Kitabı oku: «Le Désespéré», sayfa 25
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«Lorsque la guerre de 1870 éclata, la situation de l'horrible drôle, non assise comme elle l'est aujourd'hui, ne fut plus tenable.
«Il se vit forcé de disparaître, ainsi que la plupart de ses compatriotes. Il erra, dit-on, par toute l'Europe, comme un chacal inassouvi, attendant que le Belluaire de Prusse eût achevé sa besogne et que le vieux lion français, épuisé de vieillesse, fût abattu, pour venir l'achever de sa lâche gueule.
«Il n'osa pas immédiatement reparaître après la Commune. Il y avait encore, pour lui, trop de bouillonnement et trop de calottes dans l'air parisien.
«Il se fit imperceptible, il s'aplatit sous les meubles comme une punaise, il se coula dans la boiserie.
«Avec la ténacité d'acarus de sa double race, il se cramponna au bitume, essuyant les crachats et l'ordure dont l'inondait le passant stupéfait de son impudence, voulant, quand même, s'imposer à Paris, qu'un atome de fierté lui eût conseillé de fuir.
«Humble, mais inarrachable d'abord, victorieux et superbe, à la fin des fins.
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«Il ne lui suffisait pas d'être implanté parmi nous. Il lui fallait régner par le Figaro, et Villemessant fut assez infâme pour le lui abandonner.
«On sait, d'ailleurs, la reconnaissance du légataire, et le mot, révélateur de la beauté de son âme, qu'il laissa tomber, en manière d'oraison funèbre, sur la montagneuse charogne de son bienfaiteur.
«Il venait de rembourser quatorze cent cinquante francs à la caisse du journal, pour dette de jeu contractée envers le patron.
«Presque aussitôt, le télégraphe apporte la nouvelle de la mort de Villemessant.
«Après la première émotion, Wolff dit à ses camarades:
« – Je n'ai jamais eu de chance avec notre rédacteur en chef. Si la nouvelle était arrivée quelques heures plus tôt, je ne payais pas les quatorze cent cinquante francs et la famille ne les aurait jamais réclamés.
«Il ne reste plus qu'à rapprocher de cette anecdote, le cantique d'allégresse des journaux allemands, apprenant la sinistre farce de naturalisation du chroniqueur, et, félicitant l'Allemagne d'être débarrassée d'une fière canaille aux dépens de cette imbécile de France qui s'empressait de la recueillir.
«J'ai parlé de pertes au jeu. Une étude sur Albert Wolff ne serait pas complète, si on oubliait de mentionner ce trait essentiel.
«Fort tranquille du côté des femmes, il se rattrape au tripot.
«Paris ne connaît pas de plus forcené joueur.
«Cette passion est telle, qu'il fuit d'instinct tout cercle honorable, – s'il en existe, – et ne fréquente que d'infâmes tripots où il lui est plus aisé de la satisfaire.
«Détesté des autres joueurs, redouté des directeurs et prêteurs, à cause de sa formidable situation au Figaro, il règne en despote, là comme ailleurs, abhorré mais inexpulsable.
«Profitant de la terreur qu'il inspire, il se fait ouvrir de démesurés crédits. Quand il a pris sa culotte, ainsi qu'il s'exprime, le prêteur est obligé, neuf fois sur dix, d'attendre qu'il ait regagné, pour rattraper son pauvre argent, sans aucun espoir de retour du même service, – Wolff ayant affiché son principe d'emprunter toujours et de ne prêter jamais.
«L'argent gagné, d'ailleurs, s'éloigne très promptement de nos rivages.
«Le bon Prussien envoie fidèlement son numéraire chez un banquier Berlinois, et s'empresse de brûler les reçus, – ou de faire croire qu'il les brûle, – pour se mettre hors d'état de retirer les sommes ou d'en négocier les titres, avant l'échéance, complexe turpitude que je livre à de compétentes méditations.
«Rien n'égale la morgue insolente de ce Dégoûtant, vis-à-vis des misérables qu'il peut se flatter de terrifier par sa plume et rien, non plus, ne saurait être comparé à son humble réserve, quand il est en présence d'un véritable homme que ses vils potins ne sauraient atteindre.
