Kitabı oku: «Des homicides commis par les aliénés», sayfa 4
1° D… est atteint de lypémanie avec prédominance de délire de persécution, craintes d'empoisonnement, frayeur de mort violente, illusions et hallucinations.
2° D… a donné, il y a déjà bien des années, des signes de dérangement de l'esprit, mais c'est seulement dans le courant de 1876 que les conceptions délirantes se sont montrées clairement dans son langage et dans ses actes.
3° Dès les premiers mois de 1877, D… n'a presque plus cessé d'avoir la raison troublée, et sous l'influence des excès d'absinthe auxquels il se livrait, les crises d'agitation sont devenues de plus en plus fréquentes et de plus en plus violentes; des hallucinations de la vue se sont produites, et une véritable folie alcoolique est venue se greffer sur la lypémanie qui existait déjà depuis longtemps.
4° Le 23 novembre dernier, D… était sous l'empire d'une surexcitation maniaque et de conceptions délirantes, d'illusions des sens et d'hallucinations, qui le privaient de la conscience, et, par conséquent, de la responsabilité de ses actes.
5° D… est un aliéné des plus dangereux, qu'il est urgent de placer dans un asile spécial, où il devra être l'objet de la surveillance la plus rigoureuse.
En foi de quoi, nous avons rédigé le présent rapport pour valoir ce que de droit.
Paris, le 16 janvier 1878.
A. MOTET, É. BLANCHE.
Dans ce fait, comme dans les précédents, on observe des crises d'intensité différente et en rapport avec des variations dans les conditions cérébrales, et en plus, l'intoxication alcoolique comme cause déterminante de la crise au cours de laquelle a lieu le meurtre. D… est un bon ouvrier, un travailleur plein d'énergie, d'un caractère sombre, peu communicatif, très-économe, et qui n'admet pas que son travail puisse être sans récompense. Malgré toute son activité, loin de prospérer dans ses affaires, il végète, et quand il avait le droit d'espérer le succès, il ne rencontre que les revers.
Sa femme le seconde de toutes ses forces, mais en vain; alors D… lui reproche, sans aucune justice, de manquer d'ordre, et la rend responsable de ce qu'il ne réussit pas. Il a un enfant; loin de s'en réjouir, ce n'est pour lui qu'une dépense de plus dans le ménage. Un second enfant va naître; D… ne peut supporter la pensée de ce surcroît de charge; à cette pensée vient se joindre le soupçon qu'il pourrait bien avoir été trompé par sa femme et ne pas être le père de l'enfant qu'elle porte; il frappe violemment sa femme dans l'espoir de la faire avorter.
Puis, succède une période de calme relatif. Plus tard, les idées de jalousie reparaissent; D… est convaincu que sa femme a une mauvaise conduite; et un jour il se promène longtemps sur le bord de la Seine avec un de ses voisins qu'il considère comme un de ceux qui le trompent, et il avoue qu'il avait l'intention de le jeter dans l'eau. Cette fois, il en reste à la pensée, et ne va pas jusqu'à l'acte.
Obsédé de soucis, D… demande à l'alcool l'oubli de ses chagrins. Il devient alors de plus en plus soupçonneux, irritable, emporté; les hallucinations de la vue apparaissent; il ne dort plus, n'a plus un moment de repos ni le jour ni la nuit, et enfin la crise éclate, le meurtre est accompli. D… redevient aussitôt calme; il attend, en fumant, qu'on vienne l'arrêter, et il n'exprime aucun regret de ce qu'il a fait, tant il est persuadé que sa vengeance était juste.
Le lendemain, n'éprouvant aucun malaise, il pense qu'il n'était pas empoisonné et regrette d'avoir tué sa femme.
En prison, il a deux nouvelles crises; dans la première, il assomme un de ses codétenus; dans la seconde, il est réduit à l'impuissance par les mesures de surveillance exceptionnelle dont il est l'objet.
Constatons encore ici des analogies frappantes entre ce fait et le fait de la femme C… Elle ne doute pas de son droit de se venger des mauvais traitements dont elle est victime; D… après avoir tué sa femme, conserve le calme d'un homme qui a satisfait à une vengeance légitime.
On pourrait croire que c'est une appréciation après coup, un moyen de défense; ce sentiment existait peut-être chez la femme C… et chez D… mais il y avait certainement aussi conviction sincère de leur part.
