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Kitabı oku: «Récits d'une tante (Vol. 3 de 4)», sayfa 17

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VI
M. Thiers

Madame,

Je vous demande pardon de ne pas avoir répondu plutôt à votre aimable lettre; quand vous recevez ma réponse, vos vœux seront ou déçus ou accomplis.

Vous savez que j'ai toujours le plus grand penchant à faire ce qui vous est agréable, et à me conserver votre amitié; permettez-moi de ne pas vous en dire davantage aujourd'hui, et de faire ce que je n'ai jamais fait, c'est à dire le mystérieux.

En attendant que j'aie le plaisir de vous voir, agréez, madame, l'hommage de mon respect et de mon attachement.

A. Thiers

Jeudi 14.

Madame,

Je suis tout disposé à prendre votre femme de chambre, mais à une condition c'est que vous ne l'avertirez que lorsque je vous donnerai le signal; alors je vous prie de l'envoyer prendre, de me la faire arriver sur le champ, sans aucune explication préalable. Quant à moi, je la mettrai en voiture et la ferai partir sans qu'elle ait pu voir toute la nation Carliste et prendre leurs ordres, leurs instructions, et surtout leur télegraphie. Je vous demande pardon de ces précautions, mais, depuis que ma fatale destinée a fait de moi un chef d'assassins, Elle en a fait aussi un geolier, et je suis obligé à mille manœuvres révoltantes.

Adieu, madame, croyez-moi l'un de vos amis les plus respectueux et les plus dévoués

A. Thiers

Samedi matin 24.

Madame,

Vous auriez grand tort de croire que je vous ai oubliée, car ce serait me supposer ingrat. Je ne le suis pas, je vous assure, et je songe toujours avec une reconnaissance bien sentie à la bienveillance que vous m'avez témoignée. Ce n'est pas chose si commune que la bienveillance pour la si mal accueillir. Mille affaires, mille soucis m'ont toujours empêché d'aller vous présenter mes hommages. Je n'ose même plus en former le projet, tant j'acquiers l'expérience de l'instabilité de nos pauvres projets à nous, gens tourmentés. Je saisirai la première occasion de votre passage à Paris pour aller vous demander ma grâce. En attendant, je ne manquerai pas d'attacher un grand prix à votre recommandation en faveur de M. de Chateaugiron. Je le sais homme de mérite et d'expérience et propre à bien administrer. J'ai beaucoup et beaucoup de candidats, mais je vous promets de placer celui-ci en bon rang.

Croyez, Madame, à mon respectueux et sincère attachement.

A. Thiers

11 septembre 1834.

VII
M. Hyde de Neuville

de la préfecture de police, 18 juin 1832.

Je vous remercie mille fois, Madame; je reconnais, à votre obligeante lettre adressée à Madame de Neuville, votre bienveillante amitié pour moi, vous savez tout le prix que j'y attache et combien je vous suis dévoué; quand même, je viens vous demander un service, c'est, quelque traitement qu'on me fasse éprouver, de ne rien demander pour moi à un gouvernement dont je n'accepterais aucune faveur … je ne le crains point, je ne l'aime point et, après ce qui vient de se passer, vous pouvez concevoir aisément tous les sentimens que je lui voue. Il n'a rien contre moi, il le sait; il sait plus, il sait qu'il ne peut rien avoir contre moi car il n'y a pas une de mes actions qui ne puisse être produite au plus grand jour, mais il a voulu justifier des mesures odieuses, arbitraires, et il s'est empressé de profiter d'une accusation absurde, qui part d'un courtisan du pouvoir ou d'un sot, pour mettre en avant des noms que la France connait et qu'à juste titre elle estime. C'est à nous maintenant à demander compte de l'accusation. Pour moi, j'étais très éloigné de croire qu'il fut utile de conspirer contre un gouvernement qui sait si bien se suicider et travailler à sa ruine; je disais à tous, laissez faire et je suivais cette règle avec autant de modération que de patience; je mettais quelque dignité, après m'être retiré des affaires en homme de cœur, à garder le silence, et à attendre tout, du tems, de la raison publique, de la force des choses, … mais, enfin, on me déclare la guerre; je l'accepte et j'espère que toute la France sera pour moi. Un ilote est encore bien fort quand il a du sang français dans les veines, du courage et l'amour le plus sincère du pays et de ses libertés, enfin quand il peut publier tous ses actes et afficher tous ses écrits.

