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Kitabı oku: «Récits d'une tante (Vol. 2 de 4)», sayfa 16

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CHAPITRE XII

Le roi de Prusse veut épouser Georgine Dillon. – Rupture de ce mariage. – Désobligeance du roi Louis XVIII pour les Orléans. – Il la témoigne en diverses occasions. – Irritation qui en résulte. – Le comte de La Ferronnays. – Son attachement pour monsieur le duc de Berry. – Madame de Montsoreau et la layette. – Scène entre monsieur le duc de Berry et monsieur de La Ferronnays. – Irritation de la famille royale. – Madame de Gontaut nommée gouvernante. – Conseils du prince de Castelcicala. – Madame de Noailles.

Mon frère sollicitait vivement mon retour qu'il croyait devoir hâter l'époque de son mariage. J'en jugeais autrement, mais je cédai à ses vœux et ne tardai guère à m'en repentir.

J'arrivai à Paris vers le milieu de septembre. C'est le moment où la ville est la plus déserte, car c'est l'époque de l'année où les personnes qui ne la quittent jamais en sortent en foule et où ceux qui habitent longuement la campagne se gardent bien d'y revenir. Mon séjour en était d'autant plus remarquable; et je m'aperçus bientôt que ma présence ne servirait qu'à faire mieux apprécier des longueurs qui devenaient un ridicule lorsqu'il s'agissait d'épouser une riche héritière ne dépendant en apparence que d'elle seule.

Quelque déserte que fût la ville, je trouvais encore de bons amis pour me répéter:

«Prenez-y garde, la petite est capricieuse. Déjà plusieurs mariages ont été arrangés par elle, elle les a fait traîner et les a rompus à la veille de se faire. Pour celui de monsieur de Montesquiou, la corbeille était achetée, etc.»

J'avais au service de tout le monde la réponse banale que, si elle devait se repentir d'épouser mon frère, il valait mieux que ce fût la veille que le lendemain. Mais ces propos, auxquels des retards qu'il était impossible d'expliquer et qui se renouvelaient de quinze jours en quinze jours, donnaient une apparence de fondement quoiqu'ils n'en eussent aucun et que la jeune personne fût aussi contrariée que nous, me firent prendre la résolution de vivre en ermite. Même lorsque la société commença à se reformer pour l'hiver, ma porte était habituellement fermée et je n'allai nulle part.

Ma famille occupait aussi le public par un autre bruit de mariage qui ne m'était guère plus agréable. Le roi de Prusse était devenu très amoureux de ma cousine Georgine Dillon fille d'Édouard Dillon, jeune personne charmante de figure et de caractère. Il voulait à toute force l'épouser.

Madame Dillon avait la tête tournée de cette fortune; mon oncle en était assez flatté. Georgine seule, qui, avec peu de brillant dans l'esprit, avait un grand bon sens et tout le tact qui peut venir du cœur le plus simple, le plus naïf, le plus honnête, le plus élevé, le plus généreux que j'aie jamais rencontré, sentait à quel point la position qu'on lui offrait était fausse et repoussait l'honneur que le prince Radziwill était chargé de lui faire accepter.

Elle devait être duchesse de Brandebourg et avoir un brillant établissement pour elle et ses enfants. Mais enfin cette main royale qu'on lui présentait ne pouvait être que la gauche; ses enfants du Roi marié ne seraient pas des enfants légitimes. Sa position personnelle, au milieu de la famille royale, ne serait jamais simple, et elle avait trop de candeur pour être propre à la soutenir.

Le Roi obtint cependant qu'elle vînt passer huit jours à Berlin avec ses parents. Ils furent admis deux fois au souper de famille et les princes les comblèrent de caresses. Le mariage paraissait imminent; ils retournèrent à Dresde où mon oncle était ministre de France.