«On raconte qu'il a eu des duels. Je n'y étais pas, hélas! mais je doute fort qu'il en accepte désormais.
«Le temps n'est plus où il avait besoin de réclame.
«Puis, l'âge descend sur ce monstre, comme il descendrait sur le front auguste d'un patriarche, certaine chose qu'il sait bien va, peut-être, s'aggravant de jour en jour, et, plus que personne, le VIRGINAL Albert Wolff doit craindre d'être enfilé.
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«On sait que je n'ai pas l'âme ouverte à de bien enivrants espoirs, et que je n'attends aucune propre chose d'un avenir même éloigné.
«Pourtant, s'il nous venait une seule minute d'énergie et de généreuse révolte contre l'effroyable vermine qui nous dévore, il me semble qu'on la devrait employer, cette bienheureuse minute, à l'expulsion immédiate de ce Prussien de malheur, qui nous empoisonne, qui nous souille, qui nous conchie à son plaisir; qui ose se permettre de nous moraliser et de nous juger; – comme si ce n'était pas assez de la rage d'avoir été vaincu et piétiné par un million d'hommes, et qu'il nous fallût encore avaler la suprême honte d'être opprimé, par cette vieille SALOPE, sans esprit, ni cœur, ni sexe, ni conscience, plus pestilentielle, en sa personne, que les croupissants détritus de tout un peuple en putréfaction!
«S'il arrive enfin, le trois fois désirable hoquet du dégoût sauveur, il faudra se jeter sur les balais, sur les pelles, sur les chenêts, sur les fouets et les fléaux, sur tout objet propre à l'extirpation d'un vénéneux malfaiteur, et rejeter par-dessus la frontière, – avec d'irrémédiables malédictions, – cette vomissure allemande, cette ordure de l'ennemi, cette ineffable monstruosité physiologique et morale, qu'un siècle de gloire ne nous absoudrait pas d'avoir supportée!»
LXVII
Une misère plus noire que jamais s'abattit, alors, rue des Fourneaux et, pour que rien ne manquât aux affres d'agonie mortelle qui allaient commencer, Leverdier disparut brusquement de la vie de Marchenoir.
Cet être sublime, voyant l'imminence et l'énormité du péril, se détermina, sans avertir, à vendre le mobilier peu considérable et la collection de livres qu'il possédait et, – après avoir donné l'argent à son ami, – à s'en aller vivre à la campagne, au fond de la Bourgogne, chez une vieille tante qui le réclamait depuis des années.
Cette parente lui gardait une petite fortune dont il était l'unique héritier, et Leverdier serait à son aise un jour. Mais elle n'entendait pas lui envoyer d'argent pour le faire subsister à Paris, lui déclarant, sans cesse, qu'elle tenait à l'avoir auprès d'elle pour lui fermer les yeux, et, qu'en Bourgogne, il vivrait plantureusement, dans la maison qui devait lui appartenir après sa mort, comme s'il en était déjà le maître absolu.
Leverdier calcula qu'il serait ainsi plus utile à Marchenoir et qu'il pourrait aisément lui envoyer, tous les mois, un secours d'argent qui l'empêcherait toujours bien de crever de faim.
Lorsque ce dernier apprit l'héroïque décision de son mamelouck, elle était irrévocable. Leverdier avait tout vendu et déposait sur la table du malheureux les quelques centaines de francs qu'il avait recueillis.
Il n'y eut pas d'explosion. Marchenoir baissa la tête à la vue de cet argent et deux larmes lentes, – issues du puits le plus intime de ses douleurs, – coulèrent sur ses joues blêmes et déjà creusées.