Voici la lettre que je reçois à l'instant d'un homme de beaucoup de talent dont les opinions ne sont pas les miennes.

«Votre arrestation m'a causé autant de douleur que de surprise; je suis moi-même à moitié proscrit, mais, si le ministère et l'assistance d'un homme auquel votre caractère public et privé a inspiré une haute estime, peuvent vous être utiles, disposez de moi.»

Si cette lettre était tombée aux mains de Mr le procureur général de Rennes, ce serait là un chef grave d'accusation; un homme du mouvement, écrivant à un légitimiste disposez de moi– à coup sur j'ai dirigé non seulement les mouvemens de l'ouest mais aussi les républicains de l'église St Merry – il y a des hommes qui ne conçoivent pas qu'on puisse avoir du cœur et se montrer noble et généreux dans tous les partis.

Adieu, Madame; je souffre encore beaucoup; je vais demander au juge d'instruction une maison de santé ou Made de Neuville pourra me suivre; je suis, du reste, accablé de soins par Mr Carlier qui a bien voulu me retirer chez lui, et me faire sortir d'un nid de voleurs, mais mon état de faiblesse exige des soins particuliers. Je verrai si M. le juge d'instruction croit ma parole aussi sure que des verroux. Agréez l'hommage de mon respect et de mon attachement

Hyde de Neuville

VIII
L'Amiral de Rigny

Paris, lundy [1832].

J'espère, Madame, que vous êtes plus au courant que moi d'une situation qui me paraît s'embrouiller de plus en plus; vos amis vous instruisent et, comme on me dit qu'ils se plaignent de moi, je n'ose, devant vous, être trop contradictoire.

Il est bon cependant, que vous sachiez, (bon, j'entends pour moi), du vrai, sans le vernis obligé.

M. de Broglie était un homme trop honorable pour que je fasse une objection personnelle et, malgré quelque précipitation désobligeante de la part du Roi envers mon oncle, accusé déjà, si je refusais, de faire manquer une combinaison si difficile à terminer, j'acceptais si le duc de Broglie se décidait.

Cela se passait le dimanche; le mardi, M. de B. apporta ses conditions au Roi: il s'agissait de Guisot, Seb … et un autre qu'il fallait faire entrer sans portefeuille.

Ici, je fis objection, et contre le sistème des ministres sans portefeuille et un peu contre l'invasion trop complette de ce qu'on appelle les doctrinaires, et j'offris ma place; Barthe en fit de même, et Thiers déclarat qu'il ne croyait pas cette combinaison possible avec la chambre.

C'était un sine qua non de la part du duc de B.; force fut de retourner à Dupin; à l'heure où je vous écris, on attend sa réponse et son arrivée. Je n'y compte pas trop, car c'est un singulier personage qui n'acceptera pas la présidence du maréchal.

Je passe rapidement sur les épisodes et les intrigues; toute la mienne est là sous vos yeux et, plus que jamais, je désire d'être hors d'un cercle vicieux où on ne peut dire la vérité sans choquer quelqu'un, ou blesser ses amis, où la prévoyance est taxée de dissolvance et les calculs raisonés de calculs égoïstes.

M. de Taleyrand part demain soir. Le dehors ne s'embellit pas; Matuchewitz a fait manquer à Londres une Coërtion fiscale qu'aurait sans lui adoptée la conférence.

Pozzo crie sur les toits à Vienne que c'est une horreur de vouloir dépouiller encore le roi de Hollande; la Prusse ne veut pas de nos rassemblements de troupes, pas de siège d'Anvers, et se borne à ne rien dire contre la coertion navale que chaque jour rend désormais illusoire; chacun parle de sa dignité nationale, de son intérieur et prétend ne plus rien sacrifier au notre. Voilà comme nous allons aborder la session, et de plus les recriminations et le reste.