Tout était réglé. Le Roi demanda que la duchesse de Brandebourg se fit luthérienne; Georgine refusa péremptoirement. Il se rabattit à ce qu'elle suivit les cérémonies extérieures du culte réformé; elle s'y refusa encore. Du moins, elle ne serait catholique qu'en secret et ne pratiquerait pas ostensiblement, nouveau refus de la sage Georgine, malgré les vœux secrets de sa mère, trop pieuse pour oser insister formellement. Son père la laissait libre.

Les négociations traînèrent en longueur; la fantaisie que le Roi avait eue pour elle se calma. On lui démontra l'inconvénient d'épouser une étrangère, une française, une catholique; et, après avoir fait jaser toute l'Europe avec assez de justice comme on voit, ce projet de mariage tomba sans querelle et sans rupture. La petite ne donna pas un soupir à ces fausses grandeurs; sa mère qui l'adorait se consola en la voyant contente. Mon oncle demanda à quitter Dresde pour ne pas se trouver exposé à des relations directes avec le roi de Prusse. Cela aurait été gauche pour tout le monde après ce qui s'était passé.

Sa Majesté Prussienne avait l'habitude de venir tous les ans à Carlsbad, et une nouvelle rencontre aurait pu amener une reprise de passion dont personne ne se souciait. Mon oncle sollicita et obtint de passer de Dresde à Florence. Cette résidence lui plaisait; elle convenait à son âge, à ses goûts et elle était favorable pour achever l'éducation de sa fille; car cette Reine élue n'avait pas encore dix-sept années accomplies.

Je trouvais les Orléans très irrités de leur situation à la Cour. Le Roi ne perdait pas une occasion d'être désobligeant pour eux. Il cherchait à établir une différence de traitement entre madame la duchesse d'Orléans, son mari et sa belle-sœur, fondée en apparence sur le titre d'Altesse Royale qu'elle portait, mais destinée au fond à choquer les deux derniers qu'il n'aimait pas.

Tant qu'avait duré l'émigration, il avait protégé monsieur le duc d'Orléans contre les haines du parti royaliste, mais, depuis sa rentrée en France, lui-même en avait adopté toutes les exagérations, et, surtout depuis ce qui s'était passé à Lille en 1815, il poursuivait le prince avec une animosité persévérante.

La famille d'Orléans avait été successivement exclue de la tribune royale à la messe du château, de la loge au spectacle dans les jours de représentation, enfin de toute distinction princière, à ce point qu'à une cérémonie publique à Notre-Dame, Louis XVIII fit enlever les carreaux sur lesquels monsieur le duc d'Orléans et Mademoiselle étaient agenouillés pour les faire mettre en dehors du tapis sur lequel ils n'avaient pas droit de se placer.

Il faut être prince pour apprécier à quel point ces petites avanies blessent. Monsieur le duc d'Orléans me raconta lui-même ce qui lui était arrivé à l'occasion de la naissance d'un premier enfant de monsieur le duc de Berry qui ne vécut que quelques heures.

On dressa l'acte de naissance. Il fut apporté par le chancelier dans le cabinet du Roi où toute la famille et une partie de la Cour se trouvaient réunies. Le chancelier donna la plume au Roi pour signer, puis à Monsieur, à Madame, à messieurs les ducs d'Angoulême et de Berry. Le tour de monsieur le duc d'Orléans arrivé, le Roi cria du plus haut de cette voix de tête qu'il prenait quand il voulait être désobligeant:

«Pas le chancelier, pas le chancelier, les cérémonies.»

Monsieur de Brézé, grand maître des cérémonies, qui était présent s'avança:

«Pas monsieur de Brézé, les cérémonies.»

Un maître des cérémonies se présenta.

«Non, non, s'écria le Roi de plus en plus aigrement, un aide des cérémonies, un aide des cérémonies!»

