devoir de biologie qu’elle préparait. Elle avait également visité les sites d’agences de mannequins locales, ainsi que d’agences à Los Angeles et Las Vegas. Un autre lien menait au site d’une prochaine compétition de surf à Malibu. Enfin, elle était allée sur le site d’un groupe de musique local nommé Rave.

Soit cette fille est la sainte-nitouche la plus ennuyante de tous les temps, soit elle fait exprès de laisser ces liens pour donner l’image qu’elle veut à ses parents.

L’instinct de Keri lui dit que la seconde option était la bonne.

Elle s’assit au pied du lit d’Ashley et ferma les yeux, tentant de se mettre dans la peau d’une adolescente de quinze ans. Elle en avait été une. Elle espérait toujours qu’elle en serait un jour la mère. Après deux minutes, elle ouvrit les yeux et essaya de poser un regard neuf sur la pièce. Elle parcourut des yeux les étagères, cherchant quoi que ce soit d’inhabituel.

Elle allait laisser tomber quand elle remarqua le livre de mathématiques au bout de l’étagère : Algèbre niveau 3ème.  Mia n’avait-elle pas dit qu’Ashley était en seconde ? Son amie Thelma l’avait vue en cours de mathématiques.

Alors pourquoi garde-t-elle un vieux manuel ? Au cas où elle aurait besoin de revoir les bases ?

Keri s’empara du manuel et commença à le feuilleter. Aux deux-tiers du livre, deux pages étaient scotchées ensemble. Elles enfermaient quelque chose de dur. Keri trancha le scotch et quelque chose tomba au sol. Elle le ramassa. C’était un faux permis de conduire extrêmement bien réalisé, affichant la photo d’Ashley.

Le nom mentionné était Ashlynn Penner, et la date de naissance lui donnait vingt-deux ans.

Sa découverte avait rassuré Keri, qui se sentait sur la bonne voie. Elle se dépêcha de fouiller le reste de la pièce, ne sachant pas combien de temps il lui restait avant que les Penn ne deviennent soupçonneux. Au bout de cinq minutes, elle trouva autre chose : coincé dans une chaussure de sport au fond du placard se trouvait un étui pour pistolet 9mm, vide.

Elle sortit un sachet pour y mettre les preuves – l’étui et le faux permis de conduire – puis quitta la chambre. Mia Penn se dirigeait vers elle dans le couloir, alors qu’elle refermait la porte. Keri se douta tout de suite qu’il était arrivé quelque chose.

« Je viens de recevoir un appel de Thelma, la copine d’Ashley. Elle a parlé à plusieurs personnes de la disparition d’Ashley. Elle dit qu’une autre amie à elles nommée Miranda Sanchez a vu Ashley monter dans une fourgonnette noire sur Main Street, à côté du parc pour chiens non loin de l’école. Elle a dit qu’elle ne savait pas si Ashley était montée volontairement ou si on l’avait tirée à l’intérieur. Ça ne lui avait pas semblé bizarre jusqu’à ce qu’elle entende qu’Ashley avait disparu. »

Malgré les battements précipités de son cœur, Keri s’efforça de garder une expression neutre.

« Connaissez-vous quelqu’un qui possède une fourgonnette noire ?

– Non, personne. »

Keri s’élança vers l’escalier pour sortir, Mia sur ses talons.

« Mia, vous devez appeler le service, la même ligne que vous avez appelée pour m’avoir. Dites à la personne qui va décrocher – ça sera sans doute un homme nommé Suarez – que je vous ai ordonné d’appeler. Donnez-lui la description physique d’Ashley et de la tenue qu’elle portait. Donnez-lui aussi les noms et coordonnées de toutes les personnes dont vous m’avez parlé : Thelma, Miranda, le petit ami Denton Rivers, tout le monde. Ensuite, dites-lui de m’appeler.

– Pourquoi est-ce que vous avez besoin de toutes ces informations ?

– Nous allons les interroger, tous.

– Vous me faites peur. La situation est grave, n’est-ce pas ? demanda Mia.

– Peut-être pas. Mais mieux vaut prévenir que guérir.