Dans sa prison, la femme C… a de nouveau des conceptions délirantes relatives aux religieuses qu'elle considère comme des complices gagnées à la cause du clergé; à Mazas, D… après être resté calme pendant quelques jours, présente les signes d'un délire avec hallucinations, absolument semblable à celui qui l'a poussé au meurtre de sa femme.
Il n'y a de différence que dans la cause de l'accès de délire avec hallucinations, l'alcoolisme, qui joue dans ce cas le principal rôle et qui manquait absolument chez la femme C…; mais dans l'un et dans l'autre, on voit des impulsions irrésistibles surgir au cours d'un délire mélancolique qui n'avait été longtemps que menaçant, qui avait donné lieu à quelques violences sans résultats, et qui éclate enfin par des actes terribles.
ÉPILEPSIE. – ATTAQUES VERTIGINEUSES AVEC HALLUCINATIONS VISUELLES ET PERVERSIONS INTELLECTUELLES. – ABSENCE D'ATTAQUES CONVULSIVES. – INCONTINENCE NOCTURNE DES URINES. – ACCÈS DE DÉLIRE IMPULSIF. – MEURTRE. – SOUVENIR EXACT DES FAITS ACCOMPLIS PENDANT L'ACCÈS. – IRRESPONSABILITÉ
Nous soussignés, Lasègue, Blanche et Motet, docteurs en médecine, commis par une ordonnance en date du 20 février 1868 de M. Dubard, juge d'instruction près le tribunal de première instance du département de la Seine, «à l'effet d'examiner le nommé R… inculpé d'assassinat, de rechercher et d'établir quel a été son état mental au moment du crime, et quel il est actuellement;» après avoir prêté serment, avons pris connaissance du dossier, avons examiné l'inculpé à plusieurs reprises, et consignons dans le présent rapport les résultats de notre expertise:
Le 24 janvier 1868, R… se présentait au presbytère de la Loupe et demandait avec instance à parler à M. le curé. «Il venait, disait-il, chercher des consolations, et se plaignait des mauvaises gens qui voulaient lui faire du mal.» La servante qui lui avait ouvert la porte lui dit que le curé était à l'église, qu'il le trouverait au confessionnal. R… suivit les indications qui lui étaient données; il se rendit à l'église, frappa au guichet du confessionnal, et réclama les consolations qu'il était venu chercher. Soit que ses paroles eussent paru étranges au curé, soit que R… ait à ce moment déjà proféré des menaces, le prêtre ne crut pas devoir l'entendre et l'invita à se retirer. R… insista. Le curé sortit alors du confessionnal; l'accusé le suivit dans l'église, et n'obtenant pour réponses à ses demandes qu'un refus absolu, avec menaces de le faire arrêter s'il ne s'éloignait pas, R… prit son couteau et frappa le curé avec une telle violence que la lame pénétra tout entière dans la cavité du petit bassin et détermina une hémorrhagie rapidement mortelle.
R… rentre immédiatement à l'auberge, où il est arrêté. Il avoue le meurtre qu'il vient de commettre, et, bien que dès ce moment ses réponses soient assez précises, elles témoignent encore des préoccupations sous l'empire desquelles il a agi. Nous avons à déterminer: 1° quels sont les antécédents de l'inculpé; 2° quel était son état mental au moment du crime.
R… est un homme de 34 ans, d'une taille élevée; son aspect extérieur révèle la prédominance du tempérament lymphatique; il est atteint d'une blépharite ciliaire chronique. Son enfance a été maladive; il eut, dit-il, les fièvres pendant très-longtemps, mais il ne paraît pas avoir eu d'accidents convulsifs. Il se développa lentement et fut sujet jusqu'à 18 ans à de l'incontinence nocturne des urines. Il n'apprit jamais à lire ni à écrire, et put cependant faire sa première communion. Sa physionomie est peu intelligente; l'ensemble de sa personne, son attitude, annoncent une simplicité, une franchise, dont nous avons été frappés dès notre premier examen, et qui ne se sont pas démenties depuis. Il travailla de très-bonne heure; placé à l'âge de 13 ans comme domestique dans une ferme, il y resta cinq ans, et n'en sortit qu'à la mort de ses maîtres. À cette époque, son caractère se modifie; R… est pris comme d'un incessant besoin de changement; il ne reste nulle part, s'en allant sans prétexte, pour rentrer quelque temps après dans la place qu'il a volontairement quittée. Il est inquiet, soupçonneux; il croit, si l'on parle à voix basse auprès de lui, que c'est de lui qu'on s'occupe; si on lui fait une observation, il la prend toujours en mal; sans être habituellement querelleur ni violent, il a parfois des moments de vivacité, d'entêtement, il se bute, et l'on n'en peut rien obtenir. D'autres fois, il est sombre, taciturne, ne parle plus, et cet état de tristesse se montre assez souvent chez lui pour qu'on dise dans le pays que R… «est un songeur». Il ne se lie avec personne, ne se montra guère ni au cabaret ni dans les fêtes; son caractère, mobile à l'excès, éloigne de lui. Cependant, il ne manque jamais de travail; on lui reconnaît une certaine habileté dans le commerce des bestiaux; on lui confie des sommes assez importantes, et jamais sa probité n'a été suspectée. Il est économe, et, si peu qu'il gagne, il contribue pour sa part à soutenir une de ses soeurs qui est aveugle.