Monsieur le duc d'Orléans restait devant la table, la plume devant lui, n'osant pas la prendre, ce qui aurait été une incongruité, et attendant la fin de ce maussade épisode. Il n'y avait pas d'aide des cérémonies présent; il fallut aller en chercher un dans les salons adjacents. Cela dura un temps qui parut long à tout le monde. Les autres princes en étaient eux-mêmes très embarrassés. Enfin l'aide des cérémonies arriva et la signature, qui avait été si gauchement interrompue, s'acheva, mais non sans laisser monsieur le duc d'Orléans très ulcéré.

En sortant, il dit à monsieur le duc de Berry:

«Monseigneur, j'espère que vous trouverez bon que je ne m'expose pas une seconde fois à un pareil désagrément.

– Ma fois, mon cousin, je vous comprends si bien que j'en ferais autant à votre place.»

Et ils échangèrent une cordiale poignée de main.

Monsieur le duc d'Orléans disait à juste titre que, si telle était l'étiquette et que le Roi tînt autant à la faire exécuter dans toute sa rigueur, il fallait avoir la précaution de la faire régler d'avance. Il lui importait peu que ses carreaux fussent sur le tapis, ou que la plume lui fût donnée par l'un ou par l'autre, mais cela avait l'air de lui préparer volontairement des humiliations publiques. C'est par ces petites tracasseries, sans cesse renouvelées, qu'en aliénant les Orléans on se les rendait hostiles.

Je suis très persuadée que jamais ils n'ont sérieusement conspiré; mais, lorsqu'ils rentraient chez eux, blessés de ces procédés qui, je le répète, sont doublement sensibles à des princes et qu'ils se voyaient entourés des hommages et des vœux de tous les mécontents, certainement ils ne les repoussaient pas avec la même vivacité qu'ils l'eussent fait si le Roi et la famille royale les avaient accueillis comme des parents et des amis.

D'un autre côté, les gens de l'opposition affectaient d'entourer monsieur le duc d'Orléans et de le proclamer comme leur chef, et, à mon sens, il ne refusait pas assez hautement ce dangereux honneur. Évidemment ce rôle lui plaisait. Y voyait-il le chemin de la couronne? Peut-être en perspective, mais de bien loin, pour ses enfants, et seulement dans la pensée d'accommoder la légitimité avec les besoins du siècle.

L'existence éphémère de la petite princesse de Berry donna lieu à une autre aventure très fâcheuse. Je ne me souviens plus si, dans ces pages décousues, le nom de monsieur de La Ferronnays s'est déjà trouvé sous ma plume, cela est assez probable, car j'étais liée avec lui depuis de longues années.

Il avait toujours accompagné monsieur le duc de Berry, lui était tendrement et sincèrement dévoué, savait lui dire la vérité, quelquefois avec trop d'emportement, mais toujours avec une franchise d'amitié que le prince était capable d'apprécier. Les relations entre eux étaient sur le pied de la plus parfaite intimité.

Monsieur de La Ferronnays, après avoir reproché ses sottises à monsieur le duc de Berry, après lui en avoir évité le plus qu'il pouvait, employait sa vie entière à pallier les autres et à chercher à en dérober la connaissance au public. Il avait vainement espéré qu'après son mariage le prince adopterait un genre de vie plus régulier; loin de là, il semblait redoubler le scandale de ses liaisons subalternes.

Jamais monsieur de La Ferronnays n'avait prêté la moindre assistance aux goûts passagers de monsieur le duc de Berry; mais, à présent, il en témoignait hautement son mécontentement, tout en veillant jour et nuit à sa sûreté, et les relations étaient devenues hargneuses entre eux.

Monsieur de La Ferronnays était premier gentilhomme de la chambre ostensiblement et de fait maître absolu de la maison où il commandait plus que le prince. Sa femme était dame d'atour de madame la duchesse de Berry; ils habitaient un magnifique appartement à l'Élysée et y semblaient établis à tout jamais.

Lors de la grossesse de madame la duchesse de Berry, on s'occupa du choix d'une gouvernante. Monsieur le duc de Berry demanda et obtint que ce fût madame de Montsoreau, la mère de madame de La Ferronnays.