Leverdier ému, s'approcha et le serrant dans ses bras, avec tendresse:
– Mon cher pauvre, lui dit-il, ne t'afflige pas, si tu veux que je m'éloigne en paix. C'est tout juste si j'ai la force de me séparer de Véronique et de toi… Je ne me suis défait d'aucun objet qui me fût réellement précieux, et quand cela serait, qu'importe? Ignores-tu que ta vie m'est plus chère que n'importe quel bibelot qui soit au monde? D'ailleurs, n'avons-nous pas, depuis longtemps, une destinée commune? Je veux te sauver, afin de me sauver moi-même, entends-tu? Il faut que tu vives et c'était le seul moyen… Nous serons séparés quelque temps. Qu'importe encore?.. Je souhaite du fond du cœur à ma bonne vieille tante, qui va, certainement, m'assommer beaucoup, toutes les prospérités imaginables, mais il m'est impossible, avec le meilleur naturel du monde, d'oublier que je suis son héritier et que sa fortune, un jour ou l'autre, nous appartiendra… Alors, Marchenoir, quelle existence avec Véronique, dans cette campagne délicieuse où nous aurons notre maison! Quelle paix! Quelle sécurité parfaite!.. Mais encore, il faut vivre jusqu'à cette époque ignorée. Relève ton cœur! La délivrance est proche, peut-être, et quand l'univers te rejetterait, tu as un fier ami, je t'en réponds!
Marchenoir, toujours sombre, au fond de son attendrissement, répondit au consolateur:
– Il vaudrait mieux pour toi, mon dévoué Georges, que tu n'eusses jamais connu un homme si funeste à tous ceux qui l'ont aimé. Le malheur de certains individus est contagieux autant qu'incurable, et j'espère peu cette existence paisible que tu me montres dans l'avenir… Cependant, je ne veux pas te contrister de mes pressentiments noirs qui peuvent, après tout, me tromper. Il y aurait une cruauté lâche et bête à te payer ainsi du service inouï que tu viens de me rendre… Véronique va rentrer dans quelques instants. Nous ferons un déjeûner d'adieu et je t'accompagnerai à la gare… Ah! mon vieux camarade, j'avais rêvé mieux que tout cela!.. On m'a souvent accusé d'ingratitude, parce que je refusais de vautrer ma conscience dans certaines mains qui s'étaient entr'ouvertes pour moi, mais il est heureux, tout de même, que je sois né croquant, car je n'eusse pas encore été assez ingrat pour faire un bon prince. —Beatius est dare quam accipere. Telle eût été, je crois, ma devise, et ce texte aurait fait ma majesté méprisable et mes pieds d'argile…
– Tu es, au moins, le roi de l'impertinence, indécrottable gueux, répartit l'autre, et tu aurais pu me priver de ta sacrée devise qui n'a rien à faire ici. On ne sait jamais qui donne ni qui reçoit, ajouta-t-il profondément. Voilà ce que je pourrais t'apprendre si tu ne le savais encore mieux que moi. Tu as sauvé ma peau dans un temps, je m'efforce, aujourd'hui, de sauver ton esprit, parce que ton esprit m'est nécessaire pour ne pas me casser le cou dans les chemins noirs où nous pataugeons per multam merdam, comme disait Luther. Qu'as-tu à répondre à ça?
Les deux amis reprirent tant bien que mal un peu d'entrain et concertèrent de laisser croire à Véronique, que Leverdier s'absentait pour une affaire de famille et reviendrait, sans doute, bientôt, – la vérité vraie pouvant occasionner une crise de désolation que ni l'un ni l'autre ne se sentait capable de supporter.
Leverdier partit donc le soir même, laissant à son compagnon, désormais solitaire, cette accablante impression qu'ils venaient de s'embrasser pour la dernière fois et qu'ils ne se reverraient plus!
LXVIII
La loi salique ne fut jamais écrite, parce que c'était la loi vitale, essentielle, de la monarchie française, et que tout essai de rédaction l'eût délimitée. L'absolu est intranscriptible.
Pour cette raison, le Crime d'être pauvre n'est mentionné clairement dans aucun code, ni dans aucun recueil de jurisprudence pénale. Tout au plus, est-il classé parmi les simples délits relevant des tribunaux correctionnels et assimilé au vagabondage, qui n'est, lui-même, qu'une conséquence de la pauvreté.
Mais ce silence est une sanction péremptoire de la terreur universelle qui refuse de préciser son objet.
Indiscutablement, la Pauvreté est le plus énorme des crimes, et le seul qu'aucune circonstance ne saurait atténuer aux yeux d'un juge équitable. C'est un crime tel, que la trahison, l'inceste, le parricide ou le sacrilège, paraissent peu de chose, en comparaison, et sollicitent l'attendrissement social.