Cet homme est, depuis l'âge de 18 ans, sujet à des accidents qui revenaient à des époques plus ou moins éloignées; il était pris de maux de tête violents dont l'apparition semble avoir coïncidé avec les modifications signalées dans son caractère. Depuis huit mois surtout les maux de tête ont été plus fréquents; ils se sont compliqués de troubles de l'intelligence, d'hallucinations de la vue, et les renseignements qu'il nous donne à ce sujet, que nous reproduisons presque textuellement, sont d'accord en tous points avec les dépositions recueillies par les magistrats chargés de l'enquête.
«Souvent, dit-il, ça me prenait, j'avais tout à fait mal à la tête, je n'y voyais plus clair; ça me montait à l'estomac, et puis ça me serrait au cou: je ne pouvais plus respirer. Je ne dormais guère jamais, mais, dans le mois d'août, je ne dormais presque plus. Je me faisais un tas de fantômes, j'avais comme peur de moi-même. Jamais je ne m'étais vanté de ça à personne. Une nuit, j'étais dans mon lit, j'aperçois quelque chose contre la porte de l'écurie; ça avait une figure tout à fait drôle. Je me suis levé, je suis allé voir, il n'y avait plus rien. Je me suis recouché et ça est revenu. Je me suis relevé trois fois, et je me disais: Mon dieu, je suis-t-y drôle! J'ai pensé que c'était quelque chose qui me tourmentait dans moi, qu'on voulait me faire du mal, je n'ai pas dormi du tout. Le matin je me suis levé comme d'habitude, j'ai été mener les vaches dans le pré, je n'ai rien dit à ma patronne; je suis allé trouver le curé de Pontgoin, je lui ai tout raconté; je lui ai dit que je croyais qu'on voulait me faire du mal; je croyais sans croire; je pensais bien qu'il y avait quelque chose tout de même, mais je ne supposais sur personne. Le curé de Pontgoin m'a rassuré, il m'a conseillé un bain de pieds et du tilleul; je me suis trouvé mieux après cela. J'ai eu cela encore une autre nuit que je me suis levé. Je voyais tout rouge; j'ai cru qu'il y avait le feu; j'ai manqué l'échelle et je suis tombé; cette fois-là, ma patronne peut le savoir.»
Il est impossible de méconnaître dans ces faits l'existence d'hallucinations de la vue, se manifestant tout à coup chez un individu qui se plaint en même temps d'un malaise qui, de la région de l'estomac, s'étend vers l'oesophage, remonte jusqu'à l'arrière-gorge et détermine une sensation de constriction nettement exprimée par les mots: «Cela me serrait, je ne pouvais plus respirer.» Cette anxiété extrême, nous la retrouvons, non pas la veille, mais l'avant-veille du jour du meurtre. «Dans la nuit du mercredi au jeudi (22 au 23 janvier), je n'ai pas pu dormir. J'avais un tas de rêves; il me semblait toujours voir quelque chose, des formes de rien; c'était dans ma vue, mais j'avais comme peur. Je ne me suis pas levé, j'ai appelé le tondeur à côté de moi pour lui demander l'heure. Je m'ennuyais dans le lit, j'étais tout à fait fatigué; souvent ça m'arrivait de ne pas pouvoir dormir; mais la nuit suivante j'ai tout à fait bien dormi; ça ne m'a pris que le matin après que j'ai eu mangé le café.