– Qu’est ce que je peux faire d’autre ?

– Vous devez rester ici, au cas où Ashley revienne ou si elle appelle. »

Elles arrivèrent en bas. Keri cherchait des yeux Stafford.

« Où est votre mari ?

– Il a du retourner au bureau. »

Keri se retint de faire une remarque, et se hâta vers la porte. Mia cria derrière elle : « Où allez-vous ? ». Sans se retourner, Keri lui répondit :

« Je vais retrouver votre fille. »

CHAPITRE 3

Lundi, en début de soirée

À l’extérieur, le bitume réverbérait la chaleur, et Keri se précipita vers sa voiture en essayant de l’ignorer. Des perles de sueur se formaient déjà sur son front. En composant le numéro de Ray, elle jura intérieurement.

On est mi-septembre, à quelques lieues de l’océan pacifique, merde ! Quand est-ce que cette chaleur va diminuer ?

Au bout d’une demi douzaine de sonneries, Ray décrocha le téléphone.

«  Quoi ? dit-il d’un ton essoufflé et irrité.

– Viens me retrouver sur Main Street, en face du lycée West Venice.

– Quand ?

– Maintenant, Raymond.

– Une seconde. »

Elle l’entendait s’agiter et grommeler dans sa barbe. Il semblait avoir de la compagnie. Lorsqu’il reprit le téléphone, il avait manifestement changé de pièce.

« J’étais, comment dire, plutôt pris, Keri.

– Eh bien, libère-toi, Monsieur l’agent. Nous avons une enquête à mener.

– Ne me dis pas qu’il s’agit de la femme à Venice ? fit-il, exaspéré.

– C’est bien ça. Et s’il te plaît, change de ton. À moins que tu n’estimes que l’enlèvement de la fille d’un sénateur, disparue dans une fourgonnette noire, ne mérite pas qu’on s’en occupe ?

– Mon Dieu. Pourquoi n’a-t-elle pas dit tout de suite que son mari est sénateur ?

– Parce qu’il lui a demandé de ne pas le faire. Il était aussi détaché que toi, peut-être même plus. Attends une seconde. »

Elle avait atteint sa voiture. Elle mit le haut-parleur, jeta son téléphone sur le siège passager, et s’assit au volant. En prenant la route, elle lui expliqua le reste : le faux permis de conduire, l’étui de pistolet, la copine qui avait vu Ashley monter dans le fourgon – peut-être contrainte –, et son projet d’interroger toutes les personnes concernées. Alors qu’elle achevait son exposé, un double appel s’afficha.

« Suarez est en train de m’appeler. Je vais lui donner toutes les informations. C’est bon ? Tu t’es libéré ?

– Je suis en train de monter en voiture, dit-il sans mordre à l’hameçon. J’arrive dans un quart d’heure.

– J’espère que tu as fait tes plus plates excuses à ta partenaire, qui qu’elle soit, ajouta Keri d’un ton moqueur.

– Ce n’est pas le genre de nana avec qui je dois m’excuser, répondit-il.

– Sans surprise. »

Elle raccrocha sans plus de cérémonie.

*

Un quart d’heure plus tard, Keri et Ray descendaient Main Street, au niveau où Ashley Penn était montée dans le fourgon – que ce soit de gré ou de force. Il n’y avait rien d’inhabituel à signaler. Du parc pour chiens bordant la route s’élevaient les jappements ravis des chiens et les cris de leurs maîtres, qui les appelaient de noms comme Théodore, Pavlov ou Deborah.

Ah, Venice et ses riches bobos propriétaires de chiens.

Keri s’appliqua à bannir ses pensées parasites et à se concentrer. Il n’y avait rien d’anormal dans la rue. Ray semblait du même avis.

« Je me demande si elle peut avoir décidé de partir, ou de fuguer, fit-il.

– Je n’exclus pas la possibilité. En tout cas, elle n’est certainement pas la petite princesse innocente que sa mère s’imagine.