Je vous confie ces embarras, Madame, dont les doctrinaires ne nous sauveraient pas!

On peut voir maintenant si j'avais tant de tort, en priant de différer les épousailles, et de ne pas presser le départ, toujours à tems, des princes, de Gérard, et de tout ce monde belliqueux.

Quant à la composition ministérielle, j'ignore ce qui se fera. Le maréchal a été soufflé de mettre d'Argout aux aff. étr. il veut Bassano ou Rayneval et tous les deux; moi, si j'ai voix et que je reste, je demanderai Thiers. On dit qu'Humann ne veut plus; M. Louis en tous cas ne voudra plus rester, Montalivet dit qu'il se retirera, mais le Roi veut encore essayer de s'arranger avec Dupin.

Voilà des noms et des projets en l'air; veuillez les prendre pour ce qu'ils valent et n'en pas nommer le narrateur, votre humble et dévoué, Madame.

H. de R.

Il est 9 heures du matin, et rien de fait ou du moins de connu pour moi.

Le Roi est reellement le plus embarassé, et s'est embarassé lui-même.

M. de Broglie a decidément refusé encore, hier soir, d'entrer sans le cortège qu'il demandait.

Reste toujours la question de savoir si on le prendra tel qu'il veut être accompagné ou si on essayera une combinaison entre lui et Dupin exclusivement, alors viennent les embarras des noms: Human ne veut entrer qu'avec M. de Broglie. Sans M. de Broglie, on ne trouvera pas de ministre des Aff. Etr.

Mais peut être, après tout, vois-je mal de mon coin! le dehors n'est rien moins que complaisant et le deviendra d'autant moins encore.

Thiers est furieux contre les doctrinaires de ce qu'ils ne veulent céder sur rien; on se brouille avec ses amis; on s'envenime mutuellement et la partie va grand train.

Je crois cependant que ce soir on finira par un méli-mélo. Je m'arrache les cheveux d'être dans cette galère car la rame est inutile.

Adieu, Madame; tout cela est bien triste, mais j'espère que cela l'est moins a Pt chartrain que dans la rue d'Anjou où je craindrais bien d'être mal famé en ce moment.

Mille hommages.

Mercredy matin,

jeudi, à 8 h du matin

Voilà, Madame, le plus pénible, le plus laborieux, et le plus forcé des accouchements ministériels.

Nous sommes restés enfermés aux thuileries de deux heures à minuit. On criera au ministère Polignac et c'est cette considération qui m'a décidé a ne pas me séparer de l'adon nouvelle.

Je crois fermement à la majorité! Alors! Alors.

Pardon de ce décousu mais j'en suis encore ahuri.

Mons, 14 8bre [1835]

J'ai reçu ici un billet de vous qui n'était pas destiné à aller si loin; je n'ai pu y répondre plutôt.

Après avoir balloté, cahoté un rhumatisme pendant deux mois par terre et par mer, le premier moment de repos a été une crise dont je ne prévois pas la fin. Le jour même de mon arrivée ici, j'ai eu une attaque sur la poitrine et les poumons, et, depuis 8 jours et huit nuits, j'étouffe dans des angoisses sans cesse renouvellées; je suis couvert de sangsues, de cataplasmes et de vésicatoires, et je compte les heures, les minutes de chaque jour et de chaque nuit. En ce moment même, je vous écris sur mon séant; j'ai peine à finir chaque mot. Ce voyage me coûtera cher peut être.

Jugez du spectacle que je donne à une femme grosse, nerveuse et malade. Je ne sais quand j'aurai du repis et si je pourrai reprendre la route de Paris. J'ai fait venir mon médecin qui était à la suite de Mde Thiers et qui va être obligé de s'en retourner.

Je pense aux plaques du maréchal qui seraient ici bien insuffisantes.