L'usage était que le Roi donnait la layette des enfants des Fils de France; elle fut envoyée et d'une grande magnificence. La petite princesse n'ayant vécu que peu d'heures, la liste civile réclama la layette. Madame de Montsoreau fit valoir les droits de sa place qui lui assuraient les profits de la layette. On répliqua qu'elle n'appartenait à la gouvernante que si elle avait servi. Il y eut quelques lettres échangées.

Enfin on en écrivit directement à monsieur le duc de Berry (je crois même que le Roi lui en parla). Il fut transporté de fureur, envoya chercher madame de Montsoreau et la traita si durement qu'elle remonta chez elle en larmes. Elle y trouva son gendre et eut l'imprudence de se plaindre de façon à exciter sa colère. Il descendit chez le prince. Monsieur le duc de Berry vint à lui en s'écriant:

«Je ne veux pas que cette femme couche chez moi.

– Vous oubliez que cette femme est ma belle-mère.»

On n'en entendit pas davantage; la porte se referma sur eux. Trois minutes après, monsieur de La Ferronnays sortit de l'appartement, alla dans le sien, ordonna à sa femme de faire ses paquets et quitta immédiatement l'Élysée où il n'est plus rentré.

Je n'ai jamais su précisément ce qui s'était passé dans ce court tête à tête; mais la rupture a été complète et il en est resté dans tous les membres de la famille royale une animadversion contre monsieur de La Ferronnays qui a survécu à monsieur le duc de Berry, et même au bouleversement des trônes. Je n'ai jamais pu tirer de monsieur de La Ferronnays ni de monsieur le duc de Berry d'autre réponse, si ce n'est qu'il ne fallait pas leur en parler. Si monsieur de La Ferronnays perdait une belle existence, monsieur le duc de Berry perdait un ami véritable, et cela était bien irréparable.

Monsieur de La Ferronnays tint une conduite parfaite, modeste et digne tout à la fois. Il était sans aucune fortune et chargé d'une nombreuse famille. Monsieur de Richelieu, toujours accessible à ce qui lui paraissait honorable, s'occupa de son sort et le nomma ministre en Suède.

Lorsqu'il en prévint monsieur le duc de Berry, il se borna à répondre: «Je ne m'y oppose pas.» Les autres princes en furent très mécontents et cette nomination accrut encore le peu de goût qu'ils avaient pour monsieur de Richelieu, d'autant que bientôt après monsieur de La Ferronnays fut nommé ambassadeur à Pétersbourg. La joie de son éloignement compensait un peu le chagrin de sa fortune. Nous le retrouverons ministre des affaires étrangères et toujours dans la disgrâce des Tuileries.

Une nouvelle grossesse de madame la duchesse de Berry ayant forcé à remplacer madame de Montsoreau, monsieur le duc de Berry demanda madame de Gontaut pour gouvernante de ses enfants. Ce choix ne laissa pas de surprendre tout le monde et de scandaliser les personnes qui avaient été témoins des jeunes années de madame de Gontaut, mais il faut se presser d'ajouter qu'elle l'a pleinement justifié.

L'éducation de Mademoiselle a été aussi parfaite qu'il a dépendu d'elle, et il aurait été bien heureux pour monsieur le duc de Bordeaux qu'elle eût été son unique instituteur.

Madame de Gontaut était depuis bien longtemps dans l'intimité de Monsieur et de son fils, cependant elle n'a jamais été ni exaltée ni intolérante en opinion politique. L'habitude de vivre presque exclusivement dans la société anglaise, un esprit sage et éclairé, l'avaient tenue à l'écart des préjugés de l'émigration. Sa grande faveur du moment auprès de monsieur le duc de Berry venait de ce qu'elle éloignait de sa jeune épouse les rapports indiscrets qui troublaient leur ménage.