– Elles ne le sont jamais…

– Quoi qu’il lui soit arrivé, c’est possible qu’elle l’ait voulu. Plus nous réussirons à nous immiscer dans sa vie, plus nous en saurons. Il nous faut parler à des gens qui ne nous serviront pas le discours officiel, comme le faisait ce sénateur. Je ne sais pas ce qu’il a, mais il était plutôt mal à l’aise à l’idée que je me renseigne à leur sujet.

– Pourquoi, à ton avis ?

– Aucune idée. J’ai juste le sentiment qu’il cache quelque chose. Je n’ai jamais vu un parent aussi indifférent à la disparition de son enfant. Il m’a servi une histoire sur les bêtises qu’il faisait à quinze ans – comme quoi il se serait complètement soûlé pour son anniversaire… Il en faisait trop. »

Ray grimaça.

« Tu as bien fait de ne pas insister, fit-il. C’est bien la dernière chose dont on ait besoin : un adversaire qui porte le titre de sénateur.

– Je m’en fous, de son titre.

– Tu ne devrais pas. Il lui suffirait de deux mots à Beecher ou à Hillman, et tu serais hors jeu.

– Je l’étais il y a cinq ans.

– Ne dis pas ça…

– Tu sais que c’est vrai.

– Bon, parlons d’autre chose » dit Ray.

Hésitante, elle leva les yeux sur lui, puis observa le parc pour chiens. À quelques mètres d’eux, un chiot à la fourrure marron se roulait dans la terre avec délices.

« Tu veux que je te raconte un truc que je ne t’avais jamais dit ? demanda-t-elle.

– Pas sûr…

– Après ce qui s’est passé, tu sais…

– Avec Evie ? »

Keri sentit son cœur se serrer en entendant le nom de sa fille.

« Oui. Juste après que c’est arrivé, pendant un moment, j’ai essayé désespérément de tomber enceinte. Ça a duré deux ou trois mois. Stephen ne tenait pas le coup. »

Ray restait silencieux.

Elle poursuivit : « Et un matin, je me suis levée, et je me détestais. C’était comme si j’avais perdu un chien et que j’étais allée directement au chenil pour le remplacer. Je me sentais lâche, comme si je ne m’occupais que de moi-même alors que j’aurais du me concentrer sur Evie. Je laissais tomber Evie au lieu de me battre pour la retrouver.

– Keri, tu dois arrêter ça. Tu te fais du mal, vraiment.

– Ray, je sens qu’elle est là. Elle est en vie. Je ne sais pas où, ni comment, mais elle est en vie. »

Il prit sa main. « Je sais, fit-il.

– Elle a treize ans, maintenant.

– Je sais. »

Ils remontèrent la rue en silence. Lorsqu’ils arrivèrent au croisement de Westminster Avenue, Ray dit, d’un ton professionnel : « Écoute, on peut suivre toutes les pistes qu’on trouve. Mais il s’agit de la fille d’un sénateur. Si jamais elle a vraiment été enlevée, les gros bonnets vont se saisir de l’affaire. D’ici à demain matin, le FBI sera de la partie, et les hauts gradés du LAPD aussi. Toi et moi, on va être mis de côté. »

C’était sans doute vrai, mais Keri n’en avait que faire – elle verrait bien, le lendemain matin. Pour le moment, elle voulait faire avancer son enquête. Elle soupira et ferma les yeux.

Ray, étant son coéquipier depuis plus d’un an, avait appris à ne pas la déranger quand elle essayait de se concentrer.

Au bout de trente secondes, elle rouvrit les yeux et parcourut la rue du regard. Elle montra du doigt un commerce situé de l’autre côté du carrefour. « Là-bas », fit-elle en se dirigeant vers l’endroit.

Cette partie de Venice, au nord de Washington Boulevard et jusqu’à Rose Avenue, était une étrange mosaïque d’humanités. Au sud se trouvaient les demeures des canaux de Venice ; à l’est les magasins cossus de Abbot Kinney Boulevard ; au nord, la zone industrielle ; et enfin, le long de la plage, la zone parfois mal famée des skateurs et des surfeurs.

Dans toute cette zone, il y avait des gangs. Ils étaient actifs de nuit, notamment du côté de la plage. La police de Los Angeles dénombrait quatorze gangs actifs dans le quartier étendu de Venice. Au moins cinq d’entre eux considéraient que l’endroit où se tenait Keri leur appartenait.