Adieu, Madame; ayez quelque pitié d'un agonisant en lui donnant quelques lignes mille hommages

H. de Rigny
Mons, 15.

Je vous remercie bien d'avoir pensé à moi. C'est une bien bonne distraction pour un malade qu'un souvenir d'amitié; je suis dans un assez triste état; je suffoque jour et nuit. Les douleurs aiguës ont un peu cédé, mais il me reste un mal que je ne comprends pas et que je crois n'être pas plus compris des médecins; le mien vient de repartir pour rejoindre la caravane avec laquelle voyage Thiers.

Vous me dites que j'ai eu tort de partir avant que rien ne fut décidé; mais d'abord rien ne devait se faire qu'au retour de Thiers, et je ne prévoyais pas que je serais impotent. Ce qui se fera, je ne le sais; j'ai eu une explication avec le Roi la veille de mon départ. Son embarras est grand, entre Gérard, auquel il a promis, et Sebastiany auquel il a promis encore.

Celui-ci veut s'en retourner à Londres maréchal; l'autre veut la légion d'honneur; il faut que ces prétentions là soient satisfaites avant les miennes. Cependant, aux tourments que j'endure et qui ne sont dus qu'à ce voyage de Naples, il me semble qu'on me devrait compter aussi.

J'aurai fait triste figure à votre dîner de Mde de Lieven, moi qui n'ai pas voulu aller à Pétersbourg. Maison ne demanderait mieux que de donner sa place à Sebastiany.

Du reste, je ne sais rien de ce qui se passe, je désire beaucoup être en état de monter en voiture car je m'ennuie fort ici. Mais comment faire avec 3 vésicatoires, des cataplasmes et des synapismes sur tout le corps; la patience commence à être à bout.

Quant à Mde de Rigny elle quitte décidément le pays, ce qui la force à rester jusqu'à la fin du mois pour ses arrangements de cloture.

Voulez vous faire mes compliments à Mr Pasquier.

J'aurais voulu lui dire mon entrevue avec le Roi qui m'a dit qu'il n'y avait plus que Duperré qui fit obstacle et qu'il était, lui, consentant à me nommer amiral.

Adieu, madame, que votre bonté ne s'épuise pas.

mille hommages

H. de R.

À moins d'empéchements absolus, je compte arriver à Paris lundi 26. Mde de Rigny vient avec moi, et le médecin qui m'a traité m'accompagne une partie de la route; c'est une entreprise que je fais car je ne sais si je supporterai la voiture. J'ai beaucoup souffert; depuis hier je suis plus calme et j'ai enfin pu dormir artificiellement deux ou trois heures. J'étais venu ici pour des affaires dont il m'a été impossible de m'occuper. Je les laisse en souffrance; quant à celles de Paris, je m'en occuppe encore moins; il parait qu'on trouve des difficultés à tout. Je ne sais pas ce qui fait dire que je demande qu'on renvoie Seb. de Londres pour m'y mettre ou qu'on renvoie Dup. de la marine pour m'y mettre encore. Je n'ai rien demandé de tout cela; je ne désire la place de personne, j'ai le jour de mon départ, demandé au Roi quelles objections il avait à me nommer amiral, il a fini par me dire aucune!

Je demande un grade qui n'est et ne peut être l'ambition de personne, mais il faut que je trouve là Seb. à la traverse. Les arrangements ministériels devaient se faire au retour de Thiers; la vérité est que si on ne les brusque pas, il ne se fera rien.

Je serai vraisemblablement plusieurs jours à Paris sans pouvoir sortir. Si M. Pasquier pouvait disposer d'un 1/4 d'heure pour moi, je lui en serai bien reconnaissant, le mardi ou le mercredi; de cette manière, j'aurai de vos nouvelles.

J'ai besoin de vous dire combien j'ai été sensible à vos bonnes attentions, et de vous renouveler tous mes hommages.

H. de Rigny.

Mons, ce 22.