Aussi, le genre humain ne s'y est jamais trompé, et l'infaillible instinct de tous les peuples, en n'importe quel lieu de la terre, a toujours frappé d'une identique réprobation, les titulaires de la guenille ou du ventre creux.
Puisqu'on ne pouvait édicter aucun châtiment déterminé, pour un genre d'attentat que les législations épouvantées ne consentaient pas à définir, on accumula sur le Pauvre toutes les formes infamantes ou afflictives de la vindicte unanime. Pour être assuré de tomber juste, on empila sur sa tête la multitude des expiations, au milieu desquelles il était impossible de faire un choix, sans danger de caractériser le forfait.
Les indigents ne furent condamnés formellement ni au feu, ni à l'écartellement, ni à l'estrapade, ni à l'écorchement, ni au pal, ni même à la guillotine. Nulle disposition légale ne précisa jamais qu'on dût les pendre, les émasculer, leur arracher les ongles, leur crever les yeux, leur entonner du plomb fondu, les exposer, enduits de mélasse, au soleil de la canicule, ou simplement, les traîner, dépouillés de leur peau, dans un champ de luzerne fraîchement fauché… Aucun de ces charmants supplices ne leur fut littéralement appliqué, en vertu d'aucune explicite loi.
Seulement, le génie tourmenteur, qui s'est appelé la Force sociale, a su rassembler pour eux, en une gerbe unique de tribulation souveraine, toute cette flore éparse des pénalités criminelles. On les a sereinement, tacitement, excommuniés de la vie et on en a fait des réprouvés. Tout homme du monde, – qu'il le sache ou qu'il l'ignore, – porte en soi le mépris absolu de la Pauvreté, et tel est le profond secret de l'HONNEUR, qui est la pierre d'angle des oligarchies.
Recevoir à sa table un voleur, un meurtrier ou un cabotin, est chose plausible et recommandée, – si leurs industries prospèrent. Les muqueuses de la considération la plus délicate n'en sauraient souffrir. Il est même démontré qu'une certaine virginité se récupère au contact des empoisonneurs d'enfants, – aussitôt qu'ils sont gorgés d'or.
Les plus liliales innocences offrent, en secret, la rosée de leurs jeunes vœux au rutilant Minotaure, et les mères les plus vertueuses pleurent de douces larmes à la pensée qu'un jour, peut-être, cet accapareur millionnaire, qui a ruiné cent familles, aura la bonté de s'employer à l'éventrement conjugal de leur «chère enfant.»
Mais l'opprobre de la misère est absolument indicible, parce qu'elle est, au fond, l'unique souillure et le seul péché. C'est une coulpe si démesurée, que le Seigneur Dieu l'a choisie pour sienne, quand il s'est fait homme pour tout assumer.
Il a voulu qu'on le nommât, par excellence, le Pauvre et le Dieu des pauvres. Ce goulu Sauveur, —homo devorator et potator, comme le désignaient les juifs, – qui n'était venu que pour se soûler et pour s'empiffrer de tortures, a judicieusement élu la Pauvreté pour cabaretière. Aussi, les gens honorables ont réprouvé, d'une commune voix, le scandale d'une telle orgie, et prohibé, dans tous les temps, la fréquentation de cette hôtesse divinement achalandée.
Voilà bientôt deux mille ans que l'Église préconise la pauvreté. D'innombrables saints l'ont épousée, pour ressembler à Jésus-Christ, et la vermineuse proscrite n'a pas monté d'un millionième de cran dans l'estime des personnes décentes et bien élevées.
C'est, qu'en effet, la pauvreté volontaire est encore un luxe, et, par conséquent, n'est pas la vraie pauvreté, que tout homme abhorre. On peut, assurément, devenir pauvre, mais à condition que la volonté n'y soit pour rien. Saint François d'Assise était un amoureux et non pas un pauvre. Il n'était indigent de rien, puisqu'il possédait son Dieu et vivait, par son extase, hors du monde sensible. Il se baignait dans l'or de ses lumineuses guenilles …
La pauvreté véritable est involontaire, et son essence est de ne pouvoir jamais être désirée. Le christianisme a réalisé le plus grand miracle possible en aidant les hommes à la supporter, par la promesse d'ultérieures compensations. S'il n'y a pas de compensations, au diable tout! Il est insensé d'espérer mieux de notre nature.