Madame la duchesse de Berry était fort jalouse et, quoique le prince ne voulût rien céder de ses habitudes, il était trop bon homme dans le fond pour ne pas attacher un grand prix à rendre sa femme heureuse et à avoir la paix à la maison. Il savait un gré infini à madame de Gontaut, qui pendant un moment remplaça madame de La Ferronnays comme dame d'atour, de chercher à y maintenir le calme.

Le prince de Castelcicala avait amorti les premières colères de madame la duchesse de Berry. Il racontait, avec ses gestes italiens et à faire mourir de rire, la conversation où, en réponse à ses plaintes et à ses fureurs, il lui avaient assuré d'une façon si péremptoire que tous les hommes avaient des maîtresses, que leurs femmes le savaient et en étaient parfaitement satisfaites, qu'elle n'avait plus osé se révolter contre une situation qu'il affirmait si générale et à laquelle il ne faisait exception absolument que pour monsieur le duc d'Angoulême.

Or, la princesse napolitaine aurait eu peu de goût pour un pareil époux. Elle s'était particulièrement enquise de monsieur le duc d'Orléans, et le prince Castelcicala n'avait pas manqué de répondre de lui:

«Indubitablement, madame, pour qui le prenez-vous?

– Et ma tante le sait?

– Assurément, madame; madame la duchesse d'Orléans est trop sage pour s'en formaliser.»

Malgré ces bonnes instructions de son ambassadeur, la petite princesse reprenait souvent des accès de jalousie, et madame de Gontaut était également utile pour les apaiser et pour écarter d'elle les révélations que l'indiscrétion ou la malignité, pouvait faire pénétrer. Elle continua à jouer ce rôle tant que dura la vie de monsieur le duc de Berry.

Madame la comtesse Juste de Noailles fut nommée dame d'atour; monsieur le duc de Berry vint lui-même la prier d'accepter. Ce choix réunit tous les suffrages; personne n'était plus propre à remplir une pareille place avec convenance et dignité.

L'éminent savoir-vivre de madame de Noailles lui tient lieu d'esprit et sa politesse l'a toujours rendue très populaire, quoiqu'elle ait été successivement dame des impératrices Joséphine et Marie-Louise et dame d'atour de madame la duchesse de Berry dont elle n'a jamais été favorite mais qui l'a toujours traitée avec beaucoup d'égards.

CHAPITRE XIII

Je refuse d'aller chez une devineresse. – Aventure du chevalier de Mastyns. – Élections de 1817. – Le parti royaliste sous l'influence de monsieur de Villèle. – Le duc de Broglie et Benjamin Constant. – Monsieur de Chateaubriand appelle l'opposition de gauche les libéraux. – Mariage de mon frère. – Visite à Brighton. – Soigneuse hospitalité du prince régent. – Usages du pavillon royal. – Récit d'une visite du Régent au roi George III. – Déjeuner sur l'escalier. – Le grand-duc Nicolas à Brighton.

Le mariage de mon frère se remettait de jour en jour. J'étais au plus fort de l'impatience de ces retards incompréhensibles, lorsqu'un soir une comtesse de Schwitzinoff, dame russe avec laquelle madame de Duras s'était assez liée, nous parla d'une visite qu'elle avait faite à mademoiselle Lenormand, la devineresse, et de toutes les choses extraordinaires qu'elle lui avait annoncées.

J'avais bien quelque curiosité d'apprendre si le mariage de mon frère se ferait enfin cette année; mais la duchesse en avait encore beaucoup davantage de se faire dire si elle réussirait à empêcher le mariage de sa fille, la princesse de Talmont, avec le comte de La Rochejacquelein, car la seule pensée de cette union faisait le tourment de sa vie.

Elle me pressa fort de l'accompagner chez l'habile sibylle, en nous donnant parole de ne lui adresser qu'une seule question. J'aurais peut-être cédé sans la promesse que j'avais faite à mon père de n'avoir jamais recours à la nécromancie, sous quelque forme qu'elle se présentât. Le motif qui lui avait fait exiger cet engagement est assez curieux pour que je le rapporte ici.