IX
M. Duchatel

Londres, 1er 9bre 1848
Lowndes Square, 5

Nous venons de nous établir de nouveau à Londres, madame, et l'on m'écrit que vous êtes de retour à Paris. Je profite de ce rapprochement pour me rappeler à votre souvenir. Je ne sais quand il nous sera donné de nous revoir; je doute toujours que ce soit bientôt. Je cherche à ne pas penser à cette époque du retour; c'est la meilleure manière d'éviter les déceptions et l'impatience.

J'ai trouvé bien des malades à Claremont. La Reine surtout et le Pce de Joinville ont été cruellement atteints. Je crains que la Reine ne se remette difficilement. Les médecins ont déclaré pendant un grand mois qu'ils ne comprenaient rien à ces maladies si opiniâtres; ils les attribuaient à une influence du choléra, bien qu'elles eussent des caractères complètement contraires. Enfin, il y a deux jours, on a eu l'idée d'analyser l'eau; on l'a trouvée empoisonnée et contenant je ne sais quelle substance de plomb.

Alors on a examiné tous les symptômes, et l'on a reconnu que toutes les indispositions n'avaient d'autre cause que l'empoisonnement, qui est attribué à quelque dérangement dans les conduites qui amènent l'eau. Le Roi lui-même, et les princesses qui ne sont pas malades, ont les gencives bleues et portent la trace du poison. J'ai bien peur que la Reine n'en soit frappée trop gravement pour permettre d'espérer un retour complet à la santé. C'est ce que disaient hier les médecins.

L'horizon politique me parait bien sombre. On dit ici que l'élection de L. Bonaparte est inévitable. Est-ce un bien? est-ce un mal? je ne me permets pas de prononcer. Je crains avant tout, pour notre pays et pour la société, la domination de cette coterie républicaine qui n'a ni principes d'honneteté, ni capacité de gouvernement et qui nous mènerait lentement et sourdement aux mêmes abîmes que la république rouge.

Veuillez me rappeler à l'amitié du Chancelier. Ma femme me charge de tous ses souvenirs pour vous. Daignez agréer l'hommage de mes sentiments de respectueux attachement

D.

X
Madame Lenormant, Nièce de Mme Récamier

Ce 1er juillet 1848.

Chère Madame, j'ai vu hier chez ma tante le petit mot que vous avez bien voulu adresser à M. Ampère et c'est dans les circonstances présentes une joie vive que d'entendre parler de ses amis.

Ma tante va assez bien; elle a traversé ces affreuses journées avec tout le courage qu'on pouvait attendre d'elle. Nous avons été séparés trois jours entiers d'elle, sans lettres, ni communications. C'était une horrible angoisse. Hélas, et qu'est-ce qui n'était pas angoisse dans ces terribles moments! pendant cinq jours et cinq nuits, je ne voyais qu'à de rares intervalles mon mari dont la légion et le bataillon ont tant souffert, et je craignais à toute heure de le voir revenir blessé; ils ont perdu 8 hommes et comptent 80 blessés. Pour lui, le ciel l'a protégé.

Aynard de La Tour du Pin a été blessé d'une balle et même depuis l'extraction souffre toujours beaucoup. M. Beaudon souffre peu, mais sa belle-mère a dit à ma tante qu'avant plusieurs jours encore on ne serait pas certain d'éviter l'amputation.

Le duc de Noailles est revenu à Paris le vendredi 23 avec son fils Jules; l'un et l'autre ont fait le service le plus actif dans la 10e légion. Mais cela ne suffisait pas au jeune courage de Jules de Noailles, il a échappé à son père, s'est joint à la garde mobile, a traversé avec elle à plat ventre sous le feu des insurgés le pont du canal St Martin, s'est battu à la barricade de la Bastille et son père l'a ramené mercredi à la duchesse de Noailles après l'avoir, disait-il, un peu grondé de son héroïsme, mais en étant bien fier.