Un plantigrade, doué de raison et contradictoirement privé d'espérance religieuse, est dans l'impossibilité la plus étroite d'accepter cette geôle d'immondices et de consentir qu'on le traite plus durement qu'un parricide, pour avoir perdu sa fortune ou pour être né sans argent. S'il se résigne sans décalogue et sans eucharistie, on ne peut rien dire de lui, sinon qu'il est un lâche ou un imbécile. À ce point de vue, les nihilistes ont cent fois raison. Que tout tombe, que tout périsse, que tout s'en aille au tonnerre de Dieu, s'il faut endurer indéfiniment cette abominable farce de souffrir pour rien!
Hier soir, un millionnaire crétin, qui ne secourut jamais personne, a perdu mille louis au cercle, au moment même où quarante pauvres filles que cet argent eût sauvées, tombaient de faim dans l'irréméable vortex du putanat; et la délicieuse vicomtesse, que tout Paris connaît si bien, a exhibé ses tétons les plus authentiques, dans une robe couleur de la quatrième lune de Jupiter, dont le prix aurait nourri, pendant un mois, quatre-vingts vieillards et cent vingt enfants!
Tant que ces choses seront vues sous la coupole des impassibles constellations, et racontées avec attendrissement par la gueusaille des journaux, il y aura, – en dépit de tous les bavardages ressassés et de toutes les exhortations salopes, – une gifle absolue sur la face de la Justice, et, – dans les âmes dépossédées de l'espérance d'une vie future, – un besoin toujours grandissant d'écrabouiller le genre humain.
– Ah! vous enseignez qu'on est sur la terre pour s'amuser. Eh! bien, nous allons nous amuser, nous autres, les crevants de faim et les porte-loques. Vous ne regardez jamais ceux qui pleurent et vous ne pensez qu'à vous divertir. Mais ceux qui pleurent en vous regardant, depuis des milliers d'années, vont enfin se divertir à leur tour et, – puisque la Justice est décidément absente, – ils vont, du moins, en inaugurer le simulacre, en vous faisant servir à leurs divertissements.
Puisque nous sommes des criminels et des damnés, nous allons nous promouvoir nous-mêmes à la dignité de parfaits démons, pour vous exterminer ineffablement.
Désormais, il n'y aura plus de prières marmonnées au coin des rues, par des grelotteux affamés, sur votre passage. Il n'y aura plus de revendications ni de récriminations amères. C'est fini, tout cela. Nous allons devenir silencieux …
Vous garderez l'argent, le pain, le vin, les arbres et les fleurs. Vous garderez toutes les joies de la vie et l'inaltérable sérénité de vos consciences. Nous ne réclamerons plus rien, nous ne désirerons plus rien de toutes ces choses que nous avons désirées et réclamées en vain, pendant tant de siècles. Notre désespoir complet promulgue, dès maintenant, contre nous-mêmes, la définitive prescription qui vous les adjuge.
Seulement, défiez-vous!.. Nous gardons le feu, en vous suppliant de n'être pas trop surpris d'une fricassée prochaine. Vos palais et vos hôtels flamberont très bien, quand il nous plaira, car nous avons attentivement écouté les leçons de vos professeurs de chimie et nous avons inventé de petits engins qui vous émerveilleront.
Quant à vos personnes, elles s'arrangeront pour acclimater leur dernier soupir sous la semelle sans talon de nos savates éculées, à quelques centaines de pas de vos intestins fumants; et nous trouverons, peut-être, un assez grand nombre de cochons ou de chiens errants, pour consoler d'un peu d'amour vos chastes compagnes et les vierges très innocentes que vous avez engendrées de vos reins précieux …
Après cela, si l'existence de Dieu n'est pas la parfaite blague, que l'exemple de vos vertus nous prédispose à conjecturer, qu'il nous extermine à son tour, qu'il nous damne sans remède, et que tout finisse! L'enfer ne sera pas, sans doute, plus atroce que la vie que vous nous avez faite.