Lorsque mon père entra au service, il eut pour mentor le lieutenant-colonel de son régiment, le chevalier de Mastyns, ami de sa famille, qui le traitait paternellement. C'était un homme d'une superbe figure; il avait fait la guerre avec distinction et son caractère bon et indulgent sans faiblesse le rendait cher à tout le régiment.

Dans un cantonnement d'une petite ville en Allemagne, pendant une des campagnes de la guerre de Sept Ans, une bohémienne s'introduisit dans la salle où se tenait le repas militaire. Sa présence offrit quelques distractions à l'oisiveté du corps d'officiers dont le chevalier de Mastyns, fort jeune alors, faisait partie. Il éprouva d'abord de la répugnance contre elle et fit quelques remontrances à ses camarades, puis il céda et finit par livrer sa main à l'inspection de la bohémienne.

Elle l'examina attentivement et lui dit:

«Vous avancerez rapidement dans la carrière militaire; vous ferez un mariage au-dessus de vos espérances; vous aurez un fils que vous ne verrez pas, et vous mourrez d'un coup de feu avant d'avoir atteint quarante ans.»

Le chevalier de Mastyns n'attacha aucune importance à ces pronostics. Cependant, lorsqu'en peu de mois il obtint deux grades consécutifs, dus à sa brillante conduite à la guerre, il rappela les paroles de la diseuse de bonne aventure à ses camarades. Elles lui revinrent aussi à la mémoire quand il épousa, quelques années plus tard, une jeune fille riche et de bonne maison. Sa femme était au moment d'accoucher; il avait obtenu un congé pour aller la rejoindre. La veille du jour où il devait partir, il dit:

«Ma foi, la sorcière n'a pas dit toute la vérité, car j'aurai quarante ans dans cinq jours, je pars demain et il n'y a guère d'apparence d'un coup de feu en pleine paix.»

La chaise de poste dans laquelle il devait partir était arrêtée devant son logis, une charrette l'accrocha, brisa l'essieu; il fallait plusieurs heures pour le raccommoder. Le chevalier de Mastyns se désolait devant sa porte; quelques officiers de la garnison passèrent en ce moment; ils allaient à la chasse à l'affût. Le chevalier l'aimait beaucoup; il se décida à les suivre pour employer le temps qu'il lui fallait attendre.

On se plaça; la chasse commença, le chevalier était seul en habit brun. Un des chasseurs l'oubliant, ou l'ignorant, et se fiant sur le vêtement blanc de ses camarades, tira sur quelque chose de foncé qu'il vit remuer dans un buisson. Le chevalier de Mastyns reçut plusieurs chevrotines dans les reins; on le transporta à la ville.

La blessure quoique très grave n'était pas mortelle; on le saigna plusieurs fois; il se rétablit assez pour que le chirurgien répondît de sa guérison et fixât même le jour où il pourrait partir, à une époque assez rapprochée. On lui apporta les lettres arrivées pour lui pendant son état de souffrance. Il en ouvrit une de sa mère; elle lui annonçait que sa femme était accouchée, plutôt qu'on ne comptait, d'un fils bien portant:

«Ah! s'écria-t-il, la maudite sorcière aura eu raison! Je ne verrai pas mon fils!»

Soudain les convulsions le prirent; le tétanos suivit, et, douze heures après, il expira dans les bras de mon père.

Les médecins déclarèrent que l'impression morale avait seule causé une mort que l'état de sa blessure ne donnait aucun lieu d'appréhender. Cette aventure, dont mon père avait été presque acteur dans sa première jeunesse, lui avait laissé une impression très vive du danger de fournir à l'imagination une aussi fâcheuse pâture.

Le chevalier de Mastyns était homme de cœur et d'esprit, plein de raison dans l'habitude de la vie. En bonne santé, il se riait des décrets de la bohémienne; mais, affaibli par les souffrances, il succomba devant cette prévention fatale. Mon père avait donc exigé de nous de ne jamais nous exposer à courir le risque de cette dangereuse faiblesse.