Sitôt qu'on a pu sortir, on s'est cherché avec un empressement bien mêlé de terreur. Au milieu de toutes ces circonstances si effroyables dont l'âme est encore navrée après la victoire, l'état de M. de Chateaubriand a fait de rapides progrès vers une fatale conclusion. Je venais d'être un mois sans le voir quand mercredi je suis allé chez lui. Sa maigreur est effrayante, il tousse presque sans cesse et il s'est joint à ses autres maux un catarrhe à la vessie qui lui cause par intervalles des douleurs très aiguës. Hier on n'a pas pu le lever. Il m'a semblé que cet état de douleurs physiques avaient plutôt réveillé qu'abattu ses facultés morales. Il m'a parfaitement reconnue et m'a témoigné même une affection qui m'a touchée.

Quelques traits d'héroïsme de ces petits mobiles que je lui ai racontés l'ont vivement ému. Il parle peu toujours, sa figure est beaucoup plus altérée mais l'expression y vit. La douleur a vaincu la paralysie. C'est plus déchirant à voir; c'est moins triste, l'être intelligent reprend l'empire. Mais je crois, chère Madame, que cela ne peut pas durer long-tems. Le catarrhe à la vessie dans les circonstances de maladie où se trouvait déjà M. de Chateaubriand est des plus dangereux. Nous approchons donc de ce terrible-moment qui sera le plus rude coup pour ma pauvre tante; à mesure que je le vois approcher j'en conçois plus d'effroi. Elle ne le voit pas et ne juge pas de l'altération de sa figure; il est fort patient et même dans les plus vives souffrances se borne à gémir sans se plaindre, cela contribue à lui faire illusion. Adieu, chère Madame, agréez mille tendres et respectueux hommages.

ce 3 juillet 1848.

Chere Madame, M. de Chateaubriand a reçu l'extrême onction hier à deux heures. Ma pauvre tante s'est établie hier dans cette maison pour ne plus la quitter. Vous imaginez aisément l'état où elle est; hélas! ce malheur est prévu depuis bien long-tems, et il semble frapper à l'improviste. Il a une fièvre violente, une toux presque continuelle. Il ne dit rien et souffre avec une admirable résignation.

Ma pauvre tante épie là, au pied de ce lit, une parole, un mot, un adieu, qui ne viendront peut-être pas. Mais il sait qu'elle est là et n'y souffre nul autre.

Je vous ferai donner le bulletin de la journée et de la nuit prochaine, si tout n'est pas fini avant la nuit.

Mille hommages.

Jeudi [6 juillet 1848].

Je ne reçois rien de vous, chère Madame, mais vous devez avoir appris par M. Lenormant la fin de M. de Chateaubriand; hélas! vous devinez bien l'état de ma pauvre tante. Elle ne peut croire encore à ce malheur; l'étourdissement de ce terrible coup, la fatigue physique l'empêchent de sentir le vide dont je suis plus épouvantée que je ne puis dire. Il faut espérer que le bon Dieu nous viendra en aide, car je ne sais ce qui serait assez puissant pour la soutenir dans de tels momens, si ce n'est une grâce d'en haut.

La cérémonie religieuse aura lieu samedi à midi précises à l'église des Missions; le corps, déposé d'abord dans les caveaux, sera dans quelques jours transporté à St Malo.

À partir du dimanche après la réception des derniers sacremens, que M. de Chateaubriand a reçu avec toute sa connaissance et beaucoup de joie, il n'a plus adressé un mot à qui que ce soit. La fièvre qui avait une terrible intensité l'accablait, il était très rouge et entendait pourtant sans doute ce qui se faisait autour de lui, car il faisait un effort pour soulever ses paupières quand on s'approchait du lit, mais hélas, n'y parvenait pas. Mardi, à huit heures et demie, sa vie s'est éteinte tout doucement, sans agonie, sans souffrance. Ma pauvre tante, M. Louis de Chateaubriand, l'abbé de Guerry et une sœur de Marie-Thérèse étaient seuls présents dans cette chambre à ce solennel moment.