«Il s'est trouvé que j'allais à la Loupe; je ne sais pas ce qui m'a pris. Je me suis levé bien tranquille à sept heures; j'ai sorti dehors, et la maîtresse d'auberge était là, en train de faire du café. Elle me dit: en voulez-vous? – Ça m'est égal, que je lui répondis, si vous en avez de trop, je veux bien. Quand j'ai eu mangé ce malheureux café, ça m'a monté à l'estomac.
À ce moment là, il y a un homme qui est venu avec un coq d'Inde.
«Il y avait longtemps que j'avais la tête toute drôle par moments; ça m'a impressionné de voir ce dindon; il était dans un panier au milieu de la route, et plus je le regardais, plus il me semblait drôle; je ne pouvais pas m'ôter les yeux de dessus; je ne peux pas vous expliquer cela. Je me suis retourné et c'est là que j'ai vu l'image du côté du lit au petit C…; il y avait comme deux têtes: ça dansait. C'est là que je suis parti. J'étais impressionné et tourné je ne sais pas comment. Alors j'ai été trouver le curé; il n'était pas là, il était à l'église. J'avais sonné, la domestique m'avait demandé ce que je voulais, je lui répondis que je voulais parler à M. le curé. Elle me dit qu'il était à l'église. J'entrai. J'ai pris de l'eau bénite comme on fait toujours, j'ai tapé au guichet du confessionnal; il m'a demandé ce que je voulais, je lui ai dit que je voulais des consolations; j'ai encore frappé, il m'a dit de m'en aller; puis il est sorti dans l'église, il m'a dit qu'il allait chercher les gendarmes. J'avais mon couteau dans ma poche, je lui en ai donné un coup. C'est là qu'ils sont venus m'arrêter.»
Ces détails nous permettent de dire que le délire a éclaté tout à coup sous forme d'accès avec impulsion irrésistible; et, loin de trouver dans la précision des réponses de R… des éléments de doute sur la réalité d'un trouble de ses facultés intellectuelles, nous déclarons que l'intégrité des souvenirs, l'exposé minutieux de tous les faits qui ont précédé le meurtre, sont pour nous caractéristiques; ils sont l'expression d'une préoccupation maladive.
R… s'est en quelque sorte observé lui-même, rien ne lui a échappé dans la succession des troubles qu'il nous révèle. Des faits qui eussent passé inaperçus pour un homme sain d'esprit, se sont gravés dans sa mémoire avec d'autant plus de précision qu'il a été plus inquiet. Il n'a rien oublié; mais, bien différent des autres criminels qui essayent de mettre leurs actes au compte de la folie et de les atténuer, il raconte ce qu'il a éprouvé, sans chercher jamais à s'excuser, exprimant plutôt le regret du meurtre qu'il a commis. Il n'exagère rien; il dit avec une simplicité et une sincérité parfaites; il n'a jamais varié dans ses réponses; ses actes, ses préoccupations délirantes s'enchaînent de la manière la plus rigoureuse et appartiennent à un état pathologique nettement déterminé. Pour nous, R… est atteint d'épilepsie, non pas de celle qu'on observe le plus communément, mais bien de la forme réduite aux vertiges fugaces, à ces modifications instantanées si soudaines et parfois si rapidement disparues qu'elles ne seraient même pas soupçonnées si les actes qui les suivent n'en venaient pas révéler la nature. Cette opinion est d'autant plus certaine en ce qui regarde R… qu'il est d'expérience que les actes délirants prennent plus vite le caractère de la plus aveugle violence lorsque la manifestation épileptique a été réduite à sa plus simple expression. Et, comme ces troubles ne sont jamais isolés, comme leur apparition, leur retour, apportent dans le caractère, dans les habitudes, dans les tendances, des modifications profondes, on peut, lorsqu'on n'en méconnaît plus la nature, les suivre en quelque sorte à la trace. Tantôts fréquents, tantôt revenant à de longs intervalles, ils laissent toujours une impression plus ou moins profonde, se révélant par des symptômes à l'ensemble desquels on a scientifiquement donné le nom de «caractère des épileptiques». Ces malades, d'une mobilité extrême, sont tour à tour soupçonneux, méfiants, querelleurs, violents, puis faciles, serviables, obséquieux même. Leur intelligence pendant longtemps n'est pas amoindrie, elle n'est que momentanément troublée, jusqu'au jour où, par suite de la répétition des accès, elle s'affaiblit et enfin s'éteint. Chez les malades qui présentent seulement l'état vertigineux, le caractère épileptique est tout aussi tranché que dans l'épilepsie convulsive. Mais ce qu'on trouve chez eux bien plus souvent, ce sont les hallucinations de la vue, les déterminations violentes, non motivées, l'agression instantanée, automatique, pour ainsi dire, de véritables accès s'épuisant parfois à la suite d'un seul meurtre, ou bien, ce qui malheureusement n'est pas rare, durant assez longtemps pour être l'occasion d'une série de meurtres dont on chercherait en vain les motifs.