Mon séjour forcé à Paris me rendit spectatrice des élections de 1817. C'étaient les premières depuis la nouvelle loi; elles ne furent pas de nature à rassurer. Les mécontents, qu'à cette époque nous qualifiions de jacobins, se montrèrent très actifs et eurent assez de succès pour donner de vives inquiétudes au gouvernement. Il appela à son secours les royalistes de toutes les observances afin de combattre les difficultés que leurs propres extravagances avaient amenées. Comme ils avaient peur, ils écoutèrent un moment la voix de la sagesse et se conduisirent suffisamment bien à ces élections pour conjurer le plus fort du danger.

J'avais quelquefois occasion de rencontrer monsieur de Villèle: il s'exprimait avec une modération qui lui faisait grand honneur dans mon esprit. On l'a depuis accusé de souffler en dessous les feux qu'il semblait vouloir apaiser. Je n'ai là-dessus que des notions vagues, venant de ses ennemis. Ce qu'il y a de sûr c'est qu'il commençait à prendre l'attitude de chef. Il tenait un langage aussi et peut-être plus modéré qu'on ne pouvait l'attendre d'un homme qui aspirait à diriger un parti soumis à des intérêts passionnés. Il influa beaucoup sur la bonne conduite des royalistes aux élections. L'opposition n'eut pas tous les succès dont elle s'était flattée; mais elle était redevenue fort menaçante.

Monsieur Benjamin Constant répondait au duc de Broglie qui, avec sa candeur accoutumée, quoique très avant dans l'opposition, faisait l'éloge du Roi et disait que, tout considéré, peut-être serait-il difficile d'en trouver un d'un caractère plus approprié aux besoins du pays:

«Je vous accorderai là-dessus tout ce que vous voudrez; oui, Louis XVIII est un monarque qui peut convenir à la France telle qu'elle est, mais ce n'est pas celui qu'il nous faut. Voyez-vous, messieurs, nous devons vouloir un roi qui règne par nous, un roi de notre façon qui tombe nécessairement si nous l'abandonnons et qui en ait la conscience.»

Le duc de Broglie lui tourna le dos, car lui ne voulait pas de révolution; mais il était bien jeune. Il était et sera toujours trop honnête, pour être chef de parti. Malheureusement, il y avait plus de gens dans sa société pour propager les doctrines de monsieur Constant que celles toutes spéculatives et d'améliorations progressives de monsieur de Broglie.

Ce fut vers cette époque que monsieur de Chateaubriand, dans je ne sais quelle brochure, honora les hommes de la gauche du beau nom de libéraux. Ce parti réunissait trop de gens d'esprit pour qu'il n'appréciât pas immédiatement toute la valeur du présent; il l'accepta avec empressement, et il a fort contribué à son succès.

Bien des personnes honorables, qui auraient répugné à se ranger d'un parti désigné sous le nom de jacobin, se jetèrent tête baissée, en sûreté de conscience, parmi les libéraux et y conspirèrent sans le moindre scrupule. C'est surtout en France, où la puissance des mots est si grande, que les qualifications exercent de l'influence.

Ma présence n'ayant pas suffi pour amener la célébration du mariage décidé depuis huit mois, les jeunes gens réclamèrent celle de mon père. Il obtint un congé de quinze jours. Après des tracasseries et des ennuis qui durèrent encore cinq semaines, tous les prétextes de retard étant enfin épuisés, il assista le 2 décembre 1817 au mariage de son fils avec mademoiselle Destillières.

Huit jours après, il conduisit le nouveau ménage à Londres où ma mère était restée et nous attendait avec impatience.

Le deuil de la princesse Charlotte était porté par toutes les classes et ajoutait encore à la tristesse de Londres à cette époque de l'année où la société y est toujours fort peu animée. Ma jeune belle-sœur n'y prit pas grand goût et fût charmée, je pense, de revenir au bout d'un mois retrouver sa patrie et ses habitudes avec un mari qu'elle aimait et qui la chérissait.