On n'a point retrouvé de testament; les scellés ont été apposés, ce qui me fait croire que M. L. de Ch. n'a accepté la succession que sous bénéfice d'inventaire. L'ébranlement est tel pour ma pauvre tante que ses idées sont encore toute confuses et, jusqu'à présent, elle n'a exprimé aucun désir, formé aucun projet. Elle confond, dans la même douleur, deux douleurs bien différentes, deux pertes bien intenses, celle de M. Ballanche et celle de M. de Chateaubriand. Hélas, c'était la meilleure part de sa vie et je n'ose regarder en avant.

Vendredi 7.

Cette lettre que j'avais laissée hier ouverte sur ma table, chère Madame, a été interrompue parce que j'ai été passé la journée à l'Abbaye aux bois. J'y ai trouvé la lettre que Monsieur Pasquier m'a fait l'honneur de m'écrire et qui a vivement émue ma tante.

M. le Chancelier permettra que je ne lui réponde pas aujourd'hui. Je viens aussi de recevoir à l'instant votre billet d'hier. Je vais le porter à ma pauvre chère tante. Il est bien certain que votre amitié est celle sur laquelle elle compte le plus, que votre nom est celui qu'elle prononce le plus et que vous êtes, chère Madame, la seule personne qu'elle pourrait voir avec joie. Je vais lui dire votre tendre pensée, je sais d'avance qu'elle en sera profondément attendrie. Je ne sais pas si elle l'acceptera. Je ne pense pas qu'elle veuille quitter Paris tant que le corps de M. de Ch. y sera. De plus, elle a une vive inquiétude du parti qui va être pris pour la publication des Mémoires et voudra être édifiée à ce sujet. Le seul désir qu'elle m'ait témoigné c'est de faire le voyage de St Malo. La route la plus courte est celle de Caen. Peut être nous arréterions nous quelques jours ou quelques semaines chez moi en Normandie avant de continuer ce triste pélerinage. Je vous écrirai sans doute demain et vous manderai ce qu'elle aura résolu.

Mille respectueux et tendres hommages.

Ce 8 au soir.

Chère Madame, c'était aujourd'hui une cruelle journée et dont ma pauvre tante a bien souffert. Elle est dans un accablement qui fait pitié.

Je lui ai lu votre bonne et tendre lettre, elle en a été vivement émue; personne mieux que vous ne la comprend, personne mieux que vous ne sait la plaindre, personne plus que vous ne pourrait la consoler. L'hospitalité si tendre que vous lui offrez aurait eu pour elle le seul charme qu'elle puisse encore ressentir, mais elle ne veut pas quiter Paris sans être éclaircie sur beaucoup de points qui l'inquiètent. M. Vertamy, qui était le conseil et en quelque sorte l'homme d'affaires de M. de Chateaubriand, absent de Paris, y est revenu seulement aujourd'hui. C'est par lui qu'on connaîtra les volontés de M. de Ch., au moins relativement à ses mémoires. Ma tante est d'ailleurs chargée d'accomplir un des legs de M. de Chateaubriand, c'est-à-dire de remettre à la ville de St Malo le portrait de Girodet qui était déposé chez elle.

À la nouvelle de la mort de M. de Ch., le duc de Noailles est sur le champ revenu de Maintenon. M. Briffaut entoure aussi ma pauvre tante des soins les plus délicats. Mais, hélas! qu'est-ce que tout cela pour son pauvre cœur brisé? De projets, nous n'en formons aucun. Elle dit qu'elle a peine à suivre, à lier, à retrouver ses pensées. Dans quelques jours peut-être pourrons-nous la déterminer à quelque chose. Je désirerais bien ardemment qu'elle s'éloignât au moins momentanément de l'Abbaye aux bois; si vous aviez été à Chatenay, peut-être aurait-elle été vous y retrouver.

Paul David va tout à fait bien; sa chute n'a été qu'un accident sans suite fâcheuse et, grâce à Dieu, cette inquiétude là est du moins épargnée à notre pauvre affligée. Adieu, chère Madame, agréez le tendre hommage de mes sentimens.

ce 6 août [1848].