R… nous présente tous les caractères de cette affection. Depuis l'âge de 18 ans, il est connu comme un individu mobile, ayant des alternatives d'une tristesse profonde et d'un état plus calme pendant lequel il est capable de se livrer aux travaux de la ferme. On ne s'explique pas ses brusques changements d'humeur: c'est qu'on ne sait pas qu'il a peu de sommeil, que des visions effrayantes, «des fantômes, des images de rien», comme il les appelle, le tourmentent souvent. Il est soupçonneux, méfiant; il se figure qu'on s'occupe de lui, qu'on lui veut du mal. Quand il est sous l'influence de ses préoccupations tristes, il n'accepte aucune observation, «il part, dit-il, pour un oui, pour un non», et, la période de calme revenue, il cherche à rentrer dans la maison qu'il a quittée sans motifs. Bien des faits qui auraient eu pour nous une haute importance ont pu passer inaperçus, mais ce que nous savons ne peut laisser aucun doute dans notre esprit, et surtout les hallucinations du mois d'août. R… était aussi malade le jour où il est allé trouver M. le curé de Pontgoin que le jour où il est allé trouver M. le curé de la Loupe. Les symptômes de l'accès sont les mêmes; et si le curé de Pontgoin n'a pas été la victime de R… c'est que l'accès du mois d'août s'était passé pendant la nuit, que déjà un intervalle de temps assez considérable s'était écoulé entre les troubles hallucinatoires et le moment de la visite au curé; c'est qu'aussi, peut-être, R… n'a pas, ce jour-là, rencontré d'obstacles dans la réalisation de ses projets; il a trouvé ce qu'il venait chercher: des consolations. Dans le fait de la Loupe, nous constatons les caractères du vertige plus tranchés encore: début brusque par une sensation de malaise au creux de l'estomac, sorte «d'aura» qui remonte à l'arrière-gorge et l'étouffe, hallucinations de la vue, éblouissements, et, enfin, conceptions délirantes tristes: ce sont elles qui le poussent. R… a besoin d'aller chercher auprès de quelqu'un ce qu'il appelle «des consolations»; et, comme il avait été trouver le curé de Pontgoin, il s'en va trouver le curé de la Loupe. Il ne le connaissait pas, mais il avait été soulagé, dit-il, par le premier, il pouvait l'être par le second. Profondément troublé à ce moment, il n'est plus maître de se diriger; il obéit à une impulsion; il rencontre un obstacle, il le renverse; il frappe, il tue, sans préméditation, sans conscience, un prêtre qu'il n'a jamais vu, qu'il n'a pas, même un instant, pensé à mettre au nombre de ses imaginaires persécuteurs.
En conséquence, les médecins soussignés se croient autorisés à conclure que:
1° R… est atteint d'une affection encéphalique caractérisée essentiellement par des accès subits épileptiformes, avec impulsions irréfléchies et irrésistibles.
2° En dehors de ces attaques s'accompagnant d'hallucinations visuelles, de vertiges, ou de perversions intellectuelles, R… n'a jamais été sujet à des attaques épileptiques convulsives, se produisant sous la forme d'accès d'épilepsie classique.
3° L'absence de convulsions épileptiques, non-seulement n'exclut pas la possibilité d'épilepsie à prédominance de propulsions instinctives et de désordres de l'intelligence; au contraire, il est d'expérience que la plupart des malades entraînés à commettre des actes de violence dans le cours d'un vertige épileptique de nature spéciale ne sont que rarement, sinon exceptionnellement, sujets à des attaques éclamptiques d'épilepsie.
4° Dans ces conditions, le malade, dominé par la plus invincible de toutes les influences, perd toute responsabilité de ses actes, lors même que ces actes sembleraient à première vue être commandés par une intention, et être soumis à l'influence de la volonté.
5° Si R… doit être considéré comme irresponsable, et si les accès de l'aliénation passagère ne sont survenus et ne doivent préalablement survenir qu'à des périodes éloignées, R… est, néanmoins, pendant les accès, dont le retour périodique est impossible à déterminer, un homme tellement dangereux, qu'il y a lieu de le placer dans un asile d'aliénés.