Je prolongeai quelque peu mon séjour en Angleterre, promettant d'aller la rejoindre pour lui faire faire ses visites de noces et la présenter à la Cour et dans le monde.

Mes parents avaient déjà été deux fois à Brighton pendant mes fréquentes absences. Me trouvant à Londres cette année, je fus comprise dans l'invitation. À la première visite qu'ils y avaient faite, un maître d'hôtel du prince était venu à l'ambassade s'informer des habitudes et des goûts de ses habitants, pour que rien ne leur manquât au pavillon.

Il est impossible d'être un maître de maison plus soigneux que le Régent et de prodiguer plus de coquetteries quand il voulait plaire. Lui-même s'occupait des plus petits détails. À peine avait-on dîné trois fois à sa table qu'il connaissait les goûts de chacun et se mettait en peine de les satisfaire. On est toujours sensible aux attentions des gens de ce parage, surtout les personnes qui font grand bruit de leur indépendante indifférence. Je n'en ai jamais rencontré aucune qui n'en fût très promptement séduite.

Le deuil encore récent pour la princesse Charlotte ne permettait pas les plaisirs bruyants à Brighton, mais les regrets, si toutefois le Régent en avait eu de bien vifs, étaient passés, et le pavillon royal se montrait plus noir que triste.

Ce pavillon était un chef-d'œuvre de mauvais goût. On avait, à frais immenses, fait venir des quatre parties du monde toutes les magnificences les plus hétéroclites pour les entasser sous les huit ou dix coupoles de ce bizarre et laid palais, composé de pièces de rapports ne présentant ni ensemble ni architecture. L'intérieur n'était pas mieux distribué que l'extérieur et assurément l'art avait tout à y reprendre; mais là s'arrêtait la critique. Le confortable y était aussi bien entendu que l'agrément de la vie, et, après avoir, pour la conscience de son goût, blâmé l'amalgame de toutes ces étranges curiosités, il y avait fort à s'amuser dans l'examen de leur recherche et de leur dispendieuse élégance.

Les personnes logées au pavillon étaient invitées pour un certain nombre de jours qui, rarement, excédaient une semaine. On arrivait de manière à faire sa toilette avant dîner. On trouvait ses appartements arrangés avec un soin qui allait jusqu'à la minutie des habitudes personnelles de chaque convive. Presque toujours l'hôte royal se trouvait le premier dans le salon. S'il était retardé par quelque hasard et que les femmes l'y eussent précédé, il leur en faisait une espèce d'excuse.

La société du dîner était nombreuse. Elle se composait des habitants du palais et de personnes invitées dans la ville de Brighton, très brillamment habitée pendant les mois d'hiver. Le deuil n'admettait ni bals, ni concerts. Cependant le prince avait une troupe de musiciens, sonnant du cor et jouant d'autres instruments bruyants, qui faisaient une musique enragée dans le vestibule pendant le dîner et toute la soirée. L'éloignement la rendait supportable mais très peu agréable selon moi. Le prince y prenait grand plaisir et s'associait souvent au gong pour battre la mesure.

Après le dîner, il venait des visites. Vers onze heures, le prince passait dans un salon où il y avait une espèce de petit souper froid préparé. Il n'y était suivi que par les personnes qu'il y engageait, les dames à demeure dans la maison et deux ou trois hommes de l'intimité. C'était là que le prince se mettait à son aise.

Il se plaçait sur un sopha, entre la marquise de Hertford et une autre femme à qui il voulait faire politesse, prenait et conservait le dé dans la conversation. Il savait merveilleusement toutes les aventures galantes de la Cour de Louis XVI, aussi bien que celles d'Angleterre qu'il racontait longuement. Ses récits étaient semés parfois de petits madrigaux, plus souvent de gravelures. La marquise prenait l'air digne, le prince s'en tirait par une plaisanterie qui n'était pas toujours de bien bon goût.