Vous avez écrit à ma pauvre tante, chère Madame, une bonne, longue et si tendre lettre qu'elle lui a fait du bien. Elle me charge de vous en remercier vivement. Votre langage est si tendre, si délicat, si sensible et si sensé que, de toutes façons, il devait arriver à son cœur. C'est avec une extrême émotion qu'elle l'a entendu. Elle veut que je vous dise combien vous avez bien su lui dire les seules choses qu'elle puisse entendre. Ses impressions, ses sentiments sont en parfaite harmonie avec ceux que vous exprimez; elle se travaille dans le sens même que vous lui conseillez et elle dit qu'elle croit qu'elle obtient quelque chose. Peut-être, en effet, commence-t-il à y avoir quelque chose de moins âpre, de moins amer dans sa douleur; mais, il ne faut pas se le dissimuler, le vide est infini. Rien ne l'intéresse plus, rien ne la touche plus, elle est comme absente d'elle-même. À force de prières, j'ai obtenu qu'elle sortit un peu presque tous les jours (elle ne voulait plus sortir de son appartement), mais c'est là tout. Elle ne dort point et sa pâleur est effrayante. Quand je m'inquiète de sa santé, elle me répond qu'elle s'étonne encore de supporter de tels coups. J'aurais voulu pour tout au monde lui faire quitter Paris ne fut-ce que pour quinze jours; je n'obtiens rien, car je compte bien peu sur la promesse qu'elle me fait de venir me retrouver en Normandie. Aussi, chère Madame, j'ai le cœur bien navré. Ma santé est si détruite que, depuis six mois, je ne crois pas avoir eu huit jours sans souffrance. On me presse d'aller prendre les eaux bonnes à la campagne puisque je ne peux pas aller les prendre aux Pyrénées, et je partirai samedi prochain pour profiter des derniers jours de chaleur. Mais, quoiqu'il en soit, je ne consentirais peut-être pas à partir si je n'espérais un peu que cette absence la déterminera à partir aussi.

Voilà où nous en sommes. M. Ampère ne la quittera pas. Si elle venait en Normandie, il irait passer ce temps en Angleterre et Paul l'accompagnerait chez moi, mais, je le répète, j'espère bien peu qu'elle se décide. Ses pauvres yeux ont achevé de se perdre dans toutes ces émotions et ses larmes. C'est un obstacle de plus à lui faire arriver la moindre distraction.

La famille de M. de Chateaubriand est indigne pour elle; croirez vous que L. de Chateaubriand, après avoir assisté avec elle à cette dernière et terrible scène de la mort, témoin de son dévouement si rare, si complet, si angélique, n'a pas même mis une carte chez elle, n'a pas éprouvé le besoin de lui exprimer sa reconnaissance au nom de toute la famille de l'ami qui sans elle aurait été livré à des gens de service…

Le portrait de Girodet est légué à St Malo, ma tante le savait, elle a prévenu toute demande et fait écrire au maire qu'elle était chargée du soin de remettre ce legs à la ville natale de M. de Ch. Elle vient d'en faire faire une copie qu'elle garde, mais, hélas, qu'elle ne verra pas. Le buste en marbre de David est légué au chateau de Combourg. Ma tante attend que M. L. de Chateaubriand le fasse réclamer. Dieu sait avec quelle mauvaise grâce cela sera fait. Tout porte la trace des volontés de Mme de Chateaubriand. Elle a abusé de l'affaiblissement de son mari pour lui faire signer avant sa mort à elle toutes sortes de dispositions qui n'auraient pas été sa volonté à lui; et, comme sa mémoire était tout à fait éteinte, il n'en avait nulle conscience.

C'est grand pitié!

M. Piscatory, que j'ai vu au moment de son départ pour Tours, m'avait promis de vous parler de moi.

Adieu, chère Madame, permettez-moi de vous demander d'écrire encore, d'écrire de tems à autre à votre pauvre amie. De tous les amis qui lui restent encore, elle dit que vous êtes celle de [qui] l'absence lui est le plus pénible. Vous nous viendrez en aide cet hiver.

Veuillez agréer l'hommage de mes bien tendres sentimens.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
300 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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