Paris, le 9 avril 1868.
Signé: CH. LASÈGUE, É. BLANCHE, A. MOTET.
Ce fait vient à l'appui de l'opinion, aujourd'hui consacrée par l'expérience, que les troubles intellectuels chez les épileptiques sont beaucoup plus intenses dans les cas où il y a seulement des vertiges que dans ceux où existent des attaques éclamptiques. L'élément délire semble en raison inverse de l'élément convulsion.
On observe chez R… des crises d'inégale intensité; d'abord, c'est un besoin irrésistible de changement et de condition; puis, se montrent des soupçons, des inquiétudes, des moments de tristesse, des vivacités, des emportements; viennent ensuite des hallucinations, principalement la nuit, des terreurs, des insomnies. Après une nuit passée dans le délire, R… se rend chez le curé de P… et lui raconte ses tourments; celui-ci le rassure et lui donne quelques conseils. R… se retire content et calme; la crise s'arrête là. Notons ici que la démarche auprès de curé de P… avait été séparée par quelques heures des accidents cérébraux qui l'avaient précédée, et que par conséquent l'influence de ces accidents en avait été amoindrie. Au contraire, le jour où R… a tué le curé de la Loupe, c'est dans la matinée et presque immédiatement avant d'aller au presbytère qu'il avait eu une crise sur laquelle il a fourni les détails les plus précis. Il était donc, en arrivant auprès du curé, sous l'influence directe de cette crise de délire et d'hallucinations.
Enfin, à rencontre de ce que l'on observe le plus habituellement chez les épileptiques, R… s'est rappelé avec une précision minutieuse tout ce qu'il avait pensé, tout ce qu'il avait vu, et tout ce qu'il avait fait, jusqu'après le meurtre, ce qui s'explique par la prédominance qu'offre dans ce cas l'intensité de la préoccupation délirante sur les troubles comitiaux.
L'attaque est incomplète chez lui comme chez un grand nombre d'épileptiques à crises plus mentales que convulsives. Elle a en moins l'absence de conscience, les spasmes toniques ou cloniques; elle a en plus la tension impulsive. C'est une sorte d'état intermédiaire entre la grande attaque ou le grand mal, et le vertige.
Conformément aux conclusions du rapport, R… a été déclaré irresponsable et placé dans un asile d'aliénés.
La nommée R… est une enfant non-seulement par son âge, mais par la lenteur de son développement physique et moral; sa tête a des dimensions au-dessous de la moyenne.
À l'âge de 2 ans, elle a fait une chute suivie d'accidents cérébraux sur lesquels il est impossible d'être renseigné. Depuis lors, des accès épileptiques ou épileptoïdes rares se sont produits.
Elle est sujette à des impulsions violentes, soudaines, sans provocation, et sans cause appréciable.
Un jour, elle se jette, armée d'un couteau, sur sa mère et lui fait une blessure sans gravité. Une autre fois, elle se précipite sur sa grand'mère, une corde à la main, roule la corde autour de son cou et tire violemment; la grand'mère est à demi étranglée, elle tombe à terre, ne pouvant plus crier; le bruit attire l'attention et on accourt à temps pour la sauver.
Ces attaques de courte durée sont séparées, par des intervalles de raison relative, d'autres accès pendant lesquels l'enfant est dominée par des idées vaniteuses.
Elle s'habille avec une prétention de mauvais goût, se déclare riche ou près de le devenir, habile à tout, bien qu'elle n'ait pu en réalité apprendre un état.
Le nommé F… âgé de 35 ans, est arrêté dans la boutique d'un marchand de vins, s'étant jeté sur un consommateur, armé d'un couteau, et après avoir erré longtemps sur le trottoir en proférant des menaces. Le lendemain de son arrestation, il déclare se rappeler le fait, sans savoir quels mobiles l'ont fait agir. Il boit peu, et n'a pas de tremblement caractéristique. Six mois avant, il s'était précipité sur sa logeuse avec laquelle il n'avait eu que les plus honnêtes relations; il veut l'embrasser, la coucher sur son lit; elle résiste; appelle au secours, F… descend dans la rue, se met à danser, remonte et s'enferme à clef chez lui. Un mois plus tard, il frappe à coups redoublés à la porte d'une maison où d'ailleurs il était connu, au milieu de la nuit, on lui refuse l'entrée; sa fureur redouble; les agents de police accourus, le maintiennent après une résistance terrible. Au poste, il s'endort, et le lendemain il se réveille assez remis pour qu'on le reconduise, sans autre formalité, à son domicile.