Il y avait un gang de noirs, deux gangs de latinos, un groupe de motards suprématistes blancs, et un gang composé principalement de surfeurs trafiquants de drogues et d’armes. Ils coexistaient non sans difficultés sur les mêmes rues que les représentants branchés de la génération Y, les prostituées, les touristes béats, les vétérans de guerre sans-abri, et les riverains, fanatiques de graines germées de la première heure.

En conséquence, les commerces dans le quartier allaient des bars clandestins de hipsters aux salons de tatouage au henné, en passant par les dispensaires de cannabis thérapeutique, ou encore les officines de garants de caution judiciaire, comme celui devant lequel se trouvait Keri.

L’officine était située au deuxième étage d’un immeuble récemment rénové, juste au-dessus d’un bar à jus de fruits frais.

« Regarde », dit-elle. Au-dessus de la porte d’entrée, un panneau indiquait : Garant de caution judiciaire Briggs.

« Oui, et donc ? fit Ray.

– Regarde au-dessus du panneau. »

Il plissa son bon œil et distingua finalement une minuscule caméra de surveillance. Il se tourna pour voir ce qu’elle captait. La caméra était pointée sur le carrefour derrière eux. Un peu plus loin, on voyait la partie de Main Street qui longeait le parc pour chiens, où Ashley était supposément entrée dans un fourgon.

« Bien vu », fit-il.

Keri recula et étudia les environs. C’était sans doute plus animé qu’au moment de la disparition d’Ashley, mais ça n’était en aucun cas un endroit calme.

« Si tu devais enlever quelqu’un, tu le ferais ici ? demanda-t-elle.

– Moi ? Non, tu sais bien que je suis plutôt fan des ruelles sombres, fit-il.

– Quel genre de personne est suffisamment sûre d’elle pour kidnapper une gamine en plein jour, au vu et au su de tous, à un carrefour très passant ?

– C’est ce qu’on va découvrir. »

Ils se dirigèrent vers l’entrée du bâtiment, puis montèrent au deuxième étage. La porte du bureau de Briggs était ouverte. À l’intérieur, sur la droite, un homme au ventre énorme était avachi dans un fauteuil, feuilletant un magazine sur les armes à feu.

Il leva la tête à l’arrivée de Ray et Keri, et décida qu’ils étaient inoffensifs. Il leur indiqua le fond de la pièce. Un autre homme, aux cheveux longs et à la barbe broussailleuse, leur fit signe de s’approcher. Ils s’assirent et attendirent patiemment qu’il finisse de s’occuper du client qu’il avait au téléphone. Apparemment, l’ennui n’était pas le versement de 10%, mais le dépôt de garantie pour la somme totale. Il lui fallait un acte fiduciaire pour la maison, ou encore une voiture avec acte de propriété, quelque chose de ce type.

Keri entendait l’interlocuteur de Briggs le supplier, mais Briggs restait impassible.

Au bout d’une minute, il raccrocha et s’intéressa aux deux personnes assises en face de lui.

« Stu Briggs, dit-il. Qu’est ce que je peux faire pour vous, monsieur et madame les enquêteurs de police ? »

Aucun des deux n’avait montré son insigne – Keri en fut impressionnée. Avant qu’elle ne puisse répondre, il reconnut Ray et s’exclama : « Ray Sands ! Le Marchand de Sable ! Ça alors ! J’ai vu votre dernier combat, celui avec le gaucher, comment il s’appelait, déjà ?

– Lenny Jack.

– Ouais, c’est ça, Lenny Jack – l’attaque Jack ! Il lui manquait un doigt, je crois ? Le petit doigt ?

– C’est arrivé après.

– En tout cas, petit doigt ou pas, je pensais que le combat était gagné pour vous ! Il avait les jambes en coton, la tête en sang, il chancelait. Une droite de plus, c’est tout ce qu’il manquait pour gagner. Même un petit coup aurait suffi ! On aurait dit qu’un souffle d’air pourrait le renverser.