Mais, dans ce cas, il sera forcé de confesser devant tous ses anges, que nous aurons été ses instruments pour vous consumer, car il doit en avoir assez de vos visages! Il doit être, au moins, aussi dégoûté que nous, cet hypothétique Seigneur; il vous a, sans doute, vomi cent fois, et, si vous subsistez, c'est qu'apparemment, il a l'habitude de retourner à ses vomissements!
Tel est le cantique des modernes pauvres, à qui les heureux de la terre, – non satisfaits de tout posséder, – ont imprudemment arraché la croyance en Dieu. C'est le Stabat des désespérés!
Ils se sont tenus debout, au pied de la Croix, depuis la sanglante Messe du grand Vendredi, – au milieu des ténèbres, des puanteurs, des dérélictions, des épines, des clous, des larmes et des agonies. Pendant des générations, ils ont chuchoté d'éperdues prières à l'oreille de l'Hostie divine, et, – tout à coup, – on leur dévoile, d'un jet de science électrique, ce gibet poudreux où la dent des bêtes a dévoré leur Rédempteur… Zut! alors, ils vont s'amuser!
Manger de l'argent. Qui donc a remarqué l'énormité symbolique de cette locution familière? L'argent ne représente-t-il pas la vie des pauvres qui meurent de n'en pas avoir? La parole humaine est plus profonde qu'on ne l'imagine. Ce mot est étrangement suggestif de l'idée d'anthropophagie, et il n'est pas tout à fait impossible, en suivant cette contingente idée, de se représenter un lieu de plaisir, comme un étal de boucherie ou un simple restaurant-bouillon où se débiterait, par portions, la chair succulente des gueux. Les gourmets, par exemple, choisiraient dans la culotte, et les ménagères économes utiliseraient jusqu'aux abatis, tandis que des viveurs délabrés d'une noce récente, se contenteraient d'un modeste consommé de leurs frères déshérités. On est étonné du tangible corps que prend un tel rêve, quand on interroge ce propos banal.
_Tout riche qui ne se considère pas comme l'_INTENDANT et le DOMESTIQUE du Pauvre, est le plus infâme des voleurs et le plus lâche des fratricides. Tel est l'esprit du christianisme et la lettre même de l'Évangile. Évidence naturelle qui peut, à la rigueur, se passer de la sanction du surnaturel chrétien.
C'est heureux pour les détrousseurs et les assassins, que l'animal soi-disant pensant soit si réfractaire au syllogisme parfait. Il y a diablement longtemps qu'il aurait conclu à l'étripement et à la grillade, car la pestilence, bien sentie, du mauvais riche, n'est pas humainement supportable. Mais la conclusion viendra, tout de même, et probablement bientôt, – étant annoncée de tous côtés par d'indéniables prodrômes …
Les riches comprendront trop tard, que l'argent dont ils étaient les usufruitiers pleins d'orgueil, ne leur appartenait ABSOLUMENT pas, que c'est une horreur à faire crier les montagnes, de voir une chienne de femme, à la vulve inféconde, porter sur sa tête le pain de deux cents familles d'ouvriers, attirées pat des journalistes et des tripotiers dans le guet-apens d'une grève; ou de songer qu'il y a quelque part un noble artiste qui meurt de faim, à la même heure qu'un banqueroutier crève d'indigestion!..
Ils se tordront de terreur, les Richards-cœur de porcs et leurs impitoyables femelles, ils beugleront en ouvrant des gueules, où le sang des misérables apparaîtra en caillots pourris! Ils oublieront, d'un inexprimable oubli, la tenue décente et les airs charmants des salons, quand on les déshabillera de leur chair et qu'on leur brûlera la tête avec des charbons ardents, – et il n'y aura plus l'ombre d'un chroniqueur nauséeux, pour en informer un public de bourgeois en capilotade! Car il faut, indispensablement, que cela finisse, toute cette ordure de l'avarice et de l'égoïsme humains!
Les dynamiteurs allemands ou russes ne sont que des précurseurs ou, si l'on veut, des sous-accessoires de la Tragédie sans pareille, où le plus Pauvre et, par conséquent, le plus Criminel des hommes que la férocité des lâches ait jamais châtié, – s'en viendra juger toute la terre dans le Feu des cieux!