Là encore, on assiste à des phases qui varient par leur intensité plutôt que par leur nature. En poursuivant plus loin la recherche, on apprend que F… employé comme homme de peine dans une administration publique, y est très-estimé, mais que de temps en temps il devient singulier, morne ou menaçant, et après quelque repos, il reprend son ouvrage à la satisfaction de tous. On apprend aussi qu'il n'a pas d'habitudes d'ivrognerie et qu'il se défend de boire, sachant combien la boisson l'agite.
La nommée M… domestique, âgée de 24 ans, est née dans la Meurthe; elle habite Paris depuis son enfance. Petite, blonde, d'une physionomie assez fine, elle a été arrêtée pour un infanticide accompli dans les conditions que révèle suffisamment son interrogatoire. Nous avons cru devoir nous borner à reproduire ses paroles, rapportées presque textuellement: «Mon enfant était en nourrice, il avait six mois. J'ai été le chercher au bureau, j'ai payé ses mois. Je savais que je ne pouvais pas continuer, je l'ai emporté.
«Je suis revenue tranquillement à la Seine, portant l'enfant sur les bras; je me suis promenée un bon moment sur le bord de la Seine, je ne savais pas quoi faire, si je devais rentrer chez mes patrons; il était près de minuit, j'ai marché pendant près de deux ou trois heures, je me suis assise sur un banc.
«Je ne pourrais pas dire ce qui m'a passé par l'esprit; j'étais comme perdue, je ne pourrais pas expliquer. Je l'ai pris, je l'ai jeté par-dessus le pont; je l'ai jeté avec douceur. Le pauvre enfant, je pensais en faire tout autant pour moi que j'en ai fait à mon enfant, je ne pourrais pas dire; ça m'a pris tout d'un coup. Mes parents savaient que j'avais un enfant, mes maîtres, non; j'aurais réfléchi, que j'aurais compris que mes parents m'auraient aidée. Ce n'est pas par méchanceté, c'est je ne sais comment que j'ai fait le coup.
«Son père était commis dans un magasin, j'avais fait sa connaissance par une autre jeune fille; je ne l'ai pas revu après un mois que j'étais enceinte; il y avait peut-être cinq mois que je le connaissais.
«J'ai été au commencement que j'étais grosse en rapport avec un autre individu qui devait m'épouser; il a refusé, le jour de l'accouchement, en faisant le calcul qu'il ne pouvait pas être le père.»
L… est plus franchement épileptique.
Venu à Paris de son pays par un coup de tête, il se fait arrêter au bois de Boulogne, brisant avec les pieds et les poings un tableau indicateur qu'il vient d'arracher de son poteau.
Au moment où l'on veut s'emparer de lui, il tire son couteau et en frappe un agent; la blessure est insignifiante.
On le désarme, et le lendemain, il est conduit à l'infirmerie de la Préfecture de police. Là, il est pris de deux accès d'épilepsie type avec cris, menaces, injures, bris de vitres, puis convulsions toniques et cloniques, écume, asphyxie incomplète suivie de sommeil stertoreux et presque de coma.
Les observations d'épileptoïdes et d'épileptiques, dans lesquelles l'impulsion, variant de degré, se traduit tantôt par un bris de meubles ou de vitres, tantôt par des violences, tantôt par une tentative de meurtre ou par un meurtre lui-même, sont nombreuses.
Je dois à l'obligeance de mon excellent ami, M. le professeur Lasègue, la communication des quatre faits précédents dont chacun offre des variétés en rapport soit avec le hasard des circonstances, soit avec la vivacité déréglée des excitations.
Dans le premier, on peut plutôt supposer la nature vraiment épileptique des attaques que l'affirmer avec preuves à l'appui, mais on trouverait difficilement un type mieux accusé d'impulsions passagères aboutissant à une tentative d'homicide ou à un homicide, ce qui est la même chose au point de vue de l'impulsion, et sous quelque nom qu'on le classe, le raptus cérébral ne peut laisser aucun doute.
Ces faits sont tellement caractéristiques, l'attaque impulsive à forme cérébrale est si évidente, qu'ils peuvent se passer de commentaires.